Krakauer_portrait_NB.jpg

Le clarinettiste David Krakauer est l’un des principaux acteurs du renouveau du style Klezmer dans la jeune scène New-Yorkaise. De formation classique, il débute avec les Kezmatics et les Klezmorim, puis crée son groupe « Klezmer Madness », ajoutant une influence Rock, et même Electro Hip-Hop avec l’arrivée du DJ et rappeur Canadien Socalled déjà passé l’an dernier aux Nuits Européennes.

Krakauer_Socalled_Madness.jpg

Le concert débute avec un « Lieder » (Chanson de la rue). Socalled est aux claviers destroys soutenant la clarinette turque sur le battement sourd du Klezmer Madness (accordéon, basse et guitare jouées par deux femmes et jeune batteur), ralentit le rythme son taxiphonant d’orgue Pakistanais joué sur le fender rhodes. Mais cette intensité n’explose pas, juste quelques coups électriques de la guitare, et tout s’assourdit dans le souffle final.

Krakauer_guitare.jpg

Suit une « Jewish Songdance », « A Reunion Shell », plus rythmé où la guitare peut jouer plus Rock, Socalled dans les graves et la clarinette s’ébroue gaiement, follement sur la batterie jusqu’au thème. Le public frappe dans ses mains. La mélodie reste Klezmer, mais avec une liberté donnée aux autres instruments, une intensité rythmique qui dépasse le Klezmer classique, le pousse jusqu’au bouillant du Rock, le libère en Free. L’accordéon part en solo tandis que la clarinette suit le thème, puis ulule pendant qu’il le reprend à son tour. Les contretemps de cavalerie sont plus forts, plus marqués, sur deux temps, jusqu’au paroxysme final, comme lâché, de la chute Rock.

Krakauer_trio.jpg

Suit une reprise de son album « A New Hot One », « pour son professeur jamais rencontré : le clarinettiste de la Nouvelle-Orléans Sidney Bechet » : « Klezmer A La Bechet ». Cela commence par une guitare (Sheryll Bailey) moderne, Rock dans les aigues de son solo, puis suivie par l’accordéon en dissonances graves sur la batterie bringuebalante aux ras Rock sur la cymbale. Puis la clarinette entre en scène, plus Klezmer, suivie de l’accordéon sur les bombes des cymbales, d’une batterie crépitante presque Ska, la guitare wah-wah, l’accordéon tanguant dangereusement dans les langueurs des vagues, et la clarinette garde le cap dans cette tempête, ce maelström en fusion, puis soudain, cette intensité se fait tzigane, turque par le solo wah-wah de la guitare, puis la bassiste Nikki Parrot en minijupe fleurie de perroquets part en slapping funk , toutes deux vêtues de cuir noir et les cheveux longs. Tout repart en Rock Turc, retombe en ouah-ouah-tant avec la clarinette en un dernier effort.

Krakauer_basse.jpg

Socalled rajoute des samples vocaux de chants yiddish en chœurs qui rythment de leurs souffles mixés la guitare wah-wah, la clarinette, avec un son énorme. Dans le solo de basse transparaît l’intensité de ces éléments Rock destroy , destructeurs mais bien agglomérés.

Krakauer_Socalled.jpg

Socalled s’empare du micro, rappe, en enlève ses lunettes. Même Krakauer rappe en choeur avec lui sur la fin du chorus. Puis le sampler diffuse des mères juives télescopées, l’accordéon rencontre le clavier, le sampler dans des aigues de marche turque d’on ne sait plus d’où ou de quoi. Krakauer reste droit comme une tourelle à la Benny Goodman, sa clarinette aux aguets.

Krakauer_red.jpg

Suit une chanson de l’accordéoniste Will Holsouser, sur un tempo rapide, mouvant, dans la pure virtuosité Klezmer, suivi de la clarinette, puis de la batterie qui ralentit le tempo, pour le faire ensuite repartir de plus belle. La guitare Rock distordue retrouve la liberté « country » du banjo d’Andy Statman avec l’électricité en plus. Les ralentis, les reprises sont les mêmes, plus intenses. L’accordéon se fait russe dans son solo en trilles sur la batterie de boucher, reprise par les mains du public. La clarinette de Krakauer se tend jusqu’au cri allongé, virtuose. Les autres le font passer d’un chorus à l’autre. C’est encore du Klezmer, mais plus destroy, plus drôle, plus grinçant, plus intense, électrique qui se termine en Rock aux retombées cataclysmiques.

Krakauer_crie.jpg

Socalled annonce «Mademoiselle Helse, une belle femme de Caroline, et son histoire avec Monsieur Moskovitz ». Au début la clarinette est plutôt calme dans la lueur verte avec les autres en fond sonore dans les basses, soulignant parfois un accord, le souffle d’une émotion, le bois retrouvé d’un duduk tremblotant dans le vent qui souffle, craquant sur la guitare hypnotique. Puis ils enchaînent sur « Moskowitz and Loops Of It », avec de petites diodes électro aigues de Socalled, puis la puissance de cavalerie déchaînée, la clarinette sur le Beat avec l’accordéon russe, le clavier frappé/clusté au fond des touches. La clarinette est portée par le son du groupe énôôôrme s’en libère, crie au-dessus de lui, s’échafaude sur lui, dedans/ dehors. Batterie et beats techno de Socalled rappellent les mains du public, soutenant un pur solo de clarinette Klezmer, sii n’était ce groove dub de la basse et du clavier, reprend hystériquement la même phrase, reprise en riff par tout l’orchestre, les vagues de fender rhodes soutenant la guitare. Chacun tour à tour apporte son énergie, son groove, sa vague, sa vibe, fait tourner l’ensemble à sa vitesse, dirigeant pour quelques tours ce manège fou.

Krakauer_blue.jpg

C’est au tour du batteur Michael Sarin, jeune batteur familier d’Aaron Alexander de prendre un solo. Son solo commence à la manière progressive d’un Jim Black dans la lenteur, utilisant toutes les résonances des cymbales et des caisses, puis de plus en plus rapide, s’arrête, repart, passe du down-tempo au Breakbeat, à l’electro, au dub. C’est Krakauer qui s’adapte, s’en amuse avec des traits rapides de flûte roumaine, d’appeau, de brin d’herbe, puis à son tour le relance ou l’arrête.

Krakauer_bande.jpg

Le groupe revient avec Socalled, et Krakauer repart à partir de cette énergie collective, de cet apparent n’importe quoi expérimental pour le remettre dans la course folle du Klezmer soutenue par la guitare wah-wah rapide et funky. Un certain Karim est venu de Pau fêter son anniversaire. Bar Mitzvahs, mariages, anniversaires et enterrements ont toujours été la fonction sociale, le lien rattachant depuis l’origine la musique Klezmer dans les villages à son public aux grandes scènes actuelles.

Krakauer_Berlin.jpg

Suit une ballade sublime à la « Yiddische Mama » () sur un piano très proche et mélodique qui reprend ensuite en « Hop Hop », en breakbeat, en funk d’enfer, en Yiddischeploitation avec le public, le peuple. C’est après l’émotion, la fête à tout le monde, aux Jazz Rockeux, aux Hip Hoppeux, aux Electreux libres, au Free Jazzeux en même temps, à la guitare aussi, au rap de Socalled, au Groove et aux absents à travers les samples, et autour du monde sans frontières au Kazatchok, aux cosaques rock, en des développements ancestraux de plus en plus rapides à la Rabbi Jacob, et ça danse toujours pareil côté public.

Krakauer_ombre.jpg

« Pour la femme qui dirige la maison », «Ballabuste» en juif russe, avec à nouveau le petit lutin du diode (tititit) copmme une clavé’lectro, puis Socalled rappe dans la même tonalité avec un tremblement pareil à celui des chœurs de synagogue, sous l’accordéon, lui permettant d’être libre, contemporain, de s’éloigner du Klezmer et d’y retourner à la fin.

Krakauer_Lies.jpg

Vient ensuite un extrait de « Lies My Gramma Told Me », titre de leur dernier album ensemble : « Rumania », chanson sur le paradis roumain : «les saucisses les plus grasses et tu es fou si tu fais l’amour avec ton propre partenaire». Evidemment il n’y a plus de Juifs en Roumanie depuis la Shoah, mais dit Krakauer : « Si l’Histoire est difficile, nous sommes justement très bien placés pour ne jamais vouloir cesser de rêver à ce Paradis Roumain. »

L’humour toujours pour désamorcer la tragédie.

Cela commence avec des scats Yiddisch en « digidigidomda », avec l’intensité Rock de la guitare sur le tempo de «We Will Rock You » de Queen mais déjà utilisé par le Klezmer, et la voix de Socalled retrouvant dans ses tremblements la ferveur et l’émotion des chœurs de synagogue juifs. Au contact des cultures traditionnelles, le rappeur se fait chanteur, « Jewish Cow Boy» musicien et plus seulement voleur de réel, sampler/mixeur, chroniqueur/raconteur par ses onomatopées « Bo Bo Bo ». Puis le tempo se fait de plus en plus rapide, Socalled donne de la voix face au public, dansant, frappant, délirant, suant, provoquant des « té té té » tziganes extatiques, avant la fin de cette « Rumania » plus tragique.

Krakauer_duduk.jpg

En solo, la clarinette seule retrouve le bois originel, roseau de la flûte et du duduk, l’eau du fleuve qui s’enfle d’un tremblement énorme, polissant, dissonant, forgeant une mélodie peu à peu au rythme de ses trous, laissant jouer jusqu’à ses clés, trouvant des puissances cuivrées de saxophone, se colletant avec le thème, le perdant pour le retrouver, y trouvant une flûte insoupçonnée, les autres peu à peu viennent en fond sonore presque inaudible. Puis soudain ou peu à peu, le discours se fait moins soliste, plus rythmé, rejoint la folie d’un Dave Tarras ou d’un Naphtule Brandwein, retrouve le son du bonheur et de la joie, et les autres arrivent en rythmique, très vite, pour une course folle ou ska à la Brandwein encore plus libre, plus puissant, plus fort. Le public devient celui d’une bar-mitzvah. La clarinette tient la note jusqu’à la chute Rock finale.

Krakauer_crie.jpg

Le Bis s’annonce Electro-Jazz Klezmerisé, avec un sample de voix féminine sur laquelle joue la clarinette, puis les beats de Socalled permettant au batteur d’aller à contretemps.

Et soudain tout n’est plus qu’un grand magma d’énergie tonique qui crie, abouah avec la guitare, tape frappe, beate, rocke, funke et groove! puis tout se ralentit en un tempo lutin, le clavier retrouve ses touches noires et blanches, la batterie sa cymbale. Deux, trois coups de langue, de souffle dans la clarinette et ça repart en diable, Klezmer cette fois, refaisant le chemin à l’envers de la modernité vers la tradition intensifiée, et à nouveau de plus en plus fort, de plus en plus vite, jusqu’aux coups de boutoir du Rock.

Krakauer_Socalled_long.jpg

« DAVID ! DAVID ! » crie le public l’appelant comme une Rock-Star. Krakauer et Socalled le thème des « Poulets», composés ensemble pour le « Cuirassier Potemkine » d’Eisenstein. Krakauer accélère le tempo pour les autres d’un moulinet du poing à la ronde folle d’un autre thème.

Krakauer_studio.jpg

David Krakauer a prouvé par cette modernisation du Klezmer en en gardant l’aspecty festif et social et la tradition qu’il était une musique vivante et actuelle, pas une pièce de musée.

Jean Daniel BURKHARDT