Le 11 novembre, Jazzdor invitait à découvrir à l’heure du thé (16 h-18 h) deux formations de la jeune scène Jazz Londonienne au Club du TJP par une Carte Blanche au Loop Collective (), collectif créé en 2006, dont c’est la première représentation Outre-Manche.

On pouvait entendre tout d’abord le duo d’Alex Bonney (trompette et bugle) et Dave Kane (contrebasse).

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Le duo pratique l’improvisation libre, free. On voit, on entend que les deux instrumentistes ont le don de la mélodie et le sens de l’harmonie dans les morceaux les plus calmes et écoutables. C’est peut-être moins déroutant à VOIR qu’à ENTENDRE sur le disque. On comprend davantage en concert que ce type d’improvisation post-standard semble n’avoir pour les deux instrumentistes comme référence immédiate que la mise en place, le jeu de l’un par rapport à l’autre, sans thème ni mélodie, ce qui peut dérouter.

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Cependant, au premier rang, un jeune enfant allongé fait danser ses bras et ses mains à leur musique, capable peut-être de plus de naïveté, ne cherchant pas du SENS à tout prix, ou des références connues, contrairement à moi, disponible à l’émotion pure.

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En effet, la contrebasse de Kane esquisse un rythme dans lequel la trompette de Bonney intercale son souffle, ses mélodies, comme deux instruments du Jazz hors des clichés et qui nous appellent à nous en défaire, à redécouvrir le groove d’une contrebasse, le seul souffle musical d’une trompette modifiée de sourdines jouée chacune comme une expérimentation pure et sans filets.

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Ils nous invitent à redécouvrir l’imprévu, quand ils ne sont plus eux-mêmes, que la contrebasse se fait berimbau tapoté de l’archet, percussion Africaine, grincement pur, la trompette gémissement à ras de terre dans la sourdine, à entendre pour la première fois les pistons pour eux-mêmes, à apprécier les variations d’intensité et de tempo pour elles-mêmes, les instruments pour la surprise qu’ils nous font, leurs possibilités inouïes.

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Certes. MAIS même le grand contrebassiste de Jazz Charles Mingus (pourtant capable de violences musicales, mais encadrées par une forme, comme le cri de trompette ultime de son « Haitian Fight Song » ou « Moanin’» (), et l’un des Afro-Américains les plus engagés de son temps, réclamant des armes pour les Noirs en 68, auteur de Fables Of Faubus (http://www.youtube.com/watch?v=LtwxJJkMUF8)), déclarait à Sue Mingus ( qui le cite dans « Pour l’Amour de Mingus ») : « On fait pas n’importe quoi tout le temps », et à propos du Free Jazz : « Je ne sais pas s’ils ont essayé d’escroquer les Blancs ou s’ils se sont fait escroquer eux-mêmes. Ils ont essayé de tuer Bird. De dire que c’était quelque chose de nouveau. Mais on ne prend pas un produit de qualité inférieure pour le mettre à la place de la vaseline et dire qu’il est meilleur, alors que tout le monde sait que ce n’est pas vrai. Ils sont peut-être sérieux, mais leur sérieux ne m’est pas encore apparu. », ou encore «La musique doit avoir une forme, être issue d’une musique historique créée par un peuple. On ne peut pas contenter de types qui jouent des lignes différentes. Si vous étudiez la musique, vous pouvez tout faire, avoir de la variété. Quand chaque pièce sonne exactement comme la précédente, ce n’est pas drôle. J’aime que tout le monde crée collectivement, qu’il y ait un travail d’ensemble. Je veux des rythmes différents, des accords de passage différents ou une musique différente sans aucun accord. Mais jouer seulement free, n’avoir aucune notion de l’endroit où l’on va ou de celui d’où l’on vient…Si on veut m’opérer d’une appendicite, je veux être sûr que le docteur se souviendra de toutes les étapes. »

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Mingus avait même proposé à Duke Ellington en 1972 (cité dans les notes de son disques « Changes »: « Duke, pourquoi vous, moi, Dizzy , Clark Terry et Thad Jones ne nous associerions-nous pas pour faire un disque d’avant-garde ? ». Le Duke refusa : «Pourquoi revenir autant en arrière ? Ne faisons pas reculer la musique à ce point, Mingus. Pourquoi ne pas faire, simplement, un disque moderne ? »

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Mingus pensa à un disque intitulé « Avant-garde par Duke, Mingus, Diz, et caetera ». Mais Duke refusa, « tenant pour démodée la musique qu’on appelle aujourd’hui d’avant-garde. Et c’est vrai. Elle est démodée parce qu’elle est jouée par des débutants.».

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On peut donc demander aux musiciens de faire l’effort d’une forme, de compositions dignes de ce nom.

La meilleure preuve en fut qu’en seconde partie, pour le thé de cinq heures, on pouvait entendre un bon quartette du Loop Collective, Blink (http://www.myspace.com/blinkloop ), composé de la pianiste Alcyonna Mick, du saxophoniste et clarinettiste français Robin Fincker et du batteur Paul Clarvis.

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Dès « Mummy’s Boy », le jeu Tristanien dans les basses d’Alcyonna Mick montre une grande efficacité rythmique alternée de clusts éclaboussant le clavier, la batterie « Around The Bush » et le saxophone lyrique et libre volette de l’un à l’autre. Comme quoi on peut être libres et jouer ensemble à la fois.

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Alcyonna Mick () a un jeu Tristanien, mais plus violent. Leurs compositions ont une évidence harmonique et mélodique Rock / Pop, un charme dramatique cinématographique de BO à la Limousine ou Rocking Chair.

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Ils ont aussi la culture du Jazz et des Standards, Robin Fincker cite « In A Sentimental Mood » d’Ellington qu’il reprit avec Coltrane, pour un décrochage en ballade plus contemporaine sur les balais de la batterie.

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Evidemment, le Jazz Européen peut s’inspirer de ses traditions locales. Ainsi, dans « Contrebass », dédiée aux « petites cuillers de Paul Clarvis », le batteur les entrechoquait sur ses toms, comme les musiciens irlandais sur leurs cuisses, avec le saxophone de Robin Fincker jouant dans un style Balkanique lent, au son voilé à la Lourau, prolongeant le souffle jusqu’à la dissonance, puis rythmé, dans une transe chamanique poussée jusqu’au CRI Free, mais comme aboutissement final, pas comme tenant et aboutissant, comme principe de jeu, se calme sur le tinkty-boum de la cymbale pour repartir en dissonance et finir dans un souffle sur le piano en ragtime lent Tristanien.

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Dans « Fool », belle ballade, ils sont très proches du troisième courant de Tristano dans leur jeu collectif libre, et c’est quand même plus intéressant quand la musique est composée / arrangée correctement, un peu à la Baptiste Trottignon / David El Malek pour le côté anguleux des phrases sur les roulements de la batterie dynamitant le tout à la manière Bop, Hard Bop ou Néo Bop, à la fois capable de marquer le tempo et de pousser au crime.

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« Crunch » croustille de Funk sur la batterie et dans les accords du piano, puis le saxophone trouve et trace sa voie dans et à travers la rythmique forte jusqu’au cri, la fait monter en puissance. Le CRI est un paroxysme, une explosion, la libération d’une tension dramatique, l’exaltation d’une joie qui exulte, l’éclatement d’une révolte, mais ne vaut que PAR RAPPORT à son contraire comme le bruit par rapport au silence ou à la musique organisée, pas comme unique présupposé formel.

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Le Bis est plus lent, le saxophone boisé au son voilè, les balais amoureusement frottés sur les toms puis le saxophone s’envole à peine en une magnifique ballade.

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Dans la Poésie comme en Musique, c’est de la Contrainte que naît la Forme, pas de l’Informe sous prétexte de Liberté qui n’a de sens que comme expérimentation, et si possible qu’en Jam, et encore même là, il faut un discours commun, pour parler la même langue…

Le festival se pouruit encor usu'à vendredi avec ce soir à Pôle Sud Mathew Bourne, Barre phillips et Roger Turner puis le Quartet du tromboniste Suisse Samuel Blaser, Mercredi Henri Teier jouant Jacques Prévert à l'Illiade et Vendredi David Murray et son Latin Big Band jouant le répertoire du Nat king ole Español!

Jean Daniel BURKHARDT