Eva ( Linder expose depuis hier et jusqu’au 28 avril 2016 « Souffle Rouge », une série de nouvelles toiles à la Salle Blanche de la Librairie Kleber!
Hier elle présentait le vernissage, rappelant le mot de Matisse « On devrait couper la langue des peintres. » Pour éviter toute interprétation préconçue, tout message autre que formel je suppose ! Elle a cependant dit l’importance pour elle de la « Rencontre» et remercie entre autres « sa fée Morgane ». et on peut voir ici Eva Linder et Helga Finter LOUY, "la plus belle bibliothèque de sorcières que je connaisse à Strasbourg ,à savoir d artistes peintres ,écrivains,philosophes ,sombrement méconnues mais là précieusement vivantes ,trésors d Helga ! »
L’exposition débute par « Mercure » dont la forme ovale me rappelle le sourire solaire d’un tableau de Dubuffet, mais avec des pieds de tabouret ou guéridon sur fond d’ivoire à tache rouge. A propos de sa peinture, Eva Linder écrit : «LA TOILE EST OUVERTE POUR CAUSE DE BLANCHEUR, déjà j'entends la musique des formes et couleurs à venir. »
L’éponyme « Souffle Rouge » qui donne son nom à l’exposition a un pied immergé dans ce flot rouge, pilotis rongé par l’usure, l’érosion ou la mâchoire circulaire d’un animal.
L’horizon est blanc comme un ciel africain et laisse affleurer, émerger une pierre polie ou une tortue.
Eva Linder écrit sur la musicalité de son travail : « La notion de paysage sonore ou partitions colorées est indissociable de mon travail.»
C’est pourtant une « Nature Silencieuse » que propose la toile suivante au vert symbolisant pour elle son enfance : « Je vois une toile nouvelle chaque jour, je veux qu'elle soit l'oubli de toutes les autres jusqu ici et qu'elle soit pourtant comme son point culminant, en quelque sorte le sommet d'une montagne, de ses piémonts rouges et même jusqu'à cette vallée vert-obscur où l'enfant que j'étais allait a l'aventure de ses premiers pas ». Ce vert me paraît ici coussin moelleux, comme de la mousse sur fond rouge où reposer la tête pour rêver à cette enfance, se souvenir de ce vert obscur sur fond de rouges piémonts.
« Naturellement naissent des séries :"repères mobiles de l'imaginaire" ,"géographie d'échos" ...Autant de territoires de la mémoire orchestrés entre APPARITION - ABSENCE - BRUIT - SILENCE. »
Eva Linder a continué ses « Repères mobiles de l’imaginaire », en propose ici 4 petits.
Celui du bas, est un carré rouge sur fond rouge, comme le « Carré Blanc sur Fond Blanc » de Mondrian, propose le Rouge absolu et pour lui-même, juste le rouge sur la matière organique de la toile dont on devine encore la trame tissée de près en s’approchant. Mais le rouge a une chaleur et une sensualité, un impact visuel et presque sonore, provoque une brûlure émotionnelle que le blanc monastique n’offre pas.
Si « Tout se joue dans les transparences et opacités de la matière.Tout se joue dans la patience des glacis. » On en a ici deux exemples entre ce Rouge et le Blanc qui suit.
Cet autre « Repère mobile de l’imagine » ci-dessous en haut propose un blanc ivoire (qui pour Eva Linder est «le souffle, l’espace ») mais cette fois pas uniforme, on y distingue une ligne de flottaison, la trace d’un horizon, une ligne de partage entre blanc et blanc cassé, jaune, beige, ivoire, le blanc n’est pas simple et n’est pas absence de couleur mais nuances. Une sorte d’œuf allongé, carré, dont on ne verrait que l’intérieur, par couches, strates.
«Les tensions orageuses et éclats lumineux organisent des passages où toutes mes toiles dialoguent entre elles. »
Pour illustrer ce conflit, le blanc et le rouge, quand ils se rencontrent dans la toile d’Eva Linder ci dessus, se télescopent comme des contraires inconciliables : le blanc se solidifie en marbre sculptural, le rouge se place en fond vital au satin plus soyeux et devant cette confrontation, l’ombre d’une silhouette abstraite noire se profile comme pour proposer un autre contraste encore.
« Chacun de mes tableaux est à la fois sujet et objet, chaque peinture voudrait rendre visible le souffle profond de l'espace et du temps. » écrit Eva Linder.
Le tableau suivant a une rondeur de paillote, la douceur d’un panier tressé de blancs et verts, la nasse dans l’eau d’un chercheur de diamants ou d’un pêcheur qui aurait trouvé un rubis rouge orangé rutilant.
A côté, sur la bordure des taches rouges semblent des visages enfantins soufflent ce souffle rouge.
« Strasbourg » ci-dessous est une rive de fleuve rouge, la ville étant entourée d’eau. Quelque chose affleure, émerge comme une roche, la nage d’un ragondin et au dessus on devine la rive praticable et même des escaliers L’artiste ne donne aucune précision géographique, mais je pense aux rives face aux Pontonniers où l’Ill est accessible aux passants et promeneurs.
Eva Linder « construit "d'immédiates périphéries" où le spectateur dans sa vision peut à son tour en construire le contenu symbolique qu'il souhaite.» Dans une nouvelle « Géographie d’Echo » je suis donc libre de voir un loup, renard ou lynx abstrait à l’oreille ronde sur le noir et blanc, son pelage tacheté à la Sisley ou Seurat par petites touches chromatiques minutieuses lui faisant la peau d’un léopard et au bas peut-être son sexe s’il avait forme humaine et au centre un mobile rouge où pendrait un rubis.
On retrouve aussi une autre série d’Eva Linder, les « Humanités », collage offrant une plongée dans l’ombre verte sur fond bordeaux vers le rouge et le tacheté, en équilibre sur une pierre bordeaux.
Autre « Humanités » dont je me souviens au Centre Culturel Alsacien, portique composé d’église universelle minutieusement si l’on y regarde de près de peuples ou de runes hiéroglyphes tracées par des scribes magiques. Et devant sur le parvis la foule de minuscules en multitude s’embrasant de ferveurs orangées, révolutionnaires ?
Dans un « Sans Titre » je crois reconnaître la « Banane » dessinée par Warhol pour le premier album du Velvet Underground. Il avait la banane Andy, il souriait avant le Split. Puis comme dans une de ses répétitions parodiant la publicité la banane plonge dans le rouge altéré de blanc par la forme!
Eva Linder écrit «Mes compositions sont rigoureusement et vite tracées, sans repentir » Ainsi dans un autre « Sans Titre », l’acte a tracé une crènelure à forme de banane, griffé la toile d’un geste hyperbolique au dessus d’une porte rose où est assis un abstrait chenu portant un fez rouge.
Ainsi « Le geste lent et minutieux dévoile toutes les subtilités de tons, accords et dissonances des rythmes chromatiques.» « Equilibre » est une construction de blanc ivoire, os de diplodocus, lance de Masaï ou défense d’éléphant aux reflets bleutés érigeant sa verticalité, ici l’avant dernière de gauche à droite.
« Altérité » termine cette exposition par une dernière variation sur le rouge, incandescence tempérée d’effets, de traînées l’atténuant, d’éclaircies sous la pluie rouge du pinceau faisant apparaître des reliefs dans cette uniformité.
Jean Daniel BURKHARDT
Photos des Oeuvres: Michel Fritz (DNA) et Nicolas Rosès