Hier mardi 14 octobre, le festival "Les Nuits Européennes" invitait à Pôle Suid deux fusions originales: "Badume's Band" et "Lorchestre Du Mouvement Perpétuel" «Badume’s Band » est un groupe de Bretons Ethiopiques (se définissant eux-mêmes comme « Bre'piques ») en ce qu’ils reprennent le répertoire de Jazz Funk Ethiopien exhumé pour le label « Ethiopiques » par Francis Falceto, enregistré dans les années 60/70s, parenthèse de liberté à la fin du règne d’Haïlé Sélassié (qui tout Jah Rastafahri qu’il parut aux Jamaïcains, appréciait moins le reggae que la musique militaire des orchestres institutionnels de la Police et de l’Armée, d’où les cuivres), musique remise au goût du jour par la BO de « Broken Flowers » de Jim Jarmush.

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Leur album s’intitule « Addis Kan » et cultive l’ambiguïté : «Addis » qui en plus de rappeler le capitale d’Ethiopie Addis Abeba signifie « Nouveau » en Amharique (langue Ethiopienne de l’Erythrée), « Kan » rappelant le « Kan Ha Diskan » Breton des Fest Noz. Mais c'est sur scène que leur énergie est irrésistible. Le chanteur Eric Menneteau a appris les titres à l’oreille et ils utilisent les arrangements originels, repris à leur sauce, mais tout à fait fidèles aux originaux. Les Ethiopiens d’ailleurs ne s’y sont pas trompés : Mahmoud Ahmed a partagé la scène avec eux et ils firent un tabac au Festival d’Addis Abeba en 2007.

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Le groupe compte deux saxophonistes dont un aussi à la flûte, un fender rhodes, une guitare, une basse, une batterie (c’est par le batteur Antonio Volson qu’ils découvrirent cette musique) et des percussions latines (congas, timbales, cowbells, deux cymbales et une percussion Africaine).

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Ils commencent par « Tezeta » (Nostalgie), classique Ethiopen repris par le saxophoniste Jazz-Funk Mulattu Astatqué, toujours en activité et vivant aux Etats-Unis. On reconnaît la mélodie du chanteur, les lignes sinueuses de la guitare (Rudy Blas) sur un clavier répétitif caractéristique de l’Ethio Jazz aux dérapages contrôlés proches de l’orgue (Frank Lemasle) avec les deux saxos riffant à l’unisson (Pierre Yves Merel, aussi flûtiste, et Xavier Puss).

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La musique est hypnotiquement envoûtante et irrésistiblement dansante. Le solo de Xavier Puss est bien dans la manière de Mulattu Astatqué Le solo se termine en cri, suivi par le second saxophone jusqu’à l’unisson. Quoique Breton, ce chanteur a une belle présence, cette voix tremblante, quoique plus grave que celle des Ethiopens, rajoute du cachet. Le thème se termine sur un fracas final surprenant, le percussionniste étant passé brusquement des peaux des congas au métal des timbales.

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Le percussionniste se lève, s’harnache un « sangban » (grand tambour Africain à deux peaux dont il frappe aussi le bois frappé d’une baguette). Merel est à la flûte. La musique est à la fois festive rythmiquement et mélancolique mélodiquement quand se rejoignent saxo, flûte et voix. Avec le jeu de scène dansant du chanteur, on se croirait dans un club d’Addis Abeba quand il invite à taper dans ses mains avec lui sur le funk obsessionnel de la guitare. Les saxophones soutiennent son scat de leurs riffs à tour de rôle. Les paroles incompréhensibles semblent venir du fond des temps, quand la Reine de Saba séduisit le Roi d’Israël Salomon, avec des transes de désert anciennes, mais avec l’énergie du funk en plus et cette guitare 70ies wah-wah. « La plupart de ces chansons sont des chansons d’amour : celle-ci signifiait : elle a attrapé le citron».

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Le saxophoniste se met aux claves et le batteur au sangban sur la guitare soliste et le rhodes. Sans les cuivres, cela ressemble à du Tinariwen, en plus groove, à du Toumast, mais avec les lignes de basse du clavier en plus et l’enchantement de cette langue plus rare. Le percussionniste joue d’une conga mais dans un style Africain sur les claves prolongées d’échos électriques de la guitare, en Blues désertique à la Ali Farka Touré.

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Suit « un morceau d’un chanteur Ethiopien qui s’exporte : Mahmoud Ahmed », le plus connu, des chanteurs Ethiopiens, qui a joué et enregistré avec eux. Le guitariste a changé sa guitare de bois rougi 60ies pour une « solid body » noire et blanche au son plus électrique, métallique, plus dur. Le clavier rallonge la mélodie de la ballade de ses vagues moelleuses. Sur ce tempo lent, on croit voir passer des éléphants d’Afrique dans les balancements des saxophones.

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Suit un titre plus Jazz-Rock, funky avec les saxophones taxiphonant. «Je me crois dans un taxi poursuivi à Addis », me disait un ami de retour d’Ethiopie en écoutant Mulattu Astatqué le jouer avec le clavier inquiétant. Je ne revis d’ailleurs jamais la cassette que je lui prêtai ce soir-là… Une sorte d’EthioXploitation, en quelque sorte, mais d’un groove différent de celui de Fèla, plus massif, resserré, sec, Rock, aux morceaux longs et d’une transe plus binaire. Badume_s_orange.jpg

Suit un autre classique d’Ethio Funk de Mulattu Astatqué plus lent où le chanteur déploie sa puissance vocale, déclamatoire sur la guitare funky puis les saxos ajoutant au dramatique de l’ensemble par leurs riffs bouleversants. Pierre Yves Merel se révèle à son solo plus proche de Getatchew Mekuria, saxophoniste Ethiopien plus free et proche de Coltrane que Mulattu Astatqué, plus groove, mais avec toujours ce côté obsessionnel de la rythmique utilisé par « Broken Flowers».

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Suit « Ya Selamé Lalo », l’un des titres les plus énergiques et qui ouvre l’album, l’on croit reconnaître de l’anglais « Hey You How Ar’ You ? », probablement à tort sur les saxophones déchaînés dans leurs riffs. Les percussions semblent alors Haïtiennes, le clavier 70ies presque Floydien dans son solo.

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C’est déjà le Bis de cette première partie, « Feqryé Tereta » tapé dans les mains par le public avec les saxos dos à dos. Grâce à une pédale, la guitare sort un solo 70ies à la Santana ou Greatfull Dead qui grogne, puis aboie wah-wah à la Hendrix.

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Ils enchaînent avec un Ethio/twist à la mode d’Addis. Pris par la musique un jeune homme, une jeune fille enjambent les sièges trop sages, puis deux autres viennent danser sur la scène comme dans les années 70s sur ces bonnes vibrations.

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En un mot, puisque les années 60/70s c’était il y a longtemps et que l’Ethiopie c’est loin, vivent ces Bretons Ethiopiques qui reprennent ce répertoire aussi authentiques que les originaux, ce qui ne doit pas être si facile, je pense, surtout pour le chanteur.

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Pour les amateurs, Getatchew Mekuria sera en concert le jeudi 6 novembre à Strasbourg au Molodoï avec le groupe de Punk hollandais (mais très ouvert aux musiques traditionnelles) The Ex qui a même emmené Han Bennink en Ethiopie!

Jean Daniel BURKHARDT