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La toute jeune chanteuse Mayra Andrade est originaire du Cap Vert, île au large de l’Afrique, quoique née à Cuba et ayant grandi au Sénégal, en Angola, en Allemagne dans l’espoir d’une vie meilleure et tout de même un peu au Cap Vert, et vit à Paris depuis 2003. Elle a gagné le concours des Jeux de la Francophonie au Canada à 16 ans. Elle a 23 ans et a déjà fait les premières parties de Césaria Evora et chanté avec Charles Aznavour avant son album. Timide et d’une polie dans sa franche mais sage poignée de main, son visage s’anime quand elle parle du Cap Vert.



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Mais si elle est Capverdienne, Mayra Andrade ne se contente pas de chanter la morna mélancolique au rythme langoureux de Césaria Evora. Elle aime les tempos rapides et les arrangements modernes et expliquait au magazine britannique « Songlines » : « Nos grand-mères jouaient la musique Cap Verdienne d’une façon particulière. Moi je suis la plus jeune de la nouvelle génération internationale Cap Verdienne, et nous avons choisi d’être le moins structurés, le plus libres possible, pour prendre nos propres chemins. Beaucoup de musiques étrangères nous ont formés, et nous défendons nos personnalités en chantent dans notre propre style. Et cela nous permettra aussi d’ouvrir la musique Cap Verdienne à de nouveaux publics plus jeunes.» Pour les musiciens, elle pioche dans ses rencontres musicales Parisiennes, un guitariste Capverdien et un multi-percussionniste Brésilien, et dans les compositeurs de l’île, tout en composant quelques ballades.

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L’hospitalité de La Salle Du Cercle de Bischeim s’adapte à la culture de l’artiste invité. Après le thé à la menthe de Toumast, c’est ici un punch apéritif qui nous amène au Cap Vert. Comme l’album, le concert commence par « Dimokransa » (Démocratie de guingois), Kaka Barboza., chanson étonnamment engagée dénonçant les faux-semblants dans lesquels s’endort la Démocratie Capverdienne et dont se contente la majorité, la corruption et les ingérences dont cette terre fut victime à travers son histoire de la part des anglais, entre autres et regrettant le révolutionnaire indépendantiste San Francisco. Ceci sur un tempo bossa assez rapide où sa jeune voix rappelle le timbre de la plus grande chanteuse Brésilienne, Elis Regina et la souplesse de sa voix capable. Elle a d’ailleurs commencé en écoutant et chantant des chansons Brésiliennes de Maria Bêthania.

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Elle est vêtue d’une robe verte et bleue qui la fait ressembler à une sirène vêtue des eaux turquoises du Cap Vert. Un guitariste électrique, un autre acoustique qui jouent aussi du cavaquinho (petite guitare caractéristique des musiques portugaises passée à travers la colonisation en Amérique Du Sud ou au Cap Vert qui accompagne souvent la morna), un batteur poly-percussionniste et un bassiste électrique noir portant dreadlocks qui me fait penser au grand bassiste électrique Richard Bona, émule de Jaco Pastorius, vu dans cette même salle, qui après avoir raillé gentiment « BischEm » (comme il le prononçait), avait été convaincu par l’enthousiasme du public, au point de plaisanter sur l’idée de s’y installer.

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Suit, comme dans l’album, « Lapidu Na Bo» (accroché à toi), une chanson d’amour tendre et comique d’un homme qui reste « accroché à toi, jeune fille» malgré toutes ses bêtises à répétition, avec une tendresse et une indulgence presque paternelle, sur un tempo encore plus rapide composée comme quelques autres par Orlando Pantera, mort peu après en 2005, où la gouaille de Mayra Andrade rappelle encore Elis Regina, avec sur l’album Cathy Renoir (la chanteuse du projet « Purple » sur Jimi Hendrix de Nguyen Lê) et Myriam Betty dans les choeurs. Comme Elis Regina, dont la rapproche sa gouaille, son débit est époustouflant et quand le souffle ou la voix lui manque pour arriver jusqu’au bout d’un ver, elle la lance dans le virage à plein régime, forçant parfois la voix jusqu’au dérapage contrôlé d’un petit éraillement, d’un enrouement d’émotion jusqu’au suivant.

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Elle quitte ensuite l’ordre de l’album pour rester dans le tempo rapide avec « Dispidida », plus dramatique avec des petits breaks un peu ragga, et avec un scat final libre où sa voix semble s’envoler tel un oiseau sur les guitares. Elle se lâche plus sur scène que sur l’album, à l’émotion plus retenue pour faire joli, mais c’est tout à son avantage de dépasser ce qu’on croyait savoir des chansons sur scène. Le batteur/percussionniste joue de la batterie d’une main et des percussions de l’autre, comme celui du Trio Mocoto Brésilien João Parahyba.

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Suit «Comme s’il en pleuvait», chanson composée par Tété. Mayra Andrade l’introduit en demandant la participation du public pour reprendre la phrase éponyme de Tété «Comme s’il en pleuvait » en écho à sa voix, reprenant gentiment mais fermement les velléités de certains à reprendre son scat d’un air d’institutrice adorable : « non, si vous faites tous « eh eh eh », personne ne fera plus « comme s’il en pleuvait » ! ». Dans le disque, cette chanson est mystérieuse, la seule en français, mais d’un français ancien, XVIIIème siécle, créole ou des îles. Mais la narratrice restait iconnue, si bien que je croyais que c’était Mayra Andrade elle-même qui dès sa jeune vie et sa courte carrière, prévoyait humblement que tout s’arrête, un peu comme David Bowie dans « Ziggy Stardust And The Spiders From Mars », charge contre le show-business et le monde du Rock et sésame d’entrée pour cette gloire dans ce monde à la fois qui m’a toujours bouleversé. Mais Mayra Andrade lève le voile sur l’histoire de cette chanson. Elle aurait connue quand elle était fillette au Cap Vert, en allant à l’école, une vieille femme mendiant dans la rue, vendant des calligraphies d’une écriture magnifique, très ornée pour une femme aussi pauvre. Devenue son amie, elle lui raconta venir d’une famille noble ruinée et avoir connu la fortune et les dans son enfance. Avec Tété, ils essayèrent d’imaginer sa vie d’avant : « Jadis ici j’étais reine… », ses «soupirants, ses présents chaque jour » « Comme s’il en pleuvait » et sa disgrâce actuelle, «genoux fangeux », et ses supplications « Donne maintenant de quoi manger mignonne, gagne ton ciel et me sois bonne » aux inversions désuètes trahissant sa noble extraction, devenant aussi une réflexion sur la fuite et la vanité de la fortune, de la beauté. Sa voix fraîche et profonde, sans âge, fait merveille pour incarner les deux registres, improvise sur les chœurs publics des scats audacieux, les arrête pour que ne reste que le rythme entêtant qui lentement, s’éloigne, s’endort, se meurt dans la nuit, en un écho hypnotique.

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Suit une « morna» langoureuse et mélancolique, peut-être une reprise d’un traditionnel Cap Verdien, accompagnée d’un cavaquinho, petite guitare traditionnelle Cap Verdienne venue du Portugal avec ce sentiment commun d’incurable mélancolie, mal du pays et mal de vivre qu’on appelle «Saudade» dans le Fado, que ramenèrent les marins de leurs longs mois d’expéditions exploratrices à découvrir les futures colonies. Mayra Andrade les aime aussi, en a composées plusieurs pour son album, et dans ce répertoire plus sentimental, sa voix s’enfle d’émotion, d’une profondeur étonnante pour son âge, la rapprochant de « La Diva Aux Pieds Nus », Césaria Evora, principale interprète du genre. Elle poursuit avec la morna très lente qui ferme l’album «Nha Nobrèza » sur les sanglots de cavaquinho mandolinant, où l’on croit entendre à tort dans le portugais des bribes de français créole «da ma(r)di soi(r) » entre deux coraçaõ doloroso.

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Mais Mayra Andrade ne laisse pas la mélancolie s’installer, enchaînant avec la rapide et enjouée « Tununca » d’Orlando Pantera, sur une jeune fille pauvre mais courageuse qui choisit d’échapper à la misère par un exil volontaire, thème fréquent dans l’album. Manque ici à ce tempo rapide l’acidité pittoresque de la sonorité presque funky de l’orgue « farfisa » (orgue électronique compact de marque italienne utilisé par le groupe de Rock Psychédélique anglais Pink Floyd dans ses premiers albums) de l’album joué par le guitariste Kim Alvès, remplacé avantageusement par les battements de mains du public, lui aussi coloré par la présence de quelques natifs du Cap Vert, je présume, représentant la belle mosaïque de peuples de cette île par leurs visages entre l’Afrique, l’Orient et les Indes, et le mélange de tout cela.

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Suit la plus émouvante des compositions de Mayra Andrade, « Navega » (bateau), qui donne son titre à l’album, sa chanson la plus émouvante, la plus en prise avec la réalité simple de la vie au Cap Vert aussi. C’est la mer qui la raccroche au Cap Vert, disait-elle à « Songlines », mer des arrivées et des départs, qui la purifie à chacun de ses retours, mais qu’elle considère comme la cage dorée des Capverdiens. Cette chanson est une hymne à la Mer, mais est aussi consciente de ses dangers, puisqu’une femme de pêcheur y attend son mari pendant une tempête. La mélodie s’élève et retombe comme la houle, passant d’une simple mandoline à une percussion dramatique dont la voix souligne la tension : «Avec mes yeux levés vers la ciel, j’implore Dieu de calmer les vagues », dit le texte, « pour que tu puisse revenir sans obstacle, avec une bonne prise qui te permettra de rester auprès de moi un peu plus longtemps sans que j’aie à m’inquiéter. » Une vieille Cap Verdienne s’est d’ailleurs reconnue dans cette chanson et le lui a dit. La chanson se termine sur l’album par un scat ethnique sur les vagues des soufflets de l’accordéon du Malgache Régis Gizavo, absent ici. Ici ce scat s’envolant dans les aigus me fait penser au Brésilien Milton Nascimento, l’un des maîtres du genre.

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Après une courte sortie sous les applaudissements arrivent les bis. Tout d’abord une ballade, « Nha Sibitchi» (ma perle de jais) de sa composition, où l’on entend en introduction sur l’album une de ces Mémés du Cap Vert, Luiza Pereira Gonçalves, surnommée Nha Pomba et le violoncelliste de Jazz Vincent Segal dans les cordes en riff final. Sur scène, la chanson est plus rythmée, plus acoustique que sur l’album, mais la voix reste toute aussi bouleversante dans ses montées d’émotion au fur et à mesure de la mélodie.

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Suit une chanson plus rapide sur une guitare funky, malgré un thème élégiaque, « Lua » (lune) de Catu Princezito, avec sur l’album, aux cuivres, Remi Sciutto au saxophone et Daniel Zimmermann au trombone et le brésilien Nelson Ferreira invité à la guitare électrique, qui l’accompagne ici sur scène. La chanson commence par un couplet mélancolique de supplique à la Lune, puis prend un virage rythmique à deux cent à l’heure époustouflant de tchatche à la Elis Regina, puis retrouve le couplet romantique à la fin. Pour pallier à l’absence des cuivres dans le final, Mayra Andrade tape dans ses mains à la manière des « palmas » du flamenco et fait de la «body percussion» sur sa poitrine et ses épaules. Elle termine le concert en solo a capella sur la morna «Poc Li Dente e Tcheu » (le peu que nous avons), qui compte plus que d’émigrer pour le perdre, une chanson de Nhelas Spencer, dont le thème et la mélodie dut émouvoir les natifs de l’île.

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Bref, malgré son très jeune âge, Mayra Andrade dépasse déjà sur scène les promesses de son album, en montrant que sa retenue n’empêche pas son énergie sur scène. On attend la suite de ses aventures.

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Jean Daniel BURKHARDT