En seconde partie, on pouvait entendre le dernier groupe du guitariste Hasse Poulsen, qu’on a pu découvrir dans le Napoli’s Wall de Louis Sclavis , et qui s’assume comme Citoyen du Monde : « Qui suis-je ? Français ? Danois ? Ma mère est Anglaise, j’ai grandi au Kenya et étudié aux Etats-Unis (...) Je parle toutes les langues avec un accent. Parfois je sens chez moi partout, parfois un étranger absolu. Nous avons besoin de redéfinir nos nations. Et moi, ma nation s’appelle Jazz... ». D’où, dans la lignée de ce beau et généreux discours rappelant le film L’Auberge Espagnole de Cédric Klapish, le nom de ce groupe monté pour fêter ses dix ans en France, « The Progressive Patriots » (après qu’ »Identité Nationale » ait été refusé par une salle de concert pour éviter la confusion avec les débats enterrés depuis hier 11 février 2010 par François Fillon) d’après un livre du musicien Ecossais Billy Bragg qui y déclare que les Socialistes peuvent reprendre le Patriotisme à la Droite!

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Sur scène, en effet, on trouve une belle formation qui se joue des frontières géographiques et musicales : outre le guitariste, le batteur New-Yorkais underground historique de Tim Berne Tom Rainey, son vieil ami le bassiste Danois Henrik Simonsen et et deux jeunes souffleurs français : Stéphane Payen au ténor (grand spéciasite de de la polymétrie du groupe Print) et le très jeune et imprévisible Guillaume Orti à l’alto.

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Dans « Open Up », les deux saxos s’envolent dès les premières notes, puis la batterie Jazz Rock de Tom Rainey crépite, et Poulsen les soutient d’accords décalés à la Jim Hall en plus énergique. Puis Poulsen frappe les cordes d’un archet d’une manière plus contemporaine et habitée, comique et désarticulée que Jimi Page dans « Dazed & Confused » de Led Zeppelin, les portant à une incandescence inouïe sur la ventilation des saxophones et les ras de Rainey et repart sur un dernier break. Ches ces Patriotes, la Progression est constante !

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Ils poursuivent avec la suite « They Might Think I Was Soft » (Ils Auraient Pu Penser Que J'étais Doux). Doux, Hasse Poulsen ? Parfois pris individuellement dans certains arpèges lents, presque baroques, plus doux qu’il ne m’était apparu sur leur myspace sur la batterie légèrement ethnique.

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Mais quand il branche sa guitare sur le secteur, c’est une électricité Rock que crachent les amplis comme dans Paparemborde avec des oiseaux de feu à la Mc Laughlin, un déluge d’étincelles sonores alimenté de moulinets rageurs du poignet.

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Trop Jazz pour être doux, trop Rock pour être que Jazz, trop l’un pour n’être que l’autre, et trop libre pour s’en contenter, Jazz mais pas que, Jazz et caetera...

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Ils enchaînent sans crier gare sur «Très Blue » sur la basse lente résonnante d’Henrik Simonsen dans le détaché des ornements, sans Rainey, que Poulsen habille de quelques effets contemporains bornés de clapotements et titillements de cymbales du batteur Tom Rainey, de plus en plus martial, rompu avec tim Berne à toutes les évolutions du Jazz destructuré vers le déchaînement Rock ou l’étrangeté électro.

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Le discours semble avancer en ordre dispersé entre les attaques de fanfare des deux souffleurs, et pourtant de cette disparité apparente naît comme par miracle une forme, de cette beauté convulsive dont parlait André Breton couvant toujours sous la glace, un discours organisé qui vous entraîne vers un prolongement moderne des recherches de Lennie Tristano et du Troisième Courant du Jazz qu'il créa avec Lee Konitz, Warne Marsh et Billy Bauer.

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Alors, Soft, Poulsen ? Du miel à nos oreilles, mais qui accroche pour mieux s’y maintenir, ne pas faire qu’y couler...

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La démocratisation du Jazz de ces « Progressive Patriots » s’exerce aussi, en plus du jeu collectif, dans le choix du répertoire, où chacun a sa petite composition, même Orti jouant à vide sur un pied tel une de nos cigognes dans « B » ou Payen signant « H », au tempo lent comme refusé, retenu, joué à contretemps par Rainey faisant entrer les scories dans ce répertoire organisé pour les plaisirs de l’imprévu et du risque.

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Dans ce happening, un membre du public ajouta son grain de sel, citant Charles Mingus : « La contrebasse a le corps de ma grand-mère et la voix de mon grand-père », avant un dernier titre d’Hasse Poulsen gai, presque pop, à la manière de sa chanson «Godspeed You All » sur son album « Rugby in Japan » avec son Sound Of Surprise, avec une voix à la New Wave , Bauhaus () ou Joy Division.

Comme Bis, ils jouèrent « Gloria in the Movies », une belle ballade soft dédicacée par Hasse Poulsen à sa femme, avec un côté « Itinéraire Imaginaire » de Stéphane Oliva.

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A la réflexion, Hasse Poulsen est plus proche en cherchant d’autres effets et en barrant son médiator très près de la caisse de résonance de sa guitare de Fred Frith et de ses essais de techniques alternatives pour la guitare, avec des outils peu conventionnels mains intéressants pour l’œil et l’oreille que de l’improvisation libre poussée jusqu’au vide de l’abstraction d’un Derek Bailey, plus élitiste.

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A bien entendre, on retrouve dans son jeu non conventionnel des pratiques plus anciennes, baroque, Jazz, Rock, reprises dans une approche contemporaine et libre. Jazz Ain’t What It Used To Be, a-t-il écrit un jour, répondant au Things Ain’t What It Used To Be de Duke Ellington. Grand sideman et improvisateur, il est aussi bon compositeur pour cet éclectique ensemble.

Jean Daniel BURKHARDT