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Animateur de radio bénévole depuis 7 ans sur Radio Judaïca STRASBOURG de deux émissions de jazz et musiques traditionnelles où je présente les concerts en région, après des études de lettres menées jusqu'à un DEA, je n'ai cependant jamais trouvé d'emploi correspondant à ma culture tant littéraire que musicale et à mes capacités rédactionnelles pourtant polyvalentes car souvent considéré comme sur diplômé et sous expérimenté. Par ce blog, je désirerais échanger avec d'autres dans le même cas nos expériences personnelles de sorte à nous enrichir mutuellement d'idées auxquelles nous n'aurions pas pensé nous-mêmes.

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mercredi, mai 26 2010

Dany Doriz et son Big Band jouent Lionel Hampton au Festival de Munster

En fermeture du Festival de Munster 2010, on pouvait voir le samedi 15 mai dernier le Big Band du vibraphoniste Dany Doriz dans un hommage au premier grand vibraphoniste de Jazz, Lionel Hampton, qu’il a bien connu et qui le considérait comme son fils spirituel, comme l’ancien président du festival, le vibraphoniste Michel Hausser, qu’il écoutait dans sa jeunesse par le conduit d’aération du Chat Qui Pêche, avant d’ouvrir son propre Club, le Caveau de la Huchette, à St Germain, ouvert tous les soirs, cédé ensuite à son fils Didier Dorise (Dany a dû américaniser son nom!), ici à la batterie, fan de Sam Woodyard (batteur de Duke Ellington.

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A l’introduction, sans le vibraphone, le big band fait penser par le piano de Pierre Cammas à celle de Count Basie, au centre de la rythmique entre Patricia Lebeugle à la contrebasse et Marc Fosset à la guitare (accompagnateur ici même de Stéphane Grappelli), très discret mais à la pulsation essentielle comme Freddie Green.

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Dany Doriz entre sur scène. Tous sont en costumes et cravates, même le batteur (pour lequel il doit faire le plus chaud). Et comme un feu d’artifice, ils enchaînent les tubes de Lionel Hampton de Flying Home (où le saxophoniste Illinois Jacquet gagna ses premier galons) à Hamp’s Boogie Woogie (composé par le pianiste Milt Buckner) sur la base du Boogie qui inspira aussi les Rocks de Boris Vian pour Magali Noël, à Air Mail Special (Lionel Hampton était aussi aviateur) composé à ses débuts pour le premier orchestre mixte (deux blancs/deux noirs) de Benny Goodman.

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Les thèmes sont repris par les cuivres et les anches en fond sonore pulpeux à souhait, puis en boogie-woogie par le leader, citant courtement le Night Train de Jimmy Forrest, et enfin encore après les applaudissements, à la manière de l’organiste de Duke Ellington Wild Bill Davis haranguant le public de ses One More Time ? dans April in Paris, puis se calmant par des ballades comme La Mer de Charles Trénet.

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Comme Hampton, qui était aussi un batteur foudroyant et un pianiste efficace dans un style percussif proche de son jeu de vibraphone, avec des traits de stomp et de boogie, Dany Doriz fit un temps un quatre mains avec son pianiste.

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Plus proche de Jimmy Rainey que de Charlie Christian, Marc Fosset donna un amusant solo de guitare, parodiant les guitar-heroes du rock, se traînant jusqu’à terre sur le dos puis faisant mine de manger ses cordes comme Jimi Hendrix (mais sa guitare jazz a l’air d’avoir une toute autre saveur que la seule électricité de la fender solid body d’Hendrix!).

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Chaque musicien de la section des saxophones et des cuivres eut sa minute de gloire en soliste swing, bop, cool ou en chase à l’ancienne sur Stealin’ Apples. La modernité de l’arrangeur se remarqua par un arrangement des plus modernes et funky, presque Hip Hop de l’antique Sweet Georgia Brown de New Orleans.

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Enfin, atout charme de l’orchestre, la chanteuse Gilda Solves de San Francisco scatta coome Ella (http://www.youtube.com/watch?v=tBD9oj_B1qs&feature=related ) sur Goodie Goodie (http://www.youtube.com/watch?v=T7CJA6ejd4w) et chanta Stardust (http://www.youtube.com/watch?v=g9mTsXLlXQo), sur lequel le vibraphone d’Hampton devenait émouvant, délicat comme des flocons de neige ou des étoiles.

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Comme l’a écrit Alain Gerber : «Lionel Hampton est un peu « l'idiot du village » du jazz, mais un idiot qui intéresserait son monde parce qu'il dit ce que le secrétaire de mairie n'ose affirmer... Hampton joue en effet, face aux Basie, Ellington et Goodman, le rôle du dérangeur hilare, du trouble-fête qui bouscule les règles de bienséance du jazz en plaquant des accords sur son iconoclaste vibraphone (instrument qu'il découvre par hasard dans un studio d'enregistrement !) sur des compositions qui deviendront des standards. Vibraphoniste, arrangeur, chanteur et chef-d'orchestre, Hampton s'amuse comme un fou (préférons ce terme à « idiot ») dans cette compilation idoine qui le présente dans différentes configurations (petites formations, big band) ou en compagnie de complices (Louis Armstrong, Benny Goodman...). » Et chacun sait que le fou du roi disait justement au roi impunément des vérités qui aurait coûté leur tête à tout autre!.

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En un mot, grâce à Dany Doriz et son Big Band, le Jazz de Lionel Hampton redonna au public ce qu’il donnait de son vivant : de la joie et de l’émotion à l’état pur, à ceux qui sont trop jeunes pour l’avoir entendu de son vivant, et le Festival de Jazz de Munster confirma par la même occasion être le plus proche de l’esprit du vrai Jazz dans notre région, sans additif ni organisme Jazzystiquement modifié!

Jean Daniel BURKHARDT

mercredi, mai 19 2010

MARC DUCRET et son nouveau Quintet à Pôle Sud

Marc Ducret est l’un des guitaristes les plus importants du Jazz français. Né en 1957, on le croit souvent plus jeune qu’il n’est à cause de son look futuriste spatial (pantalons baggys oranges pétants, T-shirts sans manches) et de son crâne rasé depuis plus de vingt ans. Guitariste autodidacte, il a commencé comme sideman d’Andy Emler, du premier ONJ, puis de Louis Sclavis et son Accoustic Quartet ou Tim Berne (puis enregistré sur Label Bleu sous son nom, et sur beaucoup de petites labels indépendants à la guitare électrique, acoustique à 6 ou 12 cordes ou baryton, en solo (Détail), duo, trio (avec Eric Echampard et Bruno Chevillon), avec son grand ensemble Le Sens De La Marche , ou avec des invités lisant des textes littéraires dans Qui Parle ?

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Installé au Danemark, il était invité à Pôle Sud pour la création de son tout nouveau Quintet Franco Danois composé Kasper Tranberg au cornet, Matthias Mahler au trombone, Peter Bruum à la batterie et Fred Gastard de la Campagnie des Musiques à ouïr au saxophone baryton.

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Marc Ducret joue toujours à fond, et aime jouer, dans toutes les formations, des meilleures au plus étranges, s’adapte à celles qui l’accompagnent, au risque de paraître parfois obscur ou compliqué. Il en joue d’ailleurs, rêverait de jouer le même répertoire avec plusieurs de ses groupes successivement, et remercie Pôle Sud de le suivre dan ses projets!

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Mais il gagne à être porté par une section rythmique efficace comme ici, et Fred Gastard assura des basses constantes et des solos lyriques, comme Peter Bruum, assurant le tempo, mais aussi la sauvagerie à d’autres moments. Quant aux cuivres, ils oscillaient entre lyrisme, contrepoint et interventions plus libres, le rôle de contrepoint, de contrechant et celui de trouble-fêtes avec toujours le même à-propos irréprochable.

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Bien tenu par cette rythmique, Ducret se révèle le guitar-hero inventif et inspiré par les années 70s qu’il a toujours rêvé d’être, et est dans ses meilleurs moments. Il n’est pas de ceux qui sacralisent leur instrument, et en sort des sons inouïs qui montrent qu’il est pour lui un moyen d’espression, comme un saxo, un clavier. On pouvait d’ailleurs penser à l’un de ses disques les plus universels, Jazz-Rock au possible, avec ce côté Miles électrique, funky ou traditionnel selon les titres qu’est News From The Front, enregistré avec Herb Robertson, Yves Robert et François Verly en 1991.

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Pour ce qui est de ses compositions, Marc Ducret concilie à la fois des parties très précisément écrites et laisse à ses solistes la latitude d’improvisations folles et débridées.

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Assez amusant dans ses transitions, Marc Ducret donna aussi en bis une interprétation plus ancienne : pour un disque thématique consacré aux bandes originales de films tournés à Paris, il ne s’était plus trouvé de libre à son retour de tournée que celle composée par Gato Barbieri pour Le Dernier Tango A Paris. Après l’avoir jouée très lentement, sur un mode parodique, pour montrer qu’il l’appréciait moyennement, il la décomposa en fanfare déjantée ralentissant/accélérant avec l’orchestre, livrant peut-être dans ce mouvement un de ses secrets de fabrication : prendre les choses à rebours, à rebrousse-poil pour leur donner un nouvel intérêt, ou nous en donner un autre point de vue.

Jean Daniel BURKHARDT

mercredi, avril 28 2010

FRANCESCO BEARZATTI rend hommage à TINA MODOTTI à Pôle Sud

Avec son projet Tinissima (), le saxophoniste et clarinettiste Italien Francesco Bearzatti (Aldo Romano, Gianluca Petrella), en t-shirt gondolier marin rouge et noir, rend hommage à l’actrice Hollywoodienne, photographe à Mexico, humanitaire à Berlin, Moscou et pendant la guerre d’Espagne Tina Modotti (1896-1942) née à Udino dans le Frioul où il fit ses études par plusieurs tableaux musicaux illustrés de photos relatant sa vie bien remplie, passionnée, généreuse et engagée, avec projections de photographies, accompagné de Giovanni Falzone à la trompette, lunettes et crâne rasé, Danilo Gallo (contrebasse guitare basse acoustique), barbu Rock à banane, et Zeno De Rossi, chemise rouge garibaldienne et Casquette Castriste à la batterie.

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Tina Modotti naquit dans le Frioul, région pauvre de l’Italie, pendant cette belle Epoque qui ne l’était pas pour tout le monde, ne put terminer sa scolarité et fut ballottée entre Autriche et Italie, puis prit un travail de couturière dans un manufacture textile d’Udine. Pour évoquer cette enfance difficile, Bearzatti emploie dans Mandi Friul le lyrisme à la Dolphy de la clarinette, dont Falzone imite bien le trompettiste Booker Little par son ubiquité décalée et ses effets étouffés ou violents sur la guitare glauque, puis la batterie les fait s’envoler vers la liberté d’une vie plus libre ou moins dure, ailleurs, avec sur l’écran ces foules misérables d’Italie noircissant les rues et un portrait de Tina Modotti jeune.

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Ailleurs, ce sera Outre-Atlantique, en Amérique, où Tina Modotti rejoint ses parents à San Francisco en 1913, travaillant dans le textile en manufacture, puis comme couturière indépendante. Elle épouse le peintre et poète Canadien Roubaix de l’Abrie Richey.

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Elle sera même actrice Hollywoodienne au temps du muet de films de tigresse (Tiger Lady ou The Tiger’s Coat), mais ces films en costume correspondaient mal à son tempérament de gauche.

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America traduit ces espoirs en une échappée libre, puis les musiciens se recentrent sur une rythmique plus swing de l’époque sur fond de drapeau américain, le voyage en Amérique, comme un certain Elia Kazan, autre émigrant Grec venu de l’Empire Ottoman, qui en tirerait le film America America.

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Plus que dans le Cinéma, c’est dans la photographie, qu’elle apprend avec Edward Weston, que Tina Modotti trouva son expression artistique. L’effervescence intellectuelle et artistique cette période est bien traduite par Why, interrogation qu’on pourrait rapporter à la misère, l’injustice, la mort de son mari en 1922, l’Art et la Vie...

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En 1923, Tina Modotti part à Mexico ouvrir avec Edward Weston un studio photo. Elle y fut l’amie et la modèle de Diego Rivera pour La Terre et Frieda Kahlo, y rencontrera Maiakovski.

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Dans ce pays en constante Révolution Sociale après le Zapatisme, elle trouve un style abstrait et personnel (très éloigné du figuratif et du réalisme de Weston), mais à forte portée idéologique de gauche dans le mouvement des muralistes voulant libérer le peuple des propriétaires terriens.

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Mexico illustre cette période par des références dans le saxophone à « A Child is like a tree » d’Albert Ayler, saxophoniste de Free Jazz Américain et son épouse Mary Maria, Falzone rappelant un peu son frère Don Ayler à la trompette, engagés dans cet autre mouvement libertaire plus tardif, le Free Jazz , mais auquel ce projet donne peut-être par sa réflexion sur l’histoire et les engagements Européens de Tina Modotti, un sens que le Free Américain trouva trop rarement (peut-être dans All Africa dans We Insist ! FREEDOM NOW SUITE de Max Roach, ou Archie Shepp dans son Attica Blues. Puis on part rythmiquement au Mexique sur des rythmes exotiques de Mariachis.

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Quand Edward Weston rentre aux Etats-Unis en 1926, Tina Modotti reste à Mexico et sous l’influence de nouvelles rencontres, adhère au Parti Communiste, ce qui lui vaudra son expulsion en 1930. De retour en Europe elle choisit la Vie (la préservation de celle des autres) à l’Art, publiera encore quelques photos dans des feuilles rouges à Berlin, mais son engagement l’engagera davantage dans l’assistance humanitaire avant l’heure.

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Missions retrace ces Missions avec des cuivres comme des appels lointains puis une rythmique de plus en plus Rock, sur laquelle Falzone utilise un kazoo, l’embouchure seule, puis prend des attitudes de Miles Davis période électrique.

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A Moscou, Tina Modotti s’engage au sein du Secours Rouge, porte assistance aux militants communistes blessés. Dans Russia, on retrouve la clarinette et les influences Européennes klezmer teintées de mélancolie slave.sur la basse grave et la trompette trouvant l’émotion dans des raucités inouïes.

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En 1936, c’est la Guerre D’Espagne qui fait s’engager Tina Modotti aux côtés des Républicains Anti-Franquistes, où elle s’occupera de problèmes de santé et d’assistance.

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Si Hitler considéra cette Guerre comme une répétition de la Seconde Guerre Mondiale en bombardant Guernica (dont des détails sont projetés), Staline ne fut pas tout blanc non plus, enfermant les chefs du POUM Anarchiste comme Andréu Nin pour désarmer celui-ci au profit de ses Brigades Internationales venues d’Europe ou d’Amérique (Orson Welles) pour prêter main-forte contre le Franquisme. Marionnettes politiques, comme celles d'Edward Weston, à l'écran.

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Cette Guerra Civil donne lieu à une basse Flamenco Jazz à la Olé de Coltrane qui éclate soudain en Paso Doble Jazz Rock poussé jusqu’au Free par Bearzatti, puis ralentit tragiquement à la défaite comme un train.

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A la défaite des Républicains Espagnols, en 1939, Tina Modotti voulut rejoindre les Etats-Unis, n’en obtint pas l’autorisation et repartit à Mexica, où elle mourut en 1942 d’une crise cardiaque dans un taxi. Les dernières photos montrent une femme vieillie avant l’âge, aux yeux cernés par une vie dévouée aux autres.

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Mais le dernier titre est un message d’espoir, Hermanos No Duermes (Ne Dormez pas, Frères !, citation de Pablo Neruda), comme Fédérico Garcia Lorca écrivant avant d’être fusillé par les franquistes : « Je ne veux point de pleurs ou nous sombrerons dans un océan de larmes »), et se termine en procession sur la batterie martiale sur les cuivres gémissants, criant la révolte.

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En Bis, Francesco Bearzatti nous offrit deux extraits de leur dernier disque, dédié cette fois, aux héros noirs de la lutte des Droits Civiques comme Malcolm X, qu’il imagine dansant au cotton Club (ce qu(il fit dans sa jeunesse), mais sur de la Disco Bop! Pourquoi pas, s’il avait vécu, peut-être se serait-il laissé pousser la coupe Afro pour revendiquer le Black Is Beautifull et fêter les Droits Civiques? (http://www.youtube.com/watch?v=xkhAx2NGr4k)

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Ils terminèrent en rendant hommage à Mohammed Ali par un titre Afro Beat rappelant le combat et festival de Kinshasa.

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Merci à ce quartet Transalpin de donner au Jazz ce sens historique et cet engagement.

Jean Daniel BURKHARDT

mardi, mars 16 2010

Le Sextet des frères Belmondo rend hommage à Freddie Hubbard à Pôle Sud

On n’aurait pu rêver mieux que ce sextet pour cet hommage au trompettiste Freddie Hubbard, disparu le 29 décembre 2008 à 70 ans, puisque les deux musiciens Varois Lionel Belmondo aux saxophone ténor, soprano et à la flûte et Stéphane Belmondo à la trompette et au bugle sont parmi les meilleurs émules du Hard Bop hexagonal et ont fréquenté Freddie Hubbard au Festival de Jazz de Nice.

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Ils sont accompagnés par Laurent Fickelson au piano, Sylvain Romano à la contrebasse et l’un des meilleurs batteurs européens, le belge Dré Pallemaerts, ainsi que le plus mélodieux des trombones modernes, Glenn Ferris en guest, né à Los Angeles mais qui vit en France depuis 30 ans, et que les Belmondos virent pour la première fois quand Lionel avait quatre ans avec leur père, dans la formation de Don Ellis.

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Ce sextette all stars est en effet rompu tant aux Hard Bop qu’aux ballades, qu’au Free et aux fusions Jazz-Rock ou Jazz-Funk que pratiqua Freddie Hubbard durant sa carrière, avec des qualités d’improvisation fougueuses, mais aussi des arrangements plus écrits foisonnants et aux fonds sonores sublimes hérités de l’Ecole Classique Française du début du XXème siècle (Lili Boulanger, Ravel) qu’ils ont éprouvées dans leur « Hymne Au Soleil », puis dans « Influence » un album avec Yusef Lateef en 2005.

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Comme lors d’un autre concert du même répertoire, ils commencent par « Blue Spirits », un titre enregistré par Freddie Hubbard à sa période Hard bop pour le mythique label Blue Note en 1964 sur le disque éponyme. Le titre commence par un magnifique unisson des cuivres, puis sur la batterie, Lionel Belmondo joue une petite tournerie au soprano dans le style d’Eric Dolphy tirant lez Hard Bop vers le Free Jazz dans « Out To Lunch » ou de John Coltrane dans « Olé », deux disques auxquels participa Freddie Hubbard comme sideman. La luminosité limpide de Laurent Fickelson rappelle d’ailleurs celle de Mc Coy Tyner.

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Mais par rapport au disque, les autres cuivres apparaissent plus présents tout au long du titre en fond sonore jusqu’à l’unisson final.

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Suit une Bossa Nova Funky de Freddie Hubbard qui m’était inconnue un peu à la Bolivia, mais Freddie Hubbard est hélas plus connu pour ses collaborations prestigieuese comme sideman que comme compositeur et dans ses propres œuvres, qui gagnent à être connues.

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D'autres titres plus Hard Bop rappellent les débuts de Freddie Hubbard () chez Art Blakey et les Jazz Messengers entre 1960 et 1964, créateurs du Hard Bop « funky » à partir des rythmes de gospel ancestraux remis au goût du jour par le pianiste Horace Silver avec « Opus De Funk ».

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Stéphane Belmondo montra aussi sa part la plus sensible dans « Brigitte », dédié par Freddie Hubbard à son épouse, repris de la version avec cordes de « The Love Connection » avec Chick Coréa aux claviers et Al Jarreau au chant en 1979.

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Mais comme chez Freddie, la ballade n’empêche pas les trilles vers l’aïgu ni le swing constant de la rythmique sur laquelle il surfe jusqu’au climax final.

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Glenn Ferris semble jouer comme en apnée, ne jamais reprendre d’air, comme Tommy Dorsey, qui respirait par un imperceptible trou à la commissure des lèvres, user de son instrument comme d’un périscope pour y respirer, et est vraiment le plus mélodieux des trombones, swinguant, funky, sensuel ou la coulisse menaçante selon l’occasion, mais capable aussi de rappeler les styles classiques ceux de la New Orleans ou de la période Swing, ou Bop.

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Dré Pallemaerts se montra aussi d’une prodigieuse efficacité, assurant un soutien constant et épuré, il est de ces batteurs qui ne se mettent pas en avant mais SERVENT la musique des autres, compositeurs du répertoire ou musiciens sur scène, mais est aussi capable d’originalité et de modernités drum’n’bass, ou d’une simple ponctuation de cymbales des breaks de ses acolytes.

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La période fusion Jazz-Funk mais ne perdant rien de la bonhomie Hard Bop de Freddie Hubbard dans les années 70s sur le label CTI, lorsque Sly Stone et James Brown eurent changé la donne de la musique afro-américaine, fut représentée acoustiquement mais de façon très énergique par son Red Clay, avec un solo de ténor fougueux pur Hard Bop Blue Note de Lionel Belmondo. Comme Miles Davis et Eddie Harris ou Roy Ayers, Freddie Hubbard sut suivre l’évolution de la musique noire du Jazz au Funk, mais ne s’économisant pas, ne pouvait plus jouer depuis quelques années.

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Enfin, après un bis Hard Bop à la Blakey, ils terminèrent en troisième bis par sa ballade la plus célèbre des années 70s, « Little Sunflower » pour la version chantée d’Al Jarreau. Quelque chose de beau, simple et spirituel comme l’air repli d’amour universel des années 70s et du Karma de Pharoah Sanders Ma version locale favorite reste pour moi celle de Marya Valetta avec Steppah Huntah et Nu Tropic (http://www.myspace.com/maryavaletta).

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Merci aux frères Belmondo et leur sextette de continuer de faire vivre cette musique et le VRAI Jazz, et de faire en sorte qu’il soit encore joué Live sur scène.

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Stéphane et Lionel Belmondo discutèrent avec le public après le concert. Lionel, quoiqu'engagé, voit déjà plus loin, est optimiste : quelque chose va sortir de tout cela, même si rien ne sera jamais plus pareil. Il continue son travail d’arrangement du répertoire des musiciens français du début du siècle dernier avec La Messe des Pauvres de Satie. Il arrive à concilier cette tradition française et le Jazz, ce qui est d’une rare ubiquité musicale. Grâce à eux, ces musiques qu'on croyait inconciliables ne sont pas seulement une mémoire, mais vivantes ensemble et se nourrissant l'une l'autre.

Jean Daniel BURKHARDT

mardi, février 16 2010

HASSE POULSEN et ses Progressive Patriots à Pôle Sud

En seconde partie, on pouvait entendre le dernier groupe du guitariste Hasse Poulsen, qu’on a pu découvrir dans le Napoli’s Wall de Louis Sclavis , et qui s’assume comme Citoyen du Monde : « Qui suis-je ? Français ? Danois ? Ma mère est Anglaise, j’ai grandi au Kenya et étudié aux Etats-Unis (...) Je parle toutes les langues avec un accent. Parfois je sens chez moi partout, parfois un étranger absolu. Nous avons besoin de redéfinir nos nations. Et moi, ma nation s’appelle Jazz... ». D’où, dans la lignée de ce beau et généreux discours rappelant le film L’Auberge Espagnole de Cédric Klapish, le nom de ce groupe monté pour fêter ses dix ans en France, « The Progressive Patriots » (après qu’ »Identité Nationale » ait été refusé par une salle de concert pour éviter la confusion avec les débats enterrés depuis hier 11 février 2010 par François Fillon) d’après un livre du musicien Ecossais Billy Bragg qui y déclare que les Socialistes peuvent reprendre le Patriotisme à la Droite!

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Sur scène, en effet, on trouve une belle formation qui se joue des frontières géographiques et musicales : outre le guitariste, le batteur New-Yorkais underground historique de Tim Berne Tom Rainey, son vieil ami le bassiste Danois Henrik Simonsen et et deux jeunes souffleurs français : Stéphane Payen au ténor (grand spéciasite de de la polymétrie du groupe Print) et le très jeune et imprévisible Guillaume Orti à l’alto.

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Dans « Open Up », les deux saxos s’envolent dès les premières notes, puis la batterie Jazz Rock de Tom Rainey crépite, et Poulsen les soutient d’accords décalés à la Jim Hall en plus énergique. Puis Poulsen frappe les cordes d’un archet d’une manière plus contemporaine et habitée, comique et désarticulée que Jimi Page dans « Dazed & Confused » de Led Zeppelin, les portant à une incandescence inouïe sur la ventilation des saxophones et les ras de Rainey et repart sur un dernier break. Ches ces Patriotes, la Progression est constante !

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Ils poursuivent avec la suite « They Might Think I Was Soft » (Ils Auraient Pu Penser Que J'étais Doux). Doux, Hasse Poulsen ? Parfois pris individuellement dans certains arpèges lents, presque baroques, plus doux qu’il ne m’était apparu sur leur myspace sur la batterie légèrement ethnique.

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Mais quand il branche sa guitare sur le secteur, c’est une électricité Rock que crachent les amplis comme dans Paparemborde avec des oiseaux de feu à la Mc Laughlin, un déluge d’étincelles sonores alimenté de moulinets rageurs du poignet.

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Trop Jazz pour être doux, trop Rock pour être que Jazz, trop l’un pour n’être que l’autre, et trop libre pour s’en contenter, Jazz mais pas que, Jazz et caetera...

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Ils enchaînent sans crier gare sur «Très Blue » sur la basse lente résonnante d’Henrik Simonsen dans le détaché des ornements, sans Rainey, que Poulsen habille de quelques effets contemporains bornés de clapotements et titillements de cymbales du batteur Tom Rainey, de plus en plus martial, rompu avec tim Berne à toutes les évolutions du Jazz destructuré vers le déchaînement Rock ou l’étrangeté électro.

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Le discours semble avancer en ordre dispersé entre les attaques de fanfare des deux souffleurs, et pourtant de cette disparité apparente naît comme par miracle une forme, de cette beauté convulsive dont parlait André Breton couvant toujours sous la glace, un discours organisé qui vous entraîne vers un prolongement moderne des recherches de Lennie Tristano et du Troisième Courant du Jazz qu'il créa avec Lee Konitz, Warne Marsh et Billy Bauer.

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Alors, Soft, Poulsen ? Du miel à nos oreilles, mais qui accroche pour mieux s’y maintenir, ne pas faire qu’y couler...

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La démocratisation du Jazz de ces « Progressive Patriots » s’exerce aussi, en plus du jeu collectif, dans le choix du répertoire, où chacun a sa petite composition, même Orti jouant à vide sur un pied tel une de nos cigognes dans « B » ou Payen signant « H », au tempo lent comme refusé, retenu, joué à contretemps par Rainey faisant entrer les scories dans ce répertoire organisé pour les plaisirs de l’imprévu et du risque.

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Dans ce happening, un membre du public ajouta son grain de sel, citant Charles Mingus : « La contrebasse a le corps de ma grand-mère et la voix de mon grand-père », avant un dernier titre d’Hasse Poulsen gai, presque pop, à la manière de sa chanson «Godspeed You All » sur son album « Rugby in Japan » avec son Sound Of Surprise, avec une voix à la New Wave , Bauhaus () ou Joy Division.

Comme Bis, ils jouèrent « Gloria in the Movies », une belle ballade soft dédicacée par Hasse Poulsen à sa femme, avec un côté « Itinéraire Imaginaire » de Stéphane Oliva.

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A la réflexion, Hasse Poulsen est plus proche en cherchant d’autres effets et en barrant son médiator très près de la caisse de résonance de sa guitare de Fred Frith et de ses essais de techniques alternatives pour la guitare, avec des outils peu conventionnels mains intéressants pour l’œil et l’oreille que de l’improvisation libre poussée jusqu’au vide de l’abstraction d’un Derek Bailey, plus élitiste.

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A bien entendre, on retrouve dans son jeu non conventionnel des pratiques plus anciennes, baroque, Jazz, Rock, reprises dans une approche contemporaine et libre. Jazz Ain’t What It Used To Be, a-t-il écrit un jour, répondant au Things Ain’t What It Used To Be de Duke Ellington. Grand sideman et improvisateur, il est aussi bon compositeur pour cet éclectique ensemble.

Jean Daniel BURKHARDT

samedi, février 6 2010

TERJE ISUNGSET, percussionniste Norvègien à Pôle Sud

Hier soir 5 février à Pôle Sud, on pouvait entendre deux jazzmen européens les pieds bien ancrés dans leur terroir Européen ou mondial, mais y alliant le geste libre du Jazz et la tête dans les étoiles : le percussionniste et batteur norvégien venu du froid Terje Isungset et le dernier groupe du guitariste Danois Hasse Poulsen, les Progressive Patriots .

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Tout d’abord, le batteur et percussionniste Norvégien Terje Isungset, qui a enregistré son dernier disque « Hibernation » dans un igloo avec des instruments de glace qu’il a construits lui-même : percussions, trompette de glace et même iceofon.(glaçophone). Du Fridge Jazz, en quelque sorte...

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Le kit de batterie est réduit à la plus simple expression de ses timbres : une grosse caisse, une caisse claire et une cymbale où frétille une gourmette de billes métalliques. Il y a ajouté des instruments de sa fabrication construits à base d’éléments naturels. La cymbale charley est remplacée par tambourin polytonal plein d’esprits comme un dreamcatcher inuit et on aperçoit une rangée de rondins de bouleaux arctiques attachés, d’autres à terre, une cowbell rouillée, quelques cloches tendues sur une corde et un appareil de pierres et d’ardoises.

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Arrivé sur scène, c’est tout un paysage qu’il crée : le souffle du vent sur la banquise dans un tuyau, des sifflements parfois alterné de chants aigus et de grognements chamaniques. Cependant entre deux mystères, il sourit béatement comme un bébé, ce qui rajoute à l’exotique et inquiétante étrangeté de ces sons une dose d’humour.

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La grosse caisse est utilisée comme percussion tribale profonde de base, les cloches actionnées de l’autre pied en équilibriste/contorsionniste gracieux, le tambourin monte et descend par la pédale en bruissant de ses sonnailles comme un périscope musical dans les glaces arctiques ou un hochet fou, auxquels il ajoute de sa voix de chamane fragile des appels lointains vers l’infini qui résonnent dans l’espace clos de la salle comme dans l’horizon immense, créant un espace sonore inouï et dépaysant, rappelant parfois le lyrisme du saxophoniste Jan Garbarek, lui aussi Norvégien..

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Faiseur de feu sur la glace, il entrechoque des pierres de granit sans étincelles que sonore, les râcle sur l’ardoise d’un vibraphone de pierre (j’ai mal vu ce qui se trouvait sur cette table) aux profonds échos dub...

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[C’est lui qui déclenche dans cet art climatique la furie de la foudre et les bourrasques aux forces de cataclysmes, lorsqu’il entrechoque les rangées de branches de bouleaux arctiques contre la grosse caisse. A la guimbarde, on pense aux mongols qui l’utilisent parfois avec leur goût pour les sonorités diphoniques, mais qui dans sa bouche prend la modernité d’une beat box|http://www.youtube.com/watch?v=lBxEXsPi8WA&feature=related].

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Il finit en soufflant les derniers appels dans une corne creuse, celle dit-il, de la dernière chèvre norvégienne morte en 1983 qui lui fut offerte par son berger..

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Il vient d’enregistrer un nouveau disque d’ice music (musique de glace), avec de nouveaux instruments : une harpe de glace et une guitare de glace.

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La fin est naturelle et comique, avec la chute d’un fagot de brindilles qui lui tient lieu de baguettes tapoté par l’autre.

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Inouï et jamais vu, dépaysement garanti charme écolo-minimaliste, la musique de Terje Isungset ne ressemble à nulle autre au monde, en tous cas sous nos climats.... On peut juste regretter qu’il ne fasse pas assez froid chez nous pour son spectacle avec des instruments de glace, difficilement transportables... Quoiqu'il en ait déjà joués à Londres. Pôle Sud n’a jamais été aussi Polaire, mais est encore trop au Sud pour cela ; ( )

Jean Daniel BURKHARDT

mardi, janvier 26 2010

Le Quartet de Jazz PRINT aiss son empreinte à Pôle Sud

Print est un quartet de Jazz français né en 1997 renouvelant l’improvisation de l’aharmolodie d’Ornette Coleman dans la lignée de l’américain Steve Coleman et de son M Base, composé de Sylvain Cathala au saxophone ténor, Stéphane Payen au saxophone alto, Frank Vaillant à la batterie et Jean Philippe Morel à la contrebasse. On pouvait les entendre vendredi 22 janvier à Pôle Sud.

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Dès le premier titre, on peut entendre s’ébranler la belle machine, les deux saxophones taxiphonant de concert mais se rejoignant dans les unissons sur la rythmique vive et mouvante, à la fois efficace et très improvisée.

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Finalement, si l’influence de Steve Coleman se fait ressentir, ce serait plus par la liberté d’improvisation offerte à chaque soliste et même à la rythmique que dans ses aspects les plus Hip Hop ou ethniques, une version à la française, si j’ose dire.

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Quand on y pense, cette EMPREINTE (PRINT) laissée dans le sol qui donne son nom au groupe est mouvante, comme si cette ligne individuelle tracée en signature par chaque soliste où parfois ils se rejoignent était balayée comme des traces dans la neige balayées par le vent ou sur le sable emportée par la marée par l’improvisation.

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Les deux saxophones Sylvain Cathala au ténor et Stéphane Payen à l’alto (à revoir avec les « Progressive Patriots » puis Terje Isungset en solo à Pôle Sud le vendredi 5 février), à l’avant, frappent tout d’abord par le contraste entre la liberté de leurs solos et la rigueur de leur soutien mutuel l’un dessus l’autre dessous et vice versa, l’écoute et la justesse de leur jeu d’ensemble quand ils se rejoignent dans les riffs ou les unissons des thèmes réitérés jusqu’à la transe, ou qu’un geste imperceptible de la main ou du poing, garant du contrôle sur leur création, y mette fin.

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Le batteur Frank Vaillant est très actif, sait être un soutien précieux Jazz, martial ou Drum’N’Bass pour ses camarades puis déchaîner ses effets dans des roulements furieux entre un certain exotisme de la clavé ou du folklore latin à sa façon, syncrétique ou imaginaire avec la ferveur dans la découverte de l’homme afro-américain découvrant le feu de l’Afrique intact à Cuba et dans les Caraïbes, ou laisser ses baguettes diverses courir d’un élément à l’autre (sa batterie en comprenant beaucoup plus qu’une batterie Jazz standard, en plastique, cloches et autres percussions, mais la variété d’intensité et d’angle de ses attaques fait beaucoup aussi dans cette variété rythmique de tous les instants) avec une joie tambourinaire enfantine sur des jouets miniatures, le tout organisé/organisant l’ensemble avec un grand sens de la dramaturgie rendant universellement compréhensible ce répertoire très improvisé de l’ensemble.

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Enfin, Jean-Philippe Morel à la contrebasse, était, ce qui n’est pas commun, le seul à bénéficier d’une pédale d’effet. Mât et pilier du groupe en rythmique, il s’arrogea aussi quelques inpros et solos personnels, où la pédale semblait jouer un rôle d’écho pour prolonger plus que distordre les sonorités de ses cordes ou de son archet.

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Leur répertoire accepte autant les thèmes bien composés que les scories pour l’expérimentation de l’improvisation, pour voir où ça mène en se souciant d’avantage du voyage et de ses risques que du véhicule et en évitant soigneusement toute direction, toute destination pour le plaisir de cheminer ensemble ou séparés. Parfois aussi ils créent de miraculeuses surprises, lorsque de l’apparent informe naît à l’Eurêka de notre conscience le sens, la forme, la beauté devant nos yeux comme au premier jour du monde, avec cette soudaine et subite universalité que prophétisait Kerouac dans « Sur La Route » : « De temps à autre, un cri d’une harmonie limpide inspirait l’espoir neuf d’une mélodie qui serait un jour la suprême mélodie au monde et ravirait de joie les âmes des hommes. »

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Chacun tient à la fois tour à tour son rôle de soutien par rapport aux autres et a aussi ses moments d’improvisation soliste servie par les autres, et vice versa, avec un son de groupe mais aussi une liberté d’improvisation de chacun en et hors de l’ensemble qui fait du Jazz le plus bel exercice de démocratie musicale depuis près d’un siècle dans les collectives des parades New Orleans, qu’on appela ensuite Swing ou Bop ou Cool jusqu’au Free Jazz, puis emmena avec lui les fusions Rock ou Funk qu’il avait contribué à créer dans les années 60/70s, et flirte aujourd’hui avec l’électro, « la seule musique assez libre pour accepter toutes les autres » a dit quelqu’un, finalement à l’image de notre monde, avec des poches d’accalmies en oasis entre des urbanités de mégalopoles troublées, contraste qui en fait la beauté, ou nous la rappelle.

Jean Daniel BURKHARDT

lundi, janvier 11 2010

DIEGO IMBERT et son Quartet : disque et concert magnifiques au Cheval Blanc

Né en 1966, Diego Imbert a été le contrebassiste de Sylvain et accompagne Biréli Lagrène. On l’a entendu il y a un an avec le projet « African Tribute To Art Blakey » avec le trompettiste Alex Tassel, membre de son quartet ce soir, comprenant aussi l’excellent saxophoniste Israélien David El Malek ) sur la droite et à l’arrière Franck Agulhon à la batterie (découverts dans le Pierre De Bethmann « Lithium » Quintet).

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L’album de Diego Imbert «A l’ombre du saule pleureur », écrit pour ce quartet sans instrument mélodique, mais aux riches fonds sonores des deux souffleurs à l’unisson, est une des meilleures surprises de l’année 2009, peut-être son plus beau disque de Jazz, car pour un premier album , il sublime l’improvisation par des compositions sublimes Bop/Cool ou Hard Bop.

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Quelques échanges de saxophone et trompette annoncent des coulisses l’arrivée des musiciens, puis entrent Agulhon et Imbert, chemises noires, Alex Tassel au bugle, chemise psychédélique colorée (il en portait déjà une avec Franck Avitabile au Strasbourg Jazz Festival il y a quelques années) et David El Malek, chemise orientale rayée, au saxophone ténor. La contrebasse d’Imbert croquenote « Le Garde Fou » entre les coups de cymbales martiaux drum’n’bass, modernes de Franck Angulhon, élément le plus moderne, à la Tony Williams, puis les magnifiques unissons de Tassel entre Miles et Chet et El Malek, en retrait, s’avançant comme sur la pointe des pieds comme pour ne pas briser le charme, comme Lester Young quand il ne supportait plus que la douceur des mocassins à pas comptés pour traverser la scène ou le monde.

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Ce premier titre de l’album reprend les recherches de Jazz modal où Miles Davis et son second quintet (Herbie Hancock piano, Wayne Shorter au saxophone, Ron Carter à la contrebasse et Tony Williams à la batterie) les avait laissées avec « Nefertiti » en quittant le Jazz pour le Rock en 1969 pour la liberté des ballades.

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A cette complicité entre les souffleurs, on pense aux couples mythiques trompette/saxophone : Miles Davis/John Coltrane, puis Miles Davis/ Wayne Shorter, Chet Baker/Gerry Mulligan, tant rien ne semble séparer l’alliance de ces deux voix : le bugle légèrement au-dessus, le saxophone venant le soutenir par en-dessous..

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El Malek prend son solo sur les lueurs rouges orangées des projecteurs. C’est un des saxophonistes les plus lyriques, poussant le sentiment jusqu’à la spiritualité d’un Coltrane avec la liberté d’un Wayne Shorter dans « Hand Jive» sur Nefertiti de Miles, semblant alors s’ennuyer du Jazz au point de jouer toujours les mêmes notes comme en boucles en laissant toutes les variations au seond quintette. Ici aussi, les variations viennent de l’orchestre, de la rythmique sur laquelle surfe le soliste, de la batterie qui se fait de plus en plus tourmentée à grands renfort de roulements et de breakbeat et le saxophone prend son envol à la Coltrane vers des galaxies voisines d’ «A Love Supreme », mais à la différence de Coltrane que sauvait sa spiritualité nous redescend des étoiles, retombe sur le thème, atterrissant en douceur comme en parachute juste sur l’unisson du bugle, revient au thème et à ses courbes impeccables.

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Après applaudissements et sourires, Imbert reprend sur le thème le plus rapide du disque, « 78 tours » (ainsi nommé avec humour en référence aux premiers disque de Jazz qui étaient des 78 tours, ce titre étant sur un rythme 7/8). Sur ce thème plus Bop, presque latin, les souffleurs évoquent certaines passes d’armes plus expérimentales des boppeurs de la Côte Est Charlie Parker et Dizzy Gillespie dans « Hot House » à leurs débuts, ou cherchant, lors de leur dernier enregistrement « à atteindre Leap Frog comme on chercherait à atteindre le soleil » (dixit Alain Gerber), mais sauvant leurs ailes de sa chaleur par la grâce de leur complicité, ou des West Coasters Mulligan/Baker sur « Utter Chaos » (enregistré à plusieurs reprises en prises très courtes) () ou le plus latin « Frénési ».

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Le leader Diego Imbert est indubitablement plus présent dans sa musique sur scène qu’on ne l’y entend sur le disque, sa contrebasse étant le mât dans la tempête, le pilier indispensable de cette musique dont il est l’auteur, l’élément le plus stable et dont elle émane, l’axe générateur autour duquel tourne son manège mis en branle par la batterie d’Agulhon, aux formes échafaudées au fur et à mesure par les deux lignes distinctes mais se rejoignant dans leurs unissons, haute et droite de Tassel, sinueuse mais qui vient toujours le soutenir à bon escient dans le retour du thème d’El Malek.

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Ils ont « bravé la neige », comme souvent lors de leurs concerts, explique Imbert, pour moi ils sont passés au travers, se sont fondus dans ses flocons, tant sa musique ressemble à ses cristaux par leur finesse où chacun a sa place. Pour un peu c’est la neige qui a été attirée, sachant qu’elle ne pourrait rêver de plus belle bande son pour sa chute.

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Suit « Les Dents qui poussent », la plus belle ballade du disque, composée par Imbert alors que son fils « Léo », dédicataire du titre suivant, pleurait en faisant ses dents. Une ballade comme Miles eût aimé en jouer encore avec le second quintet, si son tempérament qui le poussait à avancer toujours ne les eût pas considérées comme de «vrais résidus de poubelle de type My Funny Valentine, ces camelotes d’un autre temps écrites à l’usage des blancs !» (Miles Davis en 1975 cité par Alain Gerber dans « Miles Davis et le Blues du Blanc »). Alors Miles brûla ces vaisseaux d'émotion qu’il adorait encore trop pour s’en défaire avec le second quintet sur la scène du Plugged Nickel ou ailleurs.

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Cette ballade de Diego Imbert est sublime, limpide, avec le bugle chaleureux de Tassel à la Chet Baker (qui lui ne renia jamais sa Valentine, jouée ou chantée d’une voix d’age androgyne ou scattée dans l’aïgu, jusqu’à son dernier concert, même s'ilécoutait le technofunk "Tutu" de Miles Davis sur son walkman, comme si la dureté de sa vie passait sur lui comme de l’eau sans l’atteindre ni lui donner envie de répliquer de la même façon, miraculeusement inchangé et toujours aussi sensible et fragile, malgré lui, lui fait dire Alain Gerber à Tadd Dameron, qui rêvait de cette « dureté » de Miles de cette froideur.) sur les balais tournoyants en ballade entre cymbales et toms d’Agulhon.

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Le genre de ballade à vous tirer des larmes de tendresse, qui vous remet les oreilles en place, vous les nettoie de toutes les pollutions pseudo/néo Jazz, néo Cool, de l’électricité du Jazz Rock, Funk, Fusion, Electro, que sais-je dont on se contente faute de mieux en se disant que le Jazz est aussi une musique de danse, ou de révolte, de liberté, larmes qui se prolongent sur le solo de saxophone d’El Malek, le plus humain et classique des grands lyriques actuels et sèchent à l’harmonie sublime de leur unisson final. Ça me fait même oublier Dave Douglas et Uri Caine à Jazzdor.

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Franck Agulhon poursuit en introduisant seul « Léo » (nom du fils de Diego Imbert aux « dents qui poussent ») de frappes Bop à la Art Blakey où l’on retrouve l’Afrique et ses tambours dans les toms, ses scintillements urbains par éclairs fulgurants dans les cymbales, la contrebasse qui revient comme la mise en marche d’un moteur ronronnant et les deux souffleurs dans le rôle des Jazz Messengers qui débarquent avec les deux souffleurs excellant dans ce style Hard Bop.

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El Malek montre son côté Hard Bop, le son bondit, Cannonballe, mais la colonne d’air reste droite comme un i, il s’envole, pousse jusqu’à la transe, au cri, à l’accélération de fusée Coltranienne de « Countdown », mais atterrit sur la basse moderne, jouée sur une seule corde sur les tapotements d’Agulhon, le bugle, se remet à nouveau dans l’orbite du thème, comme une capsule atterrissant en parachute et c’est agréable de ne pas prendre qu’un aller-simple pour l’inconnu. Tassel prend un solo à la Miles dans « Ascenseur pour l’Echaffaud » ou Clifford Brown dans sa réactivité immédiate aux nuances de la batterie qu’il avait avec Max Roach des tempos rapides aux ballades sublimes.

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Ce thème montre l’autre plaisir de ce disque, nostalgique lui aussi, qui nous rappelle les magnifiques bandes originales offertes par le Jazz américain aux films noirs, blancs, et polars français dans les années 50s pour ses tempos les plus vifs grâce à une efficace dramaturgie rythmique de ces histoires sans images mais non sans scénario ni suspense où se trame le drame dans la nuit noire et se tapit le crime. Je pense au très oublié mais magnifique « Le Désordre et La Nuit » avec Jean Gabin et Hazel Scott ou au plus connu « Liaisons Dangereuses 1960 » de Roger Vadim, censuré par l’Académie Française comme « adaptation libre ». On y perdait les costumes libertins XVIIIème de Choderlos de Laclos, mais on y gagnait une bande son d’Art Blakey et ses Jazz Messengers Hard Bop, ou latine sur le thème « No Problem », un peu de Monk et de Coltrane et Boris Vian, Jeanne Moreau et un Gérard Philippe de grande classe skiant aux sports d’hiver.

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Ce soir les applaudissements après chaque solo et entre les thèmes ne saluent pas les effets de manche et d’épate, de démonstration égotiste improvisée, mais la beauté lyrique de ce répertoire magnifique et simple à comprendre et l’exécution irréprochable, la mise en place et l’écoute mutuelle des musiciens, ce qui se fait de plus en plus rare.

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Enfin, « Cartagène » est un titre plus swing à l’ancienne, que Biréli pourrait jouer (à la manière de son original traitement country d’ »After You’ve Gone » sur le dernier album du Gipsy Project « Just The way You Are », mais qu’il n’aurait pas pu composer. Le Jazz a besoin des deux, d’improvisateurs pour jouer et de compositeurs pour renouveler le répertoire.

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Merci à Diego Imbert de raviver nos émotions du vrai Jazz avec ce beau disque et longue vie à ce quartet, qui mériterait bien un prix aux prochaines Victoires du Jazz...

Jean Daniel BURKHARDT

mardi, novembre 17 2009

Un Thé à Londres : Jazzdor donne carte Blanche au Loop Collective

Le 11 novembre, Jazzdor invitait à découvrir à l’heure du thé (16 h-18 h) deux formations de la jeune scène Jazz Londonienne au Club du TJP par une Carte Blanche au Loop Collective (), collectif créé en 2006, dont c’est la première représentation Outre-Manche.

On pouvait entendre tout d’abord le duo d’Alex Bonney (trompette et bugle) et Dave Kane (contrebasse).

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Le duo pratique l’improvisation libre, free. On voit, on entend que les deux instrumentistes ont le don de la mélodie et le sens de l’harmonie dans les morceaux les plus calmes et écoutables. C’est peut-être moins déroutant à VOIR qu’à ENTENDRE sur le disque. On comprend davantage en concert que ce type d’improvisation post-standard semble n’avoir pour les deux instrumentistes comme référence immédiate que la mise en place, le jeu de l’un par rapport à l’autre, sans thème ni mélodie, ce qui peut dérouter.

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Cependant, au premier rang, un jeune enfant allongé fait danser ses bras et ses mains à leur musique, capable peut-être de plus de naïveté, ne cherchant pas du SENS à tout prix, ou des références connues, contrairement à moi, disponible à l’émotion pure.

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En effet, la contrebasse de Kane esquisse un rythme dans lequel la trompette de Bonney intercale son souffle, ses mélodies, comme deux instruments du Jazz hors des clichés et qui nous appellent à nous en défaire, à redécouvrir le groove d’une contrebasse, le seul souffle musical d’une trompette modifiée de sourdines jouée chacune comme une expérimentation pure et sans filets.

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Ils nous invitent à redécouvrir l’imprévu, quand ils ne sont plus eux-mêmes, que la contrebasse se fait berimbau tapoté de l’archet, percussion Africaine, grincement pur, la trompette gémissement à ras de terre dans la sourdine, à entendre pour la première fois les pistons pour eux-mêmes, à apprécier les variations d’intensité et de tempo pour elles-mêmes, les instruments pour la surprise qu’ils nous font, leurs possibilités inouïes.

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Certes. MAIS même le grand contrebassiste de Jazz Charles Mingus (pourtant capable de violences musicales, mais encadrées par une forme, comme le cri de trompette ultime de son « Haitian Fight Song » ou « Moanin’» (), et l’un des Afro-Américains les plus engagés de son temps, réclamant des armes pour les Noirs en 68, auteur de Fables Of Faubus (http://www.youtube.com/watch?v=LtwxJJkMUF8)), déclarait à Sue Mingus ( qui le cite dans « Pour l’Amour de Mingus ») : « On fait pas n’importe quoi tout le temps », et à propos du Free Jazz : « Je ne sais pas s’ils ont essayé d’escroquer les Blancs ou s’ils se sont fait escroquer eux-mêmes. Ils ont essayé de tuer Bird. De dire que c’était quelque chose de nouveau. Mais on ne prend pas un produit de qualité inférieure pour le mettre à la place de la vaseline et dire qu’il est meilleur, alors que tout le monde sait que ce n’est pas vrai. Ils sont peut-être sérieux, mais leur sérieux ne m’est pas encore apparu. », ou encore «La musique doit avoir une forme, être issue d’une musique historique créée par un peuple. On ne peut pas contenter de types qui jouent des lignes différentes. Si vous étudiez la musique, vous pouvez tout faire, avoir de la variété. Quand chaque pièce sonne exactement comme la précédente, ce n’est pas drôle. J’aime que tout le monde crée collectivement, qu’il y ait un travail d’ensemble. Je veux des rythmes différents, des accords de passage différents ou une musique différente sans aucun accord. Mais jouer seulement free, n’avoir aucune notion de l’endroit où l’on va ou de celui d’où l’on vient…Si on veut m’opérer d’une appendicite, je veux être sûr que le docteur se souviendra de toutes les étapes. »

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Mingus avait même proposé à Duke Ellington en 1972 (cité dans les notes de son disques « Changes »: « Duke, pourquoi vous, moi, Dizzy , Clark Terry et Thad Jones ne nous associerions-nous pas pour faire un disque d’avant-garde ? ». Le Duke refusa : «Pourquoi revenir autant en arrière ? Ne faisons pas reculer la musique à ce point, Mingus. Pourquoi ne pas faire, simplement, un disque moderne ? »

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Mingus pensa à un disque intitulé « Avant-garde par Duke, Mingus, Diz, et caetera ». Mais Duke refusa, « tenant pour démodée la musique qu’on appelle aujourd’hui d’avant-garde. Et c’est vrai. Elle est démodée parce qu’elle est jouée par des débutants.».

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On peut donc demander aux musiciens de faire l’effort d’une forme, de compositions dignes de ce nom.

La meilleure preuve en fut qu’en seconde partie, pour le thé de cinq heures, on pouvait entendre un bon quartette du Loop Collective, Blink (http://www.myspace.com/blinkloop ), composé de la pianiste Alcyonna Mick, du saxophoniste et clarinettiste français Robin Fincker et du batteur Paul Clarvis.

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Dès « Mummy’s Boy », le jeu Tristanien dans les basses d’Alcyonna Mick montre une grande efficacité rythmique alternée de clusts éclaboussant le clavier, la batterie « Around The Bush » et le saxophone lyrique et libre volette de l’un à l’autre. Comme quoi on peut être libres et jouer ensemble à la fois.

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Alcyonna Mick () a un jeu Tristanien, mais plus violent. Leurs compositions ont une évidence harmonique et mélodique Rock / Pop, un charme dramatique cinématographique de BO à la Limousine ou Rocking Chair.

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Ils ont aussi la culture du Jazz et des Standards, Robin Fincker cite « In A Sentimental Mood » d’Ellington qu’il reprit avec Coltrane, pour un décrochage en ballade plus contemporaine sur les balais de la batterie.

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Evidemment, le Jazz Européen peut s’inspirer de ses traditions locales. Ainsi, dans « Contrebass », dédiée aux « petites cuillers de Paul Clarvis », le batteur les entrechoquait sur ses toms, comme les musiciens irlandais sur leurs cuisses, avec le saxophone de Robin Fincker jouant dans un style Balkanique lent, au son voilé à la Lourau, prolongeant le souffle jusqu’à la dissonance, puis rythmé, dans une transe chamanique poussée jusqu’au CRI Free, mais comme aboutissement final, pas comme tenant et aboutissant, comme principe de jeu, se calme sur le tinkty-boum de la cymbale pour repartir en dissonance et finir dans un souffle sur le piano en ragtime lent Tristanien.

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Dans « Fool », belle ballade, ils sont très proches du troisième courant de Tristano dans leur jeu collectif libre, et c’est quand même plus intéressant quand la musique est composée / arrangée correctement, un peu à la Baptiste Trottignon / David El Malek pour le côté anguleux des phrases sur les roulements de la batterie dynamitant le tout à la manière Bop, Hard Bop ou Néo Bop, à la fois capable de marquer le tempo et de pousser au crime.

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« Crunch » croustille de Funk sur la batterie et dans les accords du piano, puis le saxophone trouve et trace sa voie dans et à travers la rythmique forte jusqu’au cri, la fait monter en puissance. Le CRI est un paroxysme, une explosion, la libération d’une tension dramatique, l’exaltation d’une joie qui exulte, l’éclatement d’une révolte, mais ne vaut que PAR RAPPORT à son contraire comme le bruit par rapport au silence ou à la musique organisée, pas comme unique présupposé formel.

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Le Bis est plus lent, le saxophone boisé au son voilè, les balais amoureusement frottés sur les toms puis le saxophone s’envole à peine en une magnifique ballade.

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Dans la Poésie comme en Musique, c’est de la Contrainte que naît la Forme, pas de l’Informe sous prétexte de Liberté qui n’a de sens que comme expérimentation, et si possible qu’en Jam, et encore même là, il faut un discours commun, pour parler la même langue…

Le festival se pouruit encor usu'à vendredi avec ce soir à Pôle Sud Mathew Bourne, Barre phillips et Roger Turner puis le Quartet du tromboniste Suisse Samuel Blaser, Mercredi Henri Teier jouant Jacques Prévert à l'Illiade et Vendredi David Murray et son Latin Big Band jouant le répertoire du Nat king ole Español!

Jean Daniel BURKHARDT

Sol 12 et To Catch A Crab à Jazzdor

Sol 12 est un grand orchestre en forme d’hydre à douze têtes, sphinx masculin-féminin respectant la parité (6 hommes / 6 femmes, venus de huit pays différents), dirigé par luc Ex (bassiste de The Ex et 4 Walls) et Veryan Weston (pianiste de 4 Walls), avec Hasse Poulsen à la guitare, Franz Hautzinger à la trompette, Johannes Bauer au trombone, Hannah Marshall au violoncelle et à la voix, Ingrid Laubrock au saxophone et à la voix, Isabelle Duthoit à la clarinette et à la voix, une noire, Mandy Drummond au violon alto et à la voix, Tatiana Koleva au marimba et aux percussions et Tony Buck à la batterie. C’était mardi 10 novembre la Création de ce projet à Pôle Sud.

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« Andiamo », lance Luc Ex, qui a troqué sa basse électrique punk pour une guitare basse en bois, mais a gardé son attitude très punk dans son jeu, avec tout le corps porté en avant sur une jambe et de retours en arrière, semblant parfois jouer plus AUTOUR de sa basse que de l’instrument, dans un exercice aussi sportif que musical.

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Pour le reste, le traitement musical et le jeu est très contemporain, fait de frottements de cordes (ou d’un archet sur le marimba), de souffles furtifs et rythmiques stoppés dans leur élan ou de jeu de clés, de percussions sauvages qui ne marquent pas le rythme, suivis de loin en loin d’échos de cuivres et autres bruits, d’éclats tonitruants et de silences habités.

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Il y eut un magnifique arrangement du « Las Vegas Tango » de Gil Evans par Veryan weston, bien dans la manière des Sketches Of Spain arrangés pour Miles Davis, avec de magnifiques fonds sonores de l’orchestre, montrant qu’ils pouvaient AUSSI jouer de concert.

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Mention spéciale pour Isabelle Duthoit, la clarinettiste aux cheveux rouges écrevisse, qui outre un jeu très contemporain (souffles coupés, jeux de clés à vide et autres borborygmes), fit quelques démonstrations vocales intéressantes, un peu à la manière de Phil Miton (chanteur de 4 Walls), mais avec la grâce féminine en plus, un côté oiseau crieur plutôt charmant suivant sa voix d’un bras mobile, la poussant jusqu’au cri ou l’étouffant dans l’aïgu, au rugissement ou au bêlement, une vraie ménagerie intérieure!

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Johannes Bauer fit démonstration de ses talents bruitistes et musicaux, de l’un à l’autre, alternativement ou des deux ensemble, à plusieurs reprises. Dans le genre contemporain, c’est sûr que c’est un « maestro », comme l’a dit Frantz Hautzinger.

A un moment précis, on a pu presque retrouver le rythme festif du Jazz… Après, c’est une question de goût, et de savoir si le jeu collectif et généreux est le but ultime de la musique et du Jazz plus ou au moins autant que les bruits individuels juxtaposés…

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En seconde partie, on pouvait entendre «To Catch A Crab », duo de Pascal Gully (batterie, percussions, voix) et Christine Clément (voix, synthétiseurs, bugle, guitare et effets électroniques) au Club du TJP, que Jazzdor est content de retrouver après deux années ailleurs. Dès le premier titre « Invisible War », on voit qu’il y a un vrai univers, un talent mélodique, une harmonie entre le clavier, les deux voix et la batterie.

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C’était, je l’ignorais, l’anniversaire du Maestro Ennio Morricone ce 10 novembre (81 ans), « Longue vie à lui » lui souhaite Pascal Gully. Peut-être peut-on y voir une influence sur les paysages désolés, cinématographiques (), un côté « Il Etait Une (autre) Fois Ailleurs » de « To Catch a Crab », où parfois affleure un bugle solitaire en plein désert dans « Botanic », une bonne chanson pop tant pour le texte en anglais que pour la mélodie chantée par Christine Clément.

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La musique devient plus Rock underground quand Christine Clément martyrise les cordes d’une guitare électrique à plat sur ses genoux, puis l’ambiance se fait séductrice, vénéneuse sur les invitations de Pascal Gully («Come With Us Into a New Shelter ») sur fond de gongs et de batterie obsessionnelle, d’échos de guitare et de clochettes tibétaines de Clément.

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Le synthétiseur se fait harmonium sur les clochettes de Gully, comme dans « Drogenfähnder » atteignant une spiritualité universelle lente sur les baguettes ouatées, effilochées de Gully, sur lesquelles Christine clément sait construire un au-delà des langues, un esperanto de l’émotion (« A Star End, La Vida »), du murmure au cri à la Patti Waters. Gully avait déjà joué sur les langues et les poésies avec Da-Go-Bert ( Porquoi ce nom? « trois syllabes, nous sommes quatre », m’expliqua un jour l’intéressé) avec Géraldine Keller (voix, flûtes), François Heyer (trombone) et Jean-Christophe Kaufmann (guitare).

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Dans « Liquide », grâce à la sirène Clément, on croit entendre les cordes d’un qanûn absent, ruisseler les eaux d’un piano naturel englouti, un piano d’eau qui goutte près de la bouche d’une écluse électro de Gully. Christine Clément a un usage organique, naturel, presque écologique des moyens électroniques, en quelque sorte…

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Gully joue aussi des œufs percussifs dans « Folk » et des cymbales à la baguette, créant des frissons de glaciers, des échos de banquise, des chants d’icebergs, une musique de glace à la Terje Isungset (à Pôle Sud le 5 février), sur laquelle Christine Clément pose un chant diphonique, mongol, hinouit, puis ‘envole à la Lisa Gerrard de Gerrard de Dead Can Dance vers des paysages inouïs. Gully et Clément sont deux chamanes, lui urbain, industriel, Héphaïstos ferraillant dans l’usine forge de sa plaque de tôle (remplacée sur ce proijet par un tar suspendu) aux lueurs rougeoyantes, elle sirène d’on ne sait quelle mer ou pythie sibylline sur un electro-dub acoustique créant un paysage imaginaire Morriconien, paysage désolé sur lequel claironne le flugelhorn de Christine Clément sur les percussions tribales de Gully, entre Miles, Chet et la poésie atmosphérique d’un Molvaer dans cet environnement plus naturel que son laptop, Gully joue aussi d’un grand gong tournoyant.

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Sur le « dernier morceau », l’orgue se fait suave et groovy, pop et la voix de clément rappelle Portishead, plus Jazzy, Soul sur la batterie légère et ses ras ethniques. Le clavier scratche Gully, puis se fait Floydien, psychédélique.

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Dans le Bis percussif electro, le souffle de Clément retrouve le personnage de la petite fille haletante qui a peur de la nuit noire et de la Machine qu’elle joue dans certains titres de Polaroïd 4 (http://www.myspace.com/christineclement ), son autre groupe avec Christophe Imbs et finit en cri final mongol.

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C’est de la pop travaillée à la manière de la musique contemporaine, mais en restant intuitive, laissant la place à l’improvisation, en un mot excitante et audible, qui nous fait aimer la pop et ces moyens contemporains plus que la décevante pop actuelle et l’ennuyeuse musique contemporaine. Un vrai univers fascinant et varié.

PS: pour l'album déjà terminé, "To Catch a Crab" est à la reccerche d'un label, avis aux amateurs

Jean Daniel BURKHARDT

mardi, novembre 10 2009

Archie Shepp Phat Jam à la MAC de Bischwiller

Archie Shepp est un des héros historiques du Free Jazz né en 1937 qui a commencé avec Coltrane, milité pour les droits Civiques Noirs, Malciolm X et le Black Power, a aussi fait du Funk avec Attica Blues, joua avec Chet Baker peu avant sa mort (qui ne comprenait qu’il ait autant « horreur du silence »), s’est calmé dans les années 80s sur des gospels lyriques en duo avec le pianiste Horace Parlan, a joué avec des Gnawas et monté son label "Dawn Of freedom"dans les années 2000s….Il est donc logique de le retrouver aujourd’hui avec Phat Jam, un projet Hip-Hop (il en a déjà monté un avec Chuck D et Public Ennemy) incluant Napoleon Maddox, rappeur et beatbox de Iswhat !?! et le batteur Hamid Drake, qui après avoir commencé par le Funk, est devenu le batteur de Peter Brötzmann, puis de William Parker.

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Il a ramené de la première prestation enregistrée de cette formation à Milan le saxophoniste Italien Cochemea Gastelum au saxo alto, rajouté un certain Patterson au clavier et une basse électrique.

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Ils commencent avec « Dig » d’Iswhat !?!, le groupe Hip Hop de Napoleon Maddox avec Oliver Lake avec le beatbox puis le rap de Napoleon Maddox et la puissance du saxophone de Shepp sur un tempo plus rapide que sur l’album avec Olivar Lake. Shepp intercale ses solos alternés avec le saxophoniste italien. Maddox rappe « You got to do what you need to do » sur leurs bons riffs funkys, qui rappellent que le hip hop vient de loin dans le Jazz (Gospel, Swing, Bop, Rythm’N’Blues, Soul, Funk, Hip Hop), puis beatboxe avec la batterie d’Hamid Drake pendant le solo de l’italien. Le clavier donne un liant 70ies à la Lonnie Liston Smith, auquel Patterson fait penser avec sa barbe poivre et sel. Archie Shepp a toujours la grande classe dans sa tenue vestimentaire : chapeau et costume noir, cravate et chemise blanches. Son style est à la fois lyrique dans ses solos et offensif par ses riffs en rythmique. Cette formation est aussi une belle combinaison intergénérationnelle du Jazz, du Free au Hip Hop.

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Ils poursuivent avec Casket, (pas le chapeau, la boîte dans laquelle Maddox refuse de se laisser enfermer). C’est le thème de l’album « Phat Jam in Muilano » le plus bouleversant et lyrique sur une basse lente et les claviers rajoutant un côté Brésilien à la belle mélodie des fonds sonores magnifiques des deux saxophones, avec un superbe solo de Shepp sur la basse.

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Le beatbox de Maddox est vraiment un instrument à part entière, entre turbine et boîte à rythme vocale, vivante, humaine. Son flow y est aussi plus lent, musical et sensible, surfant sur le saxophone et le clavier, c’est un vrai chanteur, pas seulement un rappeur débitant des mots au kilomètre/seconde.

Shepp est aussi un enseignant, aux Etats-Unis, où il a pris sa retraite, mais aussi de par le monde, invitant lors de son dernier passage une de ses élèves locaux, et ici cet italien.

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Archie Shepp continue avec « Trippin’ », un Boogie Blues de sa composition , présenté comme « un voyage psychologique » (il parle un français à l’accent américain moelleux, d’une voix éraillée), extrait de son précédent disque « Gemini » sur une bonne basse basse Rythm’N’Blues pur Jook Joint et la Beatbox de Maddox. Tout le Jazz se retrouve dans son solo de saxophone (http://www.youtube.com/watch?v=iKaKrxaDXkc&feature=related ), depuis le Gospel de cette citation d « Oh When The Saints Go Marchin’ In ». Il chante d’une voix forte, il est aussi un extraordinaire chanteur de Blues, de ballades, des souffrances et des résistances de l’Âme noire (Soul), et un Blues Shouter qui hÛÛrle à la Howlin’ Wolf à la Eddie Cleanead Vinson dans l’aigu, rassemble en lui tout le Jazz, la Great Black Music, du Gospel à James Brown (« I Feeeel Good ».

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Napoleon Maddox reprend le micro pour « Ill Biz », « sur l’argent, qui voudrait faire tourner le monde rond, mais le monde a d’autres projets » sur la rythmique Drum’N’Bass d’Hamid Drake, la basse funky Hip Hop, le clavier et Shepp en fond sonore puissant. Maddox y dénonce les commerces illégaux : « le commerce de la drogue contrôle l’Amérique , le commerce des armes contrôle l’Amérique, parce que George Bush, fils de George Bush l’ancien président directeur de la CIA contrôle l’Amérique » chantait-il sur le disque et sur scène, mais maintenant qu’Obama est président, il a enlevé ces dernières attaques personnelles après la victoire, se concentrant sur la critique de l’argent qui a mené l’Amérique à la crise, puis passe aux beatbox en scratchant sur les saxophones. La modernité de Shepp le rend inusable, de tourner avec un tel groupe à plus de soixante-dix ans, alors qu’il n’a plus rien à prouver, pourrait se contenter de jouer des standards, mais justement c’est parce qu’il sait d’où viennent ces musiques (de l’esclavage et de la révolte des noirs), et qu’il l’a toujours expliqué à chacun de ces concerts qu’il va bille en tête vers les formes les plus modernes et actuelles de cette même contestation que sont le Hip Hop et le rap. C’est certainement sa formation la plus moderne depuis une dizaine d’années.

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Mais les ballades Soul et leur émotion ont aussi, justement, leur place dans le répertoire du Phat Jam, comme ce «Little ghetto Boy » de Donny Hathaway, chanté avec soul par le clavièriste avec un Shepp lyrique au saxophone. Le Jazz est aussi une musique de consolation et de dépassement de la souffrance, d’espoir qu’ »Everything is gonna be better » (Tout ira mieux).



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Archie Shepp recycle ses anciennes chansons, ses vieilles émotions et ses colères légitimes, comme “ Mama Rose “, dédié à sa grand-mère, dont il a fait « Revolution ». Sa grand-mère était esclave « née quand les noirs n’avaient pas de saxophones ni de trompettes, de trombones, ni même un tambours, n’avaient rien pour exprimer leur révolte que leurs propres corps ». Au début de sa carrière, il chantait un chant de révolte , «Hambone », rythmé récemment par son batteur sur son pantalon de cuir noir.

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Cette fois, c’est Napoleon Maddox qui l’accompagne d’un beatbox africain proche par ses cliquetis des tribus khosas Sud-Africains popularisés par Myriam Makeba dans sa « Click Song », origine lointaine du beatbox jusqu’en Afrique et dans ses percussions buccales.

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Depuis toute sa carrière, ArchieShepp explique et martèle à chacun de ses concerts l’importance de l’esclavage dans l’origine du Jazz. Il s’y révèle à la fois chanteur, bluesman et poète du « Matin Des noirs », dénonçant le meurtre d’un cousin par la répression policière lors d’une manifestation pour les Droits Civiques dans « Steam » (fumée), qu’il chante parfois lui-même, aussi bien que le crooner d’ « Attica blues », conteur, de cette voix profonde magnifique de ferveur, avec ce texte visionnaire où il voit « les étoiles brillant comme les yeux de sa grand-mère » dans ce blues d’un voyage de Chicago à New Orleans. Engagé, ce qu’il veut léguer à son peuple, à ses enfants, est un boulet de canon et la Revolution autant que la Paix.

L’âge n’a pas calmé sa révolte dans son essence, lui a peut-être amené la sérénité, la tolérance, et dans une interview, il disait de continuer à écouter Louis Armstrong.

Il crie : «NOUS SOMMES LES VICTIMES, je vais le dire à mes fils, de ne pas oublier de faire la REVOLUTION, RÊV-RÊV-RÊ-VOLUTION ».

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Maddox lui fournit un accompagnement constant et très varié avec les percussions africaines d’Hamid Drake, la basse lourde et groovy, dramatique.

Archie Shepp termine « Black Girl WET, WET, WET, from the heart», « Fille noire, mouillée du cœur », comme ses yeux humides de larmes et les nôtres. Deux enfants handicapés au premier rang mêlent leurs cris aux siens, communion de souffrances raciales ou physiques, de deux exclusions…

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Napoleon Maddox reprend le micro pour « The Life We Chose » (la vie que nous avons choisie) sur une rythmique Hip-hop collective et tribale avec les taxiphonies de Shepp et Gastelum, le rebond funky du clavier de Patterson, et chante avec le public.

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En souvenir de John Coltrane, ils reprennent aussi « Afro Blue » que Shepp lui attribue à tort, puisqu’il est du percussionniste Afro-Cubain Mongo Santamaria qui en donna une version plus « roots » avec percussions et flûtes.

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Napoleon Maddox s’est révélé rappeur mais aussi chanteur, beatbox mais comme un vrai jazzman et même un soliste, tout simplement émouvant autant qu’incisif dans son message. C’est une version plus funky avec le beatbox de Maddox et jouée par Archie Shepp au saxophone soprano oriental rappelant le dernier Coltrane, citant « Summertime ». Comme Coltrane, qui mourut jeune, Shepp double son saxophone d’un second, mais comme il est plus vieux, ce serait plus comme King Oliver doublant son cornet de Louis Armstrong.

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Maddox assura un Bis Hip Hop / Beatbox avec Shepp jusqu’au cri, puis Shepp un second Bis sur un autre de ces Blues Funky dont il a le secret sur New York, avec un faux départ « STOP », le public dansant avec lui debout sur son Blues chanté/crié/shouté/hurlé/balancé/swingué/funkysé… STOP! pour de bon cette fois.

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Archie Shepp, Maddox et leur groupe nous rappellent à la fois toutes nos raisons originelles d’aimer le Jazz, et lui rendent son acuité, sa modernité, son urgence sociale et révolutionnaire ICI ET MAINTENANT où tous ces styles se retrouvent.

Jean Daniel BURKHARDT

dimanche, novembre 8 2009

Le Trio » Rooms » d’Hans Lüdemann et le nouveau quartet de Dominique Pifarély à Pôle Sud pour JazzD’Or

Hier soir, on pouvait assister à une seconde soirée Jazzpassage à Pôle Sud, avec un autre double-plateau franco-allemand et franco-américain : le trio Rooms du pianiste allemand Hans Lüdemann avec Sébastien Boisseau à la contrebasse et Dejan Terzic à la batterie en première française et la Création du nouveau projet « Out Of a joint » du violoniste français Dominique Pifarély avec le contrebassiste Bruno Chevillon, le saxophoniste américain tim Berne et son pianiste Craig Taborn.

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Hans Lüdemann est né à Hamburg en 1961 et étudia à Cologne. Le contrebassiste Sébastien Boisseau a réenchanté le début de ce millénaire de ses « Fées et Gestes ». Le batteur Dejan Terzic m’était jusque là inconnu.

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Après une introduction iconoclaste au fender rhodes, Hans Lüdemann se lance dans un premier thème dans l’esprit du pianiste aveugle Lennie Tristano et de son troisième courant d’un Be Bop ouvert aux influences baroques de Jean-Sébastian Bach, calme puis plus énergique, en passant parfois par le ragtime d’un film imaginaire, ou rappelant Keith Jarrett dans sa façon de prolonger ses phrases d’un climat à l’autre, avec des tempêtes de clusts violents dans lesquelles Sébastien Boisseau tient le mât, le gouvernail solidement.

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Dejan Terzic se montre dans son accompagnement d’abord percussionniste plus que batteur, très fin, jouant de clochettes attachées à un portant ou des cymbales avec des baguettes ouatées et d’un petit xylophone (de l’autre côté de la batterie) ou voilant ses toms d’un linge pour en assourdir le son, puis jouant d’un balais de bois en fagot, mais sut aussi monter en puissance avec Lüdemann.

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L’attitude du pianiste pendant ce première titre très long et évolutif rappelait un peu celle de Bill Evans : comme arc-bouté, immergé dans le piano à s'y noyer, le visage parallèle au clavier. Une mèche rebelle lui épargne le déficit d’image de la raie sur le côté de Bill Evans et il ne porte pas de lunettes.

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Le second titre, une ballade, fut plus dans la manière de Bill Evans dans la forme, avec une belle mise en place à la fois libre et solide de Sébastien Boisseau très originale dans ses solos et un parfait détachement de ses solos originaux à la manière de son contrebassiste Scott La Faro, et aussi cette façon d’accélérer imperceptiblement le tempo par groupes de notes sans avoir l’air d’y toucher dans « Come Rain Or come Shine » et « Autumn Leaves » dans « Portrait in Jazz ».

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Après information, il s’agissait d’un standard de Berthold Brecht et Hans Eisler « Über Den Selbstmord » (Sur le Suicide), écrit pendant la guerre quand ils étaient exilés en Californie.

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Les juifs allemands avaient alors aussi leurs raisons d’avoir leur Blues, autant que les afro-américains sinon plus, leur Sehnsucht à l’Européenne, leur Saudade venue du froid.

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Enfin, une troisième pièce, ils jouèrent "Blues in Black and White", d’inspiration Africaine, musique que Lüdemann a beaucoup étudiée et jouée avec Ali Keïta au balafon et la chanteuse Dobet Gnahoré dans son Trio Ivoire, et, quoique l’orchestration fût plus jazz, il trouva des nuances de balafon ou de likembé ou sanza (piano à pouces africain) amplifié des Konono n° 1 ou des Kasaï All Stars dans l’intérieur des cordes du piano, Sébastien Boisseau celles d’une kora dans les cordes les plus aigues de sa contrebasse et Dejan Terzic tint le rôle d’un Art Blakey africain et joua de son petit xylophone comme d’un balafon.

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En bis, ils terminèrent par une ballade rendue groovy par la basse et la batterie.

En seconde partie, on pouvait entendre la création d’ « Out Of Joint » d’après une phrase d’Hamlet de Shakespeare : («Le temps est hors de ses gonds ») et les titres des morceaux sont dans cet esprit funèbre, dernier projet du violoniste français Dominique Pifarély () avec Bruno Chevillon à la contrebasse et les américains Tim Berne au saxophone alto et son pianiste Craig Taborn.

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On a pu découvrir Dominique Pifarély dans les formations de Louis Sclavis, et j’avais apprécié dans « Les Violences De Rameau » leur respect puis leur décrochage violent de la musique du XVIIème siècle en ska.

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Tim Berne a un talent certain pour faire durer jusqu’à la transe répétitive ses riffs de saxophone qui évoluent lentement sur la rythmique de Craig Taborn, Marc Ducret (à Jazzdor le mardi 17 novembre avec Samuel Blaser et en Masterclass "Speed Dating" le 18 à Pôle Sud de 15 à 18 h) et Tom Rainey à la batterie, arrivant à créer une mélodie insistante et obsèdante à partir d’un jeu libre et sauvage qu’il structure peu à peu de l’énergie du Rock ou du Funk.Avec Pifarély, il assura dans un contre-chant / contrepoint du violon en des volutes infinies mais toujours justes.

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Craig Taborn excella dans les accords complexes puis isolés en un jeu touffu ou se réduisant à une goute d’eau sur les touches, puis partant en des violences insoupçonnées sur le groove au naturel de la basse de Chevillon. Avec le violon, on pouvait parfois penser au Council Of Balance de Steve Coleman, avec qui Taborn a joué sur Lucidarium.

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Et finalement, cette seconde partie était aussi bien dans la manière de Lennie Tristano en Quintet avec Lee Konitz et Warne Marsh aux saxophones (dont le style de Berne serait une modernisation car il garde le goût pour la fugue et les chases au plus près des autres musiciens). C’est Tristano qui initia ces structures complexes où chacun était une voix suivant son propre chemin mais inextricablement liée aux autres, soufflant cet air frais passant sur la west Coast pour la dépasser à tue-tête. Gageons que son esprit était un peu parmi nous à travers eux…

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Le festival se poursuit ce soir avec le nouveau Phat Jam d’Archie Shepp où officient le rappeur Napoleon Maddox de Iswhat !?! et le batteur Hamid Drake, à 20 h 30 à la MAC de Bischwiller. Un car affrèté par Jazzdor part à 19 h 30 de la Place de La Bourse de Strasbourg et vous y ramènera.

Jean Daniel BURKHARDT

samedi, novembre 7 2009

MGT et le Tetraband de Bojan Z ouvrent le Festival Jazzd’Or à la Cité de la Musique et de la Danse

Hier soir s’ouvrait le 24ème festival Jazzd’Or, le festival de Jazz contemporain de Strasbourg, qui se tiendra du 6 au 20 novembre prochains.

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Pour cette première soirée, on pouvait entendre un double plateau Franco Allemand Jazz Passage, avec un trio de guitaristes émérites : MGT (pour l’autrichien Wolfgang Muthspiel, l’australien Slava Grigoryan et l’américain Ralph Towner, pour la première fois à Strasbourg), puis le nouveau groupe Tetraband du pianiste Bojan Zulfikarpasic (dit Bojan Z), très funk avec le tromboniste de Brooklyn Joshua Roseman et la rythmique anglaise de l’Accoustic Ladyland, à savoir Ruth Goller à la basse électrique et Sebastian Rochford à la batterie.

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Le trio MGT s’est créé lors d’une tournée en Australie et regroupe trois générations de guitaristes. Tout d’abord sur scène le plus jeune Slava Grigoryan, guitariste classique australien né en 1976 au Kazakhstan qui a commencé avec ses frère et soeur violonistes des Grigoryan Brothers Edward et Irina et que s’arrachent tous les orchestres philharmoniques, mais au style très flamenco sur une guitare classique joua une composition de Bill Lovelady : « Sounds Of Rain », faisant penser à la pluie par les variations de son impétuosité/intensité sous ses doigts de la douceur à la violence, alliant la prestance baroque à la Solea du Flamenco. Déjà une magnifique et magistrale leçon de guitare.

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Il fut suivi par le guitariste électrique autrichien Wolfgang Muthspiel, né à Judenburg en 1966 et frère du tromboniste Christian Muthspiel le guitariste électrique du groupe, mais qui en faisait un usage très musical, sans aucune saturation, sur une « silent guitar » sans caisse de résonance et réduite au manche et à une demi courbe vide reposant sur sa cuisse, et joua « Water », sorte de bossa doublement bègue grâce à l’utilisation d’un sampler enregistrant la rythmique pour improviser ses arpèges dessus.

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Wolfgang Muthspiel fut influencé vers 15-16 ans par un album solo de Ralph Towner, guitariste américain né en 1940 à Chehalis, spécialiste de la guitare douze cordes en métal et pilier du label ECM depuis 1974. Lui aussi a un style proche du baroque, et, dans les plus hautes cordes, la finesse d’une harpe dans ce « Solitary Woman », sorte de bossa baroque (http://www.youtube.com/watch?v=xTSuQUuOhWM).

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Après cette introduction de saine émulation et influence de ces trois guitaristes, ils se rejoirent en trio comme en Australie, où Towner fait la rythmique, Grigoryan, les arpèges et Muthspiel les résonances électriques en écho sur une guitare électrique à caisse, et vice versa, et jouèrent plusieurs titres de leur album, une musique magnifique où chacune de ces individualités sur un instrument différent, trouvait sa place dans un son collectif.

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Outre ces compositions, Towner et Muthspiel jouèrent en duo le standard « Solar » de Miles Davis et du pianiste Bill Evans, alternant thème et improvisation libre à tour de rôle.

En seconde partie, on pouvait entendre le pianiste et clavièriste Bojan Zulfikarpazic (http://www.myspace.com/bojanzed) et son nouveau Tetraband avec lequel il tourne depuis 2008. On a connu Bojan Zulfikarpazic (alias Bojan Z) depuis son arrivée de Yougoslavie avec Julien Lourau (http://www.youtube.com/watch?v=GSDQzuJcjNE ), puis son propre quartet, à la tête d’un sextet multiculturel pour « Koréni » en Solobsession, aux Etats-Unis avec son Transpacifik Trio et dernièrement avec Xénophonia, où il faisait un usage peu conventionnel d’un fender rhodes trafiqué qu’il appelle Xénophone.

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C’est dire si son retour est attendu avec cette nouvelle formation très funk, avec lequel il vient d’enregistrer son dernier disque «Humus».

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Le tromboniste Josh Roseman de Brooklyn a été le fondateur des Brooklyn Funk Essentials avant de jouer avec John Zorn et la scène Underground New-Yorkaise, l’italo-britannique Ruth Goller à la basse électrique (la première fois pour Bojan Z qu’il n’utilisera pas une contrebasse, virage vers le Rock et le Funk) et le batteur Sebastian Rochford sont la section rythmique anglaise de l’Accoustic Ladyland. Josh Roseman (http://www.dailymotion.com/video/x4vfoz_grenoble-jazz-festival-bojan-z_music ) excelle tant à la sourdine que pour moduler les sons de son trombone de la douceur veloutée ou rythmée, swinguée, à la violence rageuse, gueularde, jusqu’au cri.

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Ruth Goller assura un groove constant et Sebastian Rochford, compositeur d’un des thèmes, montra sa faculté de passer du Jazz au Funk, au Balkanique aux rythmiques Drum’N’Bass les plus modernes, aux frétillements polyrythmiques (http://www.youtube.com/watch?v=NNplKq7E_xk&feature=related) voire déstructurées.

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Après « Numéro 9 » plutôt calme et Jazz, Bojan Zulfikarpazic dédia un titre plus violent « à nos chers banquiers », où il utilisa le Xénofone, mélange fascinant de son très aigre de saturation et inouï à la Soft Machine dans les graves déclenchant entre tempêtes, tsunamis et chants des glaciers sonores et autres paysages vivants, et de douceur très perlée, 70ies, dans les aigues, sans que l’on puisse déterminer quand il passe de l’un à l’autre, peut-être par le jeu d’un boîtier d’interrupteur. On pouvait en effet penser à des tempêtes de crise financières, se calmant en creux de vagues permettant le retour des parachutes dorés et primes en bonus aux traders, mais qui n’évitent pas la catastrophe apocalyptique finale de la misère mondiale..

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A d’autres moments, on croirait en entendant ce Xénophone être dans une taverne balkanique devant un orgue de Barbarie ou un de ces claviers de fortune qui y divertissent le public et accompagnent les chanteurs de leurs sonorités orientales et envoûtantes.

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Après plusieurs autres titres, il finit dans le style Balkanique prorre à Bojan Z depuis ses débuts, mais il n’aime pas la réduction de la musique Balkanique à ce qu’en donnent à voir les films d’Emir Kusturica et les disques de Goran Bregovic. C’est sûr qu’avec ce Tetraband, il en donne une version autrement plus moderne, urbaine, Jazz, Rock, Funk, et autrement plus excitante!

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Le Festival se poursuit avec une après-midi gratuite à la Médiathèque Centre de Strasbourg, avec à 15 h une rencontre avec Michel Dorbon, directeur du label de Jazz RogueArt, à 16 h un concert de la contrebassiste Hélène Labarrière en solo sur des chansons françaises, et à 17 h le film « Off The Road, Peter Kowald » de Laurence Petit-Jouvet publié chez RogueArt en 2001 suivant la dernière tournée américaine du contrebassiste allemand Peter Kowald, décédé deux ans plus tard.

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Et bien sûr, ce samedi soir 7 novembre, le festival se poursuit à Pôle Sud à 20 h 30 avec le trio du pianiste Tristanien Hans Lüdemann, Sebastien Boisseau à la contrebasse et Dejan Terzic à la batterie en première française, puis la Création du nouveau projet « Out Of Joint » du violoniste Dominique Pifarély avec le contrebassiste français Bruno Chevillon, le saxophoniste américain Tim Berne et son pianiste Craig Taborn.

Jean Daniel BURKHARDT

vendredi, octobre 16 2009

Niels Peter Molvaer et Bumcello à la Salle Des Fêtes de Schiltigheim

Hier soir jeudi 15 octobre, Les Nuits Européennes invitait le trompettiste Norvègien Niels Peter Molvaer et le duo Tribal Groove Bumcello (Cyril Atef à la batterie et Vincent Segal au violoncelle électrique).

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Niels Petter Molvaerest, avec Erik Truffaz, l’autre grand trompettiste de la scène Jazz/Electro Européenne et depuis « Khmer », en 1997, continue sa carrière en évoluant avec différents musiciens sans perdre le fil de sa ligne musicale.

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Il était accompagné d’Audun Kleive à la batterie et à un intéressant solo de cymbale entre ses mains et d’Elvind Aarstedt à la guitare, tandis qu’un vidéaste diffusait des images de traits bleus coulant comme des stalactites se croisant, d’explosions blanches d’action painting à la Pollock sur la batterie puis des musiciens en hologrammes blancs ou verts d’eau sur fond noir.

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Comparé à Truffaz, Molvaer est davantage un chanteur qu’un joueur volcanique et intuitif, et chante d’ailleurs souvent sur scène dans le micro du pavillon de sa trompette retournée, mais aussi à travers sa trompette, s’exprime dans un style très vocalisé).

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Comme technologie annexe pour changer le son, il utilise un laptop au lieu d’effets sur l’instrument pour entourer sa musique de beats naturels et de boucles, crée un univers – écrin, un paysage ethnique presque pictural, des échos lointains où il prend place.



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La référence à Miles Davis est la plus évidente là encore, mais si Truffaz s’inspire du Miles électrique des effets de Bitches Brew et de l’Isle de Wight, Molvaer aurait plus repris le flambeau du Miles atmosphérique des ballades, de « Kind Of Blue », à la présence entêtante car se fondant dans l’espace, l’occupant entièrement, l’enveloppant de ses douceurs, ou le contaminant au point de ne plus pouvoir faire la différence entre les deux et du dernier Miles de « Doo Bop » finalement inchangé quant au son même dans un contexte Electro-Hip Hop..

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Mais on peut aussi penser pour la magie inexplicable de son lyrisme, au charme mystérieux d’un Chet Baker, mort en Hollande, plus près de chez lui que des Etats-Unis, à cette justesse de l’émotion au-delà de la volonté même de l’artiste, sublimant sa vie tourmentée, quelque chose aussi de ce qu’il appelait le « mellow of the sound » (le moelleux du son). Qui l’empêchait de faire nettoyer sa trompette pour ne pas le perdre.

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[Enfin, peut-être est-ce justement le contexte où sont nés et évoluent Truffaz et Molvaer qui les rend différents : Truffaz plus urbain, souvent presque violent, capable de pousser les aigus jusqu’au cri ou de faire de sa trompette presque une guitare électrique, Molvaer plus proche des grands espaces de sa Norvège natale, où l’on croit entendre craquer/ chanter les glaciers fondant au réchauffement climatique, les grands espaces s’étendant jusqu’à l’horizon sans fin. Truffaz serait plus militant, ayant décidé de lutter contre le monde insupportable avec les armes du Rock ou de l’Electro, Molvaer plus contemplatif, en contemplerait des beautés rêvées ou réelles, ou un monde apocalyptique encore désolé vierge, ou déjà déserté.||http://www.youtube.com/watch?v=fh7b3G4cl1U&feature=related]

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Pour reprendre une comparaison littéraire, Truffaz peint le monde tel qu’il EST, Molvaer le rêve tel qu’il DEVRAIT ÊTRE. (http://www.youtube.com/watch?v=RQYbHCLn7cE&feature=related ). On a besoin des deux, selon les moments, les instants ou les choix de nos vies.

En seconde partie, on pouvait entendre le duo Bumcello, composé de Vincent Segal (l’un des pionniers du violoncelle électrique avec son album « T Bone Garnerius », effets et samplers ) et Ciryl Atef (batterie, percussions, samplers), musiciens de M(‘atthieu Chedid).

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Ils viennent de sortir leur sixième album « Lychee Queen ».

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Ils inventent en direct un folklore urbain improvisé, "animal sophistiqué", où le violoncelle de Vincent Sègal, parfois baroque et boisé, peut aussi être utilisé comme une guitare électrique destroy aux effets Hendrixiens, est samplé, envoyé, ou stoppé, utilsé avec des effets de reverb ou de distorsion, fait la basse à cordes ou reprend son rôle d’instrument à cordes frottées, étendu jusqu’aux vièles orientales () ou à la morin khur mongole, à un cheveu de crinière de cheval, fil musical distendu, et joué jusqu’à ce qu’il casse voire sirène electronique à la Kraftwerk sur le Boléro de Ravel et Police..

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Cyril Atef a enregistré « Olympic Gramofon » avec Julien Lourau. Ses looks ethniques sont déjà une attraction, entre turban, coiffes africaines ou masque de kendo (là il était en pyjama africain et bonnet gnawa tournoyant, plutôt sobre), et il joue de la batterie, du bidon d’eau, des percussions (se mettant des clochettes sur les yeux pour ressembler à un hibou-robot et venir au devant de la scène) et sampleurs lui faisant une voix de ballon à l’hélium, lance aux public des imprécations/incantations invitant à la danse et à la libération des corps, se fait chanteur Funk Soul, marquant les temps baragouinant son groove dans « Bakin’ in The Sun », vocaux hip-hop ou chant arabisant pour « Dalila », voire africanisant.

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En Bis, Vincent Segal, qui a une autite qui le rend « sourd comme Keith Richards ou Beethoven", parle des Rolling Stones à Hyde Park et cite «Simpathy For The Devil ».

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C’était le dernier Concert de Bumcello avant plusieurs mois, chacun partant vers ses propres projets, Segal avec Bassèkou Kouyaté, Cyril Atef avec Congopunq (http://www.youtube.com/watch?v=gp8zN22vA4k), son nouveau projet, le 15 décembre au Cheval Blanc de Schiltigheim.

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Le Festival s’achève ce soir avec une grande soirée festive : La Minor (Cabaret Russe), Yom (Le Roi Du Klezmer) et le Koçani Orkestar, à la Salle Des Fêtes de Schiltigheim.

Ce soir également, le Soul Jazz Orchestra, groupe d’Afro-Beat Canadien, sera à la Salamandre à 21 h 30!

Jean Daniel BURKHARDT

mardi, octobre 6 2009

Le pianiste de Free Jazz CECIL TAYLOR fête ses 80 ans

Vendredi 2 octobre Cecil Taylor était en concert à l’Auditorium de France 3 Strasbourg, pour fêter son 80ème anniversaire (il est né le 15 mars 1929 dans une famille amie de Duke Ellington).

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Pianiste de Free Jazz, Cecil Taylor n’a jamais rien fait comme les autres. Dès son trio avec Buell Neidlinger à la contrebasse et Dennis Charles à la batterie en 1956, la forme convenue piano-basse-batterie ne l’empêchait pas de s’exprimer par des montées et descentes continues sur le clavier, avec une abstraction de la forme et une virtuosité à la Lennie Tristano que n’osaient pas alors Thélonious Monk ou Bud Powell (qu’il n’appréciera qu’après avoir entendu « Un Poco Loco ».

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Signant sur le label Blue Note en 1959, ses interprétations des standards comme « Love For Sale » de Cole Porter ajouteront à la mélodie originelle sa propre ligne mélodique). Dans les années 60s, il dépassera les durées prescrites jusqu’à 15 ou 30 minutes, quitte à n’enregistrer qu’une composition par face, comme pour « Conquistador » ou « Unit Structures », puis étendra dans les années 70s ses improvisations libres en concerts avec son saxophoniste Jimmy Lyons et ses Units à un long titre d’une heure ou plus

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Plus récemment, il a écrit un ballet pour la danse contemporaine et ajoute maintenant fréquemment à ses prestations des interprétations vocales de ses propres poésies, dans un style entre l’amérindien (il est d’origine indienne par sa mère) et le Japonais et sa danse contemporaine. Enfin, lors d’un de ses derniers concerts à Willisau, il a, après un titre long, interprété quelques titres de durée inférieure aux trois minutes habituelles, mais où les influences classiques de Debussy, Jazz ou contemporaines se retrouvent. Il est certainement le pianiste de Jazz le plus proche de la musique contemporaine, d’où sa présence à Musica.

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Il se produisait ce soir-là avec le batteur Tony Oxley, avec qui il a joué en 1988. Le Free Jazz de Cecil Taylor semble rencontrer le succès public, l’Auditorium est plein jusqu’en haut.

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Cecil Taylor commence par ses poésies, comme dans son Live au Sweet Basil. On l’entend avant de le voir, secouant des percussions et hochets comme un sorcier indien avec cette voix très aigue qui rend sa poésie amérindienne quelque peu japonisante. Mais ce sont des mots en anglais qu’il déclame : « Resurrection… ».

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Enfin on l’aperçoit sur la scène, vêtu d’un pantalon rouge remonté jusqu’aux genoux en haut de chausse sur ses jambes et ses pieds nus, ce qui lui donne un côté XVIIIème siècle (critique de l’esclavage ?), et d’une chemise où s’étale une cravate ou un ruban sur le plastron.

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Tony Oxley est à la batterie, vêtu d’une chemise imprimée, jouant presque debout des roulements ininterrompus, ponctuant sa poésie.

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Cecil Taylor a encore une souplesse certaine dans les genoux, comme le montrent ses flexions de danse contemporaine, puis s’approche du piano comme s’il redoutait d’y être confronté, à pas comptés…

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Les premières séries de notes sont très impressionnistes, rappellent le Golliwog Cakewalk de Debussy, ancêtre du ragtime, à la manière contemporaine. De tous les pianistes de Jazz, Cecil Taylor est celui qui utilise le plus les influences classiques dans ses improvisations. Sa liberté s’étend jusqu’au classique. La suite ressemble au Concerto pour la main gauche de Maurice Ravel par ses ricochets. Et quand on y pense, ce serait le comble que d’interdire au Jazz l’usage d’ancêtres classiques qui ne se gênèrent pas pour lui emprunter ses formes au début du siècle dernier. Ce n’est donc qu’un juste retour des choses

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Le jeu de batterie d’Oxley, très contemporaine, suit et reproduit ou précède à la lettre les notes de Taylor avec des effets équivalents, et vice versa, avec une confondante complicité, trouvant, inventant des correspondances inouïes. A d’autres moments, on trouve dans le jeu de Taylor des traits guillerets à la Ahmad Jamal, puis des descentes sombres et dramatiques d’un film noir muet.

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De petites trilles introduisent un ragtime qui semble se refuser à en être un pour rester formellement libre, continuer la ligne mélodique où Scott Joplin la laisserait retomber pour permettre la danse. Cecil Taylor ne joue pas pour la danse, danse lui-même ou compose pour la danse contemporaine. Il fut l’un des premiers à élever le free Jazz au niveau d’exigence de la grande musique européenne.

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Mais le traitement reste Jazz, en ce qu’il ne respecte pas le classique dans la forme, brise ou rallonge les lignes avec la liberté du Free Jazz, jusqu’à, pourrait-on croire parfois, l’informel.

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On a parlé à propos de la musique de Cecil Taylor de «non musique », mais peut-être cette liberté formelle absolue lui permet-elle aussi d’y intégrer TOUTES LES MUSIQUES pour son propre usage, à nul autre semblable. Dans cet informel, cette non forme selon ses détracteurs, se retrouvent si l’on y prête l’oreille des formes extérieures au Jazz, plus anciennes ou plus contemporaines, dynamitées par la liberté du Free Jazz érigé en système de déconstruction.

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Pelléas y cherche Mélisande, mais elle le fuit comme un main de Taylor l’autre sur le piano en des strides très vifs, se poursuivant jusqu’à la chute dans le plus contemporain des fracas. Ces réminiscences classiques ne semblent là que pour être transformées sous les doigts de l’artiste, confrontées à sa liberté qui les phagocyte, les emmène ailleurs, dans une autre forme plus libre et plus étendue.

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A propos de la Liberté Musicale, Cecil Taylor déclarait dans les années 50s à Nat Hentoff « Il n’y a pas de musique sans ordre, mais cet ordre n’est pas nécessairement dicté par un seul critère de ce que l’ordre devrait être ou tel que le pense un critique de Jazz. La question n’est pas d’opposer « liberté » et « non liberté », mais de reconnaître différentes idées ou expressions de l’ordre.»

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Tony Oxley reprend les clusts de Taylor par des ras de caisses claires, des bruissements de cymbales.

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En plus de deux caméras au poing des cameramen accroupis, une troisième, télescopique tourelle, sur un axe, tourne au-dessus de Cecil Taylor comme un vautour, l’approche puis s’éloigne comme apeurée par ce magma musical déchaîné, le prend par derrière.

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Avec le temps, Cecil Taylor est DEVENU PIANO, et le piano se fait percussion, cri, note, clavier de la microstructure de la touche à la macrostructure du clavier, volée de notes, de touches blanches et noires comme happées, brassées, prises puis rejetées à pleines mains () avec des changements de tempos suivis au doigt et à l’œil par les percussions d’Oxley.

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A propos de ce style percussif, Cecil Taylor déclarait en 1958 : « Depuis toujours, nous les musiciens Noirs, nous considérons le piano comme un instrument de percussion, nous battons le piano et nous pénétrons l’instrument. La force physique entre dans le processus de la musique noire. Qui ne l’a pas compris n’aura plus qu’à crier.»

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La violence du Free Jazz de Taylor ou d’autres, c’est celle d’un peuple qui a subi l’exil et l’esclavage, puis la ségrégation pendant presque un siècle après son abolition jusqu’à l’obtention des droits civiques et l’assassinat de Martin Luther King et Malcolm X.

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Vu de ce point de vue-là, il est rassurant qu’après des siècles d’oppression, la première parole du Jazz libre (free) ait été un cri de révolte et de colère, et généreux de la part de Taylor d’accepter AUSSI dans sa musique le classique qu’il étudia au New England Conservatory.

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Le set de batterie de Tony Oxley n’est pas non plus habituel : il y a ajouté une grande pièce de fonte en plus des éléments communs à toute batterie.

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Parfois on croirait entendre Debussy joué par Keith Jarrett à Köln, puis Cecil Taylor brise cette esthétique trop sage par des clusts d’un bout à l’autre du clavier, où le jeu se fait presque boxe, frappe les touches de ses poings avec la même énergie qu’Oxley ses gongs.

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Une main sur le clavier, l’autre presque en retrait (http://www.youtube.com/watch?v=Yomesyf8GFY), Cecil Taylor bâtit avec lenteur des accords dramatiques et ses doigts semblent découvrir chaque fois pour la première fois, avoir gardé cette folie de l’enfance de l’art.

21 h 30. Ils se lèvent et partent en coulisses. Reviendront-ils ? « Le Concert est en deux parties », signale Philippe Ochem.

Pendant l’entracte, je croise Olass T, la pianiste russe de Steppah Huntah, qui me fait remarquer qu’ «il semble écrire une page musicale pour la déchirer ensuite ». Le respect du répertoire opposé à l’énergie iconoclaste de l’acte improvisateur désacralisant l’art ?

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A la réflexion, plusieurs de ses Lives sont en plusieurs parties (nommés part I, II, III, etc), comme chez Derek Bailey, avec qui a joué Tony Oxley, même les pièces courtes de Willisau étaient nommées « part II, III, IV et V », alors que leur durée ne le permettrait pas…

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Cette mode l’abstraction des titres entend laisser à la musique sa pureté sans influencer l’auditeur Cecil Taylor et Tony Oxley ont enregistré Live en 2008 « Ailanthus /Altissima » à New York « bilateral dimensions of 2 roots songs », vendu à l’entracte 87 € les 2 vinyles, avec un livret des poèmes de taylor illustrées par les peintures abstraites d’Oxley.

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La seconde partie s’ouvre sur une seconde danse avec poèmes chantés de Taylor, coiffé d’un bonnet, qui court jusqu’au fond de la scène sur les percussions d’Oxley, parlant, entre autres de la création, de l’ «IIII Man » et l’ »IIII Woman », prolongeant les syllabes aigues comme dans la poésie lettriste.

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Revenu au piano, il continue de déclamer sa poésie, chatouille le clavier, crie et chante, joue et clame, entrecoupant ses deux formes d’expressions.

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Son bonnet noir porte le liséré vert pour les forêts d’Afrique, jaune pour l’or volé, rouge pour le sang versé du Rastafarisme. Il a d’ailleurs porté très longtemps des natty dreadlocks, qui avec ses lunettes de soleil et sa moustache ou sa barbe sous son bob, lui donnait un look assez improbable dans les années 70s à 90s.

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Soudain, il accélère, déchaîne une tempête de touches à pleines mains, à la crête des vagues noires et blanches, ses doigts éclaboussant les touches comme la marée se brisant sur les rochers. Il attaque en piqué comme un poisson volant ou un dauphin, puis replonge dans les abysses de la mélodie, de la « Cathédrale Engloutie », puis à nouveau le Jazz et ses vagues ininterrompues débordant en ruisseau, en fleuve, le clavier de ses doigts, l’un se substituant à l’autre, se superposant comme sa ligne mélodique ajoutée aux standards de Cole Porter. Il passe des valses folles d’un Chopin aux violences d’un Rachmaninov, étend ses doigts sur les touches, comme de tentaculaires étoiles de mers explosant soudain au ciel en feux d’artifice, puis ne se concentre que sur une note, pour y reprendre le flot discontinu des notes.

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Les cliquetis métalliques d’Oxley répondent en temps réel à ses clusts, rythment ses paysages impressionnistes qui souvent d’un trait vigoureux se brouillent et deviennent gestes purs, mouvements sur la toile imaginaire, abstraits.

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Cecil Taylor s’est toujours intéressé aux questions formelles, déclarant à Nat Hentoff : « Je suis très intéressé par les problèmes de son, les interrelations entre différentes structures possibles pour des instruments variés ». Encore à 80ans, il crée en concert de ces formes inouïes, expérimentales, mais où son érudition sème des pistes vers quelques références pour mieux les déjouer ensuite.

Applaudissements, puis Cecil Taylor reprend le piano étonnamment clair, limpide, qu’on n’attendrait pas de sa violence. Une autre influence de Taylor est Lennie Tristano pour la pureté de ses lignes ininterrompues, comme celle de son « Turkish Mambo », premier re-recording de l’histoire du piano Jazz. Comme lui, il alterne respect de la forme mélodique et liberté rythmique s’en échappant, la brouillant pour mieux en apprécier ensuite la clarté et y plonger pour en explorer les profondeurs sous mélodiques, à croire qu’il n’érige ses vaisseaux que pour les brûler.

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Il finit par un bis d’un de ses préludes à pas comptés « sur la pointe des pieds ».

L’orage passé, cette musique ne semble ni sans beauté mélodique (ce qu’on aurait pu attendre de sa violence), ni sans rythme ou répétitions (ce qu’on pourrait attendre de son côté « non musical »), mais ces deux aspects séduisants du pianiste se retrouvent plus souvent juxtaposés, alternés qu’ensemble et mêlés, ce qui demande un effort de concentration pour goûter la mélodie, bientôt détruite par le rythme, qui s’arrêtera pour faire place à la mélodie, au point de ne pouvoir plus apprécier sereinement ni la contemplation de la beauté ni l’excitation de sa destruction.

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Un gâteau est amené sur scène pour ses 80 ans, clavier de piano de chocolat s’affaissant, s’engloutissant par le milieu, à l’image de sa musique, ou peut-être de certains des pianos qu’il a utilisés…



Pour être plus critique par rapport à la démarche du free jazz contemporain en général, si le Jazz peut être apprécié en des salles prestigieuses par le public érudit et exigeant du classique contemporain et relativement fortuné, mais élitiste, et qui coupe le Jazz des jeunes, ne peut-on pas regretter qu’il y ait perdu le côté populaire des Jook Joints et des dancings, pour faire commerce de disques numérotés à quelques centaines d’œuvres. Le Free Jazz n’aurait-il pas dû, pour rester révolutionnaire, rester dans les lieux underground comme les lofts ou les caves ? Dans ce cas la démarche de Steve Coleman semble plus populaire et tournée vers l’avenir.



Jean Daniel BURKHARDT

mercredi, septembre 30 2009

STEVE COLEMAN et ses Five Elements en concert pour Musica

Steve Coleman était en concert le 19 septembre dernier à 22 h 30 à la Cité de la Musique et de la Danse pour Musica avec ses derniers Five Elements, dont le trompettiste Jonathan Fimlayson (membre depuis le Live « Resistance Is Futile » à la Jam de Montpelier), la chanteuse Jen Shyu (présente depuis « Lucidarium, », et sur « Weaving Symbolics »), le tromboniste Tim Albright (de « Weaving Symbolics ») et le batteur Dafnis Prieto (« Lucidarium »), et leur nouveau guitariste Miles Okazaki.

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Steve Coleman est le saxophoniste afro-américain qui montre la voie : après des débuts dans des Big Bands comme celui de Mel Lewis, il crée l’ M Base (Macro-Basic Array of Structured Improvisation) puis les Five Elements, à leurs débuts très Funk et Hip-Hop, puis s’est intéressé aux origines du Jazz dans la musique afro-cubaine et la numérologie sacrée Egyptienne , expérimentant des constructions rythmique et mélodiques complexes et inouïes, sans se déprendre d’une intensité urbaine, a pris une année sabbatique entre 1999 et 2000 pour voyager, construire une maison à Bali et étudier les piritualités u monde et est revenu depuis plus fort encore.

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Les micros sont disposés en arc de cercle d’amphithéâtre choral pour cette musique spirituelle aux voix polyphoniques, terminé par la batterie, ou arrivent, de gauche à droite, Jen Shyu, Steve Coleman, Jonathan Finlayson, Tim Albright, le nouveau guitariste Miles Okazaki.et Dafnis Prieto à la batterie.



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Jen Shyu (chanteuse sino-américaine aux parents originaires du Timour Oriental) a évolué dans le groupe depuis son arrivée dans les secondes voix de « Lucidarium », s’est libérée musicalement en scat dans « Weaving Symbolics » et maintenant chante des mots et improvise des vocaleses. C’est émouvant de la voir évoluer ainsi, déployer ses ailes de concert en concert (encore un peu raide et en en retrait la dernière fois à Schiltigheim) et de disque en disque. Elle a même chanté une de ses compositions.

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La batterie drum’n’bass de Dafnis Prieto soutient les riffs de Coleman, Finlayson très aigu à la manière des trompettes d’Aïda de Verdi et le trombone de Tim Abright à l’unisson dans les basses et Jen Shyu scatte librement une quatrième voix de l’un à l’autre.

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Steve Coleman reprend par une intro soufflée en beatbox (« Fam Fit To Fit ») de son dernier album solo « The Invisible Paths » pour Tzadik, suivi de Jen Shyu en des aigus à la Björk sur les percussions . Chacun semble jouer quelque chose de différent dans cette harmolodie (technique créée par l'homonyme aîné de Steve , Ornette Coleman, mais à qui Steve Coleman a su donner un sens spirituel et urbain) mais où les autres par moments s’immiscent avec talent, se rejoignent par vagues en convergences inouïes qu’il appelle « flex » et remplacent chez lui l’alternance thème / solo du Jazz. Et pourtant tout cela est très harmonieux et va très bien ensemble grâce à leurs talents d’improvisation et leur écoute mutuelle.

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Steve Coleman a écrit quelque part que sa musique cherchait à aider l’auditeur à trouver spirituellement le chemin de son âme, mais il avoue aussi que, selon l’élévation spirituelle ou son besoin à un moment, on peut en apprécier les solos improvisés, ou danser dessus comme sur du Funk, écouter les paroles comme du hip hop. Le saxophone et le trombone se retrouvent sur un duo.

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On retrouva « Kabalah » de « Lucidarium », le meilleur disque récent de Steve Coleman pour la fusion entre la spiritualité asiatique vocale de Jen Shyu et le rappeur Kokayi (http://www.dailymotion.com/relevance/search/steve+coleman/video/x4gljz_part2-steve-coleman-5-elementopus-a_music ) de son groupe de Hip Hop The Metrics et d’Opus Akoben et « Gregorian » de « Weaving Symbolics »

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Mais Steve Coleman a aussi une grande culture de Jazz, bop et autres, et cite « Bitches Brew » de Miles dans ses solos, tandis que Jen Shyu décompose les syllabes, les mots, en lettres, en sons, en musiques, en poésie sonore lettriste, comme utilisant le khyal indien à la manière de Nusrat Fateh Ali Khan, part en transe syllabique.

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Dafnis Prieto marque la clavé, puis Steve Coleman reprend la main par la rythmique, rallume le feu de l’impro libre chez ses solistes, la jam en live des « flex » joués plus sur les réflexes que sur la pensée maîtrisée. Il aime à introduire de « méditations » spirituelles ses « flexs » plus improvisés collectivement. C’est la forme de concert qu’il préfère, libre et décontractée, qu’il appelle « Grass Roots », laissant pousser naturellement la musique des racines de la terre à l’air de l'herbe, au hasard, comme sur le Live à La Jam Montpelier « Resistance Is Futile » avec déjà Jonathan Finlaysaon..

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Avec le temps, Jen Shyu est devenue une voix soliste au même titre que les autres instruments, et maintenant c’est le guitariste, dernier arrivé, qui est un peu à la traîne. Cette initiation spirituelle et didactique en Live donne l’énergie et le renouvellement à l’orchestre de Steve Coleman, une structure changeante par roulement qui le préserve de l’ennui. En effet, le marché du disque est trop lent, trop lourd pour lui, les disques juste des jalons posés pour marquer les étapes, mais dépassés sitôt enregistrés, et qu’il se lasse vite de rejouer tels quels sur scène, préférant les impros libres, les inédits, la création en direct. Il lui arrive même d’enregistrer le disque PENDANT un concert et de le distribuer gratuitement à la sortie au public, qu’il estime y avoir participé !

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Une autre influence dans les tempos rapides de Steve Coleman est le mantra Bouddhiste rapide (Steve Coleman est bouddhiste) qu’il scatte sur les différents rythmes de la cowbell de Prieto, ou mêle dans ses vocaux litanie bouddhistes et mélodies Bop de Thélonious Monk, comme ici « Straight No Chaser », comme à Montpelier, Dizzy Gillespie….

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Un autre solo du saxophoniste montrera sa culture des tandards, passant par « Lush Life », puis par «The Way You Look Tonight », joué plus dans l’esprit que dans la lettre. Quand il essaie un nouveau saxophone, c’est toujours sur du Charlie Parker dont son père était un fan. En d’autres temps, il eût été un saxophoniste lesterien, parkerien, et l’est parfois, entre autres choses.

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Pour le bis final, après avoir présenté les musiciens comme dans « Resistance Is Futile » en entrecoupant ces mots d’improvisations libres, tous scattèrent en litanie Bouddhiste-Hip-Hop (http://www.youtube.com/watch?v=MsGeImrEcC8&feature=related) , échangeant les instruments pour les voix.

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Trop complexe et beau pour être décrit par le menu, ce concert qui se prolongea jusqu’à près d’une heure du matin, prouva le talent individuel et collectif de steve Coleman et ses Five Elements.

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Le Festival MUSICA se poursuit, avec, ce vendredi octobre à 20 h, un Concert Anniversaire pour les 80s ans du pianiste Free Cecil Taylor à l'Auditorium de France 3 Alsace à 20 heures.

Jean Daniel BURKHARDT

samedi, septembre 19 2009

Le Bal Gascon cubin de Bernard Lubat ouvre la 20 ème saison de Pôle Sud à la Plage du Baggersee

Le bal Gascon, Bernard Lubat est pour ainsi dire né dedans et a grandi en lui, dans ce Café L’Estaminet d’Uzeste en Bazadais créé par son père Alban Lubat, accordéoniste amateur qui le met au piano mais le laisse s’y exprimer librement (d’où sa conception hétéroclite de l’instrument), mais c’est comme batteur qu’il entre en percussions au Conservatoire de Lyon, puis monte à Paris, rencontre l’organiste à St Germain des Près Eddy Louiss, avec qui il accompagne Stan Getz sur « Dynasty » et Claude Nougaro, participe au Free français, puis en 1977, pour ne pas devenir « un vieux couillon du Jazz », retourne à Uzeste faire SA REVOLUTION, monte la « Compagnie Lubat Dé Gasconha », le Festival d’Uzeste en 1985, le seul festival de Jazz permanent à sa grande époque enregistrée en 1994 sur « Scatrap Jazzcogne », et vient de remporter, avec « Chansons Enjazzées » où ce « malpoly-instrumentiste », comme il se définit lui-même, scatte, rappe, jazze et cogne et chante des textes de son cru poétiques et révolutionnaires, joue de l’accordéon, des claviers et de la batterie, le Prix du «Artiste vocal de l’année 2009» aux Dernières Victoires du Jazz et a dédié son prix « aux jeunesse musiciennes d’Uzeste qui nous montrent l’avenir ». Ce sont d’ailleurs ces jeunes Uzestois issus de la Compagnie Lubat dé Gasconha" qui l’accompagnent sur scène dans ce « Bal Gasconcubin »

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Il était déjà là il y a vingt ans pour l’Ouverture de Pôle Sud. Après un banquet Gasconcubin, le Bal Gasconcubin de Bernard Lubat est déclaré ouvert sur la Plage du Baggersee, où nous accueillent des danseuses XVIIème de La Compagnie Velvet de Joanne Leighton en perruques poudrées, robes à volant et marinières.

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La guitare biguine funky de Patrice Vieira sur les coups des deux batteurs, un qui Jazze la rythmique, l’autre solote funky en ras le Band sur un air de musette rythmé par les claviers de Lubat sous son chapeau de pêcheur de cuir de nuits noires, avec les mêmes unissons inouïs, sauvages et polissons avec le saxophone que dans « L’Idiome Sandwich ». Il joue des claviers avec des ralentis organique d’orgue et remplace ce soir sous ses doigts les soufflets du « gnan gnan » de l’accordéon.

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Le second titre, une « biguine gasconcubine » est introduit par Patrick Vieira au mégaphone puis au cor de Roland de Roncevaux. En fait, ce « Tout P’tit » est à l’origine Martiniquaise, puis « uzestusinagée », de Pierre Louise, « transe-mise » par son fils le maître d’organiste Eddy Louiss en 1970, et déjà interprétée en 1993 à Uzeste et sortie sur le disque « Conversatoire » de piano solo de Lubat. Le saxo taxiphone/sonne et joue, funky sur le prequ’orgue Lubatien, le Lub’orgue à deux pédales, une pour chaque pied marquant le temps en permanence, qui ensuite coule léger des vagues de fender rhodes se baladant de ci de là aux ras des baguettes.

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Lubat part en un scat dont renaît la mélodie première, primale, puis en paroles les mots. Pour « Chansons Enjazzées », il a rajouté ces paroles de son cru sur son origine et toute sa vie: « Depuis tout p’tit, je m’suis grandi..je m’suis joui », raconte, vit et chante, joue et jouit sa vie sur scène avec cette sauvagerie débordante de toutes les musiques qu’il a traversées et créées, qui sont en lui et qu’il fait siennes encore, transbahuté de par le monde par sa passion.

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Lubat nous interpelle « ça va ? Formidable! Il y a vingt ans on était déjà la… » Je lui demande « C’est les mêmes ? », et il me répond «Bien sûr c’est les mêmes, comme moi je suis mon père ! ». Il aimerait qu’on danse en couples à son bal, et moi mes pieds dansent certes, mais mes doigts notent pour cet article les impressions délirantes qu’il m’inspire… Il m’affuble d’un positif « et lui là qui prend des notes… Tu trembles, Cadavre ! ». Cadavre ? mais Cadavre Exquis Monsieur, notant de l’in au très conscient les émotions qui me traversent de vous voir et entendre ce soir pour n’en rien perdre!

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Il annonce un « Funky Suave », une mélodie comme sublimée par l’impro, méconnaissable, puis que je reconnais pour une version instru de « J’aime pour la vie », une de ses dernières « Chansons Enjazzées », diatribe où il disait qu’il n’aimait PAS ceux qui l’ont provoquée et le cynisme de l’argent roi. Donc cette version instru montre ce qu’il « aime pour la vie » : jouer sur scène avec ce saxo free, avec un gros accord Hendrixien du guitariste Jazz Rock de Vieira. Ce qu’il aime, Lubat, c’est cette furie musicale pour la vie qu’ il a fait sienne, qui le fait vivre et nous fait vibrer, et finir après les deux guitares par un sol’orgue sur le sax.

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« Voilà un Blues pour danser encore plus près…plus près de toi mon cœur ». En fait de Blues, c’est « Goodbye PorkPie Hat », « Blues Mingusien (aux harmonies complexes) » , écrit par Mingus pour Lester Young à sa mort sur lequel il a écrit « Mes Nuits Blanches » sur ses nuits blanches Uzestoises, avec ici un beau saxo mélancolique. Mais là encore il ne chantera pas les paroles, bifurquant vers son propre « St Just Blues » en gascon et anglais, (Blues bilingue de 1789à nos jours) de « Scatrap Jazzcogne » contre le racisme et tout ce qui fait que nous ne sommes pas assez révolutionnaires et la misère humaine et pour la justice sociale qui choquent Bernard Lubat sous son béret basque Guevarien.

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Depuis le temps que Lubat se même aux standards du Jazz, ils s’emmêlent à se confondre avec les siens, s’embellit, s’emberlificote et fricote la guitare, l’asticote en Blues Rock, «occitane le tempo », chantait-il alors. Le plus Bop est le saxo qui joue Parkerien comme André Minvielle reprenant « Bloomdido » dans « Mme Mimi » sur le clavier qui monte jusqu’au cri free. Lubat fait clavier et vocoder, comme joe Zawinul, il EST orgue et clavier à force d’en jouer, comme si tous ces moyens d’expression et instruments successifs s’étaient incorporés en lui par tous ses pores exsudant sur tant de scènes, et qu’il réunies en lui toutes les raisons que nous avons eues de l’aimer depuis toutes ces années.

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Il est aussi éléphant blanc qui scatte comme « les blancs éléphants l’aspergeant de mé-MOIRE ! » de Nougaro dans sa « Locomotive D’Or ». Lubat, qui accompagna Nougaro en Afrique après le disque « Bleu Blanc Blues », est lui aussi un « Amour Sorcier », Gué Gué Gué!

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Il continue avec « une biguine Gasconcubine pour se reposer un peu », qui s’avère être « D’ici D’en Bas » (http://www.youtube.com/watch?v=A_1GFgHn_D4&NR=1 ), sa dernière autodéfinition poético musicale, et la meilleure de ses dernières Chansons Enjazzées, le plus beau texte et la plus belle mélodie et jouée plus lentement : « Je suis d’ici d’en bas, d’ici d’enfance de là, d’ici d’en langue des bois…dissident Uzestois, d’ici d’enfreindre la loi », demande qu’on lui monte le son (« Eh j’m’entends pas, alors que j’suis tout seul ! » sans perdre le tempo, se fait conteur et troubadour, « d’ici d’ancien Gasconcubin ».

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Ce qu’est arrivé à faire Lubat, c’est à garder le rapport au terroir tout en le modernisant. Les autres entrent dans la danse, peu à peu, puis à fond. Dans ce dernier disque, on retrouve un Lubat personnel et universel comme dans « L’Idiome Sanwich » en 1986. Le saxo prend un solo plus cool, Lesterien ou Parkerien avec le Jazz Rockubain des guitares derrière. Lubat utilise le clavier comme un orgue, comme une machine, puis les guitares partent sur le cri du saxophone.

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Il est « d’ici d’en bouse de là », né dans le Sud Ouest, il a bougé de là, contrairement à MC Solaar,, il est né à ce soleil, n’a donc pas à le chercher.

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Sur les congas, le scat Gasconcubin lubatien tape et se sample en live comme André Minvielle sa Minviellàroue, est riche de toutes ses expériences musicales, de toutes ses rencontres, mais les a faites siennes depuis 40 ans en restant lui-même et les rassemblant en lui-même.

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Il est aussi d’ »ici d’en bas, d’effraie, d’emprise de là… »

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De ce créole personnel n’appartenant qu’à lui, on perçoit plus l’idée générale que particulière, on grappille ce qu’on peut dans les beautés de cet océan de paroles qui nous emportent. Le saxophone joue avec un son d’orgue tant il joue avec lui jusqu’au dernier unisson. Lubat c’est à la fois cette indépendance d’être soi et cette générosité de le partager avec les autres. Sur cette plage du Baggersee, certaines ont enlevé leurs chaussures comme sur la plage du Club Méditerranée.

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Ils poursuivent avec l’adaptation Gasconnisée par Lubat d’un standard de Dizzy Gillespie, «Night In Tunisia», devenu « Nueit en Uzseta », mais la version la plus groovy que j’aie entendue de ce standard Bop, que Lubat avait chanté en 1962 à ses débuts avec les Double Six (le meilleur groupe vocalese français) et Dizzy lui-même, en changeant le texte pour une histoire de tapis volant.

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Le Bop n’a pas été aussi intense depuis longtemps, jusqu’à ce groove porté par deux batteurs et une très jeune bassiste, puis part avec le sax sur les congas. D’une manivelle manuelle du poignet, Lubat relance, comme Henri Texier le batteur de son fils Christophe Marguet, l’improvisation de ces musiciens qui doivent avoir la moitié de son âge et termine en tapant sur ses claviers.

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De naissance, Bernard Lubat a assimilé toutes ces techniques de danses au Café L’Estaminet (« un lieu qui parle », a-t-il dit un jour) d’Uzeste, il a le bal en lui depuis toujours, ce Jazzbalalubat, et continue par une mazurka biguine, fracassée de toutes parts, remise au goût du swing et du groove avec ce son énôôrme, auquel le saxo donne son souffle, devient batucada publique sous les mains des tambours des congas et des batteurs, menée dans cette jungle par le mégaphone toucanant du guitariste comme la « Mama Sauvatge », « Samb’Aquitaine », en version « grand swing des rues et des champs en Favelas bandas jazzconha » de la Compagnie Lubat enregistré live au 16ème festival d’Uzeste en 1993 sous les feux d'artifice du tromboniste Patrick Auzier (capable d'en déclencher même en salle!).

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A ce moment, ils nous amené Uzeste ici, taxiphonanant du saxo, mégaphonant la canopée Brésilienne, chantant et criant à tout va.

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Voilà l’Herbe, l’Herbie, l’herb’à la coque, l’Herbie Hancock, « Cantaloupe Island » de 1964, remis au goût du jour par US3 en 1993, mais repris à la manière des Headhunters avec qui il avait modernisé en 1962 son «Watermelon Man» avec des chants pygmées après avoir été porté dans la jungle cubaine de Mongo Santamaria.

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Version funky, dansante, électrique, avec cette sauvagerie du Sud, comme des vagues de mer rhodes sous ses doigts communicant, se transvasant. Par leur joie de vivre solaire, ces gens du Sud sont, avec leur intensité généreuse, leur folie, nos bronzés de la vie à nous, nos noirs au sens noble du terme, nous froids gens du nord presque allemands, chez eux « l’Espagne qui pousse un peu sa corne » dont parlait Nougaro.

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Lubat fait parler, chanter, gémir le clavier comme lui-même. J’ignore si Herbie Hancock est déjà passé à Uzeste, mais son esprit, Gasconnisé, est présent dans cette reprise façon Chameleon d’un de ses titres Blue Note les plus funky, dans cette guitare à la John Mc Laughlin cherchant l’aigu comme le soleil dans la montée dans « Resolution" dans « Birds Of Fire » du Mahavishnu Orchestra.

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Puis le saxo s’immisce par un solo très doux, puis d’un souffle électrique, troublant, tremblé, vibrant, vibré, vibrionnant jusqu’au cri free sur le clavier de Lubat. Cette formation a un vrai son de groupe, mais est capable de tout jouer de la musette à la biguine gasconcubine, au Jazz-Rock Funky, et termine sur un tempo d’enfer par des effets de batterie Rock orchestré par Lubat.

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« Un petit dernier pour les copains artistes » : une reprise digne d’un cirque Jazz Rockant de la musique de Nino Rota, pour « Huit et Demie » de Fellini ronde folle finale de Mastroianni qui a retrouvé toutes les femmes de sa vie plus une qu’il avait oubliée et croyait la seule et unique et s’être rêvé à la tête d’un harem, le tout accéléré par le producteur qui veut son neuvième film et traîne Mastroianni qui s’était réfugié dans un couvent / sanatorium avec actrices et comédiens et ça repart toujours de plus belle.

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Après un dernier Bis Jazz Rock Latino joué, dansé, scatté, où il apprend au jeune bassiste à côté de lui à ne pas interférer dans le solo de congas (la Compagnie Lubat est une structure d’apprentissage musical destructuré en live), et finit en « Roi Dagobert ».

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Bref, Bernard Lubat a montré qu’il avait toutes les musiques de sa vie en lui, de la musette gasconne, à sa cousine cubine, au Jazz-Rock et à ses inimitables chansons en lui, et pouvait tout remettre en cause pour le plaisir du jeu.



Jean Daniel BURKHARDT

mercredi, août 26 2009

DREW DAVIES fait swinguer les Lindy- Boppeurs du Caveau De La Huchette

Le week-end du 8 août, je suis allé rendre visite à mon frère Guillaume, de retour d’Amérique du Sud à Paris. Après avoir vu Ménilmontant qui ne m’évoquait qu’une chanson de Charles Trénet et où est né Maurice Chevallier et Belleville où naquit Guy Marchand, avoir bu des bières servies par un sosie du Professeur Choron au « Quartier Général », puis j'ai écouté avec mon frère les Drones, groupe de rock Australien qu’il vit en Australie, Fugazee que je ne connaissais pas et les Rising Sons, premier groupe de Ry Cooder et Taj Mahal et Can, et appris que le Staff Benda Bilili combo Africain lauréat du Concours Womex vivant dans le Zoo de Kinshasas’est produit à Paris au Cabaret Sauvage et que quand ils ne chevauchent pas leurs motos customisés, ces musiciens handicapés par la polio dansent sur scène sur leurs béquilles.

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Nous avons tout de même décidé d’aller à St-Germain Des Près, voir ce qu’il restait du glorieux passé des caves entre les restaurants et boîtes touristiques hors de prix qui doivent faire se retourner Boris dans sa tombe, comme les restaurants étrangers aux fausses serveuses indiennes.

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Je savais pour avoir entendu son directeur Dany Doriz sur France Musique que son « Caveau De La Huchette » ne fermait presque jamais et était le Club de Jazz le plus historiquement authentique, dans une cave qui avait abrité les réunions secrètes des Templiers, Rose-croix et Francs-maçons (il en reste aux murs de belles sculptures, gargouilles et fleurs de lys et d’acanthe aux piliers), créé en 1948 par Maurice Goregués, et utilisé pour représenter cette époque dans « Les Tricheurs» de Marcel Carné avec Belmondo ou « Rouge Baiser» de Véra Belmont avec Charlotte Valandray et Lambert Wilson.

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Les photos en noir et blanc montrent les riches heures du lieu : Bill Coleman, Sacha Distel, Wild Bill Davis, Art Blakey , Claude Bolling, Harry Sweets Edison, les Savoy Sultans de Panama Francis, Guy Laffite, Claude Luter et Lionel Hampton (idole de Dany Doriz) en 1997 ou le jeune Christian Morin (l’ancien animateur de « La Roue De La Fortune », acteur de série depuis, fut d’abord un clarinettiste de Jazz reconnu, couronné du Prix Sidney Bechet à 20 ans et auteur dans la foulée de deux disques de platine, Aquarella et Esquisse, et un disque d’or 'Couleur Havane).

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Ce soir-là s’y produisait le chanteur et saxophoniste britannique Drew Davieset son Swing Band. Ses solos sont Bop, mais la rythmique et les riffs bien Rythm’N’Blues, du temps où ce Rock’N’Roll primitif des noirs n’avait pas encore été volé par les blancs. Le piano remonte bien au Boogie Woogie (dont on trouve des partitions de pianistes noirs dès 1885), suivi des riffs du saxophone et du solo furieux sur les ras de la batterie, poussé, swingué jusqu’au Boogie-Rock. Cette puissance du saxophone me rappelle celle des grands saxophonistes du Jazz at the Philharmionic américain qui tous pouvaient jouer New Orleans, Swing, Bop, Cool, Boogie ou Rythm’N’Blues, toute la ligne du Jazz de ses origines à leur époque.

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D’ailleurs le Blues plus lent qui suit «Going To Kansas City », me rappelle que c’est là que naquirent les riffs du Rock’N’Roll, alors appliqués à la section de saxophones de Count Basie où Lester Willis Young affrontait Herschell Tex Evans lors de jam-sessions inextinguibles où Lester, alors presque inconnu, arriva même à mettre le Roi du Saxophone en titre Coleman Hawkins au tapis au Cherry Blossom en 1933…

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Drew Davies, sans avoir la puissance d’un Blues Shouter, est un bon chanteur de Blues, partant dans l’aigu en fin de phrase à la Eddie Cleanhead Vinson, lui aussi saxophoniste et chanteur de blues, et termine encore par un solo de saxophone puissant riffant sur la cymbale.

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Il y a de plus en plus de danseurs de lindy-hop (ancêtre du Rock acrobatique au Savoy Ballroom, « Home Of Happy Feet » - « Maison des pieds Heureux » dans les années 30s) sur la piste de danse centrale face à la scène (http://www.youtube.com/watch?v=UmCaaFp49-k ). Ici, grâce à des cours de lindy hop devenu danse Be Bop quand il ne faisait qu'un avec le Rock'N'Roll avec Jano Merry, comme à l’époque, et plus tard au Tabou de Boris Vian Cave (qui finalement ne dura qu’un an, après quoi il partit au Club St-Germain) par Les Rats De Cave, le Jazz est joué pour la danse, dans la communion avec les danseurs, ce qui se fait de plus en plus rare.

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Suit un Blues chanté issu de leur dernier album sur une guitare skiffle qui lui donne une saveur de Country Blues rural, puis le saxophone revient hurlant mais suivant toujours le riff, la mélodie.

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Plus connu des Blues Shouters, « Early In The Morning » est repris sur un piano boogie woogie avec une touche de New Orleans dans la rythmique, comme dans la version de Louis Jordan habillé en cow-boy chanteur et saxophoniste noir de Rythm’N’Blues qui continua à vendre des disques même pendant la guerre, que Drew davies joue dans un style 60ies.

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La chaleur est celle d’une étuve, et un tuyau d’aération laisse tomber goutte à qoutte la sueur publique condensée, cette « chaleur humaine » et ce « brouillard mauve, léger » des bords de Seine que Boris Vian voyait comme un nectar récupéré pour faire du vin de St-Germain Des Près, vendu en bouteilles chez les bons Antiquaires pendant la journée dans son « Manuel de St Germain Des Près », mais font partie des plaisirs du lieu que de penser qu’on devait ressentir la même saine chaleur de danse et de musique au Tabou (sueur noire qui d’ailleurs, dans le sud des Etats-Unis, fut à l’origine du mot « funky », à l’origine une insulte blanche sur l’odeur supposée des noirs et les fantasmes de danse, de musique et de restes de vaudou africain s’y rattachant). D’ailleurs l’aspect chorégraphique est assuré par les couples de danseurs de lindy-hop ou de be-bop, dont certains des danseurs les plus doués sont noirs.

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Drew Davies enchaîne avec un instrumental : « Night Train » de Jimmy Forrest (alors saxophoniste de Duke Ellington, pour un disque en petit comité avec Johnny Hodges), puis N°1 Rythm’N’Blues de 1952 bien bastringue par Earl Bostic (on imagine bien les coups de reins à chaque riff), et même repris par James Brown à ses débuts à l’Apollo Les riffs de saxophone sont efficaces sur la guitare et la contrebasse lentes et le piano Boogie.

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Puisqu’on est dans l’outrance, restons-y avec le titre suivant, (Don’t Roll These) « Bloodshot Eyes » (With Me !) («roule pas avec ces yeux injectés d’sang vers moi !») du grand Blues Shouter Wynonie Harris, qui était le Blues personnifié et d’ailleurs entrait dans les bars en criant « V’la l’blues qui débarque ! », enregistra «All she wants to do is Rock» dès les années 40s mais ne fit plus aucun disque après 1950 et l’avènement du Rock’’Noll, la façon « Rythm’N’Blues » de jouer s’étant perdue.

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Evidemment, Drew Davies n’a pas sa puissance vocale, mais pour un blanc, finit à la place ses phrases dans des aigus provocants et enchaîne sur un bon solo de saxophone.

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Le saxophoniste de Wynonie Harris, Hal Singer, né en 1912, a d’ailleurs eu plus de chance que lui. Après avoir joué avec les plus grands jazzmen et mené une carrière de la conscience Free à un Soul Jazz ouvert aux traditions ethniques du monde avec Jeff Gilson, s’est installé en France depuis 1965, a été décoré par la médaille des Arts et Lettres en 1992 et remonta sur scène, quoique aveugle, avec Sarah Morrow en 2005, chantant même le Blues lent de manière émouvante. Comme quoi la vie n’est pas toujours dégueulasse et ingrate.

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Seuls les danseurs de la piste bénéficient de l’aération supplémentaire des pales d’un ventilateur brassant l’air, mais ce sont eux qui fournissent le plus d’efforts et participent le plus à la musique en communion avec le groupe, et ce sont de véritables artistes.

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Drew Davis reprend ensuite un autre pionnier noir du Rock’N’Roll par son Rythm’N’Blues, le guitariste T Bone Walker et son « T Bone Shuffle », sur un battement en alternatif de la batterie sur ce rythme « shuffle ». Une dame a amené son chien pékinois à son poing écouter le Jazz. Le saxo finit en riff sous les applaudissements rythmiques du public. Il n’y a que dans un club en cave qu’on trouve cette proximité avec le public et les danseurs.

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Vue l’exiguïté de la scène, j’ose à peine imaginer les sessions du Big Band de Laurent Mignard, le Duke Orchestra qui y joue un soir par semaine le répertoire de Duke Ellington et que j’ai vu au Munster Jazz Festival ou le Paris Jazz Big Band de Dany Doriz! Après les riffs et un bon solo, le public crie avec Drew Davies les derniers mots sur les claquements de mains des musiciens. Dans cette transe collective, public, musiciens et danseurs ne font plus qu’un.

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Le titre se termine sur un solo de batterie Bop fracassant entrecoupé des riffs du saxophone. Le batteur maintient l’intensité ou la réduit et la guitare finit sur le riff et par un solo. Comme le dit Drew Davies, « C’est trop chaud pour chanter pour danser, trop chaud pour jouer ». Ce que le DJ Keb Darge sauve de l’oubli en repassant des disques anciens ou récents de «Rockabilly & Jump Blues», ces musiciens le jouent ENCORE LIVE, presque tel quel, ce Rythm’N’Blues puissant, et pour des danseurs à la hauteur!

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Pour le prochain titre, Drew Davies entame un Blues plus lent, puis élève peu à peu cette ballade au Bop par paliers de riffs successifs, montrant qu’il peut être charmeur, chanteur et crooner mélancolique sur son saxophone, puis nous faire dépasser cette seule mélancolie.

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Ainsi le très doux et mélancolique joueur de standards, Lester Young, pionnier du Cool maisqui ne l'était pas toujours sur les standards, après avoir été un bouillonnant soliste chez Count Basie et en restant un jammeur effréné au JATP avec Charlie Parker, devint-il le représentant d’un Be Bop à sa manière antique et pourtant moderne dans les années 40s (composant même un Be Bop Boogie) pour le label Aladdin (comme si au génie dela lampe il avait demandé d'être le plus moderne des anciens et le plus anciens des modernes tout en restant lui-même, "Prez", le Président), mais « en exil d’un futur qui n’aurait mais lieu » dira Alain Gerber, empruntant même les rythmiques de Charlie Parker (dont il était l’idole à Kansas City). Je consacrerai mon émission de Jazz « Jazzology » sur Radio Judaïca à ces enregistrements ce jeudi 27 août 2009 de 21 h à 22h.

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Dreew Davies reprend le rail avec “Get My Train On My Track” pris à un train d’enfer à 200 à l’heure où la guitare est le rail par ses accords, la batterie la carlingue bringubalante et la voix et le saxophone le vent hurlant sous la vitesse, passant sans s’arrêter par les stations JAZZ, RYTHM’N’BLUES, ROCK’N’ROLL, rappelle les Rock’N’Roll parodiques mais excellents de Boris Vian pour Magali Noël, son « Alhambra Rock », « Strip Rock » ou son plus célèbre « Fais-moi mal, Johnny », avec Boris Vian dans le rôle du commentateur sadique dans la version originale.

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Sur un bon tinkty-boum de la batterie, Drew Davies revient au style Kansas City avec « Bye Baby Bye », dans le style du shouter Big Joe Turner, ancien barman du Cherry Blossom de Kansas City.

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Il prend ensuite la « Route 66 » de Bobby Troup avec un piano douché comme celui de Nat King Cole dans son onctueuse version vocale, et où les Rolling Stones sur leur premier album traîneront leurs guêtres avec une version plus Rock Anglais et souvent sur scène.

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L’idole absolue des Rolling Stones justement, et l’un des rares pionniers noir du Rock’N’Roll, fut Chuck Berry, dont Drew Davies reprend le « Beer Drinking Woman » de Memphis Slim sur un bon piano Boogie, puis un bon solo de guitare sur les claquements du saxophoniste, avec des effets slide glissés à la Chuck Berry puis Keith Richards.

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Les danseurs de Lindy-Bop marquent la cadence d’un autre succès de Louis Jordan et ses Tympani Five: « Is You Is or Is You Ain’t My Baby » rehaussé d’un tempo Tango Paso Latino sifflé de joie par les danseurs qui partent en Mambo Twist.

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Drew Davies reprend ensuite « Ten Days, Ten Nights » de Harry Connick Junior qui avait tout pour devenir le nouveau Sinatra (jusqu’à l’adoubement de celui-ci) et bion pianiste de Jazz, mais bifurqua hélas vers un album de Jazz et un de chanteur de charme… Le drumming est bop et funky.

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Le set se termine à la préhistoire du Rock’N’Roll avec ce fameux « Shake Rattle and Roll », créé par Big Joe Turner bien avant Bill Haley et ses Comets, sans parler d’Elvis Presley, repris avec un faux départ, puis une reprise hallucinante du thème.

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Pendant la pause, je vais aux toilettes troglodytiques du club à partir du bar plus classieux en surface, et me rend compte que le second escalier qui en descend et atterrit derrière le public. La cave a ses coursives, ses tunnels et passages secrets, mais garde, comme le Village Vanguard mythique de New York, la forme globale d’un pavillon auditif, d’où cette acoustique magnifique, la scène étant la perle et nous la périphérie du coquillage. Pas de repos pour les Lindy-Boppeurs qui dansent entre les sets sur la musique diffusée : le « Hound Dog » d’Elvis au break de batterie fracassant que James Dean chantait au téléphone à Marlon Brando pour le faire enrager, ou un rock surréaliste de Slim Gaillard.

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Le second set de Drew Davies commence avec « You Are Sexy Baby », puis le grand classique de Louis Jordan « Caldonia Boogie », un Jump Blues de 1945, avec des cris moins aîgus dans ses « Cadloniâ! », mais aux bons riffs rythm’n’blues, le piano bien boogie woogir, les riffs de saxophone qui montent, montent jusqu’à la transe du swing, jusqu’au cri et un solo de batterie fracassant et une chase guitare/saxo.

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Drew Davies finira avec « Harlem Nocturne », composition à la « Night Train » de 1939 imitant le son de Duke Ellington dont Johnny Otis (père de Sugar Ray Otis donna un excellent arrangement et qui resta à la fois moderne et empreint de nostalgie, comme la bande son d’un polar idéal.

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Drew Davies débute lent, sensible, puis quitte la scène pour fendre la foule en délire des danseurs de ses riffs, parcourt le club, s’assied sur le canapé rouge (la meilleure place), de l’autre côté de l’entrée entre deux filles, puis repart en blues lent mais profond, accélère à nouveau, cite « My Girl » d’Otis Redding, grand chanteur de Soul Music qui mourut en 1967 dans un accident d’avion avec son groupe les Bar-Kays, et l’ « It Ain't Me » de «Fortunate Son » de Creedence Clearwater Revival avant un solo de batterie fracassant en un délirant, éclatant final.

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Bref, drew Davies et son Swing Band a élevé le Rythm’N’Blues à l’intensité musicale du Rock’N’Roll, tout en rendant hommage aux Rythm’n’Blues et Jump Blues noirs qui le précédèrent.

Jean Daniel BURKHARDT

vendredi, août 7 2009

LE 6 ème FESTIVAL « AU GRES DU JAZZ » DE LA PETITE PIERRE, du 7 au 16 août

Le 6ème Festival de Jazz « Au Grès du Jazz » de la Petite Pierre se tiendra 7 au 16 août à la Petite Pierre.

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Il s’ouvrira avec le pianiste cubain Omar Sosa, qu’on pourra entendre en solo ce soir vendredi 7 août à 21 h.

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Né à Cuba, passionné de Santéria, Omar Sosa a vécu en Equateur à Quito, puis a voulu retrouver l’Afrique de ses ancêtres noirs, et s’est intallé en Espagne, puis au Maroc où il a enregistré avec des gnawa. Il a sorti en 2008 « AFREECANOS », nouvelle fusion de musiques Cubaines et Africaines qui l’a amené au Sénégal et au Mali. Dans le choix des musiciens aussi se croisent afrique et Cuba: le chanteur Sénégalais Mola Syla chante les paroles Fulani avec le cubain Lazaro Galaraga, Stéphane Belmondo et Bill Ortiz sont aux trompettes, Christophe « disco » Minck au ngoni, Michael Spiro aux tambours bata, Steve Arguelles claque des doigts et Ousseynou Piagne Epa est au piano drum, sur la rythmique de Julio Barretto à la batterie et Childo Thomas à la basse électrique. Ce titre rappelle un peu l’énergie des premiers disques d’Omar Sosa.

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Depuis, il a encore sorti « Across The Divide », concert avec Tim Eriksen, banjoïste et violoniste roots américain et chanteur inspiré par les musiques Amérindiennes, poursuivant ses voyages en sens inverse, revenant vers la Côte Est des Etats-Unis .

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Autre voyage, autres rencontres, celles que propose Shezar et son Jazz oriental, qu’on pourra entendre samedi 8 août à 17 h à la Petite Pierre.

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Ce quartet est composé du Syrien Hassan Abdalrhaman à l’oud, du Norvègien Kjetil Selvik à la clarinette, et des Strasbourgeois Nicolas Beck à la contrebasse et tarhu et Fabien Guyot aux percussions. Mais plutôt que de se rejoindre sur une culture ou une autre, ou de les mixer dans un mélange, Hassan Abdalrahman et Kjetil Selvik composent et Shezar arrange un son spécifique pour cette formation où l’Orient rencontre le Jazz et chacun peut s’exprimer dans l’improvisation. Ecoutons-les dans « Jourie » d’Hassan Abdalrahman, avec un petit côté « Masada » de John Zorn en plus oriental.

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Shezar se produira aussi au TAPS SCALA mardi 11 août à…Réservations gratuites au Service culturel de la CUS.

Samedi soir, le 8 août, à 21 h, c’est peu dire que c’est un des derniers héros du piano Jazz joyeux et intemporel que recevra la Petite Pierre en la personne d’Ahmad Jamal.

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Il a enregistré son dernier album à Strasbourg, lors de son passage à JazzD’Or en 2007, et il est sorti en 2008. Il y est accompagné de James Cammack à la contrebasse, d’Idriss Muhammad à la batterie, remplacé à la Petite Pierre par James Johnson et Manolo Badrena, ex percussionniste de Weather Report.

Dimanche 9 août , c’est une des plus grandes chanteuses Cubaines, Omara Portuondo qui sera à La Petite Pierre à 17 h . Née en 1930, cette chanteuse de boléros était la seule femme () du film « Buena Vista Social Club » de Wim Wenders et écrasait une larme avec Ibrahim Ferrer sur « Silencio », chantait « Veinte Años ». Mais il ne faut pas oublier qu’elle peut aussi être une chanteuse de salsa ( ) et de danzon sur tempo rapide. Le dernier album de Omara Portuondo est « Gracias », fait de Boléros et remerciant la vie pour ses rencontres musicales.

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A 21 h ce dimanche 9 août , c’est dans l’Est de la Macédoine que vous invitent le Koçani Orkestar (). D’abord dirigé par le trompettiste Naat Veliov, à la suite d’un désaccord sur cet album sur le choix d’utiliser un séquenceur, il y a eu une scission au sein du Koçani Orkestar, certains, menés par le saxophoniste Ismael Saliev, et le chanteur Ajnur Azvov. C’est cette dernière formation qui se produira, paradoxalement plus traditionnelle que le «Canal Historique »…

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Le lundi 10 août, c’est à la première journée en Terre Manouche que vous invite le festival de la petite Pierre. A 21 h, Engé Helmstetter qui se produira avec son ensemble dans un répertoire Jazz manouche mais aussi balkanique, bossa, etc. Engé a sorti cette année “Les Rives Du Fleuve”, dont la chanson éponyme mériterait d’être un tube de l’été local pour soncôté bossa à la Art Mengo.

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Le lendemain mardi 11 août, c’est Ringo Lorier , autre guitariste manouche, qui invitera le violoniste Marius Apostol à 21 h.

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Mercredi 12 août, c’est à un Ciné-Concert de leur projet “Wonderfull World” que vous convient Guillaume De Chassy et Daniel Yvinec sur les images de New York d’Antoine Carlier

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Jeudi13 août à 21 h, vous pourrez entendre Stimmhorn duo Suisse surprenant Voix/Cor.: Christian Zender, à la voix, yodeleur diphonique et Balthasar Streiff au cor des Alpes et trompette baroque mâtiné d’électronique froide.

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Le vendredi 14 août, vous pourrez entendre à 21 h le dernier trio Jazz/Funk/Groove “Trippin” du pianiste Eric Legnini, avec Mathias Allamane à la contrebasse et Franck Agulhon à la batterie.

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Le Samedi 15 août, vous pourrez entendre le Quintet “Acrossroads”, lauréat du concours Impulsions-DNA.fr à 14 h 30, “Azango”, formation voyageuse, à 17 h avec Eric Soum à la guitare à 17 h, et pour finir le Jazz Manouche du Trio Rosenberg à 21 h.

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Enfin, le dimanche 16 août, Dorado Schmitt et son Quintet avec Timbo Mehrstein inviteront le grand accordéoniste local Marcel Loeffler à 14 h 30.

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Et à 21 h le violoniste Florin Niculescu, qui a fait partie de son premier “Gipsy Project”, invitera le guitariste Birélii Lagrène à 17 h.

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Jean Daniel BURKHARDT

samedi, juillet 25 2009

CHRISTOPHE MOUGENOT et son Quartet Hard-Bop à L’Illiade

Christophe MOUGENOT est un saxophoniste ténor et soprano né en 1972 à Besançon dans le Doubs. Après des études de saxophone classique au conservatoire de Besançon dans la classe de Jean Pierre CAENS, il s'oriente vers le jazz. Apres des rencontres avec des musiciens locaux, il organise des stages avec de nombreux musiciens de jazz, dont Eric Watson et Steve Lacy chez qui il étudie pour un temps à Paris. Il entre au conservatoire de Strasbourg dans la classe de Bernard STRUBER où il obtient un DEM jazz en 1995. Il enseigne et vit en alsace depuis 1996.

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Il dirige un quartet local Hard-Bop dans la lignée Blue Note accompagné de Grégory Ott au piano, Anne List à la contrebasse et Raphaël Sonntag à la batterie, interprétant tant des standards que ses compositions originales.

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De ses débuts de saxophone classique, il a gardé à son répertoire une « Sarabande de Bach ", le premier jazzman pour l’improvisation, déjà reprise par Jacques Loussier en Jazz et reprise avec un son de soprano très pur, ancien, presque baroque.

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Mais le port d’attache du Quartet, c’est le Jazz Hard Bop puissant à la Blue Note « Bleu Nuit» et les ballades, standards ou modales.

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J’arrive d’ailleurs au pique-nique sur la ballade modale « Footprints », écrite par le saxophoniste Wayne Shorter pour l’album « Miles Smiles » du second et dernier quintette Jazz de Miles Davis avec Herbie Hancock au piano, Ron Carter à la contrebasse et Tony Williams à la batterie.

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Suit le standard « Night & Day », mais joué « Noche Y Dia » tant il est salserisé par les accords de Grégory Ott (qu’on pourra retrouver avec le meilleur groupe de Salsa Sonando () de la région ce lundi 27 juillet Place du Château Des Rohan dans le cadre des concerts gratuits de l’été).

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Au reste l’envol du ténor de Christophe Mougenot évoque plus Charlie Parker surfant sur ses cordes et un Big Band, ou Sonny Rollins, cool, puis bouillonnant, habité mais toujours maîtrisé, jusqu’à la montée vers le climax, s’arrêtant au bord du cri, suivi d’un solo de piano virevoltant de Grégory Ott, martelé dynamiquement puis décomposé, repris sur les ras de la batterie de Raphaël Sonntag avant son solo entrecoupés de breaks salsa de piano et de riffs de saxophone et finit sur une obsédante clavé sur la cymbale.

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Aucun doute, c’est du pur Hard-Bop que ce quartet de Christophe Mougenot, pas de la resucée « Néo-Bop » truquée/troquée/tronquée ou de l’électro-Jazz machiné ni de la fusion Jazz-quelque-chose au je ne sais quoi Rock ou Funk remis au goût du jour. La puissance des grands anciens est en eux, la passion du label Blue Note est en eux et les porte.

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Cela ne les empêche de se souvenir des ballades, comme ce « Julian » pour Julian Cannonball (car énorme comme un boulet de canon et faisant jaillir ses notes avec cette puissance, qui enregistra pour « Blue Note » cet «Autumn Leaves » avec Miles Davis) Adderley par le saxophoniste baryton Pepper Adams surnommé « The Knife » (le couteau) pour le tranchant de son attaque. C’est une superbe ballade () lente à la Charles Mingus (qu’Adams a un temps accompagné), où Mougenot dévoile tout son lyrisme.

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Une pause, puis le dernier set qui commence au saxophone soprano, puis se poursuit avec « Inchworm » , chanson enfantine arithmétique de Frank Loesser, écrit en 1952 par Frank Loewe pour Danny Kaye dans le film Hans Christian Andersen , puis reprise plus groove par Laïka Fatien en 2004, que Christophe Mougenot la reprend avec des accents de Coltrane et Steve Lacy au soprano.

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Il continue avec « DM », plus sauvagement free mais toujours soutenu par la rythmique, puis son titre le plus funky (c’est aussi avec le Hard Bop du le label Blue Note que le terme Funky prit, d’une insulte blanche, ses lettres de noblesse avec Horace Siver et Art Blakey, et Eddie Harris qui ouvrit les portes de la fusion au saxophone électrique, avant que James Brown n’invente le funk), «I’m Going Home », introduit par des battements batucada par les musiciens suivis du public, qui si elle n’est pas la chanson de Ten Years After à Woodstock, eut le même effet pour ce qui est de faire danser le public …

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Suit le standard « The Days Of Wine and Roses » («le jour de vin et de roses » est la St Valentin) d’Henry Mancini pour un film de Blake Edwards avec Jack Lemmon et Lee Remick sur l’alcoolisme, popularisé par le pianiste Bill Evans, tourné un peu vers la Salsa par le piano de Grégory Ott.

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Ils terminèrent en bis par la ballade « I Remember Clifford », superbe ballade dédiée à Clifford Brown («qui », explique Mougenot, « est mort comme James Dean jeune et talentueux dans un accident de voiture », et j’ajouterai qu’il ne buvait que des jus de fruits en fumant des cigarettes pas même mêlées, et était capable des douceurs de Chet Baker dans les ballades et de violences à la Dizzy Gillespie sur tempos rapides) par le saxophoniste Benny Golsonpour l’orchestre d’Art Blakey. Christophe Mougenot est aussi un grand lyrique et admirateur de Stan Getz et Art Pepper, ces jeunes Lesteriens « Cool Jazz» de la Côte Ouest sur ce tempo à deux à l’heure citant la nostalgie des jours de vin et de roses. La nostalgie est belle, et partie intégrante du Jazz. Certains en profitèrent même pour danser un dernier slow langoureux.

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Que ce soit par son énergie sur tempos rapides, sa touche latine ou l’émotion de ses ballades, Christophe Mougenot et son quartet ont porté haut les couleurs du Jazz, et montré qu'on pouvait encore le rendre dansant, excitant et émouvant.

Jean Daniel BURKHARDT

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