Sol 12 est un grand orchestre en forme d’hydre à douze têtes, sphinx masculin-féminin respectant la parité (6 hommes / 6 femmes, venus de huit pays différents), dirigé par luc Ex (bassiste de The Ex et 4 Walls) et Veryan Weston (pianiste de 4 Walls), avec Hasse Poulsen à la guitare, Franz Hautzinger à la trompette, Johannes Bauer au trombone, Hannah Marshall au violoncelle et à la voix, Ingrid Laubrock au saxophone et à la voix, Isabelle Duthoit à la clarinette et à la voix, une noire, Mandy Drummond au violon alto et à la voix, Tatiana Koleva au marimba et aux percussions et Tony Buck à la batterie. C’était mardi 10 novembre la Création de ce projet à Pôle Sud.

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« Andiamo », lance Luc Ex, qui a troqué sa basse électrique punk pour une guitare basse en bois, mais a gardé son attitude très punk dans son jeu, avec tout le corps porté en avant sur une jambe et de retours en arrière, semblant parfois jouer plus AUTOUR de sa basse que de l’instrument, dans un exercice aussi sportif que musical.

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Pour le reste, le traitement musical et le jeu est très contemporain, fait de frottements de cordes (ou d’un archet sur le marimba), de souffles furtifs et rythmiques stoppés dans leur élan ou de jeu de clés, de percussions sauvages qui ne marquent pas le rythme, suivis de loin en loin d’échos de cuivres et autres bruits, d’éclats tonitruants et de silences habités.

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Il y eut un magnifique arrangement du « Las Vegas Tango » de Gil Evans par Veryan weston, bien dans la manière des Sketches Of Spain arrangés pour Miles Davis, avec de magnifiques fonds sonores de l’orchestre, montrant qu’ils pouvaient AUSSI jouer de concert.

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Mention spéciale pour Isabelle Duthoit, la clarinettiste aux cheveux rouges écrevisse, qui outre un jeu très contemporain (souffles coupés, jeux de clés à vide et autres borborygmes), fit quelques démonstrations vocales intéressantes, un peu à la manière de Phil Miton (chanteur de 4 Walls), mais avec la grâce féminine en plus, un côté oiseau crieur plutôt charmant suivant sa voix d’un bras mobile, la poussant jusqu’au cri ou l’étouffant dans l’aïgu, au rugissement ou au bêlement, une vraie ménagerie intérieure!

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Johannes Bauer fit démonstration de ses talents bruitistes et musicaux, de l’un à l’autre, alternativement ou des deux ensemble, à plusieurs reprises. Dans le genre contemporain, c’est sûr que c’est un « maestro », comme l’a dit Frantz Hautzinger.

A un moment précis, on a pu presque retrouver le rythme festif du Jazz… Après, c’est une question de goût, et de savoir si le jeu collectif et généreux est le but ultime de la musique et du Jazz plus ou au moins autant que les bruits individuels juxtaposés…

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En seconde partie, on pouvait entendre «To Catch A Crab », duo de Pascal Gully (batterie, percussions, voix) et Christine Clément (voix, synthétiseurs, bugle, guitare et effets électroniques) au Club du TJP, que Jazzdor est content de retrouver après deux années ailleurs. Dès le premier titre « Invisible War », on voit qu’il y a un vrai univers, un talent mélodique, une harmonie entre le clavier, les deux voix et la batterie.

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C’était, je l’ignorais, l’anniversaire du Maestro Ennio Morricone ce 10 novembre (81 ans), « Longue vie à lui » lui souhaite Pascal Gully. Peut-être peut-on y voir une influence sur les paysages désolés, cinématographiques (), un côté « Il Etait Une (autre) Fois Ailleurs » de « To Catch a Crab », où parfois affleure un bugle solitaire en plein désert dans « Botanic », une bonne chanson pop tant pour le texte en anglais que pour la mélodie chantée par Christine Clément.

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La musique devient plus Rock underground quand Christine Clément martyrise les cordes d’une guitare électrique à plat sur ses genoux, puis l’ambiance se fait séductrice, vénéneuse sur les invitations de Pascal Gully («Come With Us Into a New Shelter ») sur fond de gongs et de batterie obsessionnelle, d’échos de guitare et de clochettes tibétaines de Clément.

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Le synthétiseur se fait harmonium sur les clochettes de Gully, comme dans « Drogenfähnder » atteignant une spiritualité universelle lente sur les baguettes ouatées, effilochées de Gully, sur lesquelles Christine clément sait construire un au-delà des langues, un esperanto de l’émotion (« A Star End, La Vida »), du murmure au cri à la Patti Waters. Gully avait déjà joué sur les langues et les poésies avec Da-Go-Bert ( Porquoi ce nom? « trois syllabes, nous sommes quatre », m’expliqua un jour l’intéressé) avec Géraldine Keller (voix, flûtes), François Heyer (trombone) et Jean-Christophe Kaufmann (guitare).

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Dans « Liquide », grâce à la sirène Clément, on croit entendre les cordes d’un qanûn absent, ruisseler les eaux d’un piano naturel englouti, un piano d’eau qui goutte près de la bouche d’une écluse électro de Gully. Christine Clément a un usage organique, naturel, presque écologique des moyens électroniques, en quelque sorte…

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Gully joue aussi des œufs percussifs dans « Folk » et des cymbales à la baguette, créant des frissons de glaciers, des échos de banquise, des chants d’icebergs, une musique de glace à la Terje Isungset (à Pôle Sud le 5 février), sur laquelle Christine Clément pose un chant diphonique, mongol, hinouit, puis ‘envole à la Lisa Gerrard de Gerrard de Dead Can Dance vers des paysages inouïs. Gully et Clément sont deux chamanes, lui urbain, industriel, Héphaïstos ferraillant dans l’usine forge de sa plaque de tôle (remplacée sur ce proijet par un tar suspendu) aux lueurs rougeoyantes, elle sirène d’on ne sait quelle mer ou pythie sibylline sur un electro-dub acoustique créant un paysage imaginaire Morriconien, paysage désolé sur lequel claironne le flugelhorn de Christine Clément sur les percussions tribales de Gully, entre Miles, Chet et la poésie atmosphérique d’un Molvaer dans cet environnement plus naturel que son laptop, Gully joue aussi d’un grand gong tournoyant.

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Sur le « dernier morceau », l’orgue se fait suave et groovy, pop et la voix de clément rappelle Portishead, plus Jazzy, Soul sur la batterie légère et ses ras ethniques. Le clavier scratche Gully, puis se fait Floydien, psychédélique.

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Dans le Bis percussif electro, le souffle de Clément retrouve le personnage de la petite fille haletante qui a peur de la nuit noire et de la Machine qu’elle joue dans certains titres de Polaroïd 4 (http://www.myspace.com/christineclement ), son autre groupe avec Christophe Imbs et finit en cri final mongol.

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C’est de la pop travaillée à la manière de la musique contemporaine, mais en restant intuitive, laissant la place à l’improvisation, en un mot excitante et audible, qui nous fait aimer la pop et ces moyens contemporains plus que la décevante pop actuelle et l’ennuyeuse musique contemporaine. Un vrai univers fascinant et varié.

PS: pour l'album déjà terminé, "To Catch a Crab" est à la reccerche d'un label, avis aux amateurs

Jean Daniel BURKHARDT