On n’aurait pu rêver mieux que ce sextet pour cet hommage au trompettiste Freddie Hubbard, disparu le 29 décembre 2008 à 70 ans, puisque les deux musiciens Varois Lionel Belmondo aux saxophone ténor, soprano et à la flûte et Stéphane Belmondo à la trompette et au bugle sont parmi les meilleurs émules du Hard Bop hexagonal et ont fréquenté Freddie Hubbard au Festival de Jazz de Nice.

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Ils sont accompagnés par Laurent Fickelson au piano, Sylvain Romano à la contrebasse et l’un des meilleurs batteurs européens, le belge Dré Pallemaerts, ainsi que le plus mélodieux des trombones modernes, Glenn Ferris en guest, né à Los Angeles mais qui vit en France depuis 30 ans, et que les Belmondos virent pour la première fois quand Lionel avait quatre ans avec leur père, dans la formation de Don Ellis.

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Ce sextette all stars est en effet rompu tant aux Hard Bop qu’aux ballades, qu’au Free et aux fusions Jazz-Rock ou Jazz-Funk que pratiqua Freddie Hubbard durant sa carrière, avec des qualités d’improvisation fougueuses, mais aussi des arrangements plus écrits foisonnants et aux fonds sonores sublimes hérités de l’Ecole Classique Française du début du XXème siècle (Lili Boulanger, Ravel) qu’ils ont éprouvées dans leur « Hymne Au Soleil », puis dans « Influence » un album avec Yusef Lateef en 2005.

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Comme lors d’un autre concert du même répertoire, ils commencent par « Blue Spirits », un titre enregistré par Freddie Hubbard à sa période Hard bop pour le mythique label Blue Note en 1964 sur le disque éponyme. Le titre commence par un magnifique unisson des cuivres, puis sur la batterie, Lionel Belmondo joue une petite tournerie au soprano dans le style d’Eric Dolphy tirant lez Hard Bop vers le Free Jazz dans « Out To Lunch » ou de John Coltrane dans « Olé », deux disques auxquels participa Freddie Hubbard comme sideman. La luminosité limpide de Laurent Fickelson rappelle d’ailleurs celle de Mc Coy Tyner.

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Mais par rapport au disque, les autres cuivres apparaissent plus présents tout au long du titre en fond sonore jusqu’à l’unisson final.

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Suit une Bossa Nova Funky de Freddie Hubbard qui m’était inconnue un peu à la Bolivia, mais Freddie Hubbard est hélas plus connu pour ses collaborations prestigieuese comme sideman que comme compositeur et dans ses propres œuvres, qui gagnent à être connues.

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D'autres titres plus Hard Bop rappellent les débuts de Freddie Hubbard () chez Art Blakey et les Jazz Messengers entre 1960 et 1964, créateurs du Hard Bop « funky » à partir des rythmes de gospel ancestraux remis au goût du jour par le pianiste Horace Silver avec « Opus De Funk ».

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Stéphane Belmondo montra aussi sa part la plus sensible dans « Brigitte », dédié par Freddie Hubbard à son épouse, repris de la version avec cordes de « The Love Connection » avec Chick Coréa aux claviers et Al Jarreau au chant en 1979.

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Mais comme chez Freddie, la ballade n’empêche pas les trilles vers l’aïgu ni le swing constant de la rythmique sur laquelle il surfe jusqu’au climax final.

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Glenn Ferris semble jouer comme en apnée, ne jamais reprendre d’air, comme Tommy Dorsey, qui respirait par un imperceptible trou à la commissure des lèvres, user de son instrument comme d’un périscope pour y respirer, et est vraiment le plus mélodieux des trombones, swinguant, funky, sensuel ou la coulisse menaçante selon l’occasion, mais capable aussi de rappeler les styles classiques ceux de la New Orleans ou de la période Swing, ou Bop.

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Dré Pallemaerts se montra aussi d’une prodigieuse efficacité, assurant un soutien constant et épuré, il est de ces batteurs qui ne se mettent pas en avant mais SERVENT la musique des autres, compositeurs du répertoire ou musiciens sur scène, mais est aussi capable d’originalité et de modernités drum’n’bass, ou d’une simple ponctuation de cymbales des breaks de ses acolytes.

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La période fusion Jazz-Funk mais ne perdant rien de la bonhomie Hard Bop de Freddie Hubbard dans les années 70s sur le label CTI, lorsque Sly Stone et James Brown eurent changé la donne de la musique afro-américaine, fut représentée acoustiquement mais de façon très énergique par son Red Clay, avec un solo de ténor fougueux pur Hard Bop Blue Note de Lionel Belmondo. Comme Miles Davis et Eddie Harris ou Roy Ayers, Freddie Hubbard sut suivre l’évolution de la musique noire du Jazz au Funk, mais ne s’économisant pas, ne pouvait plus jouer depuis quelques années.

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Enfin, après un bis Hard Bop à la Blakey, ils terminèrent en troisième bis par sa ballade la plus célèbre des années 70s, « Little Sunflower » pour la version chantée d’Al Jarreau. Quelque chose de beau, simple et spirituel comme l’air repli d’amour universel des années 70s et du Karma de Pharoah Sanders Ma version locale favorite reste pour moi celle de Marya Valetta avec Steppah Huntah et Nu Tropic (http://www.myspace.com/maryavaletta).

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Merci aux frères Belmondo et leur sextette de continuer de faire vivre cette musique et le VRAI Jazz, et de faire en sorte qu’il soit encore joué Live sur scène.

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Stéphane et Lionel Belmondo discutèrent avec le public après le concert. Lionel, quoiqu'engagé, voit déjà plus loin, est optimiste : quelque chose va sortir de tout cela, même si rien ne sera jamais plus pareil. Il continue son travail d’arrangement du répertoire des musiciens français du début du siècle dernier avec La Messe des Pauvres de Satie. Il arrive à concilier cette tradition française et le Jazz, ce qui est d’une rare ubiquité musicale. Grâce à eux, ces musiques qu'on croyait inconciliables ne sont pas seulement une mémoire, mais vivantes ensemble et se nourrissant l'une l'autre.

Jean Daniel BURKHARDT