radiojd

Animateur de radio bénévole depuis 7 ans sur Radio Judaïca STRASBOURG de deux émissions de jazz et musiques traditionnelles où je présente les concerts en région, après des études de lettres menées jusqu'à un DEA, je n'ai cependant jamais trouvé d'emploi correspondant à ma culture tant littéraire que musicale et à mes capacités rédactionnelles pourtant polyvalentes car souvent considéré comme sur diplômé et sous expérimenté. Par ce blog, je désirerais échanger avec d'autres dans le même cas nos expériences personnelles de sorte à nous enrichir mutuellement d'idées auxquelles nous n'aurions pas pensé nous-mêmes.

Aller au contenu Aller au menu Aller à la recherche

MUSIQUES TRADITIONNELLES

Fil des billets

mardi, mars 24 2009

L’accordéoniste Régis GIZAVO invite Raul BARBOZA et René LACAILLE à l’Illiade pour le Printemps des bretelles

Né à Tuléar à Madagascar en 1959, Régis Gizavo est un accordéoniste original qui joue tous les styles, après avoir adapté pour son instrument le rythme traditionnel « renitra » de son île. Passionné de rencontres, il a joué avec énormément de musiciens, et après son premier album « Mikéa » (ethnie vivant de chasse et de pêche) en 1995, puis « Saly Olombelo » où il aborde les questions d’écologie en 2000, son dernier album « Stories » l’a vu collaborer avec le guitariste Sud-Africain Louis Mhlanga et le batteur et percussionniste David Mirandon, qui l’accompagne ici sur scène.

Gizavo_Saly_Olombolo.jpg

Autre rencontre plein Sud, hier soir, invité à une Carte Blanche par le Printemps des Bretelles, festival d’accordéons d’Illkirch, il a invité deux accordéonistes à le rejoindre : l’argentin Raul Barboza, italo-guarani spécialiste du Chamamé, et le Réunionnais René Lacaille , .qui vient de sortir « Cordéon Kameleon », un double album de belles rencontres musicales avec Denis Péan, Loïc Lantoite ou André Minvielle et des versions instrumentales.

Gizavo_Stories.jpg

Dès la première chanson en solo, Régis Gizavo se montre un chanteur puissant et émouvant, plus doux ou profond dans le final plus proche du micro, semblant appeler les esprits vaudous dont il a expérimenté les vertus thérapeutiques des musiques de transes depuis son enfance, dans cette langue malgache en plus d’un accordéoniste talentueux, lance une jambe en avant, un des soufflets assurant la rythmique de l’autre et inversement.

Gizavo_scene.jpg

Arrivent ses complices : le batteur/percussionniste David Mirandon (batterie, congas) qui l’accompagne de longue date, et un guitariste capable de jouer boogie, Jazz manouche, créole, ou reggae.

Gizavo_trio.jpg

Gizavo prévient « Normalement je parle beaucoup, mais là on n’a pas le temps, alors je vais plutôt jouer». Mirandon ajoute à la musique la modernité percussive des roulements Rock aux congas latines, ou des percussions à graines, avec une présence constante quoique discrète.

Gizavo_Mirandon.jpg

Gizavo dit avec humour « Je chante en malgache, mais je vis la même chose que lundi, mardi, mercredi, jeudi , vendredi…samedi c’est différent. »

Gizavo_rit_jaune.jpg

Il a intégré ses voyages musicaux, ses rencontres, dans son style, son répertoire, dédie « une pensée pour le Brésil » ou il a joué avec Lenine en Forro de Luis Gonzaga du Nordeste modernisé par la guitare funk, la batterie Rock et les congas à mains nues.

Gizavo_NB.jpg

Suit « Eka Lahy » (fausses Promesses), sa chanson la plus rythmée de « Stories » sur un tempo chaloupé à la cajun mais pêchu.

Gizavo_scene_2.jpg

Mais « il est 21 heures, on doit jouer deux fois plus vite » Justement on aborde la Louisiane avec une chanson « Zydequiste, même s’ils ont pas beaucoup de kystes » en style Zydeco (prononcer « z’haricots » pour le tube de Clifton Chénier « z’haricots sont pas salés », les haricots rouges en temps de misère étant consommés sans sauce , donc sans sel) avec une guitare Boogie.

Gizavo_guitare.jpg

Dans la chanson suivante, Gizavo crie dans l’aigu pour évoquer les victimes des voleurs de bétail malgache (« Y’a des malgaches et des malgâchés »).

Gizavo_chapeau.jpg

Commencent les effets d’annonce sur ses deux invités « Ils vont venir…arriver… c’est imminent » avant une sorte de Forro /Zydéco / pop . j’ignore s’il a enregistré tout ce répertoire varié sur ses disques ou s’il est inédit, voire improvisé, adapté.

Gizavo_Lacaille_Barboza.jpg

Arrivent à 21 h 30 le grand indien guarani aux cheveux blancs Raul Barboza et le Réunionnais René Lacaille. Pour se mettre à leur niveau, Gizavo change son tabouret haut perché pour une chaise.

Gizavo_Barboza.jpg

Barboza commence avec quelques phrases de chamamé, auxquelles les deux autres répondent en gardant leur style malgache ou réunionnais. Chacun tour à tour commence ou finit les phrases de l’autre puis repartent ensemble sur le rythme du public tapant des mains. Qui est le plus fou des trois ? Le chamamé part au trot et ils partagent le final.

Gizavo_cote.jpg

Suit une « Valse » inspirée par Barboza par un vieil italo-argentin très simple qui enseigna l’accordéon à son père. Les deux autres terminent les phrases de Barboza, parfois violentes, hachées, complètent avec douceur ses phrases volontairement incomplètes, ses mouvements esquissés.

Gizavo_complice.jpg

Lacaille propose une mazurka à Gizavo, accélérée par la batterie. Barboza tire des flons-flons de son accordéon, Gizavo y ajoute une tendre langueur, que Lacaille reprend au soufflet comme une vague. L’accordéon à six mains de ces trois virtuoses semble à la fois un et pluriel, universel et international, créole au sens de métis, minuscule puis soudain immense dans ses soufflets. Dans ses dérapages contrôlés, ses soufflets et ses touches, l’accordéon se fait orgue, guitare électrique soutenant la guitare manouche que Lacaille rythme, puis les trois s’envolent.

Gizavo_Lacaille.jpg

Lacaille s’inspire de toutes sortes de musiques, jusqu’à celles d’Europe de l’Est, comme il le déclare dans le Mondomix de ce mois-ci., en citoyen du monde et de ses créolités, « Kaméléon » comme le dit son dernier album « Cordéon Kaméléon » et le groupe de Jazz-Rock Réunionais « Kameleon » qu’il forma avec Alain Peters dont il se souvient dans le titre éponyme au sens très large de mélanges ethniques et musicaux.

Gizavo__Lacaille_Cordeon_Kameleon.jpg

Barboza aussi s’adapte, joue à la Tzigane de banquet et finit en musette (il a fait partie des disques « Paris-Musette »).

Gizavo_rouge.jpg

René Lacaille invite le public à chanter de concert avec lui les phrases : « - Ah Oui - Comment ? - Sinon - Moi-même (prononcé à la Réunionnaise : « moins-même » , avec une allongement Brésilien.) ». On goûte la saveur de son accent créole sur les percussions latines.

Gizavo_Lacaille.jpg

En plus de son accordéon, on apprécie son chant du dedans qui chaloupe, cet accent qui claque aux consommes comme une vague, colorées d’expressions rares chez nous dont on comprend à demi-mot ou un sur deux la poésie, s’alanguit en plage sur les voyelles puis par en scat, en rire en éclats,, fondu enchaîné avec les touches avec ses doigts, avec le soufflet de son accordéon

Gizavo_blue.jpg

Raul Barboza se souvient d’un « petit matin, lorsque j’arrive avec mon père, vers 5 heures du matin, et le soleil rouge qui se lève.» Il a parfois entendu alors un accordéon s’éveiller au loin. Le jour naît du rouge, du souffle, qui s’ouvre peu à peu puis de plus en plus grave, puis en chamamé avec Gizavo, lacaille et quelques notes de guitare. C’est une sorte de chanson profonde et lente, pas encore à cheval, avec les restes encore du Tango du soir dans ce petit matin.

Gizavo_scene_2.jpg

Les choses prennent forme peu à peu, comme les couleurs qu’on distingue de plus en plus avec la lumière, le rythme et la mélodie prend forme peu à peu de ces trois accordéons suivant la course du soleil de l’Argentine à Madagascar, à La Réunion et ce qui n’était au départ qu’esquissé vous prend l’âme de plus en plus fort en grandissant. Barboza quitte la scène.

La guitare part en Blues/ Reggae/ Flamenco, sculpte accords et arpèges sur les percussions aquatiques de Mirandon avec une touche de mystère, puis Lacaille prend un solo, chante le Blues créole: « Ah comment il est ? Il va bien ? La mer, y’a pas les poissons », Blues chaloupé, Hawaïen, marinier, voyageur, avec les doigts de Lacaille en crabe sur la plage des touches, la brise des soufflets.

Gizavo_guitariste.jpg

Il est l’heure mais personne ne veut partir, et Gizavo demande : « Vous voulez me reformer ou quoi ? ». Barboza revient pour le final. Gizavo prend un tempo lent, tanguant, puis qui prend le large vers des langues inconnues : « I Sanolafina, I Mabouten », où l’on croit parfois reconnaître au passage « Anyone » en anglais mais ce n’est peut-être pas lui…

La guitare se fait ska sur un rythme que Lacaille prolonge de ses mains en palmas flamenco créole « un, deux, trois », « un,deux », où le public se perd à la syncope. On fera mieux la prochaine fois, promet-il.

Gizavo_Dessous__Vie.jpg

On peut ensuite boire un verre et se restaurer au bar musical de l’Illiade. Bonne surprise, le groupe « Les Dessous De La Vie » de la bonne chanson française fraîche avec de vraies paroles au débit bien rythmé à la Anis qui renoue avec les vraies chansons françaises simples et belles, avec la révolte et la générosité de leur jeunesse, leur envie de vivre envers et contre tout et tous qui nous fait y croire encore, avec une voix cassée à la Mano Solo, deux guitares manouches, tziganes ou flamenco, une basse électrique et une choriste scatteuse amérindienne swinguante ou émouvante, mélancolique ou percussionniste tribale accordéoniste musette à ses heures. Sympathique et frais, et qui réchauffe le cœur, avec l’innocence et l’évidence d’ « Au P’Tit Bonheur ». C’est agréable d’avoir « Au P’tit Bonheur », Anis et Mano Solo et tout ce qu’ils amènent eux-mêmes par des jeunes bien de chez nous. Merci de prouver que la jeunesse peut s'intéresser à autre chose que le Rap et la Techno! Continuez d'fleurir, mes p'tites graines d'anis(ette) !

Gizavo_Dessous_accordeone.jpg

Et à la fin, en écoutant un groupe de Zydeco, je fis la connaissance de Cannelka (http://cannelka.canalblog.com/ ),, bloggueuse qui allait souvent aux mêmes concerts que moi passée sur Facebook (http://www.facebook.com/home.php?#/note.php?note_id=58588249361&ref=mf ) avec qui nous avons rendu hommage à Alain Bashung sur le parking de l’Illiade.

Cannelka.bmp

Le Printemps des Bretelles se poursuit toute cette semaine à Illkirch.

Jean Daniel BURKHARDT

samedi, mars 14 2009

BOI AKIH : Musique Indonésienne, Indienne, Hollandaise et Jazz à Pôle Sud

Le groupe Boï Akih (Princesse Akih) est à l’origine un duo hollandais depuis 1995 composé du guitariste préparé et siffleur Niels Brouwer et de la chanteuse Indonésienne Monica Akirhary, originaire des Îles Moluques, qui viennen de sortir « Yalelol » en 2007.

Boi_Akih_Yalelol.jpg

Mais pour leur disque «Uwai» en 2004, chanté intégralement en haruru (la langue des Moluques, en voie de disparition, parlée seulement par un millier d’insulaires), ils étaient un quartet, avec le violoncelliste néerlandais Ernst Reijseger et le percussionniste indien Sandip Bhattacharya aux tablas, élève de Ravi Shankar.

Boi_akih_uwazi.jpg

Vêtue d’une robe orangée qui lui donne l’air d’une sirène ornée encore de corail et de coquillages sur ses pieds nus, la princesse Monica Akihari est une chanteuse très variée, alliant des envolées lyriques d’oiseau enchanteresses à un scat ravageur, enchaînant en haruru, puis partant en khyal syllabique à la Nusrat Fateh Ali Khan. Parfois elle utilise des effets plus contemporains dans les aigus, crie ou s’étouffe au fond de sa gorge ou miaule, mais au moment de chanter, son chant s’en libère toujours.

boi_akih_crie.jpg

Son compagnon à la vie comme à la scène, le guitariste Niels Brouwer, une mèche de ses cheveux cachant un de ses yeux tel un corsaire des mers du Sud, passe du flamenco dans « Imi » à la guitare préparée par des barrés originaux, joués du côté le plus étroit avec des nuances dans l’aigu, trouvant dans le reste des cordes les valeurs graves d’un oud à une imitation de berimbau dans « Risa », ou trouve des nuances indiennes ou utilise des effets de cordes contemporains plus crissés que pincés,. En introduction à « Mritine », il se lève et reprend gaiement avec Reijseger les gammes rythmiques indiennes à la suite de Sandip Bhattacharya en din da ta.

boi_Akih_duo.jpg

Ernst Reijseger scatte dans les graves dans «Potu Lototo Polu » en tenant son violoncelle comme une guitare en transversale avec l’attitude assise d’un vieux bluesman, suit Sandip Bhattacharya dans ses gammes rythmiques indiennes sur la guitare indianisante de Niels Brower.

boi_akih_violoncelle.jpg

Il peut aussi être ethnique comme un mridangan dans « Jahna » accompagnant les vocaux indianisants de Monica Akihary. Il est plus grave, quand il joue de son violoncelle de manière plus conventionnelle à la verticale et avec l’archet, baroque comme une viole de gambe dans les graves, ou rappelle les suites de Bach dans son bourdon en apesanteur lors du bis final, se levant sans que la pique ne touche plus terre. Il est aussi le plus clownesque, le pitre de la bande, terminant un titre d’un battement d’ailes, ou cabot prétendant parler français en place d’Akih avec Niels Brouwer.

Boi_akih_quartet.jpg

Dans cette orchestration plus contemporaine, la reprise de «Risa » (Fighting) extrait du premier album en duo, il assure les basse en frappant l’archet sur on violoncelle à la forme de berimbau, Niels Brouwer étant accordé plus aigu.

boi_akih_blue.jpg

Sandip Bhattacharya est le plus discret, assure une pulsation permanente sur ses tablas et une cymbale, on le remarque surtout dans ses gammes rythmiques vocales, mais il suit aussi ses complices sur les chemins de l’expérimentation contemporaine, répondant aux effets crissés de la guitare en frottant la baguette sur la petite scène surélevée où il est assis en tailleur.

boi_akih_verte.jpg

Bref, ces individualités de cultures ethniques et musicales différentes trouvèrent un vrai son de groupe, servirent à merveille ce répertoire et promettent une nouvelle forme de musiques traditionnelles improvisées ouvertes au Jazz, qui en retour pourrait sauver les langues de ces cultures oubliées, comme ici le haruru des Moluques.

Jean Daniel BURKHART

vendredi, mars 6 2009

Diana Baroni Trio & guests : FLOR DE VERANO allie Baroque et Musiques D'Amérique Du sud , commande de "ikebanamusic""

La flûtiste et chanteuse Diana Baroni est née en Argentine, mais vit en Europe depuis 1995, venue en Hollande étudier la flûte baroque, et a enregistré son dernier album « Flor De Verano » en Autriche. C’est dans un grand fleuve d’Amérique ou d’Europe qu’on la voit se baigner dans la boue tatouant sa peau sur les photos de Laura Glusman.

Diana_fleuve.jpg

« Flor De Verano » est un album magnifique, alliant la prestance baroque des instrumentaux à la joie festive des danses indiennes ou noires, où l'agencement des compositions en une journée rajoute au paisir.

Diana_Flor.jpg

La musique rappelle la musique la musique des Andes par ses flûtes et l’orchestration du trio alliant les cordes (harpe non andine, mais juive de Lincoln Almada, vihuela de Rafael Guel) et les percussions (Lincoln Almada au cajon, caisse de morue, Rafael Guel au xarana, percussion à graines), mais sert un répertoire allant du Baroque Mexicain des découvreurs du Nouveau Monde aux traditions indiennes encore vivaces des autochtones ou africaines des anciens esclaves noirs qui les remplacèrent. Des invités ajoutent d’autres couleurs, d’autres cultures : la kora malienne de Tunde Jegede, le trombone de Paul Zauner, la contrebasse de Wolfram Delschmidt.

Diana_flute.jpg

Dès le premier titre « La Mañana », la voix de Diana Barona est émouvante, bouleversante, avec la prestance et la profondeur venue de loin d’une Mercédès Sosa, puis on la découvre plus variée, gaie ou festive comme celle de Susana Baca dans le festejo « Ay Mayoral », chant d’esclave se plaignant du Contremaître qui rappelle le disque de Susana Baca «Del Fuego Y Del Agua » exhumant ces musiques Afro-Péruviennes, auxquelles Diana Baroni a consacré son premier disque « Son De Los Diablos ».

diana_Diblos.jpg

Mais le fleuve, dont on entend les oiseaux, un coucou, des cigales ou les Lavandières nous emmène aussi grâce à cette sirène hors du Pérou, en Equateur, au Vénézuela ou au Mexique, au rythme des pregones, troubadours itinérants du Moyen Âge entourés de la foule ou vers le baroque Mexicain de 1730 avec une pureté de son de la flûte à la Jean-Pierre Rampal, oe encore dans des valses, danses, tonadas ou zamacuecas, nous font découvrir cette Amérique du Sud secrète, plurielle, moins connue que Cuba ou le Brésil.

Diana_mystique.jpg

L’album est organisé comme une journée fictive, du matin, avec le travail agricole, à la sieste de l’après-midi écrasée de soleil, s’étendant quand les ombres s’allongent jusqu’à la soirée, invitation à la fête prolongée jusqu’au bout de la nuit et d’un autre petit matin.

diana_joue_red.jpg

« Tardecita » (soirée) est une magnifique habanera d’Augustin Lara aux percussions légères chantée en duo avec Rafael Guel sur les cordes et la contrebasse.

Diana_Nuevos.jpg

A la Nuit de Pâques de Conima sur les percussions des xaranas frappées et rebondissantes, résonnantes de graines soutenant la flûte Andine, succède celle festeja d’Alcatraz, et la Nuit Créole des noirs Mexicains. Au plus fort de la nuit, « Una Larga Noche » (une grande nuit) reprend de façon originale et personnelle une zamacueca de la grande chanteuse Péruvienne de Lima Chabuca Granda (1920-1983), se fait tragique, méditative, insomniaque avec le trombone en écho, puis les rythmes envahissent kora, cordes et voix, et s’apaisent aux lueurs de l’aube.

Diana_chavire.jpg

Tout s’évanouit avec l’étoile du petit matin en «Nuage D’eau» où vole un papillon dans les bruits du réveil de la forêt vierge qui borde le fleuve…

Diana_Flor.jpg

Mais rien ne vous empêche de remettre le disque pour une autre heure, une autre journée en Amérique Du Sud…

Jean Daniel BURKHARDT

mercredi, février 11 2009

IvRim joue et présente son premier album à la Bibliothèque Municipale de Strasbourg

Le groupe "free post-trad" IvRim, (les passeurs en hébreu, peut-être ceux de la musique Klezmer dans le XXIème siècle électrique) composé de Lior Blindermann à l’oud électrique, Vincent Posty à la contrebasse, a été d’abord « trio fretless à coulisse » avec Jean Lucas au trombone puis à accordéon avec Yves Weyh, et pour l’occasion Pascal Gully à la batterie en remplacement de Fabien Guyot, percussionniste adepte des casseroles diverse, trop occupé, tous trois membres du groupe Zakarya (qui a sorti le 28 octobre son quatrième album « The True Story Concerning Martin Behaim » , premier groupe français produit par le label Tzadik de John Zorn), présentait hier soir le 10 février son premier disque à la Bibliothèque Municipale, cocluant la semaine de concerts « Musiciens d’ici, Musiques d’ailleurs ».

IvRim.jpg

Pascal Gully a une frappe plus Rock que Guyot, mais on retrouve dès « Tik Tak » d’Yves Weyh le comique ambulatoire et l’humour juif grinçant de Zakarya dans ce klezmer modernisé façon destroy par l’oud électrique sur la basse de Posty. «C’est une double première ce soir : la première fois que nous jouons avec Pascal Gully à la batterie, et la sortie de notre premier album », explique Lior Blindermann.

ivrim_gully_seul.jpg

Suit la composition de Lior Blindermann qui ouvre l’album, « Otraquellos ». Après un début de l’oud très oriental, l’accordéon sinueux s’insinue comme un serpent dans le groove dans un style Tzigane de banquet, puis ils reviennent au thème avant le solo d‘oud sur la frappe de Gully qui monte vers les cymbales.

ivrim_2.jpg

Suit une composition de Vincent Posty, « Twist » avec un son plus rock de Gully rappelant par ses montées celle mémorable de « Tout va bien pour Monsieur Jacques » sur le premier album de Zakarya sur « un président européen qui aurait profité électoralement des voix de l’Extrême-Droite tout en la condamnant officiellement », et ne s’était pas encore fait réélire par ce moyen en 2002 à cette époque ! L’oud à un son plus Rock, électrique, saturé d’effets de distorsion, avec des riffs ravageurs et le solo d’accordéon. IvRim adapte avec succès tous les genres à son style avec une énergie rythmique forte et beaucoup d’humour et d’originalité.

ivrim_coulisses.jpg

« Mi Son » est une composition de Lior Blindermann à prendre dans les deux langues, puisque c’est un Son’ Cubain dédié à son fils («son» en anglais). L’oud y est plus grave, acoustique, en mode lent. L’accordéon part en ska, en reggae, et l’oud petit à petit joue de plus en plus rapide et finit en électrique dans l’aigu à la Arsénio Rodriguès, passé du très à la guitare électrique. S’il l’amplification n’était pas prévue pour cet instrument, l’oud électrique a le vent en poupe en ce moment, avec notamment le duo Duoud de Smadj et Mehdi Haddad.

ivrim_scen_lights.jpg

« Beep Beep » de Lior Blindermann, révéle son goût pour les musiques urbaines plus modernes comme le Hip Hop, avec des beats de la batterie plus industriels sur la basse et des entrelacs entre oud et accordéon. Le thème est plus comique, le jeu plus resserré, puis vient le solo d’oud électrique zébrant l’espace de ses déflagrations. Soudain la basse part en live sur l’accordéon, dont la batterie frappée en sourdine de Gully soutient les volutes, puis frappe de plus en plus fort, à la Jim Black (en concert avec son quartet AlasNoAxis au Cheval Blanc de Schiltigheim le mardi 10 mars prochain à 20 h 30).

ivrim_gully_assis.jpg

Suit un thème qui n’est pas sur le disque, « une terreur d’enfant sans papier de Sangatte au milieu des chiens », avec l’archet contemporain inquiétant de Vincent Posty à la contrebasse, presque classique, baroque, magnifique de profondeur, puis les coups de l’oud en mode lent, plus lyrique et orientalisant sur la frappe fine de Pascal Gully (qui a fait aussi partie d’un groupe Gnawa, MOGO, qui joua avec des musiciens de Tanger et les ramena à Strasbourg à Jazzdor). L’oud tremble de toutes ses cordes sur les soufflets courts de l’accordéon et l’archet de la contrebasse, puis se fait de plus en plus dramatique, rythmique, rapide sur la batterie de plus en plus rock, et finit en oud saturé sur l’accordéon.

ivrim_posty.jpg

Suit un « Paso A…» de Vincent Posty, « adepte des styles anciens », mais que le groupe modernise toujours à sa sauce. Ici le tempo de ce paso doble est comique sur l’oud électrique aigu, jeté, puis à la vibration électrique samplée en écho sur le bourdon de la basse, accompagnant d’un bruit de fond ambiant le solo d’oud acoustique, ce qui semble amuser Pascal Gully qui repart en paso sur la batterie, sur le pizzicato de la basse, à nouveau brouillé par l’oud électrique qui a oublié la nostalgie des chevaux des steppes pour chevaucher les chevaux électriques.

ivrim_au_vert.jpg

Une autre composition inédite de Vincent Posty, «Tribute to Michel» expérimente l’improvisation électro-acoustique bruitiste, avec Pascal Gully manipulant divers objets à la Paul Lovens avec des crissements/raclements sur les toms. L’oud est utilisé à l’horizontale, lui aussi « préparé » à la John Cage et Lior y fait glisser des objets sur les cordes. Mais bientôt l’accordéon d’Yves Weyh énonce un semblant de thème, de forme. Fausse alerte, puis il construit le thème avec l’oud électrique quasiment trash et les coups de boutoir de la batterie de plus en plus violente. Si le début peut sembler discutable aux non-initiés, assister ainsi à la formation progressive du thème, de la forme, du sens en quelque sorte, à partir de rien, du bruit abstrait du big bang ou du magma sonore a pour moi toujours l’émotion d’un miracle, d’un « fiat lux » (« et la lumière fu »), de la lumière jaillissant des ténèbres.

ivrim_2_rives.jpg

Suit « Cafe Fuentes » d’Yves Weyh, d’après un bistrot de Tanger , avec l’oud électrique rock sur l’accordéon comique.

ivrim_weyh.jpg

En Bis, on découvre une autre composition inédite qui rappelle les autres activités de Lior Blindermann au sein de Maliétès avec son air mélancolque de Rebetiko Grec ou de taverne turque, mais brouillé par la basse enbrouet de cordes, le soufflet d’accordéon et ses cavalcades.

ivRim-R-V.jpg

Bref, achetez l’album ou allez voir et entendre IvRim sur scène : leur traitement moderne "free post-trad" de genres anciens venus du monde entier est inimitable et unique, déopassant es barrières géogphiques et sylistiques.

Jean Daniel BURKHARDT

mercredi, février 4 2009

SONANDO ouvre la semaine de concerts dans les Médiathèques de Strasbourg

Même en formation réduite (Grégorio « Candela » Ott aux claviers, Pascal « Pascalito » Beck au trombone, composition et arrangements, Guy « Guido» Broglé à la composition et aux timbales, le Hollandais Roberto « Ro » Kuijpers aux congas, Pilou Würtz basses, qui a été le premier bassiste du groupe en 1990, et Osvaldo « El Guajiro » Fajardo chant), c’est énorme, incroyable de voir Sonando, , le meilleur groupe de Salsa de la région, composé de musiciens de Jazz locaux fous de musiques latines, jouer dans la salle d’exposition de la Bibliothèque Centrale, Rue Kühn, inaugurant toute une semaine de concerts de musiques traditionnelles dans les Médiathèques de la CUS avec : « Au Gré Des Vents » (folk local) le mercredi 4 février à la Médiathèque de Hautepierre à 15 h, Boya (musiques de Bulgarie) le jeudi 5 à celle de Neudorf à 20 h, les Papyros’n (klezmer, musiques tziganes, balkaniques et celtiques) le vendredi 6 à la nouvelle Médiathèque André Malraux à 20 h et IvRim (klezmer revisité à l’oud électrique) à la Centrale, mardi 10 février à 20 h, sur le thème «Musiciens d’ici, Musiques d’ailleurs », avec une table ronde le samedi 7 février à 15 h pour « comprendre l’itinéraire d’un musicien ».

Sonando_Bailando.jpg

Le concert commence avec une nouvelle composition en clavé à paraître sur le prochain album de Sonando « Llego La Hora », avec le chanteur Osvaldo Fajardo au chant et guiro (percussion piriforme striée raclée d’une baguette).

Sonando_Osvaldo_guiro.jpg

Suit le titre éponyme de leur dernier album, la salsa « Sonando El Montuno », où Osvaldo alterne guiro et maracas. Si le terme « Montuno » (montagnard) est le plus souvent associé au Son primitif qui descendit des Montagnes de l’Oriente, cette forme, modernisée avec des cuivres, et est ainsi à l’origine de la Salsa, il est encore présent dans la Salsa de Cuba et d’ailleurs, comme dans « El Mal del Hipocresia » d’Adalberto Alvarez ou même chez les « Afrocuban All Stars », célèbres papys Cubains du « Buena Vista Social Club » qui le remirent au goût du jour dans leur second disque « A Toda Cuba le Gusta », première idée de Juan De Marcos Gonzalès, mais qui suivit le film pour des raisons de publicité sur l’initiative du producteur Nick Gold. Après les accords de piano martelés pendant le solo de timbales et cymbales de Guy Broglé, Grégory Ott change le son de son clavier en un hallucinant « clavinet » 70s saturé comme le « Xénophone » de Bojan Zulfikarpasiç sur son disque « Xénophonia ».

Sonando_Montuno.jpg

Sonando nous emmena ensuite en Colombie goûter la saveur du rythme de la Cumbia avec « Sabor De Cumbia ». La Cumbia, une danse noire des esclaves de Colombie du XVIIème siècle, fut d’abord jouée par des percussions, puis des accordéons, et passée ensuite dans les rythmes de la Salsa, pourrait d’ailleurs, d’après les magazines britannique « Songlines », français « Mondomix » et une récente compilation, supplanter le « Mérengué » Dominicain, en tous cas est l’objet d’un véritable engouement populaire en Colombie. Le chanteur improvise sur les chœurs pendant le solo de la cowbell, puis Pascal Beck prend son solo de trombone et la basse groove électrique termine le titre.

sonando_gold.jpg

Suit «A Bailar Bembé», une reprise de Fruko Y Sus Tesos, groupe Colombien de Julio Ernesto Estrada (Fruko) et ses « durs » (tesos) depuis 1970, introduit par le piano. Osvaldo chante la « Rumba Africana », invitant le public « a guarachar » (à s’amuser) puis se lance dans une « Bomba » Portoricaine sur la clavé. La richesse de la Salsa est celle de ces rythmes venus de toute l’Amérique Du Sud qui s’y retrouvent et se sont mélangés pour créer cette «sauce» syncrétique et généreuse à New-York qui a fait la fortune du Label Fania de Johnny Pacheco et Jerry Masucci, en utilisant à fond les musiciens Sud-Américains émigrés et exilés qui se trouvaient dans La Grosse Pomme.

Sonando_Guido.jpg

Suit une salsa dédiée par le groupe Sonando dans son dernier disque, « Para Ti Bailador », les invitant à « gozar » sur leur rythme. Le public bigarré répond à sa façon à cette invitation à s’amuser, peut-être plus à la musique qu’au mot : Booba, Salsero historique et premier DJ « Salsa » du Café Des Anges en 1998 danse avec des enfants, les collègues des musiciens du CEDIM sont dans la salle, ainsi que le personnel de la Bibliothèque et quelques couples de danseurs de la section Strasbourgeoise l’association «Ahi Na’ma» allient à la musique la joie de la danse pour le plaisir des yeux, prouvant que la magie de la Salsa opère partout où on la joue, où on la danse. Dans la musique aussi, la Salsa reste une musique improvisée collectivement avec joie de vivre sur des rythmes dansants, plus parfois que le Jazz Free actuel : la cloche cowbell de Guido Broglé se mêle aux peaux des congas du percussionniste Roberto « Ro » Kuijpers originaire de Hollande, tandis que le public participe en frappant de ses mains la clavé.

Sonando_musicos.jpg

Après « Abre Me La Puerta », arrive « Yo Soy El Son' » , un son' repris de “Mercadonegro” (marché noir) , l’un des meilleurs groupes de Salsa actuels pour Grégory Ott, formé par Armando Miranda (natif du quartier Buna Vista de Cuba , Rodrigo Rodriguez né à Carthagènes en Colombie et Cesar Correa, né à Truijllo, au Pérou, étant tous éduqués dans des Conservatoires musicaux en Amérique Latine ou en Europe, ce qui est plus fréquent chez les musiciens de Salsa qu’ion ne pourrait le croire, en particulier pour les Cubains, qui ont souvent une culture classique.

Sur ce thème moins rythmé, Osvaldo Fajardo dévoile sa plus belle voix, un peu à la Bèni Moré, le plus grand chanteur Cubain pour le quel certains Cubains versent du rhum à même la terre « para el Bèni ». Le texte rappelle qu’outre le Son, le chanteur de Salsa est aussi l’incarnation de la Rumba et du Guaguanco, et par là l’héritier des esclaves Yoruba arrachés à l’Afrique qui purent, à Cuba, garder leurs tambours, rester en tribus au sein des cabildos (sociétés d’entraide) et continuer de pratiquer, jouer et chanter ces formes primitives dédiées aux dieux Afro-Cubains de la Santèria, en parallèle avec le christianisme imposé, d’où un syncrétisme intéressant (Chango, qui ouvre les portes se confondant avec le Christ, Yemaya la déesse maritime avec la Vierge Marie, etc…).

Sonando_peints.jpg

Après un break, Grégory Ott prend un solo de piano en cascade à la Ruben Gonzalès montrant sa culture classique dans « Classiqueando con Ruben »par des accords lents, des accélérations contrôlées, et des réitérations rythmiques fracassantes lançant le solo de trombone puissant, puis langoureux.

Sonando_Greg.jpg

Suit « Baila Mi Gente », reprise du conguero Poncho Sanchez, une des dernières légendes vivantes du Latin Jazz et de la Salsa encore en activité. Osvaldo multiplie les « guias » (improvisations vocales en rythme du chanteur sur les chœurs). Pendant le solo de « Pascalito » Beck au trombone, le piano le soutient par ses répétitions rythmiques entêtantes qui paraissent semblables, mais font évoluer le thème par des variations infinitésimales mais essentielles sur le tapis des percussions congas, timbales et guiro. Suit un solo de congas où Roberto « Ro » Kuijpers d’un fût à l’autre, du plat de la main, de la paume et du tranchant de la main sur les accords martelés du piano, fait « parler » les tambours, rythmé par les « Baila Mi Tambor , Baila Mi Gente » d’Osvaldo et des autres en choeurs…

Sonando_Beck.jpg

Nouvelle composition à paraître dans le prochain album de Sonando, « Corazon Cubano » est d’un style plus proche de la Bomba Portoricaine, plus New-yorkais, d’un arrangement plus resserré autour de la voix d’Osvaldo qui part en proto-rap latino sur le rythme des mains du public, puis ça repart sur un piano d’enfer, le vocal un instant ralenti repart sur les chœurs en une rumba endiablée. Osvaldo confie les maracas à la petite fille qui dansait, puis le guiro au petit garçon qui jouent, ou croient jouer (ce qui doit être formidable dans leurs têtes) avec l’orchestre. Le nouvel album de Sonando promet d’être très varié rythmiquement , même à l’intérieur des titres. En attendant,on peut,outre leur albums, les trouversur une la compilation "Calor Latino 2".

Sonando_Calor_compile.jpg

Suit «Rumba De Mulatos » (Rumba des mulâtres, une des nombreuses classifications des noirs à Cuba) de la Sonora Carruseles (http://www.myspace.com/sonoracarruselesdf ) , groupe Colombien fondé par Rincon Pachanga à Medellin qui a remis au goût du jour le « Boogaloo » (mélange de musique latine et de Soul afro-américaine) (http://www.youtube.com/watch?v=MI83PLKhr2Y ) et jouent des cumbias dans le style des la salsa des années 70s. Osvaldo scatte sur le solo de trombone, puis part dans un guaguanco dédié à Eleggua (personnification du destin dans la Santéria).

Sonando_red.jpg

Avec «Ache Para Todos», Osvaldo remercie tout le monde (« Ache para todo el mundo »), puis chante un dernier boléro de Pascal Beck, “Tu Veras” et puis s’en vont.

Sonando_Explosion.jpg

En guise de rappel, tout le monde se lève, saute et danse aux accords introductifs de piano plaqués rappelant l’original de « Oye Como Va », Cha-cha-cha du timbalero Tito Puente, mais Santana, qui le reprit avec succès en Blues-Rock sur son album « Abraxas » dans les années 70s aimait la chanson autant que le compositeur lui en laissa toujours la paternité, ce qui rendit Tito plus célèbre.

Sonando a commis, sur son disque de 2003 épuisé depuis, « Salsa Explosiva », commis un fameux, le « Cha cha du glandeur» composé par les trombonistes Jean Lucas et Pascal Beck au texte amusant et estival : « De terrasse en terrasse, je mate les nanas, ça n’use pas les godasses et ça ne fatigue pas». Merci à Alexia Gabel qui à la Bibliothèque a eu l’idée de ce concert.

Jean Daniel BURKHARDT

samedi, janvier 31 2009

MALIETES : DANS LES RUELLES D’ISTAMBUL A PÔLE SUD CE SOIR

Depuis 2000, l’ensemble Strasbourgeois Maliétès interprète le répertoire Turc urbain, Anatolien ou classique et Rébétiko Grec (ce qui dénote déjà une belle ouverture d’esprit, puisque les Grecs ayant longtemps été sous la domination de l’empire Ottoman, la Géopolitique a souvent opposé les deux peuples), mémoire de l’époque où Turcs, Grecs, Juifs et Tziganes cohabitaient à Istambul.

Malietes_archive.jpg

Après un premier album «Maliétès» porté par l’énergie du Live, le second « Maliétès2 », sorti en 2007, est riche d’anecdotes pittoresques ou émouvantes sur les morceaux un jeune Juif espérant se marrer et partir en Palestine, un patron de café Rebetiko blessé lors d’une rixe et mort étouffé par une cigarette passée en douce par son frère.

Malietes_2.jpg

Ces musiciens polyvalents, parfois membres également du « Le Grand Orchestre De la Méditerranée» se sont réunis avec d’autres dans « L’Assoce Pikante », très active dans la région. Lior Blindermann est à l’oud, Yves Béraud à l’accordéon, Nicolas Beck (contrebasse et tarhu- descendant récent à archet du sitar indien) et Etienne Gruel aux percussions, puis Emmanuel Hoseyn During (fils de l’ethnomusicologue Jean During) les a rejoints au saz (luth Turc à long manche) et au violon, et Cem Gûner, au kanun (cithare sur table à plectres), qui est absent ce soir.

Malietes_Istambul.jpg

Hier soir 30 janvier et ce soir 31, à Pôle sud, l’Ensemble Maliétès présente son nouveau spectacle nous emmenant «Dans les ruelles d’Istambul », avec deux chanteuses en plus, la Turque Hacer Toruk et la Grecque Xanthoula Dakovanou, qui joue également du kanun.

Malietes_grecque.jpg

Ils arrivent dans l’obscurité, ombres masculines et féminines, prolongées de celles de leurs instruments. Seul le battement sourd d’une percussion introduit la chanteuse turque brune sur les soufflets de l’accordéon. Nicolas Beck joue d’un tarhu de bois pourpre avec un archet perpendiculaire, instrument très beau à regarder monté sur un pique qui semble ancestral, mais est en fait une création récente de la lutherie orientale. Lior Blindermann ajoute des sons électro-acoustiques entretenant le mystère, grésillements électriques de l’urbanité. Puis le saz d’Emmanuel Hoseyn During part en style Anatolien soutenant la chanteuse grecque blonde habillée de rouge et noir.

Malietes_assis.jpg

A l’arrière, un dais de tissu blanc plié en diamant reflète les images immobiles d’un vidéo projecteur : le chatoiement des étoffes d’un souk telles les plumes d’un paon, puis des vues d’Istambul en vitraux, comme par éclats décomposés en prisme, création du vidéaste Franck Mahmoudian. Le tarhu est utilisé pour faire un bourdon obsédant de son archet, et Lior Blindermann, qui a pris son oud, le tapote à l’horizontale sur ses genoux avec une fine baguette. L’ensemble trouve un son de groupe d’une intensité proche de celle d’un Rock underground dans ses réitérations très modernes. Gruel joue également d’une main d’un bendir assis sur pied comme une caisse claire et d’une cymbale. Tout s’assourdit sur l’accordéon.

Malietes_en_rond.jpg

Lior Blindermann présente les chanteuses Hacer Toruk et Xanthoula Dakovanou, le programme « 0ans Les Ruelles D’Istambul », où les voix des femmes portent les chansons dans l’attente du retour des hommes, mais je suis moins turcophone encore que lui qui prétend ne pas l’être beaucoup, et ne me souviens pas du titre : « Gitide Miti… ».

Les deux chanteuses mêlent leurs voix à celle de Lior Blindermann. Xanthoula joue du daf (grand tambour sur cadre oriental) et Gruel d’un tambourin à grelots. Les voix des chanteuses s’allongent en volutes sur l’accordéon et le violon. Le solo d’accordéon se déroule sur le rythme à deux temps des tambours, suivi du violon en pizzicato sur la peau du tambourin, avec une richesse d’effets de Gruel tant sur la peau que dans les clochettes de ce simple tambourin, alors que les autres maintiennent ce «groove alla turca» particulier.

Malietes_Beraud.jpg

Suit « un Taxi pour Bebek », composé par l’accordéoniste Yves Béraud quand, à Istambul avec Lior Blindermann, ils avaient pris un taxi périlleux dans la circulation dense pour rendre visite à sa grand-mère de celui-ci dans le quartier de Bebek, près du détroit du Bosphore.

Les soufflets voyageurs de l’accordéon nous font passer dans le quartier Tzigane par une introduction lente de style joué aux banquets de mariages, puis les arpèges de l’oud montent en sourdine. Le démarrage est lent, hésitant, ler taxi s’ébranle ou le temps d’en trouver. Puis l’oud se fait plus rythmé, suivi du saz, et ça démarre, avec des cahots d’ «Automobiles Mobiles» sur la darbouka assise, la basse slappée, tandis que le chapiteau de toile montre les doigts d’Yves Béraud courant sur les touches noires et blanches de son accordéon sur les envolées aigues du saz.

Malietes_scene.jpg

Xanthoula Dakovanou présente une chanson de Rosa Eskenazi (l’interprète Grecque du Pirée de « I Boemissa », enregistrée dans « Maliétès2 » ou une chanteuse Tzigane qui passe sa vie dans les vapeurs de l’alcool et les fumées du haschisch avec le rythme rapide qui va avec), qui tombe amoureuse d’un petit boucher. Le violon est en pizzicato sur l’oud sous le saphir bleu scintillant du prisme de diamant. En effet, musique grecque et turque se ressemblent dans leurs rythmes et leurs formes improvisées. La voix de Xanthoula Dakovanou est magnifique, vibrante d’émotion dans ses envolées, à la Angélique Ionatos dans Sapphô, suivant les changements de rythme subtils de l’accordéon, avec quelque chose dans son émotion des madrigaux italiens de Monteverdi sur ce rythme à deux temps. Suit un beau solo de violon d’Emmanuel Hoseyn During, que sa passion pour la musique et le voyage a mené, alors guitariste de flamenco, jusqu’à Tachkent en Ouzbékistan où il rencontra et enregistra un disque avec un groupe traditionnel Ouzbek, qu’il fit ensuite venir à JazzD’Or à Strasbourg. Mais finalement il a de qui tenir, étant le fils de l’ethnomusicologue Jean During spécialiste des luths et des musiques de cette région et auteur, entre autres, de «L’Audition Soufie » . Sur le dais, un cavalier camarguais vert d’ouzo galope aux reflets rouges du couchant.

Malietes_Emmanuel_Hoseyn_During.jpg

Hacer Toruk chante « après l’absence, la séparation : l’homme s’en va mais dit à la femme au visage semblable et au soleil qu’il ne l’oubliera pas et espère ne pas en être oublié en retour.» Le tarhu joue dans les basses, et Gruel d’un tambour digital Iranien frappé sur le corps de bois du plat de la main. During est au saz, aux harmonies prolongées par l’oud, tandis que Béraud souligne la mélodie de la voix de son accordéon. Mais déjà sur le linge blanc en parapluie le visage de l’aimée se brouille dans l’imprécision du souvenir sur le solo d ‘oud accélérant le tempo, qui redevient ensuite majestueux sous la voix.

Malietes_Lior_couleurs.jpg

Suit un instrumental de Maliétès première manière porté par l’énergie improvisée du live où tarhu et violon se répondent sur le rythme des percussions, rapide comme une czarda Tzigane sur la cymbale. L’oud par sa finesse dans les aigues remplace le kanun de Cem Güner absent dans la vivacité sur les harmoniques de l’accordéon, les frappes variées des percussions et de la cymbale, la pulsation de la contrebasse. Cette folle cavalcade allume sur la toile les feux d’un rubis rose rougeoyant.

Malietes_rubis.jpg

Xanthoula Dakovanou annonce un amour né à Istambul entre une fille juive et un garçon chrétien, et finalement c’est elle qui joue du kanun aux cordes tremblotantes, très lentement, aux arabesques comme portées par le vent, très émouvantes sur les grelots du tambourin. Puis le chant de Xanthoula qui rappelle par sa profondeur celui d’Ayet Ayad dans le même répertoire de romances Arabo-Andalouses des cultures juives et musulmanes expulsées d’Espagne par la Reconquista. On reconnaît aux fréquentes terminaisons en a l’espagnol ladino souligné par l’accordéon.

Sur le dais, le ciel bleu où tremblent au vent des fils. Electriques, comme pour relier ces cultures, comme si chacune était une facette de ce prisme de diamant, de cette lumière.

Malietes_tarhu.jpg

Le tarhu est utilisé dans le titre suivant de manière très originale par Nicolas Beck, presque avec violence, l’archet crissant ENTRE les cordes et les frets, A TRAVERS l’instrument, dépassant son rôle de seul accompagnateur en bourdon discret sur une autre romance judéo hispanique majestueuse et très émouvante à l’arrangement dépouillé, où la voix trouve un écrin moderne qui en rehausse l’éclat et l’émotion pure du répertoire ainsi modernisé.

Soudain, le rythme change juste avant le solo de saz sur l’accordéon utilsé peresque seulement pour ses soufflets, à la manière d’un harmonium portatif et l’oud, électrifié riffe de manière quasi-Rock. A quand un « Maliétès Electrique » (Le Grand Ensemble de la Méditerranée se produit déjà en Electrik GEM avec un trio pop-rock). Mais Lior Blindermann utilise déjà son instrument d’une manière plus actuelle que traditionnelle avec le groupe néo-Klezmer IvRim avec Yves weyh (accordéonisiste de Zakarya, le seul groupe français produit par le label « Tzadik » de John Zorn, et de Strasbourg, Gogorigo!), en concert gratuit à la Médiathèque du Centre-Ville de Strasbourg le 10 février à 20 h).

IvRim.jpg

Hacer Toruk revient sur des accords de saz dans un style très lent, Anatolien, puis comme dans la musique classique de cour Ottomane, le Fasîl, musique très ornementée dont Cinuçen Tanrıkorur était l’un des spécialiste. A la croisée des chemins, au bord du Bosphore, l’oud regarde vers l’Orient et le saz déjà vers l’Asie Mineure, l’Azerbaïdjan et la Chine, les steppes dont descendirent Attila et Gengis Khan et leurs hordes de Huns, Tartares et Mongols.

Rumi.jpg

Le concert se poursuit avec un thème du poète soufi Turc Yunus Emré, contemporain du premier Derviche Tourneur Jalal-Ud-Din-Rûmi, qui écrivait en persan et à qui il dit un jour « Si t’as trouvé, pourquoi tu tournes ? ».

Yunus_Emre.jpg

Pauvre paysan, Yunus avait vu son village dévasté par les mongols et sur le conseil de Haji Bektashi Veli, était allé dans un monastère dont le maître aveugle lui confia la tâche de balayer la cour. Balayant, il se chantait à lui-même des poèmes mystiques. Un jour, lassé de balayer, il quitta le monastère, traversa des montagnes et en plein désert rencontra une troupe de nomades attablés devant un festin. Il leur demanda comment ces mets étaient venus sur leur table, et ils répondirent «Le vent nous amène les chants d’un derviche que nous reprenons en cœur, et Dieu pourvoit à tout cela.» Yunus leur demanda de lui apprendre l’un de ces chants et comprit son erreur en reconnaissant les siens, revint en courant au Monastère, mais garda toujours sa liberté d’esprit. Je tiens cette histoire, et tout ce que je sais de la musique et cultureTurque de mon ami Rusen Yildiz, montreur d’ombres.

Haji_Bektashi_Veli.jpg

Ils jouèrent donc une chanson de Yunus Emré « Mon Cœur Brûle », introduite par les halètements de la soif et du souffle court de Lior Blindermann rythmant le bourdon du tarhu, tandis que Hacer Toruk joue en chantant du daf d’une manière très moderne, et que sur le diamant des mains jouent avec le feu au soleil du désert. L’arrangement est là encore très moderne, plus quand on y pense que ceux de leurs précédents disques, plus traditionnels, d’une actualité troublante, presque Rock. On retrouve aussi les percussions des danses soufies des derviches tourneurs où le danseur tournoie dans une ivresse divine puis fléchit les genoux, et le simple contact de la terre suffit à lui redonner l’équilibre au bord de sa chute, comme le géant Atlas qui puisait sa force dans sa Terre-Mère Gaia, étouffé par Hercule entre Ciel et Terre pour cette raison, qui donna son nom aux montagnes. Saz, oud et accordéon rythmique frappé du plat de la main se rejoignent dans un trio époustouflant, puis tout disparaît avec l’accordéon comme un mirage.

Xanthoula_Dakovanou.jpg

Xanthoula Dakovanou revient en bis, « chante autant de chansons qu’il y a d’étoiles dans le ciel», les notes égrènées par son kanun semblant en effet descendues des sphères célestes avant une autre romance séfarade de l’Orient Grec devant les miroitements d’un saphir bleu.

Malietes_groupe.jpg

En final, ils chantent ensemble "Mansevo Dobro", cette chanson d'un jeune Juif qui veut se marrier et partir en Palestine (sinonyme d'Israël avant sa création), jouant tous des percussions.

Merci à Maliétès de nous faire découvrir ces musiques et aussi de les moderniser de la sorte.

Jean Daniel BURKHARDT

mercredi, novembre 12 2008

LES GROUPES IÔNAH ET KOMA TISSENT UNE LIANE ENTRE ORIENT, OCCIDENT ET ASIE

Aujourd’hui 11 novembre, on pouvait assister au Centre Culturel Marcel Marceau de Neudorf à la création du projet « Liane » réunissant les groupes de musiques traditionnelles Iônah et le groupe Japonais Koma.

Ionah_ombre.jpg

Iônah est une formation locale réunissant le guitariste japonais Hideaki Tsuji, la chanteuse de Jazz Christine Clément, Marc Linhoff au sarod (plus petit que le sitar indien) et Hazaël Bonhert aux tablas et cajon. Lors de l’été 2007, ils ont fait une tournée au Japon invités par le groupe Koma, et les ont invités à leur tour pour quelques dates en Alsace.

Ionah_symbole.jpg

Le concert commence par Iônah, avec « Badrinath », le thème le plus inspiré du flamenco du groupe, grâce à la guitare d’Hidéaki Tsuji dont les cordes rythmiques se mêlent à celles glissées du sarod de Marc Linhoff qui les prolonge, puis parcourt toute la gamme de ses cordes d’un effet « ambient » bien connu dans la musique indienne. Puis le thème prend forme sur le cajon, de cordes virevoltantes et de peaux frappées au galop, comme un voyage de Thierry Titi Robin, guitariste de flamenco qui alla jouer jusqu’en Inde à travers les déserts, des jardins de l’Alhambra, à travers le désert du Sahara jusqu’en Inde à celui du Rajasthan. Mais il y a une vraie modernité dans le jeu, rappelant aussi la formation «Mukta » dans les envolées de la guitare et du sarod.

Ionah_band.jpg

Arrive Christine Clément entourée de clochettes, pour « Aëlwynn », composition japonisante qu’elle débute par des effets de souffle qui deviennent le rythme de base sur lequel se greffent guitare, cajon et sarod. Elle s’apaise et chante des paroles Japonaises ou bien imitées sur les accélérations de la guitare en vrille. Puis Clément va chercher au fond de sa gorge un chant mongol, tartare à l’attaque sur le galop du cajon, une folie dans le tempo rapide rappelant aussi les envols d’Angélique Ionatos dans « Sapphô de Mytilène ».

Ionah_Christine_Clement.jpg

Suit "Qu'es de ti, desconsolada?", titre arabo-andalou inspiré d'une mélodie du compositeur Espagnol du XIVème siècle .Juan del Encina. La voix de Christine Clément se fait orientale (elle est aussi l’une des chanteuses accompagnant le Grand Orchestre de La Méditerranée dans sa nouvelle version Electrique augmentée d’un trio Rock), vibre comme dans les vieilles Cantigas sur la guitare espagnole baroque, puis monte en puissance et même le sarod joue flamenco avec la guitare avec une vélocité où ils se confondent au point de ne plus pouvoir être distingués.

ionah_site.jpg

Ils terminent avec « Vehuya », un autre thème de Christine Clément, plus joyeux et printanier, plus chinois que japonais dirais-je sans connaître aucune de ces deux langues, avec des vocalises dans un style d’opéra. Le solo de cajon joue le tonnerre, puis la voix reprend plus orientale par sa profondeur dans le second couplet, poussé jusqu’au cri final.

Arrive le groupe Koma d’Osaka: un grand tambour (asséné par Yoji Ueki), un ensemble Wadaiko de petites et moyennes percussions (frappées par Tomoya Terao) et une flûte shakuhachi (soufflé par Atsuhisa Kawasaki) et un luth shamisen (gratté par Yoji Ueki), interprétant des compositions et des reprises de thèmes traditionnels japonais. Les gestes avant de prendre en main la flûte ou les baguettes rappellent le taï-chi par leur élégance et leur sérénité.

Ionah_Koma_No.jpg

Après le début joué par les percussions moyennes et la flûte, Yoji Ueki arrive brandissant des clochettes, le visage caché sous son kimono, puis brusquement l’enlève et montre un terrorisant masque Nô noir et blanc, joue du grand tambour debout, menace le public en pointant ou faisant tournoyer ses baguettes. Joué de profil, on apprécie mieux la technique de grand tambour et les grands gestes en arc de cercle cosmiques des bras, frappant plus ou moins fort car de plus ou moins loin et donc avec un élan plus ou moins important. Quant à Tomoya Terao, il trouve aux petites et moyennes percussions des effets de roulements proche d’un batteur de Rock.

Ionah_Koma_flute.jpg

Certains thèmes introductifs à la flûte shakuhachi ont la simplicité des compositions classiques japonaises inspirées par les sons de la nature (oiseaux, vent, ruisseaux), très reposants et zen, puis s’emporte sur les tambours dans les compositions, Atsuhisa Kawasaki tremblant des pieds à la tête pour insuffler cette vibration presque électrique à l’instrument.

Ionah_Koma.jpg

Pour les derniers autres thèmes, Yoji Ueki, également chanteur d’une voix rauque prolongeant les voyelles dans des aigus presque diphoniques, se met au luth shamisen, avec des techniques d’attaque de cordes à l’aide d’un plectre époustouflantes, mêlant pour plusieurs sons / jeux, en fait ne jouant pas toujours des mêmes cordes sur la caisse de résonance et sur le manche, avec des accélérations étourdissantes.

Pour la dernière partie, les deux groupes présentaient ensemble leur projet commun « Liane », tressée entre l’Orient, l’Occident et l’Asie. La guitare baroque puis le sarod accompagnent la voix arabo-andalouse orientale de Christine Clément, le shakuhachi et le shamisen prolongent la mélodie sur les percussions légères, puis la voix s’envole à la Angélique Ionatos.

Ionah_clement_debout.jpg

Dans le second thème, le shakuuhachi semble venir de très loin, puis soutient cette fois la voix voyageuse, se mêlant à elle avec des effets très intéressants dans les aigus. Guitare et sarod entraînent le shamisen dans leur danse sur les tablas entrecoupés par les aigus oiseleurs, presque diphoniques de la voix qui finit en chant de gorge plus profond. Les percussions Rock attrapent au vol et emportent avec elles le flamenco des cordes.

Ionah_clement_long.jpg

Pour le bis, « O Kiri Ho » est repris en chœur par tous les musiciens, avec Christine Clément d’une voix vibrante rappelant celle des chanteuses de « Sarband » sur une mélodie lente, puis plus rapide chantant « Fô Pa » avec la flûte en fond sonore diphonique.

Bref, on a pu voir Christine Clément dans un contexte traditionnel, plus solaire et sereine qu’avec son groupe de Jazz-Rock un peu Wave «Polaroïd 4 » qui vient de sortir son album «One», et la liane tissée par ces musiciens entre l’Occident, l’Orient et la lointaine Asie nous a fait voyager agréablement dans des contrées méconnues car sorties de leur imaginaire. Les groupes Iônah et Koma seront en concert ce dimanche 16 novembre à 17 h au Grillen de Colmar.

Jean Daniel BURKHARDT

samedi, novembre 8 2008

Le saxophoniste Ethiopien GETATCHEW MEKURIA et le groupe punk THE EX au Molodoï

Le flyer, « Enregistré par Steve Albini » pouvait prêter à confusion tant c’était beau de voir The Ex et Getatchew Mekuria dans la salle punk, mais pas que Molodoï , mais n'annonçait ni un disque de The Ex si pirate fût-il diffusé devant un public frustré en l’absence du groupe, ni les images animées de leur improbable recherche de Guetatchew Mekuria à Addis Abeba, mais juste le nom du groupe « noise punk free rock» local qui faisait leur première partie. L’ambiguité était redoutable cette foi-ci, les trois derniers albums de The Ex , dont celui avec Getatchew Mekuria, ayant été en effet ENREGISTREs par ledit producteur STEVE ALBINI, "comme un des albums de PJ Harvey", me dit mon ami Laurent Danzo, illustrateur fan de The Ex historique et d’autres musiques bruitistes, Jazz juives New-Yorkaises, Frithiennes, Zorniennes et j’en passe! D’aucuns peut-être ne sont pas venus, n’y croyant pas, ou tablant sur une de ces options.

Ex_Albini_band.jpg

Le groupe est composé d’un ancien membre de Drey, groupe de Noise Punk Free Rock local défunt à la basse électrique que j’étais content de revoir, un saxophoniste / claviériste /chanteur punk, un guitariste triturant une Gibson rouge et un batteur énervé mais efficace aux nombreuses petites cymbales.

Ex_Albini_batterie.jpg

Passé le mur du gros son distordu et celui du fender rhodes vraiment très très trash, presque autant que la guitare, et à es écouter sur leur My Space, leurs compositions étaient plutôt travaillées pour du noise, à partir de « Capitalism Live Tapette Fest », au début intéressant rythmiquement (là encore j’ignore si le titre est «Capitalism », joué live à une Fest ou le titre du morceau). Le saxophone est autant utilisé pour des effets de prolongements contemporains que pour sa valeur rythmique ses effets criés, à la manière de Mats Gustafsson sur son disque avec les punks italiens végétariens et protecteurs des vaches de Zu sur leur disque commun « How to Raise An Ox ».

Ex_Albini_saxo.jpg

Le bassiste de Drey y est peut-être plus à son avantage qu’avec ceux-ci, et le batteur a des roulements Rock efficaces sur ses toutes petites cymbales orientales. Les paroles sont criées, hurlées, prêchées et déclamées d’une voix d’oiseau de malheur aigue par le saxophoniste, à la manière plutôt poétique et énergique, énervée / engagée du chanteur de The Ex.

Ex_Albini_guitare.jpg

Leur première partie se termine avec « La politique du barbelé » annocée comme des «considérations sur les sociétés occidentale et leur égocentrisme», avec même cette fois une vraie mélodie au saxophone. On ne peut leur souhaiter que ledit Steve Albini entende un jour leur musique et l'apprécie...

ex_Mekuria_affiche.jpg

En tous cas, point de vue com’, l’idée de « Steve Albini hacké par des français !» a au moins fait le buzz sur internet, et provoqué je suppose bien d’autres ambiguités de programme. Peut-être un jour avec PJ Harvey ? Il est vrai que s’ils font les premières parties de TOUS les groupes produits par ce monsieur, dans leur genre ce serait une belle carte de visite et cela peut les mener je ne sais où.

ex_Mekuria_ICP.jpg

Mais passons à ce qui nous amenait ici, à savoir le concert de The Ex, groupe punk Hollandais datant de 1979 mas s’étant depuis ouverts aux musiques traditionnelles, jouant plus sur les scènes de nouvelles musiques improvisées que sur les scènes Rock, invitant des membres de l’Instant Composer Pool (sax alto, clarinette et trombone) et le saxophoniste Ethiopien mythique Getatchew Mekuria (qui faisait du saxophone free avant Coltrane et Albert Ayler sans le savoir depuis les années 50s dans l’orchestre militaire «Haïlé Sélassié »), en adaptant le genre de diatribes époumonées vocales « shellela » au saxophone et qu’ils sont allés chercher jusqu’à Addis Abeba pour le faire jouer puis enregistrer avec eux et leurs potes de l’ICP (Instant Composer Pool, orchestre Jazz d'Amsterdam) des morceaux Ethiopiens pour le disque "Moa Ambessa" après avoir adoré le disque rééditant des vieux enregistrements de 1972 pour le volume 14 de la collection Ethiopiques. Au fait, ce monsieur a 82 ans !

Ex_Mekuria_CD.jpg

Dès les premières notes de « Shellèla » ouvrant le concert, on est frappé par le son énoöorme et le vibrato de Mekurya. La batteuse veut qu’on laisse la lumière. [Ils commencent comme dans leur disque « Moa Anbessa" par «Ethiopian Hagere» , alliant leur Rock binaire et bondissant avec le guitariste Terrie Ex et la musique Ethiopienne de Mekuria avec le trombone de l’ICP. En fait, Mejurya en sort aussi gagnant, cette section rythmique béton le pousse dans ses retranchements plus que le Jazz Ethiopien de 1972. Joos Buis joue son trombone vers le ciel en wah wah et style growl, énorme et rugissant. Le chanteur G.W Sok arrive et débite une diatribe engagée mais très belle, alter mondialiste : « Nous avons parcouru le monde pour nos rêves et pour lutter contre des présidents, des ministres indifférents… » entrecoupé du saxophone de Mekurya, véritable membre du groupe ou le groupe étant devenu le sien depuis qu’il poussa avec eux son premier «Shellela ». Cette puissance Rock et la polyphonie bruitiste des cuivres s’allient à merveille avec cette voix époumonée.|http://www.youtube.com/watch?v=_0QEOVEP7f4&feature=related]

Ex_chanteur.jpg

Mais le deuxième titre, «Sethed Seketelat», est une magnifique ballade éthiopienne dans le style du thème de « Broken Flowers » de Jim Jarmusch, avec un côté fanfare hollandaise bouleversante sur laquelle surfe Mekuria, lourde mais moelleuse de cuivres, portant le solo de guitare Desperado de Terry Ex à la Marc Ribot. Suit cette fois une très jolie mélodie, bouleversante, avec un texte, émouvant, universel « What is the heart of everything ? » (Quel est le coeur de tout?")., peut-être la plus belle chanson de l’album.

Ex_Mekuria_band.jpg

Suit «Eywat Setenafegagn » un morceau où la batterie de Katherina Ex se fait percussion Ethiopienne pour soutenir le vibrato lent de Mekuria. Pour un peu on dirait les punks de The Ex calmés, sublimés par le respect qu’il leur inspire ou celui de la musique Ethiopienne (tous les morceaux sont des traditionnels Ethiopiens, sur lesquels ils ont parfois posés leurs textes en anglais). Son vibrato est le même que celui de 1972, quand on surnommait Getatchew Mekurya « Le Négus du Saxophone Ethiopien ». La clarinette de Xavier Charles prolonge le vibrato du saxophone de son bois d’oiseau, de plus en plus aïgu, tient la note, se pose sur le micro pour le mettre presque DANS l’embouchure et jouer ce prolongement, cette vibration contempo-free urbaine qui se termine en youyou sur la guitare et le saxo.

Ex_Mekuria_joue.jpg

Parfois on croit entendre/retrouver le groove, la sonorité des orgues éthiopiens 70ies dans les guitares de Terry Ex et Andy Moor, et la batteuse Katherina Ex chante en éthiopien avec une énergie Rock. Le plus beau dans ce projet, c’est cet échange généreux des cultures et des générations entre ces punks hollandais et ce saxophoniste Ethiopien de 82 ans que rien ne rapproche à l’origine que leur amour de la musique et leur tolérance, leur désir d’aller vers l’autre, de rencontrer sa culture et de la prendre dans leur propre musique, de faire l’effort de chanter sa langue, au-delà des frontières et du racisme, de la mondialisation, cette bonne volonté idéaliste qui pourrait presque sauver le monde occidental de l’égoïsme. Pour eux il y a un futur après le "No Future", comme pour Les Clash, si tant est qu'on se batte collectivement pour chaner les mentaltés. Sur l’ICP en fanfare, le solo de guitare fait presque Rock Japonais speedé. Devant ça pogote festif même chez les filles, une belle marée humaine de sirènes plus ou moins destroy. En fait c’est mon premier concert de Rock ou ici à Molodoï depuis belle lurette

Ex_Mekuria_gofere.jpg

Getatchew revient, en cape et coiffé de son «Géféré » (coiffe Ethipienne en crinière de lion) et harangue la musique du poing comme un chef de tribu Ethiopien puis prend son solo, pousse son "Shellela". Quand il se retourne, on voit le Lion d’Haïlé Sélassié sur le dos de sa cape.

ex_Mekuria_cuivres.jpg

Getatchew entame un lent morceau Ethiopien avec l’ICP en fond sonore. La mélodie, me fait remarquer une amie, ressemble un peu à celle des «Lou-ou-oups » entrés dans Paris dans la chanson de Serge Reggiani qui à la réécouter a quelque chose d’Ethiopien rythmiquement. D’ailleurs les Loups fascistes du Duce Mussolini ont envahi et occupé l’Ethiopie pendant la Seconde Guerre Mondiale quand j’y pense. Ici c’est un lion sur du Rock binaire de fanfare et la chute de la batterie finale.

Ex_Mekuria_joue_droit.jpg

Et les cris du public ne sont inspirés que par la musique quand Terry Ex frappe sa guitare à la Clash sur la pochette de "London Calling".

Ex_Clash.jpg

Entre sur scène un danseur Africain hallucinant qui suit leur tournée, vêtu de blanc, qui se déboîte l’épaule en dansant, puis se plie en sandwich jusqu’au sol de la scène devant l’ampli, comme sous un bâton parallèle au sol, tremble de tous ses membres comme pris par la transe de l’électricité musicale et le Rock, le souffle des cuivres, la grosse guitare binaire et la basse groove, secoue la tête puis d'avant enarrière, puis de de droite à gauche sous les cris du public , tape dans ses mains. L’aspect dramatique de la musique Ethiopienne en est renforcé en intégrant cette danse à la musique, comme un art total et multiracial. Le danseur lance une plante de pied puis l’autre vers le public, danse dans les genoux, offrant un grand moment de danse Africaine.

ex_Mekuria_danseur.jpg

Suit un autre morceau chanté par la batteuse, peut-être plus un morceau de The Ex invitant Mekuria car plus punk, où le bassiste finit au garde-à-vous comique.

ex_Mekuria_trombone.jpg

Getatchew tente de parler au public en éthiopien ou en anglais, peut-être les deux. Avec le groupe ils se comprennent musicalement, palliant la barrière de la langue. Ici le saxophoniste alto de l’ICP Brody West lui succède, avec un vibrato oriental, puis Zornien dans le bruitisme, mais en gardant la ferveur ascendante du zurna turc et des charmeurs de serpents, la saveur acidulée des fanfares indiennes et du taragot.

Ex_Mekuria_rockent.jpg

Dans la chanson suivante, G.W. Sok énumère sur un fond Ethiopien ministres, téléréalité, société de consommation, tout ce qui les énerve dans ce monde, mais promet de ne jamais se rendre d’une voix aigue. Dans un autre album, The Ex réclamait des poètes et des peintres à la place. La fanfare de l’ICP et le groupe punk y retrouvent la raison sociale, critique et revendicatrice, de la Murga Argentine.

Getatchew présente le prochain morceau en amharique ou en anglais, où le public reconnaît le titre d’un des plus vieux morceaux Ethiopiens « Tezèta », en solo sur le disque. Le saxophone est joué de travers comme Lester Young, puis levé, comme lui, à 90, marche d’un bout à l’autre de la scène.

Ex_Mekuria_joue_travers.jpg

Arrive le morceau le plus funky de l’album, « Musicawi Silt » où The Ex groove vraiment ethiopien plus qu’ils ne rockent derrière Getatchew sur la basse slappée groove avec un côté Groove/Rock/Wave/Afro blanc à la Talking Heads dans « Remain In Light » sur « Once In A Life Time » avec G. W. Sok prêchant au mégaphone plus pour changer sa voix que pour en augmenter la puissance.

ExMekuria_basse.jpg

En Bis, ils jouèrent un morceau éthiopien rapide, « Aha Begena » chanté par le chanteur en Néerlandais ou en Ethiopien sur le vibrato de Getatchew. Terry Ex prend un solo, joue sur sa basse avec une serviette frottée, rocke avec Getatchew. Ça pogote total sur la fanfare dissonante et le trombone éléphantesque.

ex_Mekuria_baton.jpg

Le danseur revient, cette fois avec un autre costume doré, un poignard Africain à la ceinture et un bâton à la main. Il aiguise le poignard sur le bâton, puis le passe au chanteur et ils font mine de se combattre, bâton contre poignard, puis danse et jongle avec le poignard.

Ex_Mekuria_joue.jpg

En second bis, Getatchew revient en duo avec Katherina Ex sur un rythme Ethipien, faisant rebondir la cymbale d’un côté à l’autre. Getatchew parcourt la scène d’un bout à l’autre en distribuant ses volutes hypnotiques.

Bref, vraiment un projet magnifique tant par l’énergie que par l’échange de ces musiciens d’horizons différents.

Jean Daniel BURKHARDT

mardi, octobre 28 2008

DAVID KRAKAUER, Klezmer Madness et SOCALLED aux Nuits Européennes

Krakauer_portrait_NB.jpg

Le clarinettiste David Krakauer est l’un des principaux acteurs du renouveau du style Klezmer dans la jeune scène New-Yorkaise. De formation classique, il débute avec les Kezmatics et les Klezmorim, puis crée son groupe « Klezmer Madness », ajoutant une influence Rock, et même Electro Hip-Hop avec l’arrivée du DJ et rappeur Canadien Socalled déjà passé l’an dernier aux Nuits Européennes.

Krakauer_Socalled_Madness.jpg

Le concert débute avec un « Lieder » (Chanson de la rue). Socalled est aux claviers destroys soutenant la clarinette turque sur le battement sourd du Klezmer Madness (accordéon, basse et guitare jouées par deux femmes et jeune batteur), ralentit le rythme son taxiphonant d’orgue Pakistanais joué sur le fender rhodes. Mais cette intensité n’explose pas, juste quelques coups électriques de la guitare, et tout s’assourdit dans le souffle final.

Krakauer_guitare.jpg

Suit une « Jewish Songdance », « A Reunion Shell », plus rythmé où la guitare peut jouer plus Rock, Socalled dans les graves et la clarinette s’ébroue gaiement, follement sur la batterie jusqu’au thème. Le public frappe dans ses mains. La mélodie reste Klezmer, mais avec une liberté donnée aux autres instruments, une intensité rythmique qui dépasse le Klezmer classique, le pousse jusqu’au bouillant du Rock, le libère en Free. L’accordéon part en solo tandis que la clarinette suit le thème, puis ulule pendant qu’il le reprend à son tour. Les contretemps de cavalerie sont plus forts, plus marqués, sur deux temps, jusqu’au paroxysme final, comme lâché, de la chute Rock.

Krakauer_trio.jpg

Suit une reprise de son album « A New Hot One », « pour son professeur jamais rencontré : le clarinettiste de la Nouvelle-Orléans Sidney Bechet » : « Klezmer A La Bechet ». Cela commence par une guitare (Sheryll Bailey) moderne, Rock dans les aigues de son solo, puis suivie par l’accordéon en dissonances graves sur la batterie bringuebalante aux ras Rock sur la cymbale. Puis la clarinette entre en scène, plus Klezmer, suivie de l’accordéon sur les bombes des cymbales, d’une batterie crépitante presque Ska, la guitare wah-wah, l’accordéon tanguant dangereusement dans les langueurs des vagues, et la clarinette garde le cap dans cette tempête, ce maelström en fusion, puis soudain, cette intensité se fait tzigane, turque par le solo wah-wah de la guitare, puis la bassiste Nikki Parrot en minijupe fleurie de perroquets part en slapping funk , toutes deux vêtues de cuir noir et les cheveux longs. Tout repart en Rock Turc, retombe en ouah-ouah-tant avec la clarinette en un dernier effort.

Krakauer_basse.jpg

Socalled rajoute des samples vocaux de chants yiddish en chœurs qui rythment de leurs souffles mixés la guitare wah-wah, la clarinette, avec un son énorme. Dans le solo de basse transparaît l’intensité de ces éléments Rock destroy , destructeurs mais bien agglomérés.

Krakauer_Socalled.jpg

Socalled s’empare du micro, rappe, en enlève ses lunettes. Même Krakauer rappe en choeur avec lui sur la fin du chorus. Puis le sampler diffuse des mères juives télescopées, l’accordéon rencontre le clavier, le sampler dans des aigues de marche turque d’on ne sait plus d’où ou de quoi. Krakauer reste droit comme une tourelle à la Benny Goodman, sa clarinette aux aguets.

Krakauer_red.jpg

Suit une chanson de l’accordéoniste Will Holsouser, sur un tempo rapide, mouvant, dans la pure virtuosité Klezmer, suivi de la clarinette, puis de la batterie qui ralentit le tempo, pour le faire ensuite repartir de plus belle. La guitare Rock distordue retrouve la liberté « country » du banjo d’Andy Statman avec l’électricité en plus. Les ralentis, les reprises sont les mêmes, plus intenses. L’accordéon se fait russe dans son solo en trilles sur la batterie de boucher, reprise par les mains du public. La clarinette de Krakauer se tend jusqu’au cri allongé, virtuose. Les autres le font passer d’un chorus à l’autre. C’est encore du Klezmer, mais plus destroy, plus drôle, plus grinçant, plus intense, électrique qui se termine en Rock aux retombées cataclysmiques.

Krakauer_crie.jpg

Socalled annonce «Mademoiselle Helse, une belle femme de Caroline, et son histoire avec Monsieur Moskovitz ». Au début la clarinette est plutôt calme dans la lueur verte avec les autres en fond sonore dans les basses, soulignant parfois un accord, le souffle d’une émotion, le bois retrouvé d’un duduk tremblotant dans le vent qui souffle, craquant sur la guitare hypnotique. Puis ils enchaînent sur « Moskowitz and Loops Of It », avec de petites diodes électro aigues de Socalled, puis la puissance de cavalerie déchaînée, la clarinette sur le Beat avec l’accordéon russe, le clavier frappé/clusté au fond des touches. La clarinette est portée par le son du groupe énôôôrme s’en libère, crie au-dessus de lui, s’échafaude sur lui, dedans/ dehors. Batterie et beats techno de Socalled rappellent les mains du public, soutenant un pur solo de clarinette Klezmer, sii n’était ce groove dub de la basse et du clavier, reprend hystériquement la même phrase, reprise en riff par tout l’orchestre, les vagues de fender rhodes soutenant la guitare. Chacun tour à tour apporte son énergie, son groove, sa vague, sa vibe, fait tourner l’ensemble à sa vitesse, dirigeant pour quelques tours ce manège fou.

Krakauer_blue.jpg

C’est au tour du batteur Michael Sarin, jeune batteur familier d’Aaron Alexander de prendre un solo. Son solo commence à la manière progressive d’un Jim Black dans la lenteur, utilisant toutes les résonances des cymbales et des caisses, puis de plus en plus rapide, s’arrête, repart, passe du down-tempo au Breakbeat, à l’electro, au dub. C’est Krakauer qui s’adapte, s’en amuse avec des traits rapides de flûte roumaine, d’appeau, de brin d’herbe, puis à son tour le relance ou l’arrête.

Krakauer_bande.jpg

Le groupe revient avec Socalled, et Krakauer repart à partir de cette énergie collective, de cet apparent n’importe quoi expérimental pour le remettre dans la course folle du Klezmer soutenue par la guitare wah-wah rapide et funky. Un certain Karim est venu de Pau fêter son anniversaire. Bar Mitzvahs, mariages, anniversaires et enterrements ont toujours été la fonction sociale, le lien rattachant depuis l’origine la musique Klezmer dans les villages à son public aux grandes scènes actuelles.

Krakauer_Berlin.jpg

Suit une ballade sublime à la « Yiddische Mama » () sur un piano très proche et mélodique qui reprend ensuite en « Hop Hop », en breakbeat, en funk d’enfer, en Yiddischeploitation avec le public, le peuple. C’est après l’émotion, la fête à tout le monde, aux Jazz Rockeux, aux Hip Hoppeux, aux Electreux libres, au Free Jazzeux en même temps, à la guitare aussi, au rap de Socalled, au Groove et aux absents à travers les samples, et autour du monde sans frontières au Kazatchok, aux cosaques rock, en des développements ancestraux de plus en plus rapides à la Rabbi Jacob, et ça danse toujours pareil côté public.

Krakauer_ombre.jpg

« Pour la femme qui dirige la maison », «Ballabuste» en juif russe, avec à nouveau le petit lutin du diode (tititit) copmme une clavé’lectro, puis Socalled rappe dans la même tonalité avec un tremblement pareil à celui des chœurs de synagogue, sous l’accordéon, lui permettant d’être libre, contemporain, de s’éloigner du Klezmer et d’y retourner à la fin.

Krakauer_Lies.jpg

Vient ensuite un extrait de « Lies My Gramma Told Me », titre de leur dernier album ensemble : « Rumania », chanson sur le paradis roumain : «les saucisses les plus grasses et tu es fou si tu fais l’amour avec ton propre partenaire». Evidemment il n’y a plus de Juifs en Roumanie depuis la Shoah, mais dit Krakauer : « Si l’Histoire est difficile, nous sommes justement très bien placés pour ne jamais vouloir cesser de rêver à ce Paradis Roumain. »

L’humour toujours pour désamorcer la tragédie.

Cela commence avec des scats Yiddisch en « digidigidomda », avec l’intensité Rock de la guitare sur le tempo de «We Will Rock You » de Queen mais déjà utilisé par le Klezmer, et la voix de Socalled retrouvant dans ses tremblements la ferveur et l’émotion des chœurs de synagogue juifs. Au contact des cultures traditionnelles, le rappeur se fait chanteur, « Jewish Cow Boy» musicien et plus seulement voleur de réel, sampler/mixeur, chroniqueur/raconteur par ses onomatopées « Bo Bo Bo ». Puis le tempo se fait de plus en plus rapide, Socalled donne de la voix face au public, dansant, frappant, délirant, suant, provoquant des « té té té » tziganes extatiques, avant la fin de cette « Rumania » plus tragique.

Krakauer_duduk.jpg

En solo, la clarinette seule retrouve le bois originel, roseau de la flûte et du duduk, l’eau du fleuve qui s’enfle d’un tremblement énorme, polissant, dissonant, forgeant une mélodie peu à peu au rythme de ses trous, laissant jouer jusqu’à ses clés, trouvant des puissances cuivrées de saxophone, se colletant avec le thème, le perdant pour le retrouver, y trouvant une flûte insoupçonnée, les autres peu à peu viennent en fond sonore presque inaudible. Puis soudain ou peu à peu, le discours se fait moins soliste, plus rythmé, rejoint la folie d’un Dave Tarras ou d’un Naphtule Brandwein, retrouve le son du bonheur et de la joie, et les autres arrivent en rythmique, très vite, pour une course folle ou ska à la Brandwein encore plus libre, plus puissant, plus fort. Le public devient celui d’une bar-mitzvah. La clarinette tient la note jusqu’à la chute Rock finale.

Krakauer_crie.jpg

Le Bis s’annonce Electro-Jazz Klezmerisé, avec un sample de voix féminine sur laquelle joue la clarinette, puis les beats de Socalled permettant au batteur d’aller à contretemps.

Et soudain tout n’est plus qu’un grand magma d’énergie tonique qui crie, abouah avec la guitare, tape frappe, beate, rocke, funke et groove! puis tout se ralentit en un tempo lutin, le clavier retrouve ses touches noires et blanches, la batterie sa cymbale. Deux, trois coups de langue, de souffle dans la clarinette et ça repart en diable, Klezmer cette fois, refaisant le chemin à l’envers de la modernité vers la tradition intensifiée, et à nouveau de plus en plus fort, de plus en plus vite, jusqu’aux coups de boutoir du Rock.

Krakauer_Socalled_long.jpg

« DAVID ! DAVID ! » crie le public l’appelant comme une Rock-Star. Krakauer et Socalled le thème des « Poulets», composés ensemble pour le « Cuirassier Potemkine » d’Eisenstein. Krakauer accélère le tempo pour les autres d’un moulinet du poing à la ronde folle d’un autre thème.

Krakauer_studio.jpg

David Krakauer a prouvé par cette modernisation du Klezmer en en gardant l’aspecty festif et social et la tradition qu’il était une musique vivante et actuelle, pas une pièce de musée.

Jean Daniel BURKHARDT

samedi, octobre 25 2008

Le duo Slovaque LONGITAL aux NuitsEuropéennes

Vendredi 17 octobre, le duo slovaque Longital était invité à la Salle des Fêtes de Schiltigheim. Composé de Shina Lo (basse et chant) et Daniel Salontay (chant, guitare et archet), assistés de XI DI NIM (ordinateur pris dans un hôtel pour le «troisième membre Japonais du groupe»), ils sont la sensation à Bratislava en ce moment.

Longital_cafe.jpg

Dès les premières notes, on entend une guitare à la fois Rock et Groove et des percussions vocales féminines avant un solo de guitare wah-wah / scat sur la basse groove, qui ensuite s’approche de XI DI NIM. Daniel Salontay racle la guitare contre le pied du micro à la Hendrix.

Longital_Nuits.jpg

« C’était une chanson sur les statues qui apparaissent / disparaissent tous les cinq ans », explique Daniel Salontay en français, « Je vais acheter un piano à pédales.» Shina Lo parle également français « Et maintenant nous allons marcher pour être heureux nos pas résonnants dans le soleil rouge» (parodie d’un reliquat du glacis communiste?) pour la chanson « Uz Len Raz » (One More Time) (Encore une fois). Sur fond de bruits de pas, la voix de Shina Lo est profonde, sauvage et maîtrisée à la fois, gutturale, à la Iva Bittova, chanteuse tchèque, déjà venue dans le festival, mais en moins contemporain, ou la chanteuse du groupe Slovaque Sui Vesan, avec qui travaille également l’un des organisateurs des Nuits, Jean Etienne Moldo, et qu’on peut entendre sur « Slavomix » . La mélodie est entrecoupée de vocalises pop, suivie d’un solo trash de la guitare. La voix de Shina Lo est à la fois pure, angélique, mais on y devine les profondeurs de sauvagerie Tartare d’Attila. XI DI NIM rajoute ses beats. Daniel Salontay utilise un archet sur les cordes guitare à la manière de Jimmy Page.

Longital_archet.jpg

Suit « Le Miroir » : « Quand on rencontre quelqu’un qui est pour vous un miroir, parfois vous n’aimez pas ce que vous voyez mais c’est vous que vous n’aimez pas. Nous sommes votre miroir et espérons que vous aimez ce que vous voyez. », présente Daniel Salontay, -Vous êtes beaux et intelligents ! », crie quelqu’un dans le public, le rassurant tout à fait. Cette version psychologique de la caverne de Platon s’appelle «Zradlo Mirror » Sur des nappes de tuba de Xi Di Nim, les voix arrivent en écho, de l’autre côté du miroir, Un coup d’archet puis le solo hennit comme un cheval tartare lancé au galop sur la basse Rock à la Can, puis trouve des glissements festifs d’instrument à cordes, de violon, puis un solo de guitare Rock sur les beats.

longital_pres.jpg

« Nous deux sommes heureux de vous présenter nos âmes et notre chat qui vient de Bordeaux», (un clavier, dont l’électricité déjà ronronne en effet de plaisir). Iva Bittova aussi imite son chat en miaulant dans une de ses chansons. Le clavier sur les beats de Xi Di Nim fait penser à de la musique de films tandis que Shina Lo chante « Sopan Zaladi », puis sur la guitare rouge et funky, rit avec la tête en arrière, ses cheveux dans l’ombre, tous deux beaux et souriants. A nouveau le clavier electro et la voix féminine, sublime, à la Massive Attack, descendant à contretemps avec un effet comique.

Longital_guitare.jpg

[«Le moulin à vin » : ils vivent sur une colline en Autriche d’où ils voient les avions et rêvent d’éoliennes comme des moulins à vin. Daniel Salontay peut aussi jouer cool avec son archet, pas seulement dans la force du bois jusqu’à ce qu’il casse comme Jimmy Page, mais vraiment comme d’un violon, entre Didier Lockwood et les luths orientaux kamanje. Après le concert, il m’a expliqué avoir travaillé cette technique avec des luthiers, pour obtenir un doigé bloquant certaines cordes et avoir beaucoup écouté ces luths Iraniens. Elle fait les chœurs derrière lui. Soudain, le morceau prend un virage plus Rock / Funk, un solo Hard mais Funky, puis de plus lourd en restant pop. Les vocalises de Shina Lo s’envolent comme des oiseaux sur le solo de guitare wah wah, l’archet saturé utilisant le riff de « Voodoo Chile » d’Hendrix.|http://www.youtube.com/watch?v=2JdRcCB2lbo&NR=1] Longital_shina_chante.jpg

Shina Lo présente une chanson « pour les femmes courageuses de Strasbourg » : « L’effrontée » (Drzka Bold Girl : Drzka Garçon manqué), et pour cette chanson féministe, revêt un magnifique loup vénitien orangé enflammé de plumes aux paupières mauves, minaude d’une voix à la fois féline et profonde sur une guitare bluesy tourmentée comme jouée par un luth oriental à la Turgun Alimatov et les beats élastiques de l’ordi avec des voix d’hommes, des rires de boyards contre lesquelles elle semble lutter dans la tourmente.

Longital_reds.jpg

« Red Blue » explore encore la conscience humaine : «le coeur dit vas-y et la tête non, et entre les deux le sang est rouge ou bleu qui dit va ou non. Si rien ne marche, la croix peut-être. Essayez si vous n’avez rien d’autre à faire.» Les harmonies vocales rappellent les Polonais du warsaw Village Band puis la tête dit non : « Nay Nay Nay, proche du Nein allemand).

Longital_blue.jpg

Shina Lo mime le coeur qui va, l’esprit qui le stoppe et le rythme, l’intensité montent entre l’élan et ce qui l’arrête. Soudain un Break Rock Funky saturé et des vocaux plus puissants avec cette énergie électrique qui va et vient entre la guitare qui va et l’ordi que la stoppe, l’homme et la machine, la volonté /le désir et la raison /la morale avant le solo avec un slide en verre glissé sur le manche de la guitare. Longital_loin.jpg

Suit une chanson sur « La Mer », qu’ils n’ont pas en Slovaquie. L’archet sur la guitare est utilisé en pizzicato, joué dans l’aigu comme un luth piriforme mais funky, avec cette authenticité acoustique et modernité électrique du Rock à la Jean-Luc Ponty, Ses doigts sur la guitare semblent eux-mêmes des diodes électroniques vibrantes sous l’archet, dépassant Jimmy Page et la seule violence préhistorique de ses coups de boutoir découvrant l’archet sur une guitare frappés comme deux silex pour obtenir le feu du Rock.] Daniel Salontay joue vraiment de l’archet, qui l’élève à Jimi Hendrix et à un violoniste de la guitare avec des rebonds twists sur la guitare Jazzy sur les beats semblant à leur tour évoluer en fonction de lui, la guitare continuant, prolongeant le groove de l’ordi, samplant le solo d’archet. XI DI NIM est vraiment le troisième membre du groupe. La dernière chanson cite « Whole Lotta Lova Love » de Led Zeppelin avec Jimmy Page, puis arrive à des échos à la Pink Floyd dont Shina Lo joue les sirènes.

Bref, ce duo Slovaque de Bratislava a su toucher le public et faire entrer le public dans ses chansons par des introductions décalées et poétiques dans un français dont les hésitations ajoutaient leur charme. Quant à la musique, à la fois 70ies et moderne acoustique, électrique et électroniquement modifiée, elle était à la fois émouvante et moderne.

Jean Daniel BURKHARDT

vendredi, octobre 17 2008

L’ORCHESTRE DU MOUVEMEMENT PERPETUEL A PÔLE SUD POUR LES NUITS EUROPEEENNES

« L’Orchestre Du Mouvement Perpétuel» (OMP) de Bruxelles était déjà venu aux Nuits Européennes en 2005 dans une spéciale Belgique et Pays-Bas.

Mouvement_band.jpg



Il est né de la rencontre improbable du chanteur Peter Bultink, chanteur flamand Ostendais à la voix cassée d’écorché vif rappelant Arno et à la poésie surréaliste et du pianiste argentin Alessandro Petrasso, entre Electro Groove, chanson et énergie Rock scénique.

Mouvement_All.jpg

En 2007, ils ont enregistré « The All And Nothing Show » produit par le pianiste et claviériste Serge Feys (T.C. Matic, Arno) présent ce soir et Marcus Weymare à la batterie (Maurane, Sttellla…) complétant cet Orchestre décidément « Du Mouvement Perpétuel » aussi pour ce qui est de son personnel.

Mouvement_All_bas.jpg

Le concert commence avec les boucles des samplers et un piano à la fois libre et dramatique sur le batteur muni d’écouteurs, derrière une basse electro groove obsessionnelle (Mirko Banovic, bassiste d’Alain Bashung, a participé à l’album) puis arrive Peter Bultink, en chemise et jean noirs, déclamant les paroles de la chanson "Le Mouvement Perpétuel II" qui donne son nom au groupe, sa dimension temporelle et cosmique « Des ombres passent le jour, des ombres passent la nuit ». En effet il y a un côté autoroute nocturne dans ces lignes de basse répétitives, hypnotiques, au "mouvement perpétuel". Le piano est Jazzy sur la batterie qui tape de plus en plus fort, se rapprochant du paroxysme d’une intensité Rock. Bultink est campé sur ses deux jambes et à la fois fragile, comme échoué là. Ces textes surréalistes font défiler mots et concepts comme pour en trahir le manque, l’absence à notre époque : « La sagesse…la richesse, la pauvreté », la vanité, la relativité peut-être pour cacher le vide qu’elles cachent. Le clavier se fait apocalyptique, hûûûrle jusqu’à un piano en descentes décadentes qui peu à peu s’assourdit, se tait. Mouvement_declame.jpg

« Nous sommes L’Orchestre Du Mouvement Perpétuel de Bruxelles » présente Bultink avec cette pointe de saveur marine, salée, traînant sur les landes du Plat Pays qui est le sien dans son accent belge. Sur d’autres grandes orgues électroniques et la batterie en groove latin, Bultink énonce "What Goes Up Must Come Down", énumération où la « vertu » rencontre Ziggy Stardust de Bowie et The Stooges d'Iggy Pop dont on reconnaît en sous-main le riff d'I Wanna Be Your Dog" (figurants, pantins, moins que riens et pour cela prêts à tout du Rock'N'Roll), Melody Nelson et Homère, puis mime soudain un soldat de plomb anglais au garde-à-vous marchant au pas en sifflant ridiculement le thème martial de Barry Lindon partant au combat sur un tambour-major de guerre. Mais la lutte, le nerf de la guerre, aujourd’hui, ce n’est plus tant le territoire que l’argent « l’économie » comme le rappelle le texte. Longiligne mais agile, Bultink danse sur les accords du piano, jetant son pied derrière son autre jambe en une carmagnole révoltée, survoltée, puis chante en anglais « The All Or Nothing Show » qui donne son titre à leur album.

Mouvement_soldat.jpg

Les synthés se font exotiques pour "Petit Con". Beltink, de dos, roule des fesses, décrit une charade en abîme qui se termine par le constat, crié : « Je suis un petit con », répété plusieurs fois en se caressant sur un orgue devenant electro, puis de plus en plus saturé de guitares.

Il a le charisme d’un Arno, mais crâne rasé, donc moins en cheveux qu’Arno, moins lourd, statique comme à la renverse, plus félin et souple, plus jeune aussi, ça aide.

Le clavier a des ralentis d’orgue, des dérapages contrôlés suivant la batterie motrice, puis le piano se fait groovy, martelé dans les basses, sur le break beat de la batterie drum’n’bass.

Mouvement_lumiere.jpg

Arrive un «Tango Moderne», "Tango Pour Maman" aux beats tango electro, au texte absurde « Oh regarde Maman, c’que j’peux faire.. : marcher sur ka tête/ Mettre l’univers à l’envers ». Le piano en effet y retrouve le tango de Petrasso dans son solo sur la batterie. Depuis « Dans les yeux de ma mère il y a toujours la lumière» d’Arno on sait les belges attachés à leur mère.

Il y a dans la puissance vocale de Peter Bultink quelque chose d’ado Rock à la Louise Attaque dans les aigues, mais étouffé de ne point éclater, avec aussi des accents de Jacques Brel.

Mouvement_lune.jpg

Suit une magnifique réécriture du « Chelsea Hotel », dédié à Janis Joplin par Léonard Cohen en souvenir d’une nuit passée ensemble à sa mort. devenu ici un « Hôtel Bruxellois». La traduction est magnifique de simplicité et l’émotion palpable dans la voix. Bultink a trouvé les mots équivalents pour rendre le sens, mais en respectant le phrasé des vers, ce qui est plus difficile pour une langue aussi rythmique et courte que l’anglais, par rapport à la syntaxe plus astreignante du français. En fait il rallonge les vers d’un talk-over à peine chanté à la manière de Cohen, et même ses «J’ai besoin de toi/ Je n’ai pas besoin de toi » semblent pouvoir égaler les « I neeed you/ I don’t neeed you » de Janis dans l’original. Pendant le beau solo de piano, Bultink semble essuyer une larme, sa sueur ou une larme d’acteur de Cohen, quand on ne sait plus si la sincérité est vécue ou celle de l’art. « Une étoile brille / Et puis elle disparaît. » « Je ne pense plus vraiment à toi » ;

Mouvement_poete.jpg

Ils continuent avec un tempo sourd de la batterie sur le clavier léger, accompagnant un "Poème Invalide" une autre énumération par le vide, sur un texte de Robert Fillou: « Il me manque un lit, un ami…un oiseau, un chapeau », puis de plus en plus social ("un lit, un repas") puis sentimental au constat "C'est toi qui me manques". Le texte touche l’essentiel, l’essence des choses par sa simplicité poussée jusqu’à l’absurde ou à un matérialisme désespéré : « Il me manque un saxo » sur des claviers saturés, comme liquides, venteux, maritimes, glauques, aux sables émouvants d’un Robert Wyatt dans «Sea Song» dans « Rock Bottom», puis plus clair sur une batterie plutôt Rock, obsessionnelle, puis le clavier se fait ritournelle sur les cymbales, se perd dans le silence.

Mouvement_rock.jpg

« Vous aimez le Rock’&’Roll aussi ? C’est très comique quand on chante en anglais. Quand Kurt Cobain chante que dans le noir on a moins peur, moi j’ai toujours envie d’allumer la lumière. » C’est "Little Birds", une relique de la première période Rock en Anglais de Bultink, au titre toujours aussi poétique, limpide et décalé, musical : « Little birds don’t use words. They just whistle to be heard». (Les petits oiseaux n’utilisent pas de mots. Ils sifflent juste pour être entendus).

Ceci sur une batterie de plus en plus violente, mais d’une violence tournée vers l’intérieur, molle, assourdie, à la Joy Division. Bultink danse une Moonwalk tordue, , slamme son Rock sur le clavier, danse le Rock d’une jambe sur l’autre, avec une présence à la Clash/ Wave, et soudain s’illumine d’un sourire démoniaque, Raspoutine, en se baissant sur la fin.

Mouvement_medite.jpg

Suit "Les Pas Perdus", une ballade sur « le temps perdu dans la salle des pas perdus». Le piano discret mais angoissant donne une atmosphère à la Jean Guidoni «les jours dans Paris où y’a un climat … à s’faire sauter la pompe à vie », mais chez Bultink il y a plus d’ironie que de tragique, puis cela part sur la batterie et la basse groove. Quelque chose se passe dans la salle des pas perdus, quelque chose tombe, en vrac, en foule ou tout seul, retombe encore sur la batterie et meurt sur les dernières notes de piano.

Mouvement_harangue.jpg

Le prochain est « dédié à tous les hommes politiques de Belgique des deux dernières années.» On connaît tous la charade « J’en marre, marabout, boutd’ficelle, selle de ch’val », alors évidemment on rit de l’usage non conventionnel fait de cette comptine enfantine qui n’a jamais été aussi contestataire. Bultink commence « J’en ai marre des désespoirs, des détraqués », puis crie le refrain « J’EN AI MARRE, MARABOUT, etc… »avec un côté déjanté à la Plastic Bertrand. Le second couple fustige les polit-isme en tous genre, et finit pour ses soigner par : «Deux sessions chez mon psychiatre thérapeutique. »

Mouvement_rock.jpg

«Tout à l’heure c’était le Rock, maintenant reste le Roll. Tout à l’heure on va mettre les deux ensemble. Le Rock’N’Roll dans les années 30s, c’était l’éternel féminin. Vous pouvez le danser comme ça »(en ondulant du bassin). « On a une petite chienne », chante Bultink sur le clavier Rock, la batterie Rock, avec un phrasé Rap pour cette connerie Rock. La connerie adolescente et le sexe ont toujours été un élément essentiel du Rock’N’Roll d’Elvis Presley aux Rolling Stones, aux Who qui continuent de chanter en bégayant « Hope I’ll Die Before Get Old », Roger Daltrey étant certes concurrencé sur ce point par une chorale de plus vieux encore, aux BB Brunes aujourd’hui. « Je bois du whisky ». L’alcool aussi, c’est vrai, j’oubliais. Le clavier est hard, trash, le piano bondissant, obsessionnellement désintégré, la batterie toujours l’élément Rock et Bultink danse comme un adolescent.

Mouvement_spatial.jpg

La « dernière chanson » est « Le Général XL », que je connaissais depuis leur premier passage en 2005. Elle est prise sur un tempo Techno Rock par la batterie. Ce général X «vit à Bruxelles / Danse toutes les nuits avec des noirs (…) a tous les atouts pour gâcher votre vie, /Souffre de l’humour et de ses séquelles. » Probablement est-il un vétéran des guerres coloniales du Congo belge. .Avec ces mots choisis, la critique est plus efficace qu’un antimilitarisme primaire par la réflexion à laquelle nous oblige la fausse candeur, l’innocence apparente des propos sans outrance , comme si c’était normal, si ledit général n’avait rien à se reprocher. La rage de Bultink se concentre surtout dans les rimes de cet exercice en «-elles». Après un clavier trash, le piano cite « Tequila » pour accompagner les libations du Général qui « (…) ne peut jamais passer à côté de l’essentiel. ». Bultink danse d’un pied sur l’autre sur le devant de la scène.

Mouvement_danse.jpg

Bis : « En Flandres y’a des stars. Moi j’aime pas les stars. Je préfère Skippy le Kangourou, une star mondialement connue. Il est gentil, il aide les gens dans la merde et trouve des solutions. J’ai donc décidé d’écrire une hymne à Skippy qui s’appelle SKIPPY. » Sous le tempo fort, inquiétant de la batterie, clavier et piano semblent retrouver l’innocence de l’enfance sur cette chanson en anglais (Skippy est Australien). Bultink danse au bord de la scène sur le clavier groove/wave et soudain : «Le voilà il est là avec ses yeux d’enfant… », saute à pieds joints pour incarner ce kangourou sur le refrain enfantin du clavier.

Mouvement_Skippy.jpg

Second Bis : « J’ai toujours été fasciné par les régions frontalières comme l’Alsace et Strasbourg. Il y a un artiste en Allemagne : il s’appelle Stéphane Eicher. J’offre notre CD à la personne qui pourra me dire en quelle année il a enregistré « Eisbaer » avec son groupe Grauzone». J’ai gagné le CD tout à fait par hasard en criant toutes les années 80s, donc je n’ai aucun mérite : 1981. Cette chanson me dit vaguement quelque chose et j’ai dû déjà l’entendre, et ne la trouve pas si mal (et je suis loin d’être un fan des années 80s !) dans le genre electronica wave bruitiste avec son solo de saxophone quasi free.

« Tout le monde debout, le Rock’N’Roll, c’est dans les hanches, pas dans la tête!» Après les vents hurlants sur la banquise, la batterie prend deux temps sur la cymbale charley : «Ich möchte ein eisbaer sein », avec un côté presque Kraftwerk dans les claviers electro. « Eisbaeren mûssen nie weinen » : il veut être un ours polaire pour ne plus pleurer ! Aujourd’hui les ours polaires et les icebergs souffrent du réchauffement clmimatique. Les claviers entrechoquent des icebergs, hurlent avec les baleines autour de lui. Les petites diodes aigues de l’original sont remplacées par des « tililtiti tilititi » de Bultink.

Mouvement_Eisbaer.jpg

Serge Feys, pianiste d’Arno, était déjà celui du groupe TC Matic dont Arno était le chanteur. A ce titre, il termine ce Bis très Européen par la plus Européenne de leurs chansons : « Putain, putain c’est vachement bien, nous sommes quand même tous des Européens! »

Mouvement_Feyz.jpg

Bref, cette deuxième partie nous a recentrés vers l’Europe dans sa diversité.

Jean Daniel BURKHARDT

mercredi, octobre 15 2008

BADUME’S BAND A PÔLE SUD POUR LES NUITS EUROPEENNES 2008

Hier mardi 14 octobre, le festival "Les Nuits Européennes" invitait à Pôle Suid deux fusions originales: "Badume's Band" et "Lorchestre Du Mouvement Perpétuel" «Badume’s Band » est un groupe de Bretons Ethiopiques (se définissant eux-mêmes comme « Bre'piques ») en ce qu’ils reprennent le répertoire de Jazz Funk Ethiopien exhumé pour le label « Ethiopiques » par Francis Falceto, enregistré dans les années 60/70s, parenthèse de liberté à la fin du règne d’Haïlé Sélassié (qui tout Jah Rastafahri qu’il parut aux Jamaïcains, appréciait moins le reggae que la musique militaire des orchestres institutionnels de la Police et de l’Armée, d’où les cuivres), musique remise au goût du jour par la BO de « Broken Flowers » de Jim Jarmush.

Badume_s_Mahmoud_disque.jpg

Leur album s’intitule « Addis Kan » et cultive l’ambiguïté : «Addis » qui en plus de rappeler le capitale d’Ethiopie Addis Abeba signifie « Nouveau » en Amharique (langue Ethiopienne de l’Erythrée), « Kan » rappelant le « Kan Ha Diskan » Breton des Fest Noz. Mais c'est sur scène que leur énergie est irrésistible. Le chanteur Eric Menneteau a appris les titres à l’oreille et ils utilisent les arrangements originels, repris à leur sauce, mais tout à fait fidèles aux originaux. Les Ethiopiens d’ailleurs ne s’y sont pas trompés : Mahmoud Ahmed a partagé la scène avec eux et ils firent un tabac au Festival d’Addis Abeba en 2007.

Badume_s_addis.jpg

Le groupe compte deux saxophonistes dont un aussi à la flûte, un fender rhodes, une guitare, une basse, une batterie (c’est par le batteur Antonio Volson qu’ils découvrirent cette musique) et des percussions latines (congas, timbales, cowbells, deux cymbales et une percussion Africaine).

Badume_s_Band.jpg

Ils commencent par « Tezeta » (Nostalgie), classique Ethiopen repris par le saxophoniste Jazz-Funk Mulattu Astatqué, toujours en activité et vivant aux Etats-Unis. On reconnaît la mélodie du chanteur, les lignes sinueuses de la guitare (Rudy Blas) sur un clavier répétitif caractéristique de l’Ethio Jazz aux dérapages contrôlés proches de l’orgue (Frank Lemasle) avec les deux saxos riffant à l’unisson (Pierre Yves Merel, aussi flûtiste, et Xavier Puss).

Badume_s_affiche.jpg

La musique est hypnotiquement envoûtante et irrésistiblement dansante. Le solo de Xavier Puss est bien dans la manière de Mulattu Astatqué Le solo se termine en cri, suivi par le second saxophone jusqu’à l’unisson. Quoique Breton, ce chanteur a une belle présence, cette voix tremblante, quoique plus grave que celle des Ethiopens, rajoute du cachet. Le thème se termine sur un fracas final surprenant, le percussionniste étant passé brusquement des peaux des congas au métal des timbales.

Badume_s_affiche_2.jpg

Le percussionniste se lève, s’harnache un « sangban » (grand tambour Africain à deux peaux dont il frappe aussi le bois frappé d’une baguette). Merel est à la flûte. La musique est à la fois festive rythmiquement et mélancolique mélodiquement quand se rejoignent saxo, flûte et voix. Avec le jeu de scène dansant du chanteur, on se croirait dans un club d’Addis Abeba quand il invite à taper dans ses mains avec lui sur le funk obsessionnel de la guitare. Les saxophones soutiennent son scat de leurs riffs à tour de rôle. Les paroles incompréhensibles semblent venir du fond des temps, quand la Reine de Saba séduisit le Roi d’Israël Salomon, avec des transes de désert anciennes, mais avec l’énergie du funk en plus et cette guitare 70ies wah-wah. « La plupart de ces chansons sont des chansons d’amour : celle-ci signifiait : elle a attrapé le citron».

badume_s_7.jpg

Le saxophoniste se met aux claves et le batteur au sangban sur la guitare soliste et le rhodes. Sans les cuivres, cela ressemble à du Tinariwen, en plus groove, à du Toumast, mais avec les lignes de basse du clavier en plus et l’enchantement de cette langue plus rare. Le percussionniste joue d’une conga mais dans un style Africain sur les claves prolongées d’échos électriques de la guitare, en Blues désertique à la Ali Farka Touré.

Badume_s_Band_chanteur.jpg

Suit « un morceau d’un chanteur Ethiopien qui s’exporte : Mahmoud Ahmed », le plus connu, des chanteurs Ethiopiens, qui a joué et enregistré avec eux. Le guitariste a changé sa guitare de bois rougi 60ies pour une « solid body » noire et blanche au son plus électrique, métallique, plus dur. Le clavier rallonge la mélodie de la ballade de ses vagues moelleuses. Sur ce tempo lent, on croit voir passer des éléphants d’Afrique dans les balancements des saxophones.

Badume_s_Mahmoud.jpg

Suit un titre plus Jazz-Rock, funky avec les saxophones taxiphonant. «Je me crois dans un taxi poursuivi à Addis », me disait un ami de retour d’Ethiopie en écoutant Mulattu Astatqué le jouer avec le clavier inquiétant. Je ne revis d’ailleurs jamais la cassette que je lui prêtai ce soir-là… Une sorte d’EthioXploitation, en quelque sorte, mais d’un groove différent de celui de Fèla, plus massif, resserré, sec, Rock, aux morceaux longs et d’une transe plus binaire. Badume_s_orange.jpg

Suit un autre classique d’Ethio Funk de Mulattu Astatqué plus lent où le chanteur déploie sa puissance vocale, déclamatoire sur la guitare funky puis les saxos ajoutant au dramatique de l’ensemble par leurs riffs bouleversants. Pierre Yves Merel se révèle à son solo plus proche de Getatchew Mekuria, saxophoniste Ethiopien plus free et proche de Coltrane que Mulattu Astatqué, plus groove, mais avec toujours ce côté obsessionnel de la rythmique utilisé par « Broken Flowers».

Badume_s_tous.jpg

Suit « Ya Selamé Lalo », l’un des titres les plus énergiques et qui ouvre l’album, l’on croit reconnaître de l’anglais « Hey You How Ar’ You ? », probablement à tort sur les saxophones déchaînés dans leurs riffs. Les percussions semblent alors Haïtiennes, le clavier 70ies presque Floydien dans son solo.

Badume_spoing.jpg

C’est déjà le Bis de cette première partie, « Feqryé Tereta » tapé dans les mains par le public avec les saxos dos à dos. Grâce à une pédale, la guitare sort un solo 70ies à la Santana ou Greatfull Dead qui grogne, puis aboie wah-wah à la Hendrix.

Badume_slong.jpg

Ils enchaînent avec un Ethio/twist à la mode d’Addis. Pris par la musique un jeune homme, une jeune fille enjambent les sièges trop sages, puis deux autres viennent danser sur la scène comme dans les années 70s sur ces bonnes vibrations.

Badume_smasque.jpg

En un mot, puisque les années 60/70s c’était il y a longtemps et que l’Ethiopie c’est loin, vivent ces Bretons Ethiopiques qui reprennent ce répertoire aussi authentiques que les originaux, ce qui ne doit pas être si facile, je pense, surtout pour le chanteur.

Badume_s_NB.jpg

Pour les amateurs, Getatchew Mekuria sera en concert le jeudi 6 novembre à Strasbourg au Molodoï avec le groupe de Punk hollandais (mais très ouvert aux musiques traditionnelles) The Ex qui a même emmené Han Bennink en Ethiopie!

Jean Daniel BURKHARDT

lundi, août 25 2008

YANKELE joue le KLEZMER au MAQUIS'ART

Yankele (Petit Jacques) en yiddisch est un groupe de musique Klezmer Strasbourgeois composé de Christine Laforêt (accordéon et chant), Jason Meyer (violoniste américain), Yannick Thépault (clarinette et voix), vêtu d’une tunique Balkanique et Jean-Christophe Hoarau (guitare), absent.

Yankele_esprit_Klezmer.jpg



Après un premier disque « L’ Esprit Du Klezmer », en 2001, avec Emek Evci à la contrebasse, Mathieu Bresch lui a succédé en 2007 pour le deuxième « Paris Klezmer », plus libre à le fois dans le mélange des traditions Balkaniques et du répertoire, avec un jeu collectif entrecoupé d’intermèdes solistes, interprétant des classiques réarrangés et des compositions originales des membres du groupe, qui a eu les compliments de Georges Moustaki.

Yankele_Paris_Klezmer.jpg

Ce samedi 16août, après s’être produits au Festival « Au Grés des Jazz » de la Petite Pierre, ils se produisaient au Maquis’Art, atelier d’artiste Strasbourgeois, dont le cadre de boiseries et statues contemporaines s’accorde très bien à leur musique à le fois traditionnelle et libre.

Yankele_Maquis_Art.jpg

Le concert débute par une référence à « Pierre Et Le Loup », Conte Musical de Prokofiev, improvisé librement par la clarinette Klezmer, puis repris par l’orchestre, contrebasse, puis violon, enchaîné sur une danse hongroise de Brahms et « Foun der Khupe », un Freilach (thème Klezmer improvisé) du clarinettiste Yannick Thépault dont la clarinette passe du grave à l’aigu, du sanglot au cri de joie, suivi de l’accordéon russe et des « Oï Oï » de l’orchestre que le Klezmer partage avec les cosaques et les Tziganes Russes. D’un thème, d’une tradition à l’autre, les chansons ne sont que des paysages entrevus par la fenêtre d’un Orient-Express modernisé. Le violon ralentit le tempo d’un « Kalinka » Russe, puis la clarinette reprend, lente, troublée, comme timide, pour s’envoler de plus belle sur un final de Danse Hongroise pris à un tempo de cavalerie dans les steppes.

Yankele_Prokofiev.jpg

« La musique Klezmer », explique Yannick Thépault « vient de « Kli » (instrument) et «Zemer » (chant) en yiddish » (langue des Juifs allemands) . Cette appellation est récente, date du Revival américain des années 70s. Mais la musique Klezmer date du début XXème siècle, où des musiciens Juifs amateurs la jouaient dans les shteyt’l (villages et quartiers juifs) d’Europe centrale à l’occasion des mariages, bar-mitzvahs et fête de Pourim. Mais à cette époque « Klezmer » était presque une insulte, attachée à la mauvaise vie des Tavernes. Mais comme les Tziganes, les Juifs ont su au fur et à mesure de leurs pérégrinations nomades fuyant le rejet dont ils étaient l’objet, assimiler les musiques qui les entouraient (Balkaniques, Russes, Tziganes ou Turques) à leur manière, qui les rapproche également du Jazz par l’improvisation, mais aussi s’adapter aux nouveaux rythmes venus d’ailleurs.

Yankele_affiche.jpg

Pour preuve suit un Tango en Yiddish «Ich Hob Dich Tzufil Lieb » (Je T’aime Trop), paroles de Rhaïém Taïbér sur une musique d’Alchanetski. On reconnaît dans le titre l’allemand réarrangé par le Yiddish (« L’allemand c’est le yddish sans l’humour », dit un personnage pour l’enseigner à un autre dans « Train De Vie » de Radu Mihaelanu. L’écrivain Juif américain Isaac Bashevis Siger a écrit que si l’Etat d’Israël avait choisi le yiddish au lieu de l’hébreu comme langue, il n’aurait pu avoir aucun succès militaire, car « Il est impossible de donner un ordre sans rire en yiddisch ! »).

Yankele_train.jpg

Le début sanglote avec la clarinette, puis l’accordéon part en Tango, suivi de la clarinette, le violon et la basse rythmique et enfin le chant d’amour émouvant et fou en chœur, contrastant avec la voix cassée par Thépault ensuite à la Louis Armstrong ou comme un contrebassiste de Jazz Praguois que j’ai vu jouerPlace St Charles. Après des parodies dramatiques théâtrales, ils finissent par reprendre le thème en Klezmer rapide.

Yankele_bois.jpg

Le thème suivant (« Tori Batié »?), Macédonien, commence par un accordéon à la manière du rebetiko grec, et se poursuit avec la clarinette turque, basse et violon en harmonie, puis part en danse de taverne tzigane turque sur l’accordéon en fugue, poursuivi par la clarinette avec ornement du violon et repart en rythme de cavalerie.

Yankele_en_action.jpg

Suit un « Freilach » : thème de base de la musique Kezmer : une danse vivante. Il débute avec la clarinette comme dans un sanglot, suivie du violon style cabaret tzigane, qui vient soutenir l’accordéon russe dans ses pleurs d’âme slave, puis soudain dans sa cavalerie rythmée par la basse. La clarinette s’envole soudain gaiement.

Yankele_thepault.jpg

Cette musique est « gaie et triste à la fois, comme nous », en disait Antoine De Caunes dans le rôle d’un clarinettiste de klezmer homosexuel faisant fondre la famille américaine très orthodoxe et le père rabbin de sa fiancée (Elsa Zylberstein) dans « L’homme est une femme comme les autres »de Jean Jacques Zlbermann. L’accordéon solote pendant que clarinette et violon duettisent. Parfois la corde se confond avec l’anche, s’enroule autour d’elle.

Yankele_l_homme.jpg

Le « Yankele » qui donne son nom au groupe est un poulbot des rues «Petit Jacques », un Gavroche juif comme la casquette du contrebassiste. Le thème commence triste, le violon en pizzicato étouffé aux allures de balalaïka est hanté par la clarinette en embuscade sur un tempo très lent. On pense à une musique tragique, solitaire, avec l’accordéon du silence et de la peine, sur lequel le violon use la corde sensible, suivi par les soufflets aux larmes de l’âme des lames de l’accordéon sur la basse lente, mais qui console aussi, déjà. Mais soudain le malheureux, le désespéré se relève, chavire et bascule dans un balancement enivré du Tzigane ou du Juif, se met à danser une danse folle, à la russe aussi gaie qu’elle était triste sur le tempo qui prend forme…puis retombe. Cependant dans son esprit, au fond de ses yeux, flotte encore l’ombre en miroir de son chagrin qui déjà se console d’alcool ou de lui-même, du bourdon du violon, de la clarinette et de la basse, dans une méditation immobile, avec la certitude que son désespoir comme sa joie ne sont que les deux faces d’une même pièce qui rit ou pleure selon les jours, philosophie qu’il a apprise du destin tragique de son peuple et de la sienne propre.

Yankele_rebbe.jpg

Plus peut-être que dans la Musique Tzigane qui est OU gaie OU triste sur tout le thème durant, le Klezmer peut l’être successivement, passer du désespoir à la joie (et vice-versa) dans le même thème. Le violon lent danse soudain sur l’accordéon, sur la basse presque cuivrée par l’archet, retrouvant son ancêtre la basse à vent des rues, tuba ou soubassophone des fanfares de New Orleans ou des Balkans entre les « Daï Laï » collectifs hantés de souvenirs russes, mêlés à l’expression proprement Yddish qui les a assilmilés, puis de plus en plus vive, s’ébranlant en une course folle dans des rues imaginaires. Suit un court intermède roumain, la « Doïna du vent », thème mélancolique des bergers Roumains dont Georges Zamfir est le spécialiste, passé dans le Klezmer. La clarinette joue à la manière d’une flûte « ney » turque soufie, comme le tzigane bulgare d'origine turque Ivo Papazov joue de sa clarinette à la manière d’une zurna turque, ou d’une cornemuse., le tout sur des rythmiques très modernes, qui vient de sortir "Dance Of The Falcon", son dernier album.

Yankele_Papasov_Falcon.jpg

La mélancolie passe vite avec le plus gai de leurs arrangements « Devotedly buoy ant abos » (aussi appelé « Nifti’s Freilach ») («N’épargnez pas votre monture »), chant hassidique traditionnel contenant le thème russe «Nyet Nyet » et popularisé par Giora Feidman.

Yankele_Giora_Feidman.jpg

Après une introduction rythmique, la clarinette y dialogue follement avec l’accordéon sur les envolées du violon, l’archet frappe le bois de la contrebasse, comme redevenant arbre de forêt sous une branche par grand vent, bois, sève et tripes, slappe les cordes, retrouve quelque chose du violoncelle originel son aïeul, se souvient de son histoire, rejoint l’oiseau libre si semblable du petit violon qui vient le taquiner de son crincrin comme la puce nargue l’éléphant et nos tympans de ses aigus de colibri, puis s’assourdit, se confond, se perd dans les soufflets de forge de l’accordéon Jazz qui pulse, prend la mer, se fait main, fait des vagues nous fait perdre l’équilibre et peur à douter de son équilibre jusqu’au mal de mer, nous relève au sommet de la vague dans les cris de chien fou, de sirène d’incendie et des mers à la fois dans leurs aigus de la clarinette, oiseau libéré enfin de tout et de lui-même par ce proto-groove ethnique au tempo original où tous se retrouvent, se confondent, se réjouissent ensemble à la fête et nous y invitent de leur bonne humeur et la basse finit en explorant le haut de ses cordes, du mât, sans crier « Terre » car on n’y découvre que l’inouï , l’inconnu le venu de nulle part qui part à l’aventure vers un ailleurs indéfini mais qui nous emporte dans son énergie musicale pure.

Yankele_en_action.jpg

Suit «Yedid Nefesh », repris dans le premier album du groupe « L’esprit du Klezmer ». Le violon tzigane joue devant le rideau rouge d’un Cabaret Tzigane Russe avec le soufflet et les boutons de l’accordéon slave, puis la clarinette s’immisce entre eux, sur le temps de la contrebasse qui s’écoule goutte à goutte. Cela prend lentement forme, comme un sanglot, pleurant de moins en moins, dansant de plus en plus, en des inflexions de sentiments minuscules et infinies à la fois, du malheur à la consolation, dans la beauté de cette ambiguïté, de cette navigation sentimentale louvoyant entre deux eaux. Ce tremblement peut pleurer ou rire, danser à perdre la tête ou la prendre dans ses mains, sourire à chaque instant, éclater ou se taire finalement.

Yankele_Klezmer_peinture.jpg

Suit un intermède soliste de "Paris Klezmer" à l’accordéon, «Caline Kitch». Après un Kalinka lent, méconnaissable, hésitant, vibrant comme un bandonéon argentin venu d’Allemagne dans les soufflets, hésitant, se perdant pour se retrouver ses touches, de plus en plus rapide quand le tempo s’emballe dans sa virtuosité, se dépassant, bifurquant vers une Danse Hongroise Hongroise devenue morceau de bravour des violonistes Tziganes qui fut mise en fanfare par Goran Bregoviç] qui le présente toujours comme un morceau militaire appris de son père alors dans l'armée, pour ouvrir la cavalcade du film «Underground» d’Emir Kusturika en 1995 sous le titre de Kalashnikov, mêlant house et thème Traditionnel, et retrouver le Kalinka en final.

Yankele_Undreground.jpg

Gitan et Juif se retrouvent dans « Gitan Juif », extrait du premier album. Le violon vibre, claque l’archet sur les cordes, craque, puis la clarinette vient taquiner ses réminiscences classiques digérées puis charriées par les torrents de l’émotion, quand même l’accordéon danse sur la basse à deux temps qui fait la grosse voix, l’arbre, le pilier du rythme quand les autres dansent autour de lui comme les enfants d’un shteyt’l juif d’Europe ou d’Amérique où le jeune Benny Goodman apprendrait la clarinette Klezmer à la manière Naphtule Brandwein à la synagogue avant de devenir « la tourelle » des clubs de Jazz de Chicago, puis le chef d’orchestre que l’on sait, qui ferait entrer "Bei Mir Bist Du Schön" au Carnegie Hall en 1937.

Yankele__tourelle.jpg

Dans le thème suivant, c’est du « Printemps » de Vivaldi que se souvient le violon sur la basse lente, puis le quitte pour d’autres danses, Tziganes Russes sur la rythmique des autres.

Yankele_Meyer_portrait.jpg

Quand ils s’accordent c’est déjà ou encore un silence habité de musique, de fêtes, qu’elles soient réminiscences ou futures. La clarinette sort de la grange en flammes en sirène hurlante, s’incurve vers l’émotion sur les harmonies des autres, dramatique, assourdissante, où couve un drame terrible qui se trame, annoncé, joué collectivement/individuellement, sans exploser encore, où la sirène prend son envol, rencontre le violon vrillant l’air, montent lentement très haut dans le ciel, mais avancent dans le drame vers un dénouement qui s’étouffera dans un silence des cimes. Fausse alerte.

Yankele_Salomon_Saba.jpg

Le violoniste américain Jason Meyer, est plus d’être un soliste virtuose, est aussi compositeur de certains thèmes, comme l’ «Ethiopique Blues» qui suit. Pourquoi Ethiopique, comme la collection célèbre rééditant les chefs d’œuvres de Mullattu Astaqué? Quel rapport avec la musique Klezmer ? Historiquement, il y a deux liens entre les Juifs entre les Juifs et l’Ethiopie : le Roi Salomon, malgré sa légendaire sagesse (qui ne l’empêcha pas d’avoir 700 femmes et 300 concubines), succomba aux charmes de l’Ethiopienne Makeda Reine de Saba et la demanda en mariage, essuyant un refus car elle voulant être l’unique épouse. Ils finirent par passer une nuit ensemble, et le Roi donna à la Reine en gage l’anneau de son petit doigt, faisant preuve en cas de descendance. Elle eut un fils , Ménélik Ier (comme le chanteur Soul Hip Hop Franco-Camrounais devenu Mnlk), qui visita Salomon et créa le Royaume ethiopien et la Dynastie Salomonique. En outre, ce fils importa en Ethiopie la célèbre harpe du Roi David, père de Salomon, dont il joua pour endormir le roi Saül, encore pratiquée par Alemu Aga, produit sur le label Ethiopiques.

Yankele Alemu Aga

Enfin, il y a les Juifs noirs d’Ethiopie (appelés Falashas en Amharique ou Beta Israël), dont les origines et la venue en Ethiopie se perdent dans la nuit des temps.

Yankele_Falashas.jpg

Le tempo de cette composition est lent mais allègre, le violon surfe sur la rythmique de la clarinette en proue de navire sur les vagues de l’accordéon, puis soudain part en valse lente sur la basse à la barre de cette felouque naviguant en pleine tempête rythmique. Peut-être peut-on rapprocher de la musique Ethiopienne funky et de ses orgues répétitifs utilisés dans la BO « Broken Flowers » de Jim Jarmusch ces réitérations rythmiques soutenant le violon où le rejoint la clarinette, mais la basse accélère le tempo et le frêle esquif rame d’un côté l’autre comme une pirogue africaine. C’est peut-être par là qu’on rejoint l’Ethiopie…

Yankele_Broken_Flowers.jpg

Violon, accordéon puis clarinette s’envolent puis s’arrêtent en breaks sur un autre thème dont les voix couvrent l’éventail rythmique et des traditions sur la basse au rôle rythmique de pilier assumé. Le contrebassiste Mathieu Bresch m’avait confié l’épanouissement musical qu’il trouvait dans ce groupe. Il est vrai que le Jazz actuel ne permet pas toujours à la contrebasse d’assumer ainsi seule le rôle rythmique.

Yankele_flou.jpg

Prenons maintenant « Le train de 7 h 40 » (enregistré dans « L’esprit du Klezmer » sous le titre de «7 :40 AM »), heure à laquelle les chauffeurs de trams prenaient leur service à Odessa. Les dernières brumes se dissipent encore sur la rosée matinale et il y a encore des reflets de nuits dans la Mer Noire aux premières mesures crissées de violon quand la clarinette mélancolique s’élève… Et soudain, c’est la vie qui s’éveille, la vie industrieuse de la ville urbaine et la journée commence, on met du charbon dans la machine et le tramway s’ébranle, se met en marche, de plus en plus vite, sur la basse slappée tirant en locomotive, fait tinter ses cloches dans les rues et prend sa course folle d’un jour qui finira sa course avec le soleil comme elle l’a commencée jusqu’au lendemain.. C’est dans le port d’ Odessa qu’éclata la révolte du cuirassier Potemkine en 1905 filmée par Eisenstein en 1925, qu’on peut encore voir le célèbre escalier où y dévalait une poussette (scène reprise ensuite dans « Les Incorruptibles» de Brian De Palma). Mais les juifs de la ville, la plus importante communauté de Russie avant-guerre, souffrirent de l’occupation roumaine alliée des nazis entre 1941 et 1945, où la ville fut libérée par l’armée Rouge et reçut l’une des premières le titre de Ville Héroïque en 1945.

Yankele_Tram_Odessa.jpg

Les applaudissements publics soutenus sont le prétexte à réclamer le calme d’un « Sha Shtil» extrait de « Paris Klezmer » sur les conséquences heureuses ou malheureuses de la danse d’un rabbin. Le «Sha» est grave, clameur pleine de mystère, le « Shtil » aigu comme un cri d’enfant, repris par la voix, l’accordéon, puis le violon. Le rythme s’emballe, ralentit, suit les pensées et la danse du rabbin danseur hassidique, tendance née dans cette Europe de l’Est où il était guide mais aussi membre actif proche de sa communauté, qui passe de la tristesse à la joie, s’arrête pour reprendre sa danse folle, passe de l’émotion à la fête. Un autre thème Yddidsch de même thème s’emballe sur «Wenn De Rebbe Tanz » sur un disque intitulé "Yankele".

Yankele_rebbe.jpg

Il est enchaîné comme sur le disque avec un thème russe à l’accordéon avec la basse chantant « Oooh O Oï » sur les applaudissements rythmiques du public que les musiciens reçoivent debout comme dans les shteyt’l. De tzigane, l’accordéon se fait tragique, rejoint par le violon, puis la basse qui fait penser dans ce contexte à la balalaïka russe qui donne son titre à une vieille chanson Yiddisch. Une danse lente prend forme sur la corde de la basse, tambourine des doigts sur la caisse de l’accordéon, suit le violon, puis le public qui fait s’envoler la clarinette au rythme de ses applaudissements, retrouvant quelque chose de l’origine festive de cette musique dans cette communion, prolongé dans un autre thème festif roumain, tzigane ou balkanique sur lequel saute sur place la clarinette, marquant un temps, puis deux dans la lenteur, repart de plus belle pour quelques breaks avant un final au tempo hassidique, gai mais aux longues notes sur deux temps, puis rapide à couper le souffle.

Yankele_accodeon.jpg

Une casquette Gavroche ou Polonaise de Yankele vole des coulisses à la scène et c’est le Bis.

Le public est mis à contribution pour rythmer de coups sur les cuisses puis un dans les mains «Funtashlish » qui ouvre de la bonhomie de sa voix cassée « Paris Klezmer ».

« Boum Boum Tchac ! Boum Boum Tchac ! »

Yankele_Naftule_Brandwein.jpg

Ce tempo à trois temps collectif me rappelle d’autres grand’messes plus rock, celles de Queen et le tempo de leur «We will, We Will Rock You», qui peuvent après tout s’être inspirés de la musique Klezmer ou simplement avoir trouvé aussi cette vieille recette de furie collective sans le savoir. Sur cette rythmique prend place le scat de la voix cassée à la manière de cet Armstrong blanc croisé à Prague, puis sa clarinette miaule, couine et hennit comme aux origines du Klezmer, imitant toute une basse-cour en fête du shteyt’l, repris au vol par les soufflets libres de l’accordéon, puis le rythme prend forme, égrené par la basse, et enchaîne sur « Naphtule’s Freilach » inspiré par le virtuose de la clarinette Naphtule (ou Naftuly) Brandwein, né dans un de ces pogroms en 1889 à Przemislany en Ukraine, mais parti aux Etats-Unis pour y devenir l’une des premières stars de la musique Klezmer enregistrée dans l’orchestre d’Abe Schwartz et s’autoproclamer non sans raison vu son talent « Roi du Klezmer». Il jouait, une enseigne lumineuse à son nom autour du cou, aussi bien des musiques turques, grecques ou tziganes. Souvent ivre et caractériel, son génie improvisateur s’exprimait avec une liberté jusque là inouïe dans cette musique. Ce titre l’exprime par des écarts de ton vertigineux, puis des hésitations qui font très peur quant à la bonne suite du thème, des piaillements d’oiseaux de la clarinette flirtant avec le vide, dont il se relève en équilibriste ivre de justesse pour reprendre de plus belle et qui deviennent une part de son génie assez proche de celui de certains Jazzmen même jeunes et actuels qui le jouent encore.

Jean Daniel BURKHARDT

lundi, août 11 2008

SONANDO JOUE LES RYTHMES DE LA SALSA A L’ILLIADE D’ILLKIRCH

Pour l’été, l’Illiade, salle de concert d’Illkirch, organise des pique-niques musicaux gratuits aux repas tirés du sac les vendredis dans ses jardins ou dans ses locaux en cas de pluie de 19 à 22 h. Le 18 juillet, le groupe de Salsa local Sonando en petite formation les inaugurait.

Sonando_peints.jpg

Sonando est un des groupes de Salsa les plus actifs à Strasbourg. Composé de musiciens de Jazz locaux expérimentés du CEDIM (Centre Européen d’Improvisation Musicale) fous de Latin Jazz (Pascal «Papy »Beck au trombone, Franck « El Terror » Wolf au saxophone) menés par le percussionniste Guy « Guido» Broglé. Ils ont déjà trois disques à leur actif :

Sonando_musicos.jpg

«Bailando Con Sonando», avec la plus latine des chanteuses alsaciennes Angela Haber (également chanteuse de l’autre groupe de Salsa local « Candela » mené par le Colombien Hugo Hernandez, directeur du Big Band de Haguenau) et Benjamin Moussay au piano, vite remplacé par Grégory Ott.

Sonando_Bailando.jpg

« Salsa Explosion » arrive en 2003, année où le groupe se produisit au festival «Strasbourg Alsace Percussions». Plus expérimental, avec déjà un répertoire de compositions originales de Guy Broglé et Pascal Beck dans des rythmes très variés, comme l’excellent « Cha-cha-cha Du Glandeur » aux paroles d’anthologie : « De terrasse en terrasse, je mate les nanas / ça n’use pas les godasses, et ça ne fatigue pas!», le Guaguanco avec «La Esencia Del Guaguanco », mais aussi la « Bomba » Portoricaine et un titre instrumental plus Latin Jazz avec Grégory Ott au piano électrique, «Babete».

Sonando_Explosion.jpg

Enfin, en 2006, « El Montuno », d’un son plus moderne, rajoutait à la palette rythmique de leurs compositions le Son Montuno Cubain, le Merengue ou la Bachata Dominicains, la Plèna Portoricaine, la Cumbia Colombienne, invitait plusieurs chanteurs latins pour les textes en espagnol et allait même jusqu’à expérimenter une « Salsa Hip Hop » au goût du jour, avec Franck « El Rubio » Bedez à la basse.

Sonando_Montuno.jpg

Ce soir, c’est en formation réduite au minimum qu’ils se produisaient : Grégory « Candela » Ott au piano électrique, Franck « El Rubio » Bedez,à la basse, Guy « Guido » Broglé avec une casquette à la Che Guevara aux congas et percussions, un chanteur Cubain domicilié en Allemagne Osvaldo et Pascal « Papy » Beck au trombone soliste comme seul cuivre.

Sonando_Osvaldo_guiro.jpg

« Oye Mi Ritmo|http» ouvre le second set avec déjà des guias d’ Osvaldo et les douceurs éléphantesques de Pascal Beck sur les peaux des congas de Guy Broglé.

Sonando_Beck.jpg

Ils continuent par « Oye Como Va » du timbalero portoricain Tito Puente, popularisé en 1971 par le guitariste Mexicain Santana, repris en Cha-cha-cha à la manière de Puente, qui lui-même adapta jusqu’à « Pata Pata » de la sud-Africaine Myriam Makeba ou « L’Odyssée de L’Espace » (Titos’Odyssey )!

Tito_Oye.jpg

Comme Miles Davis à sa dernière période Jazz, s’ils interprètent des compositions sur leurs albums, ils reprennent des standards connus du public sur scène. Le trombone fait coulisser ses langueurs sur les réitérations rythmiques de Grégory Ott. C’est le portoricain Mon Rivèra, auteur de nombreuses plènas qui fit rentrer le trombone dans l’orchestre de Salsa En l’absence de batterie, la cowbell est jouée à la main par le chanteur en clave prolongée, très syncopé.

Mon_Rivera.jpg

Soudain, un break arrête le thème avant la reprise des chœurs assurés par tous les musiciens, qui souvent dans la Salsa, reprennent le refrain du thème obsessionnellement pour permettre aux cuivres d’improviser et au chanteur soliste de s’en échapper vers ses « guias » (improvisations vocales proches d’un proto-hip-hop improvisé au naturel).

Sonando_red.jpg

Pascal Beck reprend le thème à son tour, puis s’en échappe librement dans des glissandos presque « free « lançant les autres dans la Descarga (Jam-session à la Cubaine créée par le contrebassiste Israël Cachao Lopez).

cachao_descargas.jpg

Mais les Descargas avaient été interdites à Cuba par le régime Castriste au pouvoir depuis 1959, comme le Jazz américain, le Guaguanco (pour oublier l’esclavage), le Danzon et le Son’ (hérités du colonialisme espagnol) et remplacés par l‘OCMM (Orchestre Cubain de Musique Moderne) censé inventer une nouvelle musique moderne, spécifiquement Cubaine, (alors que ces interdictions en coupaient les sources naturelles), mais aussi porteuse du message Révolutionnaire de Fidel Castro. Chucho Valdès en fera partie avant de pouvoir enfin lancer son groupe Irakere avec d’autres membres de l’OCMM.

OCMM

Suit « La Negra Tomasa », popularisée par le guitariste Compay Segundo , suivie de « Bilongo », rallongée par le chanteur avant le « Yiquiriboum », commun aux deux thèmes et finit en «Mandinga». Cela tient du medley mais ces thèmes guaganco permettent ce genre de trasferts. Le chanteur improvise une guia sur Sonando et leur « ritmo de la vida », rythmée par les « Yiquiriboum Mandinga » des chœurs. Puis Gregory Ott amorce une descente vertigineuse des notes du piano sur la clavé jouée au guiro (percussion piriforme striée raclée d’une baguette), part pour une de ses folles envolées, emportant même une citation classique dans sa tournoiement de cyclone Caraïbe, repart en sautant d’une touche à l’autre enchaînant montuno, cha-cha-cha, boléro.

Compay_100.jpg

Levant le nez je comprends enfin d’où vient cette incessante clavé, entêtante et sans fin.

Sonando_Guido.jpg

Elle est actionnée au pied par Guy Broglé, qui joue assis, en plus de ses congas, sur une pédale percutant un sabot de plastique rouge, l’autre pied actionnant un cowbell à pied.

Sonando_musicos.jpg

Osvaldo reprend une impro vocale : sur ces rythmes latins, ce proto-rap qu’est la guia retrouve l’improvisation décimale libre du Son’ hérité des trobadores Espagnols par les colons, puis descendue des montagnes de l’Oriente avec le trio Matamoros dans sa forme guitare/basse/percussions encore sans trompettes dans les années 20s, au cuivre soliste rajouté ensuite par Ignacio Piñeiro pour Sexteto Occidente, puis Nacional dans les années 30s puis porté à deux trompettes assourdissantes par Chappottin et Chocolate dans le Conjunto du joueur de très aveugle Arsenio Rodriguez modernisant la formule dans les années 40s.

Arsenio_Rodriguez.jpg

« Besa Me Mi Corazon » répètent les chœurs, rythmant l’improvisation du chanteur puis le trombone à la manière d’une Comparsa Carnavalesque Cubaine (musique de défilé carnavalesque). Les Salseros battent le rythme dans leurs mains quand s’envolent leurs Salseras en oiseaux libres. Le solo de piano semble reprendre le thème de Sonando «Llando Del Crocodilo » (Ne me pleure pas ces larmes de crocodiles!), une chanson d'El Montuno.

comparsa_rosa.jpg

A bien y regarder, les Salseros dansent avec plusieurs ou les mêmes Salseras successivement et tapent des mains aussi pour signifier les changements de partenaires. C’est une façon de rendre la Salsa moins danse de couple et plus danse collective, retrouvant les mazurkas et les Danzones de salon des colons et des cours espagnoles, mais plus en ronde joyeuse qu’en lignes rigides, mais ces changements sont bien calqués sur la clavé qu’ils frappent de leurs mains. Ils ont changé et ne sont plus ceux et celles du Café Des Anges dans les années 90s, mais je me souviens d’un Cubain au crâne rasé qui y dansait avec deux ou trois Salseras en même temps.

Salseras_et_Salseros.jpg

« Besa Me Mi Corazon », chantent les chœurs, « EEEEh » répond le chanteur, semblant parfois un Gitan d’Espagne. Le terme de Rumba est d’ailleurs commun au Flamenco Espagnol et à la danse encore pratiquée à Matanzas succédant au Guaguanco Cubain, puis «rhumba» deviendra pour un temps le terme générique pour définir le Son’ sur lequel dansait Xavier Cugat aux Etats-Unis. Mais pas dans le sens qu’on pourrait croire.

Xavier_Cugat_Orchestra.jpg

En effet c’est la guaracha Cubaine qui fut adoptée au XVIIIème siècle par les Gitans de Séville, puis deviendra « Rumba Catalane » dansée dans les rues du Raval de Barcelone par Orelles El Toqui sur du Son’ Cubain et du Mambo ou du Rock. Après Peret ou Paco De Lucia, les Gipsy Kings continuent à perpétuer ses qualités festives.

Gipsy_Kings_Rumba.jpg

Le piano part obsessionnellement sur la clave au pied, « Besa Me Mi Corazon », puis retour à l’orchestre, final du trombone à la Willie Colon (le tromboniste de La Fania connu pour ses pochettes «gangster» avec Hector Lavoe dont on aperçoit les pieds sur la pochette de ce « Cosa Nuestra » où l’étui de trombone semble suspect de contenir autre chose).

Colon_Nuestra.jpg

Le thème suivant est une démonstration de Cha-cha-cha par le chanteur comptant les pas « Un Dos, Cha-cha / Un Dos Tres, Cha-cha-cha ». Le nom de ce style est né de la danse, d’ailleurs.

Ruben_Gonzales_Estrellas_De_Areito.jpg

Le nom du Cha-cha-cha vient du violoniste Enrique Jorrin, alors qu’il faisait partie de la Charanga (orchestre à cordes de violons) Orchestre América, jouant un soir son Danzon Silver Star, déplaça le rythme sur la troisième partie, et entendit les semelles des danseurs glisser sur le parquet de la salle de danse : « Ch Ch Ch », et improvisa dessus les paroles : « Cha-cha-cha, Cha-cha-cha, c’est une danse sans égal », qu’il reprendra dans le premier Cha-cha-cha : « La Engañadora » (la Femme trompeuse), dont le pianiste Ruben Gonzales, avec lequel il devait enregistrer « Estrellas De Areito » en riposte aux Etoiles de la Fania, puis membre des Afro-Cuban All-Stars qu’on aperçoit dans « Buena Vista Social Club », qui en donnerait une version mémorable dans son album «Introducing Ruben Gonzales».

Ruben_Introduicing.jpg

«Oye Mi Gente » chantent les musiciens, sur lesquels coulisse le trombone sur le piano rythmique semblant toujours jouer le même motif avec des changements infinitésimaux qu’on entend mieux dans cette formation réduite que noyé dans les cuivres de tout un orchestre de Salsa. On reconnaît dans cette trame rythmique répétée jusqu’à la transe l’influence de l’Afrique, déportée et débarquée de force à Cuba avec les esclaves noirs Yoruba, auxquels on laissa au moins leurs tambours et qu’on garda en tribus à Cuba et au Brésil, avec le loisir de jouer en public lors des « cabildos de nacion » (fêtes), d’où la prédominance rythmique de ces musiques dans les Caraïbes, contrairement à l’Amérique Du Nord où les percussions étaient supprimées, les familles et tribus séparées, toute identité niée.

Machito_Cubop.jpg

«Vacila Mi Congo» me rappelle par ce mot proche de « Vacilando » les plaisanteries de Norman Granz accueillant Machito Grillo, sa soeur Graciela et leurs Afro-Cubans au JATP rééditées sur l’album « Cubop City ». Le Cubop était le mélange heureux des rythmes afro-CUbains et du Jazz Be-BOP, à cette époque où Dizzy Gillespie avait engagé le percussionniste Chano Pozo Y Gonzales, déjà star de la Comparsa de son pauvre Barrio de La Havane, avec qui il composa "Manteca"Le Jazz y retrouvait quelque chose de son inconscient qui lui avait été dérobé.

Dizzy_Chano.jpg

la ligne de basse du piano jouée à la main gauche, calée entre basse et congas s’appelle «tumbao» dans le Son’ Cubain , reprise par la basse qui l’assurait à l’origine en soutenant les voix, base de ces harmonies si collectives et profondes de la Salsa qui se taisent comme un serpent hypnotique puis reprennent, offrant une clairière dans leur jungle à la voix soliste avant les riffs finaux et la pause…

Tequila_Champs.jpg

Le second set débute avec une reprise de « Ran Kan Kan », proto-mambo de Tito Puente de 1949 dont le début annonce un peu, en plus bringuebalant et avec force cuivres assourdissants sur fond de marimba joué par le timbalero, le piano du célèbre « Tequila », instrumental R’N’B des Champs en 1958/9, que Perez Prado, autre père du Mambo qui quitta Cuba la même année pour le Mexique avec Beni Moré (le chanteur « Ugh Ugh » de ses mambos qui deviendra l’un des plus grands chanteurs Cubains, et finira auprès de Che Guevara et Fidel Castro dans la Sierra Maestra, filmé par une Agnès Varda surprise, et auquel les Cubains rendent parfois encore hommage en versant du rhum sur le sol « pour Benny ») reprendra bien plus tard.

beni_more_timbre.jpg

Ce "Ran Kan Kan" fit danser le Palladium Ballroom, temple New-Yorkais des danses latines où se produisait Tito Puente à ses débuts avec l’orchestre de l’acteur et danseur Pupi Campo (autre pionnier du mambo) qui y mourut fauché en pleine danse et avait épousé la chanteuse de Jazz blonde et diaphane Rosemary «Rosy» Clonney (tante de George Clooney). Elle tenait donc de lui sa propension « Mambo Italiano » et autres «Sway» vintage avec Perez Prado, latins et soulfull.

Pupi_Campo_CD.jpg

Sonando l’avait déjà repris sur leur premier album « Bailando Con Sonando ». Ici le thème est rythmé par la cowbell au pied, les choeurs soutenant le chanteur avant le solo de cloche, puis celui de Grégory Ott sur le guiro. Le solo de piano débute sur la clavé puis s’emballe, dansant d’une touche à l’autre sur la cloche de la conga en clavé, doublée de celle à main d’Osvaldo menant ce tintinnabulant troupeau au bas des montagnes de l’Oriente.

Palladium_Ballroom.jpg

Suit une Salsa rapide où le trombone se greffe sur le piano, suivi de percussions Guaguanco au chant de « Yo Soy El Tambor » d’une voix puissante, puis un break et ils partent vraiment, exhortant les soneros à en faire de même. Osvaldo débite ses guias sur les chœurs jusqu’au cri, danse, embrasse une des danseuses, «lady in red» (vieille chanson Mexicaine oubliée devant celle de Chris De Burgh dans les années 80s, par laquelle Charlie Parker accueillait la robe rouge de Chan au Birdland et que Anita O’Day chanta chez Stan Kenton, qui fit aussi beaucoup pour le Latin Jazz) qualifiée de « sabrosa mama ».

anita_o__day_44.jpg

Puis le trombone revient sur la bell à pied, le chanteur reprend son guiro : « EEÊEE ». Grégory Ott est « El Mano » (la main, et même les deux et chacun de leurs vingt doigts), qui improvise sur la clavé collective avec des descentes vertigineuses, encouragé par les exhortations du chanteur. La marée de cette tempête aux vagues noires et blanches monte descend, avance et se retire, cogne le frêle esquif de la basse à la justesse insubmersible, les voix des chœurs et du chanteur comme celles de tribus indiennes primitives, auxquelles succède après le bégaiement « Sona-Sonan-Sonando » le trombone final de pascal Beck, qui joue aussi de coquillages marins avec le VSP Orchestra (Vibraphone Spécial Prioject, mini big-band dont fait parfois partie Guy Broglé réunissant les meilleurs solistes locaux autour cette fois, de cors, d’alphorns suisses , de deux vibraphones et quelques coquillages autour de compositions originales, Jazz groovy ou latines .

vsp_orchestra.jpg

Sonando joue « Para Ti Bailador », extrait du dernier album « El Montuno » et dédié aux danseurs qui rythment leur musique de leurs pas, lui donnant le rythme de la vie sur lequel Osvaldo les invite à s’"amuser" (« gozar me ritmo »). La Salsa est une des musiques à permettre encore cette communion magique avec le public des danseurs que le Jazz a perdue après les beaux jours du "Savoy Ballroom", "Home of Happy Feet" depuis les années 50s et la fin des Big Bands Swing.

savoy_ballroom.jpg

D’ailleurs, parmi les danseurs, Léo, alias « Timbalero », danseur noir officiant à la Salamandre lors des soirées Salsa, est dans la place, ainsi qu’enfin maintenant une ancienne Salsera De Los Angeles (du Café Des Anges), Pascale, que j’ai surnommée pour sa sympathie et sa bonne humeur communicative soleil de ces soirées « Pascandela » (également pour le « Candela » du Buena Vista Social Club chanté par Ibrahim Ferrer).

ibrahim_ferrer.jpg

Ce thème me fait penser à « Rico El Guaguanco » de la Sonora Matancera où la chanteuse de Salsa Célia Cruz fit ses premières armes, ce qui me rappelle que par le Guaganco, les tribus Yorubas ] d’Afrique déportés comme esclaves continuent de vivre dans la Salsa

Celia___Matancera.jpg

D’ailleurs Osvaldo me confirme cette idée au cri d’ « AFRÎÎÎCA !!! » qui annonce le solo de congas et amorce un changement de rythme avec des réitérations proches dans leurs effets mystiques des Qawwali Pakistanais comme Nusrat Fateh Ali Khan, dans un tout autre genre.

Nusrat_1.jpg

A la suite du public, Osvaldo tape dans ses mains puis avec une percussion de fer bullé sur un tempo à couper le souffle, sur lequel part le trombone Pascal Beck, auteur de ce Merengue « Vive Tu Vida », joué plus rapide encore qu’au disque, râclé sur le métal, sans les saxophones dans cette formation réduite, qui parfois me lassent dans ce style par la répétition des mêmes motifs rythmiques. Cette façon de jouer le Merengué libère le tempo et la rythmique, le rend plus proche du Merengué traditionnel (accordéon/saxophone) dont le dictateur Trujillo fit la musique nationale Dominicaine, avant q’il ne soit le champion de la Salsa rapide. Le message est positif : « Vis Ta Vie, Chante Ton Rêve », retrouve la fonction sociale de la Salsa dans l’Amérique Du Sud pour les travailleurs pauvres et populaires aux tâches éreintantes et payées une misère. Elle les console de leur vie, leur rend un peu d’espoir et de rêve le temps d’une nuit, une raison de continuer leur dur labeur.

Sonando_Beck.jpg

On peut évidemment déplorer que la Salsa ne soit pas plus engagée politiquement, ne dénonce pas les responsables des injustices sociales, l’esclavage et la domination économique des Etats-Unis sur la misère de l’Amérique Du Sud. Les plus engagés semblent être Joe Arroyo et son groupe « La Verdad » avec leur «Rebelion» sur l’esclavage et les nègres marrons qui le fuirent, et Yuri Buenaventura, également Colombien, qui déclare dans ses concerts (Moi je suis d’Amérique Du Sud, pas de celle qui fait la guerre en Irak !). Elle console plus qu’elle ne révolte, proposant un bonheur immédiat dans la danse ici et maintenant, ce qui n’est finalement déjà pas si mal.

Joe_Arroyo.jpg

Le Merengue se poursuit après un break à la manière du « Suavemente » d’Elvis Crespo dont j’ai toujours préféré la version de Leana Neal à la reprise plus lourde et commerciale de Paul Cless, avec le piano claquant sur la basse Funky- Rockoise.

elvis_crespo_suave.jpg

Arrive l’ «Ultimo Numero por esta noche », annonce Osvaldo, qui ne parle pas français, comme je regrette de ne pas comprendre l’espagnol. Lors du concert de Sonando au Festival Alsace Percussions, j’avais félicité un autre chanteur, un indien aux cheveux longs qui avait essayé de me parler en espagnol. Je lui avais répondu : « No Habla Espaõl, Habla Salsa » pour lui dire que je ne parlais pas sa langue mais aimais la Salsa sans la comprendre.

Sonando_red.jpg

La basse part sur « Mission Impossible » (composé par Lalo Schifrin). Osvaldo exhorte le musiciens et le public «A Guarachar !» («à prendre leur pied» me signale le Salsero Bouba), puis part en scat sur la clave d’un Guaguanco dédié à Babalu Aye (Dieu Orisha de la variole et des maladies en général équivalent au Saint Lazare Catholique, aux couleurs blanche et bleue) et Eleggua (Dieu du destin et de la chance qui ouvre les portes, équivalent à Saint Antoine, qui transmet les prières à tous les autres Orishas, aux couleurs rouges et noires).

eleggua_statue.jpg

C’est le groupe Irakere (déjà Chucho Valdès, et encore à l'époque Paquito D'Rivera au saxophone et Arturo Sandoval à la trompette) qui a fait passer le Guaganco dans les origines électriques de la Salsa en reprenant ces chants traditionnels avec une orchestration moderne Funk/Rock fusion à l’énergie irrésistible.

Irakere_Band.jpg

Osvaldo chante « Para el Mundo » avec pascal Beck, dans un jeu de question-réponse, puis repart en scat latino. La basse change de rythme, passe au funk slappé à « la Salsa » de Lavilliers (la première Salsa en français par cet amoureux de l’Amérique Du Sud, parti à 18 ans au brésil pour y travailler comme chauffeur poids lourd, engagé et très concerné par le devenir du Tiers- Monde et aux textes magnifiques) sur la clave.

Lavilliers_Vivant.jpg

En Bis, Osvaldo tient la note d’ « OuEEEEE » pendant toute une phrase du trombone. Ils reprennent l’original de la chanson cubaine reprise par Sergent Garcia en Salsamuffin sous le titre « Amor Pa Mi ».

sergent_garcia__amor_pa_mi.jpg

« Otra ! Otra ! » réclament les danseurs pour une autre chanson.

Ils reviennent sur la clavé manuelle puis le trombone avec « Yumbambe » de JC Campos, que Poncho Sanchez, grand conguero d’origine Mexicaine qui joua avec Cal Tjader, Myriam Makeba et Nina Simone, rendit célèbre, et que Sonando avait repris dans son premier album « Bailando Con Sonando ». Les harmonies du trombone enrichissent en sous-main cette rythmique Portoricaine, clave prolongée d’une bomba de percussions. Pendant le solo de piano, les doigts volent sur les touches, reviennent en rythmique, puis partent en boléro, dans une transe entraînant les autres, avec une accélération à la Gonzalo Rubalcaba, spécialiste du genre né à Cuba mais qui fait maintenant une carrière de pianiste de Jazz le plus rapide de l’Est à Miami, à laquelle Grégory Ott rajoute encore une touche de piano bastringue et de boogaloo finale.

Rubalcaba_blessing.jpg

Bref, Sonando a montré par ce concert, et malgré un effectif réduit à son minimum qui personnellement les a gênés plus que moi, son aisance dans les différents rythmes qui font la richesse de la Salsa : Cubains, Colombiens, Portoricains ou même Dominicains et donné de la joie et de la bonne humeur au public et aux danseurs et danseuses. On attend de pouvoir les revoir bientôt au complet dans la région.

Jean Daniel BURKHARDT

PS: Mon émission Terres Tribales de ce lundi 17 août à 11 h 30 sera consacrée à la Salsa Cubaine de la Rumba à la Timba sur Radio Judaïca (102.9 FM à Strasbourg, "www.judaicastrasbourg.com" partout ailleurs...

mardi, juillet 8 2008

LES FIVE DEVILS, MARCEL LOEFFLER ET DINO MEHRSTEIN AU FESTIVAL "TERRE DES MUSIQUES TZIGANES"

Le vendredi 4 juillet, l’ambiance était Tzigane et Jazz au Festival «Terres Des Musiques Tziganes». Les Five Devils sont un groupe de musique tzigane de Tchéky composé de trois violons joués plus ou moins perpendiculaire sur l'épaule, dont un purement rythmique assis à l'archet tenu à angle droit, un vêtu d'un costume blanc et un jeune soliste virtuose, Gèza Hosszu Legocky, un cymbalum (cithare tzigane à plectre), une contrebasse et une guitare.

Five_Devils.jpg

Ils commencent leur set par "Les Yeux Noirs" (Otchi Tchornia en russe, déjà repris par Dango à Rome avec Grappelli, puis des ballades slaves lentes et pathétiques à deux temps alternant avec des accélérations Balkaniques dans le style klezmer à la russe, souvent déclenchées par le cymbalum prévenu d'un coup d'oeil complice.

Five_Devils_2.jpg

Le cymbalum bondit en une cavalcade de la cavalerie cosaque dans les steppes, poursuit les crins des chevaux des trois violons.

Five_Devils_Goza.jpg

Suit le thème tzigane, « Doïna –Hé Batchi, Batchi ! » , qu'Engé Helmstetter, guitariste manouche de la région de Barr et ancien organisateur du « Festival International Tzigane» à la Citadelle, avait repris dans un de ses comédies musicales, « Maré Sinté », rythmé ici par les "O-O-I'" du contrebassiste. Engé Helmestter est d’ailleurs présent ce soir, assis dans les gradins aux côtés de Marcel Loeffler.

Five_Devils_G_za.jpg

Le cymbalum prend ensuite une introduction étrange et méditative, cristalline, lente et perlée, presque aux résonances de clavecin baroque ou d'épinette, puis rapide, entraîne les violons à sa suite sur une basse Boogie.

Five_devils_cd.jpg

Sur "Les feuilles Mortes", le jeune violoniste virtuose prend les commandes, citant "Titine", tandis que la contrebasse au gouvernail est secouée comme la balalaïka d'un batelier sur la Volga, sur les rives de laquelle le cymbalum fait fleurir des "Roses De Picardie" dans son solo, soutenu par l'enthousiasme public tapant des mains.

Five_Devils_3.jpg

Pilier mouvant, le guitariste a la sûreté rythmique d'un Brassens, et se balance d'un pied sur l'autre tel une poupée russe avec un comique ambulatoire robotique. Tous chantent avec de profondes voix de Boyards russes.

Five_Devils_Geza_vert.jpg

Le cymbalum franchit le fleuve Amour et les steppes Mongolie vers la Chine, se faisant cithare. Le dernier thème est russe et rythmé, avec présentation des musiciens.

Marcel_Loeffler.jpg

En seconde partie, l’accordéoniste Marcel Loeffler invitait Dino Mehrstein. L'accordéoniste manouche aveugle Marcel Loeffler et le guitariste Dino Mehrstein se connaissent depuis longtemps, depuis que Dino enfant suivait son père Sony Reinhardt et son oncle Mandino Reinhardt, alors membres du groupe "Note Manouche" jusqu'en Italie. C'est ce soir un «Duet à géométrie variable qu'ils mèneront tous deux avec leurs invités tout au long de la soirée», annonce Fabrice Steinberger, organisateur du Festival.

Marcel_Loeffler_Note_Manouche.jpg

"Que Reste-t-il De Nos Amours ?" de Charles Trénet ouvre le concert, lent à la guitare, puis à l'accordéon plus lentement encore, sur une rythmique bossa de la guitare. Le père de la bossa nova, le guitariste João Gilberto, joue parfois cette chanson, abrité du vent et de son public dans une tente transparente. L'accordéon se fait aussi vocal dans son solo que le "fisarmonica" dont jouait Marcel sur son premier album à pochette en braille "Vago", ou l'harmonica auquel il s'est déjà essayé sur les accords "groove-roots: groots" de Dino, qui m'a d’ailleurs inspiré ce terme à propos de son dernier album "Intuitions" lors de son concert de présentation. Marcel ne joue que sur les touches rondes de son accordéon, presque sans en actionner le soufflet, le plat de l'autre main faisant un effet rythmique frappé sur l'autre série de boutons. Dino termine cette version très funky en style 70ies.

Dino_Mehrstein.jpg

Ils enchaînent avec "Stompin' At The Savoy", thème swing dédié au Savoy Ballroom, dancing New-Yorkais des années 30s surnommé "Home Of Happy Feet" (Maison des pieds heureux) où officiait le batteur Chick Webb et son orchestre où Ella Fitzgerald fit ses débuts. Le thème est là encore remis au goût du jour par le groove de Dino et l'accordéon de Marcel se chevauchant à tour de rôle, passant l'un devant ou derrière l'autre avec virtuosité.

Marcel_Loeffler_Hommage.jpg

Dino soutient en bossa les envolées balkaniques de Marcel. Les deux univers se complètent, chacun à tour de rôle plus fou que l’autre, inventant un isthme musical rejoignant Amériques, Caraïbes et Europe de l’Est. Les invités arrivent : le contrebassiste Gérald Muller, celui des Comédies Musicales du « Festival International Tzigane» et des Jams du défunt Piano-Bar et le guitariste américain Rick Hannah, qui assure avec d’autres celles de l’Artichaut.

Rick_Hannah.jpg

Ils se lancent dans « How High Is The Moon », pris sur un tempo d’enfer.

G_rald_Muller_grand-m_re.jpg

Ils dédient ensuite à l’organisateur du festival «Terre Des Musiques Tziganes», Fabrice « Rocky » Steinberger, le thème « Cherokee », devenu « Chez Rocky » pour l’occasion. L’orchestre de Count Basie en avait donné une version longue durée (deux faces de 78 tours) avec Lester Young au saxophone dans les années 30s, et son idole Charlie « Bird » Parker trouva sur ce thème une nouvelle façon de passer les accords sur son saxophone alto, le soir de noël 1941, alors qu’il faisait la plonge dans un restaurant New-Yorkais où se produisait le grand pianiste Art Tatum, et l’enregistra l’année suivante dans une chambre d’hôtel avec le guitariste Effergee Ware à la pompe d’ailleurs assez manouche, quand on y pense… Le tempo est ici assumé par Hannah et Muller, sur lequel brodent Dino et Marcel, citant dans son solo un autre thème ayant eu les faveurs de Charlie Parker et ses « violons magiques », « Laura », titre également d’un polar mystérieux et romantique d’Otto Preminger. La folie de l’accordéon se déroule sur la pompe de la guitare de Dino, qui part ensuite en fugue « groots », mêle les traits décochés par ses cordes aux soufflets et aux touches de Marcel.

G_rald_Muller_sc_ne.jpg

Ils reprennent ensuite « C’est Si Bon » d’Henri Betti et André Hornez pour les paroles, immortalisé par Yves Montand, puis par Louis Armstrong (avec les paroles anglaises de Jerry Seelen, et Eartha Kitt en 1954, et l’an dernier a même vu en 2007 une version chinoise en mandarin due à l’écrivain Mai Xuan chantée par le français Kayoumin. Le solo de Rick Hannah retrouve la « Yellow Basket » d’Ella Fitzgerald dans son premier tube « A Tisket, A Tasket », puis son poignet se détend en bossa, et finit par rouler des orages de phrases bop.

Jean Daniel BURKHARDT

dimanche, juin 29 2008

SOKAN INVITE LE GROUPE ETRAN FINATAWA A SA FÊTE

SOKAN_groupe.jpg

La Fête de la compagnie de percussions et danses SOKAN réunissait des élèves en percussions et danse Africaine de 7 à 77 ans, français et allemands, autour de rythmes collectifs et individuels et de chants choraux en Africain du Burkina Faso, du Mali et du Sénégal avec une belle complicité.

SOKAN.jpg

Les djembe, s'ils étaient joués par tous les élèves, n'étaient pas les seules percussions représentées. On trouvait aussi deux grands tambours battant le rythme de base frappés avec de grands bâtons en forme d'os, dont jouait le plus jeune, et un autre ensemble composé de deux tambours allongés superposés aux membranes posés sur un cadre métallique orné d'une cloche comme la "cowbell" de la salsa variant les rythmes vers la clavé cubaine, la batucada brésilienne ou les gongs indonéso-balinais.

SOKAN_djemb_.jpg

En seconde partie, on pouvait voir le groupe de Blues Touarego-Wodaabe Nigérien Etran Finatawa, composé de trois touaregs habillés de bleu, brun et vert émeraude et trois Wodaabes, ce qui es plus rare.

Etran_Finatawa_groupe.jpg

Les Wodaabes parlent fulfude, portent des turbans ornés d'immenses plumes d'autruche se prolongeant en bijoux jusqu'au cou et surmontés de plumes orangées, ont le nez, le menton et lespaupières peints de jaune, sont vêtus de tuniques brunes, et à leurs chevilles sont attachées des akayweres, lourdes castagnettes de métal, que leurs pas et leurs danses font résonner sur le sol.

Etran_Finatawa_Wodaabe.jpg

En plus des guitares, les percussions étaient un djembé joué par un touareg assis, et deux calebasses jouées par les wodaabes, une fixe et une calebasse d'eau flottant dans une autre plus grande.

Etran_Finatawa_calebasse.jpg

Le chanteur Wodabee tapait des mains des rythmes de clavé primitive.

Etran_Finatawa_calebasse_d_eau.jpg

Les guitares jouaient un Blues aux arpèges rapides, et les titres du deuxième album, "Desert Crossroads", semblaient plus "reggae" pour ce qui est des guitares.

Etran_Finatawa_guitare.jpg

Les voix des Wodabee sont très aïgues, presque aigres, comme des appels d’oiseaux du fond du désert répondant aux chants tamasheq plus arabisants des Touaregs. Les danseuses de Sokan et leurs amis ont mis l'ambiance dans toute la salle par leurs danses et leurs rondes, si bien qu'on se serait vraiment cru autour d'un feu de campement en plein désert d'Afrique.

Etran_Finatawa_Desert_Crossroads.jpg

Pour le dernier titre, deux percussionnistes de Sokan ont rejoint Etran Finatawa sur scène, et l'un des Wodaabe, aux coudes ornés de plumes d'atruches, faillit s'envoler avec eux...

etran_wodaabe_s_envole.jpg

Ce fut un concert chaleureux et culturellement la diversité ethnique de ce groupe ravit par son originalité l'oreille et l'oeil.

Etran_Finatawa_Introducing.jpg

Jean Daniel BURKHARDT

mercredi, avril 9 2008

MAYRA ANDRADE fait voguer sa « Navega » sur la scène de La Salle Du Cercle de Bischeim

Mayra_Navega.jpg

La toute jeune chanteuse Mayra Andrade est originaire du Cap Vert, île au large de l’Afrique, quoique née à Cuba et ayant grandi au Sénégal, en Angola, en Allemagne dans l’espoir d’une vie meilleure et tout de même un peu au Cap Vert, et vit à Paris depuis 2003. Elle a gagné le concours des Jeux de la Francophonie au Canada à 16 ans. Elle a 23 ans et a déjà fait les premières parties de Césaria Evora et chanté avec Charles Aznavour avant son album. Timide et d’une polie dans sa franche mais sage poignée de main, son visage s’anime quand elle parle du Cap Vert.



Mayra_sourit.jpg

Mais si elle est Capverdienne, Mayra Andrade ne se contente pas de chanter la morna mélancolique au rythme langoureux de Césaria Evora. Elle aime les tempos rapides et les arrangements modernes et expliquait au magazine britannique « Songlines » : « Nos grand-mères jouaient la musique Cap Verdienne d’une façon particulière. Moi je suis la plus jeune de la nouvelle génération internationale Cap Verdienne, et nous avons choisi d’être le moins structurés, le plus libres possible, pour prendre nos propres chemins. Beaucoup de musiques étrangères nous ont formés, et nous défendons nos personnalités en chantent dans notre propre style. Et cela nous permettra aussi d’ouvrir la musique Cap Verdienne à de nouveaux publics plus jeunes.» Pour les musiciens, elle pioche dans ses rencontres musicales Parisiennes, un guitariste Capverdien et un multi-percussionniste Brésilien, et dans les compositeurs de l’île, tout en composant quelques ballades.

Mayra_sourit_2.jpg

L’hospitalité de La Salle Du Cercle de Bischeim s’adapte à la culture de l’artiste invité. Après le thé à la menthe de Toumast, c’est ici un punch apéritif qui nous amène au Cap Vert. Comme l’album, le concert commence par « Dimokransa » (Démocratie de guingois), Kaka Barboza., chanson étonnamment engagée dénonçant les faux-semblants dans lesquels s’endort la Démocratie Capverdienne et dont se contente la majorité, la corruption et les ingérences dont cette terre fut victime à travers son histoire de la part des anglais, entre autres et regrettant le révolutionnaire indépendantiste San Francisco. Ceci sur un tempo bossa assez rapide où sa jeune voix rappelle le timbre de la plus grande chanteuse Brésilienne, Elis Regina et la souplesse de sa voix capable. Elle a d’ailleurs commencé en écoutant et chantant des chansons Brésiliennes de Maria Bêthania.

Mayra_bleue.jpg

Elle est vêtue d’une robe verte et bleue qui la fait ressembler à une sirène vêtue des eaux turquoises du Cap Vert. Un guitariste électrique, un autre acoustique qui jouent aussi du cavaquinho (petite guitare caractéristique des musiques portugaises passée à travers la colonisation en Amérique Du Sud ou au Cap Vert qui accompagne souvent la morna), un batteur poly-percussionniste et un bassiste électrique noir portant dreadlocks qui me fait penser au grand bassiste électrique Richard Bona, émule de Jaco Pastorius, vu dans cette même salle, qui après avoir raillé gentiment « BischEm » (comme il le prononçait), avait été convaincu par l’enthousiasme du public, au point de plaisanter sur l’idée de s’y installer.

Mayra_robe_bleue.jpg

Suit, comme dans l’album, « Lapidu Na Bo» (accroché à toi), une chanson d’amour tendre et comique d’un homme qui reste « accroché à toi, jeune fille» malgré toutes ses bêtises à répétition, avec une tendresse et une indulgence presque paternelle, sur un tempo encore plus rapide composée comme quelques autres par Orlando Pantera, mort peu après en 2005, où la gouaille de Mayra Andrade rappelle encore Elis Regina, avec sur l’album Cathy Renoir (la chanteuse du projet « Purple » sur Jimi Hendrix de Nguyen Lê) et Myriam Betty dans les choeurs. Comme Elis Regina, dont la rapproche sa gouaille, son débit est époustouflant et quand le souffle ou la voix lui manque pour arriver jusqu’au bout d’un ver, elle la lance dans le virage à plein régime, forçant parfois la voix jusqu’au dérapage contrôlé d’un petit éraillement, d’un enrouement d’émotion jusqu’au suivant.

Mayra_chante.jpg

Elle quitte ensuite l’ordre de l’album pour rester dans le tempo rapide avec « Dispidida », plus dramatique avec des petits breaks un peu ragga, et avec un scat final libre où sa voix semble s’envoler tel un oiseau sur les guitares. Elle se lâche plus sur scène que sur l’album, à l’émotion plus retenue pour faire joli, mais c’est tout à son avantage de dépasser ce qu’on croyait savoir des chansons sur scène. Le batteur/percussionniste joue de la batterie d’une main et des percussions de l’autre, comme celui du Trio Mocoto Brésilien João Parahyba.

Mayra_bleue.jpg

Suit «Comme s’il en pleuvait», chanson composée par Tété. Mayra Andrade l’introduit en demandant la participation du public pour reprendre la phrase éponyme de Tété «Comme s’il en pleuvait » en écho à sa voix, reprenant gentiment mais fermement les velléités de certains à reprendre son scat d’un air d’institutrice adorable : « non, si vous faites tous « eh eh eh », personne ne fera plus « comme s’il en pleuvait » ! ». Dans le disque, cette chanson est mystérieuse, la seule en français, mais d’un français ancien, XVIIIème siécle, créole ou des îles. Mais la narratrice restait iconnue, si bien que je croyais que c’était Mayra Andrade elle-même qui dès sa jeune vie et sa courte carrière, prévoyait humblement que tout s’arrête, un peu comme David Bowie dans « Ziggy Stardust And The Spiders From Mars », charge contre le show-business et le monde du Rock et sésame d’entrée pour cette gloire dans ce monde à la fois qui m’a toujours bouleversé. Mais Mayra Andrade lève le voile sur l’histoire de cette chanson. Elle aurait connue quand elle était fillette au Cap Vert, en allant à l’école, une vieille femme mendiant dans la rue, vendant des calligraphies d’une écriture magnifique, très ornée pour une femme aussi pauvre. Devenue son amie, elle lui raconta venir d’une famille noble ruinée et avoir connu la fortune et les dans son enfance. Avec Tété, ils essayèrent d’imaginer sa vie d’avant : « Jadis ici j’étais reine… », ses «soupirants, ses présents chaque jour » « Comme s’il en pleuvait » et sa disgrâce actuelle, «genoux fangeux », et ses supplications « Donne maintenant de quoi manger mignonne, gagne ton ciel et me sois bonne » aux inversions désuètes trahissant sa noble extraction, devenant aussi une réflexion sur la fuite et la vanité de la fortune, de la beauté. Sa voix fraîche et profonde, sans âge, fait merveille pour incarner les deux registres, improvise sur les chœurs publics des scats audacieux, les arrête pour que ne reste que le rythme entêtant qui lentement, s’éloigne, s’endort, se meurt dans la nuit, en un écho hypnotique.

Mayra_Noir_et_Blanc.jpg

Suit une « morna» langoureuse et mélancolique, peut-être une reprise d’un traditionnel Cap Verdien, accompagnée d’un cavaquinho, petite guitare traditionnelle Cap Verdienne venue du Portugal avec ce sentiment commun d’incurable mélancolie, mal du pays et mal de vivre qu’on appelle «Saudade» dans le Fado, que ramenèrent les marins de leurs longs mois d’expéditions exploratrices à découvrir les futures colonies. Mayra Andrade les aime aussi, en a composées plusieurs pour son album, et dans ce répertoire plus sentimental, sa voix s’enfle d’émotion, d’une profondeur étonnante pour son âge, la rapprochant de « La Diva Aux Pieds Nus », Césaria Evora, principale interprète du genre. Elle poursuit avec la morna très lente qui ferme l’album «Nha Nobrèza » sur les sanglots de cavaquinho mandolinant, où l’on croit entendre à tort dans le portugais des bribes de français créole «da ma(r)di soi(r) » entre deux coraçaõ doloroso.

Mayra_pensive.jpg

Mais Mayra Andrade ne laisse pas la mélancolie s’installer, enchaînant avec la rapide et enjouée « Tununca » d’Orlando Pantera, sur une jeune fille pauvre mais courageuse qui choisit d’échapper à la misère par un exil volontaire, thème fréquent dans l’album. Manque ici à ce tempo rapide l’acidité pittoresque de la sonorité presque funky de l’orgue « farfisa » (orgue électronique compact de marque italienne utilisé par le groupe de Rock Psychédélique anglais Pink Floyd dans ses premiers albums) de l’album joué par le guitariste Kim Alvès, remplacé avantageusement par les battements de mains du public, lui aussi coloré par la présence de quelques natifs du Cap Vert, je présume, représentant la belle mosaïque de peuples de cette île par leurs visages entre l’Afrique, l’Orient et les Indes, et le mélange de tout cela.

Mayra_rouge.jpg

Suit la plus émouvante des compositions de Mayra Andrade, « Navega » (bateau), qui donne son titre à l’album, sa chanson la plus émouvante, la plus en prise avec la réalité simple de la vie au Cap Vert aussi. C’est la mer qui la raccroche au Cap Vert, disait-elle à « Songlines », mer des arrivées et des départs, qui la purifie à chacun de ses retours, mais qu’elle considère comme la cage dorée des Capverdiens. Cette chanson est une hymne à la Mer, mais est aussi consciente de ses dangers, puisqu’une femme de pêcheur y attend son mari pendant une tempête. La mélodie s’élève et retombe comme la houle, passant d’une simple mandoline à une percussion dramatique dont la voix souligne la tension : «Avec mes yeux levés vers la ciel, j’implore Dieu de calmer les vagues », dit le texte, « pour que tu puisse revenir sans obstacle, avec une bonne prise qui te permettra de rester auprès de moi un peu plus longtemps sans que j’aie à m’inquiéter. » Une vieille Cap Verdienne s’est d’ailleurs reconnue dans cette chanson et le lui a dit. La chanson se termine sur l’album par un scat ethnique sur les vagues des soufflets de l’accordéon du Malgache Régis Gizavo, absent ici. Ici ce scat s’envolant dans les aigus me fait penser au Brésilien Milton Nascimento, l’un des maîtres du genre.

Mayra_plage.jpg

Après une courte sortie sous les applaudissements arrivent les bis. Tout d’abord une ballade, « Nha Sibitchi» (ma perle de jais) de sa composition, où l’on entend en introduction sur l’album une de ces Mémés du Cap Vert, Luiza Pereira Gonçalves, surnommée Nha Pomba et le violoncelliste de Jazz Vincent Segal dans les cordes en riff final. Sur scène, la chanson est plus rythmée, plus acoustique que sur l’album, mais la voix reste toute aussi bouleversante dans ses montées d’émotion au fur et à mesure de la mélodie.

Mayra_lumineuse.jpg

Suit une chanson plus rapide sur une guitare funky, malgré un thème élégiaque, « Lua » (lune) de Catu Princezito, avec sur l’album, aux cuivres, Remi Sciutto au saxophone et Daniel Zimmermann au trombone et le brésilien Nelson Ferreira invité à la guitare électrique, qui l’accompagne ici sur scène. La chanson commence par un couplet mélancolique de supplique à la Lune, puis prend un virage rythmique à deux cent à l’heure époustouflant de tchatche à la Elis Regina, puis retrouve le couplet romantique à la fin. Pour pallier à l’absence des cuivres dans le final, Mayra Andrade tape dans ses mains à la manière des « palmas » du flamenco et fait de la «body percussion» sur sa poitrine et ses épaules. Elle termine le concert en solo a capella sur la morna «Poc Li Dente e Tcheu » (le peu que nous avons), qui compte plus que d’émigrer pour le perdre, une chanson de Nhelas Spencer, dont le thème et la mélodie dut émouvoir les natifs de l’île.

Mayra_percus.jpg

Bref, malgré son très jeune âge, Mayra Andrade dépasse déjà sur scène les promesses de son album, en montrant que sa retenue n’empêche pas son énergie sur scène. On attend la suite de ses aventures.

Mayra_portrait_bleu.jpg

Jean Daniel BURKHARDT

mardi, février 5 2008

LA SALSA D’ELIO REVE Y SU CHARANGON A LA SALAMANDRE

Elio_Rev__danse.jpg

Elio Revé était un joueur de timbales (sorte de tambour sur trépied dont jouait le portoricain Tito Puente) cubain né à Guantanamo en 1939. Après une fanfare française avec violon en 1956, il monte son orchestre entre 1967 et 1968, qui devient très célèbre grâce aux compositions du bassiste Juan Formell, qui le quittera pour former « Los Van Van ».

Elio_Rev__Orchestra.jpg

Elio Revé déclarait : « On m’appelle le Père du changüi, bien qu’il ait existé depuis longtemps, car, tandis que le son quittait les provinces orientales, arrivait à La Havane et voyageait dans le monde entier, le changüi n’a pas bougé jusqu’à ce que je l’aie fait sortir. » En effet, l’un de ses plus grands succès, sera « Changüi Clave », hommage à la clave et au changüi , avec une ouverture en guaguanco qui se mêle ensuite au son modernisé. Avec son Charangon, le timbalero Elio Revé y mettait l’accent sur les racines africaines (percussions qui incluent les tambours bata, la cloche cowbell et une voix de tête connue comme voz de vieja), tout en maintenant l’usage du tres (Papi Olviedo) et des violons, avant de partir dans une salsa plus moderne. Après le départ de Juan Formell pour former Los VanVan, Elio Revé change le nom de son Orchesta Revé pour Elio Revé Y Su Charangon, mais continue de mélanger le rythme changüi, avec le son, la rumba, la bomba et le merengue, et enrichit son orchestre de trombones.

Elio_Rev__Tributo_al_maestro.jpg

Si Elio Revé est mort en 1997 dans un accident de voiture, son fils Elito (le petit Elio) Revé a repris son Charangon avec succès, et a célébré le 75ème anniversaire de sa naissance à la Télévision Cubaine et par l'album "Con La Mano En La Masa". On appelle maintenant Elito Revé Elio Revé Jr comme son père, statufié en décembre 2007, à l'occasion du premier festival de changuï.

Elio_Rev__statue.jpg

Si j’ai raté les «Afro-Cuban All-Stars», Papys du Son’ rendus célèbres par le film « Buena Vista Social Club » de Wim Wenders, quand ils étaient venus dans cette même salle au grand complet (Compay Segondo au très -guitare cubaine, Ruben Gonzales au piano, Ibrahim Ferrer au chant) avant le succès du film et que je ne les connaisse, mais fut le plus beau concert de la vie d’une jeune Salsera locale blonde comme la Loreleï, je les avais vu dans la tournée plus tardive de l’album « Distinto Diferente » et leur chanteur Ibrahim Ferrer avant sa mort, ils étaient des musiciens de son’, pas de salsa, et ne représentaient pas l’actualité de cette musique et de ses rythmes aussi bien Portoricains (la bomba), que Colombiens (la cumbia), ou Dominicains (le merengué), que Cubains, je peux donc dire que c’est mon premier concert de « vraie » salsa Cubaine, et je regrette de ne pas comprendre l’espagnol, ayant appris l’allemand en seconde langue comme beaucoup d’alsaciens frontaliers.

Elio_Rev__et_fils.jpg

D’après les annonces de l’organisateur du concert «Timbalero», le groupe est joyeusement cosmopolite et plutôt jeune, trop je pense hormis Eli(t)o Revé, qui porte une crête tondue au centre du crâne, pour avoir connu le fondateur du Charangon, son père Elio Revé. Le joueur de très semble également trop jeune pour être Papi Olviedo. Le contrebassiste noir et immense, dépassant de son instrument même de loin tel un marin à un mât, et semble le plus âgé. Il y a aussi un percussionniste, un batteur et un claviériste. Dès l’entrée sur scène, la section vocale de quatre chanteurs à la puissance de tchatche hip-hop en espagnol galvanise le public, et la section de cuivres de quatre trombones est assourdissante au point de provoquer quelques larsens avec un balancement de fanfare Portoricaine.

Elio_rev__50.jpg

Pendant le discours introductif d’Elio Revé, la clavé (bâtons de bois dur et rythme de base de la musique Cubaine), la cowbell (cloche frappée de la batterie) et le guïro (percussion striée raclée de forme ogivale) font monter le rythme jusqu’à la transe, jusqu’à ce que le chanteur blanc n’entame cette hymne au plaisir qu’est la salsa d’un « A Gozar » (on va s’amuser). En réponse, le public des premiers rangs saute en l’air bras levé au son du trombone moelleux sur le rythme de la cowbell. La chanson s’appelait « Camina ». Elio Revé harangue la foule des danseurs « Francia !», compte les temps « un dos tres », appelle le tchatcheur « blanco » (blanc) sur la clave du changuï, où les timbales se font plus mélodiques.

Elio_Rev__y_su_charangon.jpg

La mise en place et en rythme des chanteurs et le contrechant des trombones en fond sonore rauque et doux est impressionnante devant une mer caraïbe de bras et de mains suivant leurs danses comme les tentacules d’un poulpe caraïbe dans l’âme de gauche à droite. Et soudain, ce qui ne se produirait dans aucun concert de Rock advient : Alicia, une danseuse du public se hisse jusqu’à la scène avec l’aide des musiciens et de ses amis et se met à danser en ondulant mieux encore que Shakira elle-même sur le mot « vida », et est même remerciée de sa prestation par les musiciens d’un « Gracias » qui devient « Gracia…Salsa ». Et si la Salsa était enfin la chance d’une véritable communion chorégraphique et émotionnelle entre artistes et public qu’a rêvé Jim Morrison toute sa vie sans la connaître ? Les rythmes changent, se font « timba » (dernier rythme Cubain des années 80s incarné par « Los Van Van » et « NG La Banda »), puis retrouve la clave, dans laquelle s’intercale le piano caractéristique de la salsa, qui semble toujours semblable et changeant à la fois.

Elito_Rev__danse.jpg

Autre chanson, autre rythme, avec cette fois le soutien des trombones des trombones en sourdine comme une troisième voix. Une autre fille est montée sur la scène pour les accompagnements chorégraphiques, et sur un rythme plus lent, le chanteur blanc danse avec elle, crie « Casaa !», puis le morceau repart en changuï clave sur les percussions. Les voix, gardent, même dans le chant collectif hip hop de la Salsa des tuilages des questions-réponses encore Africains issus du Guaguanco, que l’on retrouve dans le Gospel en Amérique du Nord, adaptées à Cuba aux métriques espagnoles imposées des colons rappelant le flamenco des gitans, ou plus proche de nous dans le chant Breton des Fest Noz ou le chant des bergers Basques, avec les trombones en fond sonore.

Elio_Rev__disque.jpg

Dans la ballade suivante, l’harmonie des voix fait presque penser aux groupes noirs « doo-wop » soul américains des années 60s par leur beauté. Mais toutes les musiques américaines étaient écoutées à Cuba à la radio, et avaient leurs pendants cubains. Après un break, le rythme est repris par les claquements de mains. Le frère de Timbalero m’informe que cette chanson s’appelait « De la parta de pelota ». Et soudain, ô surprise, surtout ici à Strasbourg, à la Salamandre et pour un artiste qui n’est pas local, et doit certainement avoir dans sa tournée bien des dates en des lieux plus prestigieux, comme l’Olympia ou n’importe quelle salle parisienne, Timbalero arrive et lui remet… l’équivalent d’un Disque d’Or! Suit la chanson « Moleja de Boloja », puis un changement de rythme annonçant, m’explique le frère de Timbalero, la moitié et la deuxième partie du concert.

Elio_rev__manos.jpg

Mais la chanson suivante, je la connaissais sans savoir qu’elle était d’Elio Revé, si ce n’est une reprise, pour avoir dansé dessus au Café des Anges (où je dansais la Salsa solo, mais qui en était, jusqu’à il y a cinq ans, l’un des hauts lieux musicalement à Strasbourg par la qualité de la sélection musicale et des danseuses, dont beaucoup, d’ailleurs, sont présentes ce soir). Après avoir retrouvé cette chanson (ce qui est rare) par hasard sur le volume 3 ou 4 de l’ «Anthologia de La Musica Cubana», c’est en écoutant ses chœurs reprenant à l’unisson «Sa-Sa-Sa Sal-sa Sa-Sa-Sa Sal-sa » sur le rythme de la clavé cubaine que j’ai enfin compris ce motif rythmique qu’un ami percussionniste essayait vainement de m’expliquer par d’innombrables jeux musicaux, et elle reste donc l’une de mes salsas préférées pour ce qui est des chœurs (« Sa-alsa Tie-ene »), des accompagnements et du solo de trombone relevant la sauce et du piano tant dans leur harmonie que dans leur construction, leur énergie et leur diversité. Le public tape dans ses mains au rythme de la clave sur le mot «Arrollando», tandis qu’Elio Revé en redemande (una uya uya uya! : encore une fois !) et harangue le public sur le solo de piano.

Elito_Rev__Y_Su_Charangon.jpg

La chanson suivante, m’informe un danseur, s’intitule « Katzo Douro» et a la forme d’une timba, puis prend celle d’un punto (style de danse espagnol joué XIXème sicle par les orchestres à cordes proche de notre menuet), le piano restant en clave, sur des paroles en Congo Bantou héritées des origines africaines des esclaves noirs cubains utilisé dans le Guaguanco, mais qui dont les langues ont évolué à Cuba différemment des dialectes africains de ces régions, au point d’en être incompréhensibles, entrecoupés d’encouragements en espagnol (dise suave !) sur un changement de rythme, et se termine par les applaudissements encouragés par Elio Revé par des «applauso !» terminant le concert.

Elito_Rev__sc_ne.jpg

Mais le groupe revient pour les bis, les cuivres jouant à pleins poumons sur des rythmes variés où piano et contrebasse intercalent leur « tumbao », tandis que les choristes continuent d’énoncer les mots de la chaleur (Caliente) et de la danse (Cintura : ceinture), rejoints par les danseuses du public sur scène, telles un arc-en- ciel coloré, l’une d’elle dansant en tenant sa bouteille d’eau (indispensable dans la chaleur torride des premiers rangs) entre ses dents, sous les applaudissements du public, le thème étant repris en clavé au mot de « Candela » («chandelle», « feu », et titre d’une chanson qu’avait chantée Ibrahim Ferrer avec les « Afro-Cuban All Stars » dans le film « Buena Vista Social Club »de Wim Wenders).

Elio_salsa.bmp

Le second bis commence comme une ballade en introduction, puis devient plus rythmé alors que les trombones font monter la sauce et « se continuo » (continue) "Se sigue comentando (Uyuyuy que veo)", par un solo de très ponctué d’onomatopées «Ouille Ouille Ouille !» s’adressant tant à la lusique qu’aux danseuses.

Jean Daniel BURKHARDT

mardi, janvier 29 2008

L'accordéoniste bulgare MARTIN LUBENOV et son Orkestar jouent leur Salsa Balkanique à Pôle Sud

Bulgarie_carte.jpg

La Bulgarie est coincée entre l’Orient de l’Empire Ottoman qui l’a dominée durant cinq siècles et les traditions Slaves ou Tziganes de l’Est. Mais cela ne doit pas faire oublier l’ancienneté des cultures de cette région, qu’on appelait la Thrace dans l’antiquité. C’est là qu’on trouvait la florissante Cité de Byzance, là aussi, selon la légende, que le poète, chanteur et musicien Orphée descendit chercher sa bien-aimée Euridyce dans les Enfers, par un passage qu’on situerait dans les antres de la Grotte Trigradska.

Le_Myst_re_des_Voix_Bulgares.jpg

La musique Bulgare a beaucoup évolué depuis les vingt dernières années, du tube de Marcel Cellier « Le Mystère Des Voix Bulgares », se limitant aux ensembles vocaux féminins, aux orchestres de mariage dont la star le clarinettiste d’origine tzigane Turque Ivo Papazov, capable d’imiter sur son instrument la zurna turque ou la cornemuse, joue aussi bien à des mariages décalés les jours de semaine pour s’assurer sa présence et où se pressent deux cent personnes non invitées, que dans les festivals de Jazz les plus prestigieux à travers le monde, et dont l’album « Balkanology » a reçu les compliments de Frank Zappa lui-même dans un article.

Papazov_Balkanolgy.jpg

Lubenov_Veselina.jpg Lubenov_Orkestar_CD.jpg A 25 ans, l’accordéoniste Martin Lubenov fait partie de la jeune génération de musiciens bulgares qui n’ont plus honte de devenir musiciens de Jazz pour la liberté dans l’improvisation et la virtuosité, sans perdre néanmoins la spécificité rythmique et mélodique de la musique Bulgare, mais en y intégrant aussi des influences extérieures comme la Salsa ou le Tango. Il a fait ses études au Conservatoire de Sofia, puis de Vienne, avant de monter à Vienne son quartet de Jazz Balkanique le «Jazzta Prasta Band » composé de Nenad Vassilic à la contrebasse, Vladimir Karparov au saxophone et Ventsislav Radev à la batterie, et comme invité Pejo Peev à la gadulka, luth piriforme bulgare aux cordes sympathiques et d’enregistrer le disque « Veselina », récompensé par un « Austrian World-Music Price » en 2005 et signalé par le magazine britannique « Songlines », puis de revenir à Sofia plus récemment pour former son «Orkestar » avec Neno Iliev, un Tzigane, au chant et aux percussions (darbouka et peau de conga), Zhivko Stonatov à la clarinette, Nikolaï Antov à la guitare, Asan Radev à la trompette et au saxophone (absent au concert), Sebastien Thaler à la contrebasse et toujours Ventsislav Radev à la batterie. C’est avec cette formation qu’il se produisait ce vendredi 25 janvier à « Pôle Sud » pour leur première date en France.

Lubenov_Orkestar.jpg

Le concert débute par «16/8 », composé pour le « Jazzta Prasta Band », montrant la complexité rythmique de la musique Bulgare en dépassant les 4/4 du Jazz classique par un rythme en 16/8, pris sur un tempo d’enfer par le clarinettiste Zhivko Stonatov, puis le jeune joueur de darbouka tzigane Neno Iliev dont la tête rappelle les influences remontant jusqu’au Rajasthan, en Inde, de ce peuple voyageur.

Lubenov_Tzigane.jpg

Son origine Tzigane transparaît également dès qu’il chante debout le second titre, dans sa voix puissante et bouleversante, qui arrive à trembler dans les aïgues tout en gardant toute sa puissance et tenant la note, mais est encore claire et pas encore cassée comme souvent celles des chanteurs et chanteuses tziganes plus âgés, aussi entraînante dans les morceaux rythmés («Mi Romnori ») que bouleversante dans les ballades (« Dui Droma ») où la clarinette se fait presque pop, rappelant les succès de Goran Bregovic pour les films d’Emir Kusturica, tandis que l’accordéoniste Martin Lubenov cite un succès pop au détour d’une chanson, comme les critiques Jazz ou Traditionnels Bulgares reprochaient souvent à Ivo Papazov de le faire, pour le plus grand plaisir de son public bulgare populaire qui aimait ces citations émaillant ses improvisations de clins d’oeils qui leur rappellent des chansons qu’ils ont aimée.

Lubenov_Che.jpg

Ces musiciens ont abandonné les costumes traditionnels pour de simples costumes noirs, identiques à ceux de musiciens de Jazz d’où qu’ils viennent par commodité. Question couvre-chefs, Martin Lubenov porte un béret noir à la Che Guevara dont on ne voit pas l’étoile, et le batteur Ventsislav Radev, élément le plus « Jazz » du groupe mais capable aussi de rythmes plus exotiques, est en T-shirt avec une casquette comme celle des rappeurs.

Lubenov_danse.jpg

Ils ne sont plus seulement des musiciens bulgares traditionnels ou des musiciens de Jazz à l’américaine, mais peuvent aussi emprunter à d’autres musiques même très lointaines et les mélanger, comme le Tango sur un rythme de guitare reggae. Même la Salsa ne les effraie pas, devenant une gigantesque « descarga » (Jam-session à la cubaine) rythmique où chacun improvise tour à tour sur le titre « Salsa Yu », où l’accordéon prend dans l’introduction des accents de musette émouvants sur les rythmes exotiques de la guitare Jazz manouche (plutôt calme comme sur le disque « Vésélina », dont la version s’avère n’être qu’une base ébauchée, prétexte à improvisations scéniques) , avant que la clarinette ne fasse exploser tous les carcans de genres par un solo free libérateur modulant dans le style Balkanique comme le clarinettiste français Julien Lourau a appris à faire avec le pianiste Bojan Z(ulfikarpasiç), aux origines partiellement bulgares. Mais le morceau de choix est la joute rythmique entre les deux percussionnistes, qui rallonge l’improvisation d’une bonne moitié, relançant chacun des autres pour un autre solo dans une transe collective. Neno Iliev y alterne darbouka et un étrange instrument qui semble être la peau supérieure d’une conga sans le corps du tambour (mais tambour oriental « daf » posé sur trépied aurait un aspect similaire de loin). Le batteur Ventsislav Radev commence par assurer le soutien jazz avant d’entrer dans la danse après tous les autres pour un solo tellurique tout en restant exotique, utilisant même ses baguettes comme une paire de claves cubaines (petits bâtons de bois dur) pour assurer cette base rythmique de toute la musique cubaine et faire repartir toute l’improvisation pour un autre tour de piste, où l’accordéon de Lubenov se fait « squeeze-box » des gigues irlandaises, Radev utilisant ensuite ses cymbales pour produire les sonorités clapotantes d’un steel band (bidons de pétrole martelés dans les Caraïbes anglaises à Trinidad et Tobago) . Ce morceau fut en lui-même un festival de rythmes et d’improvisations entremêlés pour la plus grande joie du public, qui manifesta son plaisir en réclamant non pas un mais deux bis se terminant sur un air de mariage.

Bref, un concert de musiciens virtuoses prouvant que la musique Bulgare évolue bien au-delà de ses frontières géographiques, ce qui est plutôt encourageant pour l’avenir des musiques du mondes, si elle venait à faire école.

Jean Daniel BURKHARDT

lundi, novembre 26 2007

TOUMAST: Le Nouveau Groupe de Blues Funky Touareg en concert à La Salle Du Cercle de Bischeim

Autrefois, les Touaregs vivaient librement dans le désert du Sahara. Leurs caravanes transportaient à dos de chameaux le sel de la Méditerranée qu'ils échangeaient en Chine contre le thé vert, puis repartaient échanger ce thé contre le sel sur la Côte. Hélas, après le Sahara fut partagé lors de la colonisation pour des raisons économiques et géopolitiques par les états Européens entre le nord du Mali, le Niger et le Burkina Faso, frontières pour eux obsolètes car leur vrai pays est le désert qu'ils voulaient continuer à parcourir librement. Au début des années 60, ils refusèrent en vain d'être rattachés au Mali et au Niger.

carte_sahara.jpg

La décolonisation de ces pays acheva de les priver de toute indépendance, leur désert étant partagé entre différents états et la politique répressive du Mali et du Niger radicalisa leur lutte. Dans les années 70s et 80s, sècheresse et famine les forceront à s'exiler vers le sud de l'Algérie et la Libye. On appelait alors "Ishumar" (du français "chômeur") les jeunes touaregs errant de ville en ville en quête de travail, loin de leur famille. De 1990 à 1992, le Front Touareg lancera une offensive sur le nord du Mali et du Niger, conflit qui se termine en 1992 au Mali et 1995 au Niger par la démocratisation des régimes. Le Colonel Khadafi leur fournira des armes automatiques, et ils découvriront également la guitare électrique adoptée par les groupes de Blues Touaregs, comme le premier d'entre eux, Tinariwen, monté autour d'Intidyeden et Ibrahim Abaraybone.

Toumastchameau.jpg

Toumast s'est créé dans les années 90s autour de Moussa Ag Keyna, qui, grièvement blessé après des années de lutte et de maquis, est évacué en France et bientôt rejoint par sa cousine Aminitou Goumar. C’est la rencontre avec le compositeur, arrangeur et réalisateur Dan Levy (basse électrique, claviers et saxophone) qui permet l'enregistrement en 2006 de leur premier album "Ishumar". Le style de ce nouveau groupe Touareg est plus funky, plus Rock, moins Blues que celui de Tinariwen, et rajoutant les avancées technologiques de légers effets électroniques.

Toumast-CD.gifToumastIshumar.gif

Conviviale, La Salle Du Cercle de Bischeim proposait à l’entrée un thé à la menthe gratuit, que je qualifierai selon le rituel Touareg auquel m’avaient initiés des amis à leur retour du Niger en 1996 de « doux comme la vie » (le contraire étant « amer comme la mort » quand le thé est très foncé, puis « tendre comme l’amour »), peut-être parce que très passé et donc très clair, à cause de l’heure tardive.

ToumastMoussarougeguitare.gif

Moussa Ag Keyna entre sur scène, d’abord seul, vêtu du costume traditionnel noir noué derrière sa tête, qu’on pourrait croire trop chaud pour la scène et ses projecteurs, mais qui dans le désert protège autant des chaleurs du soleil ardent qu’il ne laisse pas traverser que de la froideur des nuits. Il chante le blues le plus dépouillé de l’album, « Ezereff », où il dit que tout ce qu’il désire est d’attacher ses chevreaux et seller son chameau Ezereff, pour rejoindre sa bien-aimée dont parlent même les marabouts, nostalgie de la vie simple des Touaregs. Ses doigts égrènent les cordes de sa guitare comme les perles d’un chapelet.

ToumastAminitouguitare.jpgToumastAminiatouguitaregrande.jpg

Aminitou Goumar entre, accompagnée d’un percussionniste Touareg, d’un batteur qui semble français et Dan Levy à la basse électrique. Aminitou Goumar joue également de la guitare, chante la seconde voix féminine et ponctue les chansons de youyous linguaux, se lançant dans le premier titre de leur album, « Kalane Walegh », un blues funky, plus rapide que sur le disque, presque hard, et avec une puissance rythmique supérieure et plus prolongée, le petit riff aigu et répétitif arrivant beaucoup plus tardivement dans le solo, évoquant souvent celui de Jimi Hendrix dans « Gipsy Eyes ». Moussa semble héler ses musiciens de la main, comme pour guider une caravane dans le désert.

ToumastcoupleAmiguitare.jpg

Sa première intervention en français évoque la « joie d’être un homme libre, la peine de devoir se battre pour cette liberté qui ne peut nous être ôtée ». Il parle français, mais avec un accent traînant qui donne à ses mots une musicalité particulière Chez les Touaregs, explique-t-il, il n’y a pas de musique de marabout, toute la musique est prétexte à la danse, comme une invitation du public à la danse. Le deuxième titre de l’album, « Tallyatt Idagh », est d’ailleurs dansé par Aminitou tout d'abord, avec ses bras comme des vagues brassées, puis avec le percussionniste, passé aux congas et en tirant des rebonds presque dub, entre le riff puissant appelant à la transe et les youyous la prolongeant de l’énergie collective des mariages et des feux de campements en plein désert. Elle semble beaucoup plus jeune en live que sur les photos, quand son sourire joyeux illumine la scène, mais son regard à la lucidité de ce qu’elle a dû voir et vivre.

Toumastcouple.jpg

Dans « Dounia », blues sur deux temps, on croit entendre des mots en français « je te connais », mais qui ne correspondent à rien au vu de la traduction. La batterie utilise un effet cowbell entrecoupé de roulements rock. Aminitou a les cheveux libres sous son châle qui tombe sur ses épaules quand elle danse, et qu’elle ne remet qu’entre deux chansons, preuve de cette liberté morale Touarègue où il n’est que décoratif. Elle invite le public à entrer dans la transe en tapant des mains. Les harmonies vocales nous emmènent dans le désert touareg, ou chez les gnawas marocains sur les rythmes des petites cymbales à mains appelées karkabou ou crotales jouées par le percussionniste. Cette chanson est la plus proche du blues tribal initié par Tinariwen.

Toumastguitareflet.jpg

Suit une chanson plus traditionnelle, introduite par Moussa expliquant que chez les Touaregs, seules les femmes faisaient de la musique à l’origine, les hommes ne l’ont pratiquée qu’avec l’ouverture au monde de la lutte et la découverte des guitares électriques.

Toumastassis.jpg

Quant aux « chameaux, ils ne sont pas venus, ils ne savent pas nager ». Comme en plein désert, autour du feu, Aminitou, s’assied sur la scène avec une percussion en cercle avec le percussionniste et chante un chant traditionnel qui ne semble pas sur l’album, pendant que le public tape dans ses mains comme autour de ce campement touareg simulé symboliquement, mais qui suffit par son souvenir, à faire danser Moussa. Le solo de basse psyché accroît l’impression de mirage.

ToumastMoussadanse.jpg

Après beaucoup d’autres chansons et deux bis, achevant de faire danser un public ravi dont un garçon qui s’était noué un turban émeraude à la touarègue, ils repartirent vers de nouvelles aventures. Pas très buiseness, plutôt débrouille: "pour le disque, tu vas chez le marchand, et pour le site tu tapes Toumast... dans l'ordinateur central". Pour ceux que ça intéresse, comprenez qu'ils ont un site officiel et un "My Space".

Toumast-Chameaucolor.jpg

Jean Daniel BURKHARDT

- page 3 de 4 -