Le vendredi 4 juillet, l’ambiance était Tzigane et Jazz au Festival «Terres Des Musiques Tziganes». Les Five Devils sont un groupe de musique tzigane de Tchéky composé de trois violons joués plus ou moins perpendiculaire sur l'épaule, dont un purement rythmique assis à l'archet tenu à angle droit, un vêtu d'un costume blanc et un jeune soliste virtuose, Gèza Hosszu Legocky, un cymbalum (cithare tzigane à plectre), une contrebasse et une guitare.

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Ils commencent leur set par "Les Yeux Noirs" (Otchi Tchornia en russe, déjà repris par Dango à Rome avec Grappelli, puis des ballades slaves lentes et pathétiques à deux temps alternant avec des accélérations Balkaniques dans le style klezmer à la russe, souvent déclenchées par le cymbalum prévenu d'un coup d'oeil complice.

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Le cymbalum bondit en une cavalcade de la cavalerie cosaque dans les steppes, poursuit les crins des chevaux des trois violons.

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Suit le thème tzigane, « Doïna –Hé Batchi, Batchi ! » , qu'Engé Helmstetter, guitariste manouche de la région de Barr et ancien organisateur du « Festival International Tzigane» à la Citadelle, avait repris dans un de ses comédies musicales, « Maré Sinté », rythmé ici par les "O-O-I'" du contrebassiste. Engé Helmestter est d’ailleurs présent ce soir, assis dans les gradins aux côtés de Marcel Loeffler.

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Le cymbalum prend ensuite une introduction étrange et méditative, cristalline, lente et perlée, presque aux résonances de clavecin baroque ou d'épinette, puis rapide, entraîne les violons à sa suite sur une basse Boogie.

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Sur "Les feuilles Mortes", le jeune violoniste virtuose prend les commandes, citant "Titine", tandis que la contrebasse au gouvernail est secouée comme la balalaïka d'un batelier sur la Volga, sur les rives de laquelle le cymbalum fait fleurir des "Roses De Picardie" dans son solo, soutenu par l'enthousiasme public tapant des mains.

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Pilier mouvant, le guitariste a la sûreté rythmique d'un Brassens, et se balance d'un pied sur l'autre tel une poupée russe avec un comique ambulatoire robotique. Tous chantent avec de profondes voix de Boyards russes.

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Le cymbalum franchit le fleuve Amour et les steppes Mongolie vers la Chine, se faisant cithare. Le dernier thème est russe et rythmé, avec présentation des musiciens.

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En seconde partie, l’accordéoniste Marcel Loeffler invitait Dino Mehrstein. L'accordéoniste manouche aveugle Marcel Loeffler et le guitariste Dino Mehrstein se connaissent depuis longtemps, depuis que Dino enfant suivait son père Sony Reinhardt et son oncle Mandino Reinhardt, alors membres du groupe "Note Manouche" jusqu'en Italie. C'est ce soir un «Duet à géométrie variable qu'ils mèneront tous deux avec leurs invités tout au long de la soirée», annonce Fabrice Steinberger, organisateur du Festival.

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"Que Reste-t-il De Nos Amours ?" de Charles Trénet ouvre le concert, lent à la guitare, puis à l'accordéon plus lentement encore, sur une rythmique bossa de la guitare. Le père de la bossa nova, le guitariste João Gilberto, joue parfois cette chanson, abrité du vent et de son public dans une tente transparente. L'accordéon se fait aussi vocal dans son solo que le "fisarmonica" dont jouait Marcel sur son premier album à pochette en braille "Vago", ou l'harmonica auquel il s'est déjà essayé sur les accords "groove-roots: groots" de Dino, qui m'a d’ailleurs inspiré ce terme à propos de son dernier album "Intuitions" lors de son concert de présentation. Marcel ne joue que sur les touches rondes de son accordéon, presque sans en actionner le soufflet, le plat de l'autre main faisant un effet rythmique frappé sur l'autre série de boutons. Dino termine cette version très funky en style 70ies.

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Ils enchaînent avec "Stompin' At The Savoy", thème swing dédié au Savoy Ballroom, dancing New-Yorkais des années 30s surnommé "Home Of Happy Feet" (Maison des pieds heureux) où officiait le batteur Chick Webb et son orchestre où Ella Fitzgerald fit ses débuts. Le thème est là encore remis au goût du jour par le groove de Dino et l'accordéon de Marcel se chevauchant à tour de rôle, passant l'un devant ou derrière l'autre avec virtuosité.

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Dino soutient en bossa les envolées balkaniques de Marcel. Les deux univers se complètent, chacun à tour de rôle plus fou que l’autre, inventant un isthme musical rejoignant Amériques, Caraïbes et Europe de l’Est. Les invités arrivent : le contrebassiste Gérald Muller, celui des Comédies Musicales du « Festival International Tzigane» et des Jams du défunt Piano-Bar et le guitariste américain Rick Hannah, qui assure avec d’autres celles de l’Artichaut.

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Ils se lancent dans « How High Is The Moon », pris sur un tempo d’enfer.

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Ils dédient ensuite à l’organisateur du festival «Terre Des Musiques Tziganes», Fabrice « Rocky » Steinberger, le thème « Cherokee », devenu « Chez Rocky » pour l’occasion. L’orchestre de Count Basie en avait donné une version longue durée (deux faces de 78 tours) avec Lester Young au saxophone dans les années 30s, et son idole Charlie « Bird » Parker trouva sur ce thème une nouvelle façon de passer les accords sur son saxophone alto, le soir de noël 1941, alors qu’il faisait la plonge dans un restaurant New-Yorkais où se produisait le grand pianiste Art Tatum, et l’enregistra l’année suivante dans une chambre d’hôtel avec le guitariste Effergee Ware à la pompe d’ailleurs assez manouche, quand on y pense… Le tempo est ici assumé par Hannah et Muller, sur lequel brodent Dino et Marcel, citant dans son solo un autre thème ayant eu les faveurs de Charlie Parker et ses « violons magiques », « Laura », titre également d’un polar mystérieux et romantique d’Otto Preminger. La folie de l’accordéon se déroule sur la pompe de la guitare de Dino, qui part ensuite en fugue « groots », mêle les traits décochés par ses cordes aux soufflets et aux touches de Marcel.

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Ils reprennent ensuite « C’est Si Bon » d’Henri Betti et André Hornez pour les paroles, immortalisé par Yves Montand, puis par Louis Armstrong (avec les paroles anglaises de Jerry Seelen, et Eartha Kitt en 1954, et l’an dernier a même vu en 2007 une version chinoise en mandarin due à l’écrivain Mai Xuan chantée par le français Kayoumin. Le solo de Rick Hannah retrouve la « Yellow Basket » d’Ella Fitzgerald dans son premier tube « A Tisket, A Tasket », puis son poignet se détend en bossa, et finit par rouler des orages de phrases bop.

Jean Daniel BURKHARDT