Le groupe "free post-trad" IvRim, (les passeurs en hébreu, peut-être ceux de la musique Klezmer dans le XXIème siècle électrique) composé de Lior Blindermann à l’oud électrique, Vincent Posty à la contrebasse, a été d’abord « trio fretless à coulisse » avec Jean Lucas au trombone puis à accordéon avec Yves Weyh, et pour l’occasion Pascal Gully à la batterie en remplacement de Fabien Guyot, percussionniste adepte des casseroles diverse, trop occupé, tous trois membres du groupe Zakarya (qui a sorti le 28 octobre son quatrième album « The True Story Concerning Martin Behaim » , premier groupe français produit par le label Tzadik de John Zorn), présentait hier soir le 10 février son premier disque à la Bibliothèque Municipale, cocluant la semaine de concerts « Musiciens d’ici, Musiques d’ailleurs ».

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Pascal Gully a une frappe plus Rock que Guyot, mais on retrouve dès « Tik Tak » d’Yves Weyh le comique ambulatoire et l’humour juif grinçant de Zakarya dans ce klezmer modernisé façon destroy par l’oud électrique sur la basse de Posty. «C’est une double première ce soir : la première fois que nous jouons avec Pascal Gully à la batterie, et la sortie de notre premier album », explique Lior Blindermann.

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Suit la composition de Lior Blindermann qui ouvre l’album, « Otraquellos ». Après un début de l’oud très oriental, l’accordéon sinueux s’insinue comme un serpent dans le groove dans un style Tzigane de banquet, puis ils reviennent au thème avant le solo d‘oud sur la frappe de Gully qui monte vers les cymbales.

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Suit une composition de Vincent Posty, « Twist » avec un son plus rock de Gully rappelant par ses montées celle mémorable de « Tout va bien pour Monsieur Jacques » sur le premier album de Zakarya sur « un président européen qui aurait profité électoralement des voix de l’Extrême-Droite tout en la condamnant officiellement », et ne s’était pas encore fait réélire par ce moyen en 2002 à cette époque ! L’oud à un son plus Rock, électrique, saturé d’effets de distorsion, avec des riffs ravageurs et le solo d’accordéon. IvRim adapte avec succès tous les genres à son style avec une énergie rythmique forte et beaucoup d’humour et d’originalité.

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« Mi Son » est une composition de Lior Blindermann à prendre dans les deux langues, puisque c’est un Son’ Cubain dédié à son fils («son» en anglais). L’oud y est plus grave, acoustique, en mode lent. L’accordéon part en ska, en reggae, et l’oud petit à petit joue de plus en plus rapide et finit en électrique dans l’aigu à la Arsénio Rodriguès, passé du très à la guitare électrique. S’il l’amplification n’était pas prévue pour cet instrument, l’oud électrique a le vent en poupe en ce moment, avec notamment le duo Duoud de Smadj et Mehdi Haddad.

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« Beep Beep » de Lior Blindermann, révéle son goût pour les musiques urbaines plus modernes comme le Hip Hop, avec des beats de la batterie plus industriels sur la basse et des entrelacs entre oud et accordéon. Le thème est plus comique, le jeu plus resserré, puis vient le solo d’oud électrique zébrant l’espace de ses déflagrations. Soudain la basse part en live sur l’accordéon, dont la batterie frappée en sourdine de Gully soutient les volutes, puis frappe de plus en plus fort, à la Jim Black (en concert avec son quartet AlasNoAxis au Cheval Blanc de Schiltigheim le mardi 10 mars prochain à 20 h 30).

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Suit un thème qui n’est pas sur le disque, « une terreur d’enfant sans papier de Sangatte au milieu des chiens », avec l’archet contemporain inquiétant de Vincent Posty à la contrebasse, presque classique, baroque, magnifique de profondeur, puis les coups de l’oud en mode lent, plus lyrique et orientalisant sur la frappe fine de Pascal Gully (qui a fait aussi partie d’un groupe Gnawa, MOGO, qui joua avec des musiciens de Tanger et les ramena à Strasbourg à Jazzdor). L’oud tremble de toutes ses cordes sur les soufflets courts de l’accordéon et l’archet de la contrebasse, puis se fait de plus en plus dramatique, rythmique, rapide sur la batterie de plus en plus rock, et finit en oud saturé sur l’accordéon.

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Suit un « Paso A…» de Vincent Posty, « adepte des styles anciens », mais que le groupe modernise toujours à sa sauce. Ici le tempo de ce paso doble est comique sur l’oud électrique aigu, jeté, puis à la vibration électrique samplée en écho sur le bourdon de la basse, accompagnant d’un bruit de fond ambiant le solo d’oud acoustique, ce qui semble amuser Pascal Gully qui repart en paso sur la batterie, sur le pizzicato de la basse, à nouveau brouillé par l’oud électrique qui a oublié la nostalgie des chevaux des steppes pour chevaucher les chevaux électriques.

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Une autre composition inédite de Vincent Posty, «Tribute to Michel» expérimente l’improvisation électro-acoustique bruitiste, avec Pascal Gully manipulant divers objets à la Paul Lovens avec des crissements/raclements sur les toms. L’oud est utilisé à l’horizontale, lui aussi « préparé » à la John Cage et Lior y fait glisser des objets sur les cordes. Mais bientôt l’accordéon d’Yves Weyh énonce un semblant de thème, de forme. Fausse alerte, puis il construit le thème avec l’oud électrique quasiment trash et les coups de boutoir de la batterie de plus en plus violente. Si le début peut sembler discutable aux non-initiés, assister ainsi à la formation progressive du thème, de la forme, du sens en quelque sorte, à partir de rien, du bruit abstrait du big bang ou du magma sonore a pour moi toujours l’émotion d’un miracle, d’un « fiat lux » (« et la lumière fu »), de la lumière jaillissant des ténèbres.

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Suit « Cafe Fuentes » d’Yves Weyh, d’après un bistrot de Tanger , avec l’oud électrique rock sur l’accordéon comique.

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En Bis, on découvre une autre composition inédite qui rappelle les autres activités de Lior Blindermann au sein de Maliétès avec son air mélancolque de Rebetiko Grec ou de taverne turque, mais brouillé par la basse enbrouet de cordes, le soufflet d’accordéon et ses cavalcades.

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Bref, achetez l’album ou allez voir et entendre IvRim sur scène : leur traitement moderne "free post-trad" de genres anciens venus du monde entier est inimitable et unique, déopassant es barrières géogphiques et sylistiques.

Jean Daniel BURKHARDT