Le flyer, « Enregistré par Steve Albini » pouvait prêter à confusion tant c’était beau de voir The Ex et Getatchew Mekuria dans la salle punk, mais pas que Molodoï , mais n'annonçait ni un disque de The Ex si pirate fût-il diffusé devant un public frustré en l’absence du groupe, ni les images animées de leur improbable recherche de Guetatchew Mekuria à Addis Abeba, mais juste le nom du groupe « noise punk free rock» local qui faisait leur première partie. L’ambiguïté était redoutable cette foi-ci, les trois derniers albums de The Ex , dont celui avec Getatchew Mekuria, ayant été en effet Enregistrés par ledit producteur STEVE ALBINI, "comme un des albums de PJ Harvey", me dit mon ami Laurent Danzo, illustrateur fan de The Ex historique et d’autres musiques bruitistes, Jazz juives New-Yorkaises, Frithiennes, Zorniennes et j’en passe! D’aucuns peut-être ne sont pas venus, n’y croyant pas, ou tablant sur une de ces options.

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Le groupe est composé d’un ancien membre de Drey, groupe de Noise Punk Free Rock local défunt à la basse électrique que j’étais content de revoir, un saxophoniste / claviériste /chanteur punk, un guitariste triturant une Gibson rouge et Samir, un batteur énervé mais efficace aux nombreuses petites cymbales.

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Passé le mur du gros son distordu et celui du fender rhodes vraiment très très trash, presque autant que la guitare, et à les écouter sur leur My Space, leurs compositions étaient plutôt travaillées pour du noise, à partir de « Capitalism Live Tapette Fest », au début intéressant rythmiquement (là encore j’ignore si le titre est «Capitalism », joué live à une Fest ou le titre du morceau). Le saxophone est autant utilisé pour des effets de prolongements contemporains que pour sa valeur rythmique ses effets criés, à la manière de Mats Gustafsson sur son disque avec les punks italiens végétariens et protecteurs des vaches de Zu sur leur disque commun « How to Raise An Ox ».

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Le bassiste de Drey y est peut-être plus à son avantage qu’avec ceux-ci, et le batteur a des roulements Rock efficaces sur ses toutes petites cymbales orientales. Les paroles sont criées, hurlées, prêchées et déclamées d’une voix d’oiseau de malheur aiguë par le saxophoniste, à la manière plutôt poétique et énergique, énervée / engagée du chanteur de The Ex.

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Leur première partie se termine avec « La politique du barbelé » annoncée comme des «considérations sur les sociétés occidentale et leur égocentrisme», avec même cette fois une vraie mélodie au saxophone. On ne peut leur souhaiter que ledit Steve Albini entende un jour leur musique et l'apprécie...

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En tous cas, point de vue com’, l’idée de « Steve Albini hacké par des français !» a au moins fait le buzz sur internet, et provoqué je suppose bien d’autres ambiguités de programme. Peut-être un jour avec PJ Harvey ? Il est vrai que s’ils font les premières parties de TOUS les groupes produits par ce monsieur, dans leur genre ce serait une belle carte de visite et cela peut les mener je ne sais où.

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Mais passons à ce qui nous amenait ici, à savoir le concert de The Ex, groupe punk Hollandais datant de 1979 mas s’étant depuis ouverts aux musiques traditionnelles, jouant plus sur les scènes de nouvelles musiques improvisées que sur les scènes Rock, invitant des membres de l’Instant Composer Pool (sax alto, clarinette et trombone) et le saxophoniste Éthiopien mythique Getatchew Mekuria (qui faisait du saxophone free avant Coltrane et Albert Ayler sans le savoir depuis les années 50s dans l’orchestre militaire «Haïlé Sélassié »), en adaptant le genre de diatribes époumonées vocales « shellela » au saxophone et qu’ils sont allés chercher jusqu’à Addis Abeba pour le faire jouer puis enregistrer avec eux et leurs potes de l’ICP (Instant Composer Pool, orchestre Jazz d'Amsterdam) des morceaux Ethiopiens pour le disque "Moa Ambessa" après avoir adoré le disque rééditant des vieux enregistrements de 1972 pour le volume 14 de la collection Ethiopiques. Au fait, ce monsieur a 82 ans !

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Dès les premières notes de « Shellèla » ouvrant le concert, on est frappé par le son énoöorme et le vibrato de Mekurya. La batteuse veut qu’on laisse la lumière. [Ils commencent comme dans leur disque « Moa Anbessa" par «Ethiopian Hagere» , alliant leur Rock binaire et bondissant avec le guitariste Terrie Ex et la musique Éthiopienne de Mekuria avec le trombone de l’ICP. En fait, Mejurya en sort aussi gagnant, cette section rythmique béton le pousse dans ses retranchements plus que le Jazz Éthiopien de 1972. Joos Buis joue son trombone vers le ciel en wah wah et style growl, énorme et rugissant. Le chanteur G.W Sok arrive et débite une diatribe engagée mais très belle, alter mondialiste : « Nous avons parcouru le monde pour nos rêves et pour lutter contre des présidents, des ministres indifférents… » entrecoupé du saxophone de Mekurya, véritable membre du groupe ou le groupe étant devenu le sien depuis qu’il poussa avec eux son premier «Shellela ». Cette puissance Rock et la polyphonie bruitiste des cuivres s’allient à merveille avec cette voix époumonée.|http://www.youtube.com/watch?v=_0QEOVEP7f4&feature=related]

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Mais le deuxième titre, «Sethed Seketelat», est une magnifique ballade éthiopienne dans le style du thème de « Broken Flowers » de Jim Jarmusch, avec un côté fanfare hollandaise bouleversante sur laquelle surfe Mekuria, lourde mais moelleuse de cuivres, portant le solo de guitare Desperado de Terry Ex à la Marc Ribot. Suit cette fois une très jolie mélodie, bouleversante, avec un texte, émouvant, universel « What is the heart of everything ? » (Quel est le cœur de tout?")., peut-être la plus belle chanson de l’album.

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Suit «Eywat Setenafegagn » un morceau où la batterie de Katherina Ex se fait percussion Éthiopienne pour soutenir le vibrato lent de Mekuria. Pour un peu on dirait les punks de The Ex calmés, sublimés par le respect qu’il leur inspire ou celui de la musique Éthiopienne (tous les morceaux sont des traditionnels Ethiopiens, sur lesquels ils ont parfois posés leurs textes en anglais). Son vibrato est le même que celui de 1972, quand on surnommait Getatchew Mekurya « Le Négus du Saxophone Éthiopien ». La clarinette de Xavier Charles prolonge le vibrato du saxophone de son bois d’oiseau, de plus en plus aïgu, tient la note, se pose sur le micro pour le mettre presque DANS l’embouchure et jouer ce prolongement, cette vibration contempo-free urbaine qui se termine en youyou sur la guitare et le saxo.

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Parfois on croit entendre/retrouver le groove, la sonorité des orgues éthiopiens 70ies dans les guitares de Terry Ex et Andy Moor, et la batteuse Katherina Ex chante en éthiopien avec une énergie Rock. Le plus beau dans ce projet, c’est cet échange généreux des cultures et des générations entre ces punks hollandais et ce saxophoniste Éthiopien de 82 ans que rien ne rapproche à l’origine que leur amour de la musique et leur tolérance, leur désir d’aller vers l’autre, de rencontrer sa culture et de la prendre dans leur propre musique, de faire l’effort de chanter sa langue, au-delà des frontières et du racisme, de la mondialisation, cette bonne volonté idéaliste qui pourrait presque sauver le monde occidental de l’égoïsme. Pour eux il y a un futur après le "No Future", comme pour Les Clash, si tant est qu'on se batte collectivement pour changer les mentalités. Sur l’ICP en fanfare, le solo de guitare fait presque Rock Japonais speedé. Devant ça pogote festif même chez les filles, une belle marée humaine de sirènes plus ou moins destroy. En fait c’est mon premier concert de Rock ou ici à Molodoï depuis belle lurette

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Getatchew revient, en cape et coiffé de son «Géféré » (coiffe Éthiopienne en crinière de lion) et harangue la musique du poing comme un chef de tribu Ethiopien puis prend son solo, pousse son "Shellela". Quand il se retourne, on voit le Lion d’Haïlé Sélassié sur le dos de sa cape.

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Getatchew entame un lent morceau Éthiopien avec l’ICP en fond sonore. La mélodie, me fait remarquer une amie, ressemble un peu à celle des «Lou-ou-oups » entrés dans Paris dans la chanson de Serge Reggiani qui à la réécouter a quelque chose d’Éthiopien rythmiquement. D’ailleurs les Loups fascistes du Duce Mussolini ont envahi et occupé l’Ethiopie pendant la Seconde Guerre Mondiale quand j’y pense. Ici c’est un lion sur du Rock binaire de fanfare et la chute de la batterie finale.

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Et les cris du public ne sont inspirés que par la musique quand Terry Ex frappe sa guitare à la Clash sur la pochette de "London Calling".

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Entre sur scène un danseur Africain hallucinant qui suit leur tournée, vêtu de blanc, qui se déboîte l’épaule en dansant, puis se plie en sandwich jusqu’au sol de la scène devant l’ampli, comme sous un bâton parallèle au sol, tremble de tous ses membres comme pris par la transe de l’électricité musicale et le Rock, le souffle des cuivres, la grosse guitare binaire et la basse groove, secoue la tête puis d'avant en arrière, puis de de droite à gauche sous les cris du public , tape dans ses mains. L’aspect dramatique de la musique Éthiopienne en est renforcé en intégrant cette danse à la musique, comme un art total et multiracial. Le danseur lance une plante de pied puis l’autre vers le public, danse dans les genoux, offrant un grand moment de danse Africaine.

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Suit un autre morceau chanté par la batteuse, peut-être plus un morceau de The Ex invitant Mekuria car plus punk, où le bassiste finit au garde-à-vous comique.

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Getatchew tente de parler au public en éthiopien ou en anglais, peut-être les deux. Avec le groupe ils se comprennent musicalement, palliant la barrière de la langue. Ici le saxophoniste alto de l’ICP Brody West lui succède, avec un vibrato oriental, puis Zornien dans le bruitisme, mais en gardant la ferveur ascendante du zurna turc et des charmeurs de serpents, la saveur acidulée des fanfares indiennes et du taragot.

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Dans la chanson suivante, G.W. Sok énumère sur un fond Ethiopien ministres, téléréalité, société de consommation, tout ce qui les énerve dans ce monde, mais promet de ne jamais se rendre d’une voix aigue. Dans un autre album, The Ex réclamait des poètes et des peintres à la place. La fanfare de l’ICP et le groupe punk y retrouvent la raison sociale, critique et revendicatrice, de la Murga Argentine.

Getatchew présente le prochain morceau en amharique ou en anglais, où le public reconnaît le titre d’un des plus vieux morceaux Éthiopiens « Tezèta », en solo sur le disque. Le saxophone est joué de travers comme Lester Young, puis levé, comme lui, à 90, marche d’un bout à l’autre de la scène.

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Arrive le morceau le plus funky de l’album, « Musicawi Silt » où The Ex groove vraiment éthiopien plus qu’ils ne rockent derrière Getatchew sur la basse slappée groove avec un côté Groove/Rock/Wave/Afro blanc à la Talking Heads dans « Remain In Light » sur « Once In A Life Time » avec G. W. Sok prêchant au mégaphone plus pour changer sa voix que pour en augmenter la puissance.

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En Bis, ils jouèrent un morceau éthiopien rapide, « Aha Begena » chanté par le chanteur en Néerlandais ou en Ethiopien sur le vibrato de Getatchew. Terry Ex prend un solo, joue sur sa basse avec une serviette frottée, rocke avec Getatchew. Ça pogote total sur la fanfare dissonante et le trombone éléphantesque.

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Le danseur revient, cette fois avec un autre costume doré, un poignard Africain à la ceinture et un bâton à la main. Il aiguise le poignard sur le bâton, puis le passe au chanteur et ils font mine de se combattre, bâton contre poignard, puis danse et jongle avec le poignard.

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En second bis, Getatchew revient en duo avec Katherina Ex sur un rythme Éthiopien, faisant rebondir la cymbale d’un côté à l’autre. Getatchew parcourt la scène d’un bout à l’autre en distribuant ses volutes hypnotiques.

Bref, vraiment un projet magnifique tant par l’énergie que par l’échange de ces musiciens d’horizons différents.

Jean Daniel BURKHARDT