Autrefois, les Touaregs vivaient librement dans le désert du Sahara. Leurs caravanes transportaient à dos de chameaux le sel de la Méditerranée qu'ils échangeaient en Chine contre le thé vert, puis repartaient échanger ce thé contre le sel sur la Côte. Hélas, après le Sahara fut partagé lors de la colonisation pour des raisons économiques et géopolitiques par les états Européens entre le nord du Mali, le Niger et le Burkina Faso, frontières pour eux obsolètes car leur vrai pays est le désert qu'ils voulaient continuer à parcourir librement. Au début des années 60, ils refusèrent en vain d'être rattachés au Mali et au Niger.

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La décolonisation de ces pays acheva de les priver de toute indépendance, leur désert étant partagé entre différents états et la politique répressive du Mali et du Niger radicalisa leur lutte. Dans les années 70s et 80s, sècheresse et famine les forceront à s'exiler vers le sud de l'Algérie et la Libye. On appelait alors "Ishumar" (du français "chômeur") les jeunes touaregs errant de ville en ville en quête de travail, loin de leur famille. De 1990 à 1992, le Front Touareg lancera une offensive sur le nord du Mali et du Niger, conflit qui se termine en 1992 au Mali et 1995 au Niger par la démocratisation des régimes. Le Colonel Khadafi leur fournira des armes automatiques, et ils découvriront également la guitare électrique adoptée par les groupes de Blues Touaregs, comme le premier d'entre eux, Tinariwen, monté autour d'Intidyeden et Ibrahim Abaraybone.

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Toumast s'est créé dans les années 90s autour de Moussa Ag Keyna, qui, grièvement blessé après des années de lutte et de maquis, est évacué en France et bientôt rejoint par sa cousine Aminitou Goumar. C’est la rencontre avec le compositeur, arrangeur et réalisateur Dan Levy (basse électrique, claviers et saxophone) qui permet l'enregistrement en 2006 de leur premier album "Ishumar". Le style de ce nouveau groupe Touareg est plus funky, plus Rock, moins Blues que celui de Tinariwen, et rajoutant les avancées technologiques de légers effets électroniques.

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Conviviale, La Salle Du Cercle de Bischeim proposait à l’entrée un thé à la menthe gratuit, que je qualifierai selon le rituel Touareg auquel m’avaient initiés des amis à leur retour du Niger en 1996 de « doux comme la vie » (le contraire étant « amer comme la mort » quand le thé est très foncé, puis « tendre comme l’amour »), peut-être parce que très passé et donc très clair, à cause de l’heure tardive.

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Moussa Ag Keyna entre sur scène, d’abord seul, vêtu du costume traditionnel noir noué derrière sa tête, qu’on pourrait croire trop chaud pour la scène et ses projecteurs, mais qui dans le désert protège autant des chaleurs du soleil ardent qu’il ne laisse pas traverser que de la froideur des nuits. Il chante le blues le plus dépouillé de l’album, « Ezereff », où il dit que tout ce qu’il désire est d’attacher ses chevreaux et seller son chameau Ezereff, pour rejoindre sa bien-aimée dont parlent même les marabouts, nostalgie de la vie simple des Touaregs. Ses doigts égrènent les cordes de sa guitare comme les perles d’un chapelet.

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Aminitou Goumar entre, accompagnée d’un percussionniste Touareg, d’un batteur qui semble français et Dan Levy à la basse électrique. Aminitou Goumar joue également de la guitare, chante la seconde voix féminine et ponctue les chansons de youyous linguaux, se lançant dans le premier titre de leur album, « Kalane Walegh », un blues funky, plus rapide que sur le disque, presque hard, et avec une puissance rythmique supérieure et plus prolongée, le petit riff aigu et répétitif arrivant beaucoup plus tardivement dans le solo, évoquant souvent celui de Jimi Hendrix dans « Gipsy Eyes ». Moussa semble héler ses musiciens de la main, comme pour guider une caravane dans le désert.

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Sa première intervention en français évoque la « joie d’être un homme libre, la peine de devoir se battre pour cette liberté qui ne peut nous être ôtée ». Il parle français, mais avec un accent traînant qui donne à ses mots une musicalité particulière Chez les Touaregs, explique-t-il, il n’y a pas de musique de marabout, toute la musique est prétexte à la danse, comme une invitation du public à la danse. Le deuxième titre de l’album, « Tallyatt Idagh », est d’ailleurs dansé par Aminitou tout d'abord, avec ses bras comme des vagues brassées, puis avec le percussionniste, passé aux congas et en tirant des rebonds presque dub, entre le riff puissant appelant à la transe et les youyous la prolongeant de l’énergie collective des mariages et des feux de campements en plein désert. Elle semble beaucoup plus jeune en live que sur les photos, quand son sourire joyeux illumine la scène, mais son regard à la lucidité de ce qu’elle a dû voir et vivre.

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Dans « Dounia », blues sur deux temps, on croit entendre des mots en français « je te connais », mais qui ne correspondent à rien au vu de la traduction. La batterie utilise un effet cowbell entrecoupé de roulements rock. Aminitou a les cheveux libres sous son châle qui tombe sur ses épaules quand elle danse, et qu’elle ne remet qu’entre deux chansons, preuve de cette liberté morale Touarègue où il n’est que décoratif. Elle invite le public à entrer dans la transe en tapant des mains. Les harmonies vocales nous emmènent dans le désert touareg, ou chez les gnawas marocains sur les rythmes des petites cymbales à mains appelées karkabou ou crotales jouées par le percussionniste. Cette chanson est la plus proche du blues tribal initié par Tinariwen.

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Suit une chanson plus traditionnelle, introduite par Moussa expliquant que chez les Touaregs, seules les femmes faisaient de la musique à l’origine, les hommes ne l’ont pratiquée qu’avec l’ouverture au monde de la lutte et la découverte des guitares électriques.

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Quant aux « chameaux, ils ne sont pas venus, ils ne savent pas nager ». Comme en plein désert, autour du feu, Aminitou, s’assied sur la scène avec une percussion en cercle avec le percussionniste et chante un chant traditionnel qui ne semble pas sur l’album, pendant que le public tape dans ses mains comme autour de ce campement touareg simulé symboliquement, mais qui suffit par son souvenir, à faire danser Moussa. Le solo de basse psyché accroît l’impression de mirage.

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Après beaucoup d’autres chansons et deux bis, achevant de faire danser un public ravi dont un garçon qui s’était noué un turban émeraude à la touarègue, ils repartirent vers de nouvelles aventures. Pas très buiseness, plutôt débrouille: "pour le disque, tu vas chez le marchand, et pour le site tu tapes Toumast... dans l'ordinateur central". Pour ceux que ça intéresse, comprenez qu'ils ont un site officiel et un "My Space".

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Jean Daniel BURKHARDT