« L’Orchestre Du Mouvement Perpétuel» (OMP) de Bruxelles était déjà venu aux Nuits Européennes en 2005 dans une spéciale Belgique et Pays-Bas.

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Il est né de la rencontre improbable du chanteur Peter Bultink, chanteur flamand Ostendais à la voix cassée d’écorché vif rappelant Arno et à la poésie surréaliste et du pianiste argentin Alessandro Petrasso, entre Electro Groove, chanson et énergie Rock scénique.

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En 2007, ils ont enregistré « The All And Nothing Show » produit par le pianiste et claviériste Serge Feys (T.C. Matic, Arno) présent ce soir et Marcus Weymare à la batterie (Maurane, Sttellla…) complétant cet Orchestre décidément « Du Mouvement Perpétuel » aussi pour ce qui est de son personnel.

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Le concert commence avec les boucles des samplers et un piano à la fois libre et dramatique sur le batteur muni d’écouteurs, derrière une basse electro groove obsessionnelle (Mirko Banovic, bassiste d’Alain Bashung, a participé à l’album) puis arrive Peter Bultink, en chemise et jean noirs, déclamant les paroles de la chanson "Le Mouvement Perpétuel II" qui donne son nom au groupe, sa dimension temporelle et cosmique « Des ombres passent le jour, des ombres passent la nuit ». En effet il y a un côté autoroute nocturne dans ces lignes de basse répétitives, hypnotiques, au "mouvement perpétuel". Le piano est Jazzy sur la batterie qui tape de plus en plus fort, se rapprochant du paroxysme d’une intensité Rock. Bultink est campé sur ses deux jambes et à la fois fragile, comme échoué là. Ces textes surréalistes font défiler mots et concepts comme pour en trahir le manque, l’absence à notre époque : « La sagesse…la richesse, la pauvreté », la vanité, la relativité peut-être pour cacher le vide qu’elles cachent. Le clavier se fait apocalyptique, hûûûrle jusqu’à un piano en descentes décadentes qui peu à peu s’assourdit, se tait. Mouvement_declame.jpg

« Nous sommes L’Orchestre Du Mouvement Perpétuel de Bruxelles » présente Bultink avec cette pointe de saveur marine, salée, traînant sur les landes du Plat Pays qui est le sien dans son accent belge. Sur d’autres grandes orgues électroniques et la batterie en groove latin, Bultink énonce "What Goes Up Must Come Down", énumération où la « vertu » rencontre Ziggy Stardust de Bowie et The Stooges d'Iggy Pop dont on reconnaît en sous-main le riff d'I Wanna Be Your Dog" (figurants, pantins, moins que riens et pour cela prêts à tout du Rock'N'Roll), Melody Nelson et Homère, puis mime soudain un soldat de plomb anglais au garde-à-vous marchant au pas en sifflant ridiculement le thème martial de Barry Lindon partant au combat sur un tambour-major de guerre. Mais la lutte, le nerf de la guerre, aujourd’hui, ce n’est plus tant le territoire que l’argent « l’économie » comme le rappelle le texte. Longiligne mais agile, Bultink danse sur les accords du piano, jetant son pied derrière son autre jambe en une carmagnole révoltée, survoltée, puis chante en anglais « The All Or Nothing Show » qui donne son titre à leur album.

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Les synthés se font exotiques pour "Petit Con". Beltink, de dos, roule des fesses, décrit une charade en abîme qui se termine par le constat, crié : « Je suis un petit con », répété plusieurs fois en se caressant sur un orgue devenant electro, puis de plus en plus saturé de guitares.

Il a le charisme d’un Arno, mais crâne rasé, donc moins en cheveux qu’Arno, moins lourd, statique comme à la renverse, plus félin et souple, plus jeune aussi, ça aide.

Le clavier a des ralentis d’orgue, des dérapages contrôlés suivant la batterie motrice, puis le piano se fait groovy, martelé dans les basses, sur le break beat de la batterie drum’n’bass.

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Arrive un «Tango Moderne», "Tango Pour Maman" aux beats tango electro, au texte absurde « Oh regarde Maman, c’que j’peux faire.. : marcher sur ka tête/ Mettre l’univers à l’envers ». Le piano en effet y retrouve le tango de Petrasso dans son solo sur la batterie. Depuis « Dans les yeux de ma mère il y a toujours la lumière» d’Arno on sait les belges attachés à leur mère.

Il y a dans la puissance vocale de Peter Bultink quelque chose d’ado Rock à la Louise Attaque dans les aigues, mais étouffé de ne point éclater, avec aussi des accents de Jacques Brel.

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Suit une magnifique réécriture du « Chelsea Hotel », dédié à Janis Joplin par Léonard Cohen en souvenir d’une nuit passée ensemble à sa mort. devenu ici un « Hôtel Bruxellois». La traduction est magnifique de simplicité et l’émotion palpable dans la voix. Bultink a trouvé les mots équivalents pour rendre le sens, mais en respectant le phrasé des vers, ce qui est plus difficile pour une langue aussi rythmique et courte que l’anglais, par rapport à la syntaxe plus astreignante du français. En fait il rallonge les vers d’un talk-over à peine chanté à la manière de Cohen, et même ses «J’ai besoin de toi/ Je n’ai pas besoin de toi » semblent pouvoir égaler les « I neeed you/ I don’t neeed you » de Janis dans l’original. Pendant le beau solo de piano, Bultink semble essuyer une larme, sa sueur ou une larme d’acteur de Cohen, quand on ne sait plus si la sincérité est vécue ou celle de l’art. « Une étoile brille / Et puis elle disparaît. » « Je ne pense plus vraiment à toi » ;

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Ils continuent avec un tempo sourd de la batterie sur le clavier léger, accompagnant un "Poème Invalide" une autre énumération par le vide, sur un texte de Robert Fillou: « Il me manque un lit, un ami…un oiseau, un chapeau », puis de plus en plus social ("un lit, un repas") puis sentimental au constat "C'est toi qui me manques". Le texte touche l’essentiel, l’essence des choses par sa simplicité poussée jusqu’à l’absurde ou à un matérialisme désespéré : « Il me manque un saxo » sur des claviers saturés, comme liquides, venteux, maritimes, glauques, aux sables émouvants d’un Robert Wyatt dans «Sea Song» dans « Rock Bottom», puis plus clair sur une batterie plutôt Rock, obsessionnelle, puis le clavier se fait ritournelle sur les cymbales, se perd dans le silence.

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« Vous aimez le Rock’&’Roll aussi ? C’est très comique quand on chante en anglais. Quand Kurt Cobain chante que dans le noir on a moins peur, moi j’ai toujours envie d’allumer la lumière. » C’est "Little Birds", une relique de la première période Rock en Anglais de Bultink, au titre toujours aussi poétique, limpide et décalé, musical : « Little birds don’t use words. They just whistle to be heard». (Les petits oiseaux n’utilisent pas de mots. Ils sifflent juste pour être entendus).

Ceci sur une batterie de plus en plus violente, mais d’une violence tournée vers l’intérieur, molle, assourdie, à la Joy Division. Bultink danse une Moonwalk tordue, , slamme son Rock sur le clavier, danse le Rock d’une jambe sur l’autre, avec une présence à la Clash/ Wave, et soudain s’illumine d’un sourire démoniaque, Raspoutine, en se baissant sur la fin.

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Suit "Les Pas Perdus", une ballade sur « le temps perdu dans la salle des pas perdus». Le piano discret mais angoissant donne une atmosphère à la Jean Guidoni «les jours dans Paris où y’a un climat … à s’faire sauter la pompe à vie », mais chez Bultink il y a plus d’ironie que de tragique, puis cela part sur la batterie et la basse groove. Quelque chose se passe dans la salle des pas perdus, quelque chose tombe, en vrac, en foule ou tout seul, retombe encore sur la batterie et meurt sur les dernières notes de piano.

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Le prochain est « dédié à tous les hommes politiques de Belgique des deux dernières années.» On connaît tous la charade « J’en marre, marabout, boutd’ficelle, selle de ch’val », alors évidemment on rit de l’usage non conventionnel fait de cette comptine enfantine qui n’a jamais été aussi contestataire. Bultink commence « J’en ai marre des désespoirs, des détraqués », puis crie le refrain « J’EN AI MARRE, MARABOUT, etc… »avec un côté déjanté à la Plastic Bertrand. Le second couple fustige les polit-isme en tous genre, et finit pour ses soigner par : «Deux sessions chez mon psychiatre thérapeutique. »

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«Tout à l’heure c’était le Rock, maintenant reste le Roll. Tout à l’heure on va mettre les deux ensemble. Le Rock’N’Roll dans les années 30s, c’était l’éternel féminin. Vous pouvez le danser comme ça »(en ondulant du bassin). « On a une petite chienne », chante Bultink sur le clavier Rock, la batterie Rock, avec un phrasé Rap pour cette connerie Rock. La connerie adolescente et le sexe ont toujours été un élément essentiel du Rock’N’Roll d’Elvis Presley aux Rolling Stones, aux Who qui continuent de chanter en bégayant « Hope I’ll Die Before Get Old », Roger Daltrey étant certes concurrencé sur ce point par une chorale de plus vieux encore, aux BB Brunes aujourd’hui. « Je bois du whisky ». L’alcool aussi, c’est vrai, j’oubliais. Le clavier est hard, trash, le piano bondissant, obsessionnellement désintégré, la batterie toujours l’élément Rock et Bultink danse comme un adolescent.

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La « dernière chanson » est « Le Général XL », que je connaissais depuis leur premier passage en 2005. Elle est prise sur un tempo Techno Rock par la batterie. Ce général X «vit à Bruxelles / Danse toutes les nuits avec des noirs (…) a tous les atouts pour gâcher votre vie, /Souffre de l’humour et de ses séquelles. » Probablement est-il un vétéran des guerres coloniales du Congo belge. .Avec ces mots choisis, la critique est plus efficace qu’un antimilitarisme primaire par la réflexion à laquelle nous oblige la fausse candeur, l’innocence apparente des propos sans outrance , comme si c’était normal, si ledit général n’avait rien à se reprocher. La rage de Bultink se concentre surtout dans les rimes de cet exercice en «-elles». Après un clavier trash, le piano cite « Tequila » pour accompagner les libations du Général qui « (…) ne peut jamais passer à côté de l’essentiel. ». Bultink danse d’un pied sur l’autre sur le devant de la scène.

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Bis : « En Flandres y’a des stars. Moi j’aime pas les stars. Je préfère Skippy le Kangourou, une star mondialement connue. Il est gentil, il aide les gens dans la merde et trouve des solutions. J’ai donc décidé d’écrire une hymne à Skippy qui s’appelle SKIPPY. » Sous le tempo fort, inquiétant de la batterie, clavier et piano semblent retrouver l’innocence de l’enfance sur cette chanson en anglais (Skippy est Australien). Bultink danse au bord de la scène sur le clavier groove/wave et soudain : «Le voilà il est là avec ses yeux d’enfant… », saute à pieds joints pour incarner ce kangourou sur le refrain enfantin du clavier.

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Second Bis : « J’ai toujours été fasciné par les régions frontalières comme l’Alsace et Strasbourg. Il y a un artiste en Allemagne : il s’appelle Stéphane Eicher. J’offre notre CD à la personne qui pourra me dire en quelle année il a enregistré « Eisbaer » avec son groupe Grauzone». J’ai gagné le CD tout à fait par hasard en criant toutes les années 80s, donc je n’ai aucun mérite : 1981. Cette chanson me dit vaguement quelque chose et j’ai dû déjà l’entendre, et ne la trouve pas si mal (et je suis loin d’être un fan des années 80s !) dans le genre electronica wave bruitiste avec son solo de saxophone quasi free.

« Tout le monde debout, le Rock’N’Roll, c’est dans les hanches, pas dans la tête!» Après les vents hurlants sur la banquise, la batterie prend deux temps sur la cymbale charley : «Ich möchte ein eisbaer sein », avec un côté presque Kraftwerk dans les claviers electro. « Eisbaeren mûssen nie weinen » : il veut être un ours polaire pour ne plus pleurer ! Aujourd’hui les ours polaires et les icebergs souffrent du réchauffement clmimatique. Les claviers entrechoquent des icebergs, hurlent avec les baleines autour de lui. Les petites diodes aigues de l’original sont remplacées par des « tililtiti tilititi » de Bultink.

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Serge Feys, pianiste d’Arno, était déjà celui du groupe TC Matic dont Arno était le chanteur. A ce titre, il termine ce Bis très Européen par la plus Européenne de leurs chansons : « Putain, putain c’est vachement bien, nous sommes quand même tous des Européens! »

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Bref, cette deuxième partie nous a recentrés vers l’Europe dans sa diversité.

Jean Daniel BURKHARDT