Né à Tuléar à Madagascar en 1959, Régis Gizavo est un accordéoniste original qui joue tous les styles, après avoir adapté pour son instrument le rythme traditionnel « renitra » de son île. Passionné de rencontres, il a joué avec énormément de musiciens, et après son premier album « Mikéa » (ethnie vivant de chasse et de pêche) en 1995, puis « Saly Olombelo » où il aborde les questions d’écologie en 2000, son dernier album « Stories » l’a vu collaborer avec le guitariste Sud-Africain Louis Mhlanga et le batteur et percussionniste David Mirandon, qui l’accompagne ici sur scène.

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Autre rencontre plein Sud, hier soir, invité à une Carte Blanche par le Printemps des Bretelles, festival d’accordéons d’Illkirch, il a invité deux accordéonistes à le rejoindre : l’argentin Raul Barboza, italo-guarani spécialiste du Chamamé, et le Réunionnais René Lacaille , .qui vient de sortir « Cordéon Kameleon », un double album de belles rencontres musicales avec Denis Péan, Loïc Lantoite ou André Minvielle et des versions instrumentales.

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Dès la première chanson en solo, Régis Gizavo se montre un chanteur puissant et émouvant, plus doux ou profond dans le final plus proche du micro, semblant appeler les esprits vaudous dont il a expérimenté les vertus thérapeutiques des musiques de transes depuis son enfance, dans cette langue malgache en plus d’un accordéoniste talentueux, lance une jambe en avant, un des soufflets assurant la rythmique de l’autre et inversement.

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Arrivent ses complices : le batteur/percussionniste David Mirandon (batterie, congas) qui l’accompagne de longue date, et un guitariste capable de jouer boogie, Jazz manouche, créole, ou reggae.

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Gizavo prévient « Normalement je parle beaucoup, mais là on n’a pas le temps, alors je vais plutôt jouer». Mirandon ajoute à la musique la modernité percussive des roulements Rock aux congas latines, ou des percussions à graines, avec une présence constante quoique discrète.

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Gizavo dit avec humour « Je chante en malgache, mais je vis la même chose que lundi, mardi, mercredi, jeudi , vendredi…samedi c’est différent. »

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Il a intégré ses voyages musicaux, ses rencontres, dans son style, son répertoire, dédie « une pensée pour le Brésil » ou il a joué avec Lenine en Forro de Luis Gonzaga du Nordeste modernisé par la guitare funk, la batterie Rock et les congas à mains nues.

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Suit « Eka Lahy » (fausses Promesses), sa chanson la plus rythmée de « Stories » sur un tempo chaloupé à la cajun mais pêchu.

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Mais « il est 21 heures, on doit jouer deux fois plus vite » Justement on aborde la Louisiane avec une chanson « Zydequiste, même s’ils ont pas beaucoup de kystes » en style Zydeco (prononcer « z’haricots » pour le tube de Clifton Chénier « z’haricots sont pas salés », les haricots rouges en temps de misère étant consommés sans sauce , donc sans sel) avec une guitare Boogie.

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Dans la chanson suivante, Gizavo crie dans l’aigu pour évoquer les victimes des voleurs de bétail malgache (« Y’a des malgaches et des malgâchés »).

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Commencent les effets d’annonce sur ses deux invités « Ils vont venir…arriver… c’est imminent » avant une sorte de Forro /Zydéco / pop . j’ignore s’il a enregistré tout ce répertoire varié sur ses disques ou s’il est inédit, voire improvisé, adapté.

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Arrivent à 21 h 30 le grand indien guarani aux cheveux blancs Raul Barboza et le Réunionnais René Lacaille. Pour se mettre à leur niveau, Gizavo change son tabouret haut perché pour une chaise.

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Barboza commence avec quelques phrases de chamamé, auxquelles les deux autres répondent en gardant leur style malgache ou réunionnais. Chacun tour à tour commence ou finit les phrases de l’autre puis repartent ensemble sur le rythme du public tapant des mains. Qui est le plus fou des trois ? Le chamamé part au trot et ils partagent le final.

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Suit une « Valse » inspirée par Barboza par un vieil italo-argentin très simple qui enseigna l’accordéon à son père. Les deux autres terminent les phrases de Barboza, parfois violentes, hachées, complètent avec douceur ses phrases volontairement incomplètes, ses mouvements esquissés.

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Lacaille propose une mazurka à Gizavo, accélérée par la batterie. Barboza tire des flons-flons de son accordéon, Gizavo y ajoute une tendre langueur, que Lacaille reprend au soufflet comme une vague. L’accordéon à six mains de ces trois virtuoses semble à la fois un et pluriel, universel et international, créole au sens de métis, minuscule puis soudain immense dans ses soufflets. Dans ses dérapages contrôlés, ses soufflets et ses touches, l’accordéon se fait orgue, guitare électrique soutenant la guitare manouche que Lacaille rythme, puis les trois s’envolent.

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Lacaille s’inspire de toutes sortes de musiques, jusqu’à celles d’Europe de l’Est, comme il le déclare dans le Mondomix de ce mois-ci., en citoyen du monde et de ses créolités, « Kaméléon » comme le dit son dernier album « Cordéon Kaméléon » et le groupe de Jazz-Rock Réunionais « Kameleon » qu’il forma avec Alain Peters dont il se souvient dans le titre éponyme au sens très large de mélanges ethniques et musicaux.

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Barboza aussi s’adapte, joue à la Tzigane de banquet et finit en musette (il a fait partie des disques « Paris-Musette »).

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René Lacaille invite le public à chanter de concert avec lui les phrases : « - Ah Oui - Comment ? - Sinon - Moi-même (prononcé à la Réunionnaise : « moins-même » , avec une allongement Brésilien.) ». On goûte la saveur de son accent créole sur les percussions latines.

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En plus de son accordéon, on apprécie son chant du dedans qui chaloupe, cet accent qui claque aux consommes comme une vague, colorées d’expressions rares chez nous dont on comprend à demi-mot ou un sur deux la poésie, s’alanguit en plage sur les voyelles puis par en scat, en rire en éclats,, fondu enchaîné avec les touches avec ses doigts, avec le soufflet de son accordéon

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Raul Barboza se souvient d’un « petit matin, lorsque j’arrive avec mon père, vers 5 heures du matin, et le soleil rouge qui se lève.» Il a parfois entendu alors un accordéon s’éveiller au loin. Le jour naît du rouge, du souffle, qui s’ouvre peu à peu puis de plus en plus grave, puis en chamamé avec Gizavo, lacaille et quelques notes de guitare. C’est une sorte de chanson profonde et lente, pas encore à cheval, avec les restes encore du Tango du soir dans ce petit matin.

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Les choses prennent forme peu à peu, comme les couleurs qu’on distingue de plus en plus avec la lumière, le rythme et la mélodie prend forme peu à peu de ces trois accordéons suivant la course du soleil de l’Argentine à Madagascar, à La Réunion et ce qui n’était au départ qu’esquissé vous prend l’âme de plus en plus fort en grandissant. Barboza quitte la scène.

La guitare part en Blues/ Reggae/ Flamenco, sculpte accords et arpèges sur les percussions aquatiques de Mirandon avec une touche de mystère, puis Lacaille prend un solo, chante le Blues créole: « Ah comment il est ? Il va bien ? La mer, y’a pas les poissons », Blues chaloupé, Hawaïen, marinier, voyageur, avec les doigts de Lacaille en crabe sur la plage des touches, la brise des soufflets.

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Il est l’heure mais personne ne veut partir, et Gizavo demande : « Vous voulez me reformer ou quoi ? ». Barboza revient pour le final. Gizavo prend un tempo lent, tanguant, puis qui prend le large vers des langues inconnues : « I Sanolafina, I Mabouten », où l’on croit parfois reconnaître au passage « Anyone » en anglais mais ce n’est peut-être pas lui…

La guitare se fait ska sur un rythme que Lacaille prolonge de ses mains en palmas flamenco créole « un, deux, trois », « un,deux », où le public se perd à la syncope. On fera mieux la prochaine fois, promet-il.

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On peut ensuite boire un verre et se restaurer au bar musical de l’Illiade. Bonne surprise, le groupe « Les Dessous De La Vie » de la bonne chanson française fraîche avec de vraies paroles au débit bien rythmé à la Anis qui renoue avec les vraies chansons françaises simples et belles, avec la révolte et la générosité de leur jeunesse, leur envie de vivre envers et contre tout et tous qui nous fait y croire encore, avec une voix cassée à la Mano Solo, deux guitares manouches, tziganes ou flamenco, une basse électrique et une choriste scatteuse amérindienne swinguante ou émouvante, mélancolique ou percussionniste tribale accordéoniste musette à ses heures. Sympathique et frais, et qui réchauffe le cœur, avec l’innocence et l’évidence d’ « Au P’Tit Bonheur ». C’est agréable d’avoir « Au P’tit Bonheur », Anis et Mano Solo et tout ce qu’ils amènent eux-mêmes par des jeunes bien de chez nous. Merci de prouver que la jeunesse peut s'intéresser à autre chose que le Rap et la Techno! Continuez d'fleurir, mes p'tites graines d'anis(ette) !

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Et à la fin, en écoutant un groupe de Zydeco, je fis la connaissance de Cannelka (http://cannelka.canalblog.com/ ),, bloggueuse qui allait souvent aux mêmes concerts que moi passée sur Facebook (http://www.facebook.com/home.php?#/note.php?note_id=58588249361&ref=mf ) avec qui nous avons rendu hommage à Alain Bashung sur le parking de l’Illiade.

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Le Printemps des Bretelles se poursuit toute cette semaine à Illkirch.

Jean Daniel BURKHARDT