Hier soir, à La Cité De La Musique Et De La Danse, on pouvait entendre une soirée dédiée à la clarinette pour l’ouverture du Festival Jazzdor 2010.

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Tout d’abord, le clarinettiste de Jazz Lyonnais Louis Sclavis se produisait en duo (où on l’a rarement entendu jusqu’ici) avec la pianiste Japonaise, mais installée à Berlin Aki Takasé, comme sur leur disque « Yokohama Suite » enregistré à l’occasion des 150 ans de cette ville jumelée avec Lyon. Sclavis a beaucoup de fans dans le monde, entre autres au Japon, dont un coiffeur...

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[Côté Sclavis, on trouvait à la clarinette basse ou si bémol, la même maîtrise du souffle tant continu que rythmique, contemporain, classique, maîtrisé ou volubile, Jazz ou crié à la Dolphy, émouvant d’un bout à l’autre.

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La pianiste Japonaise montra quant à elle combien elle pouvait varier l’attaque de ses doigts sur les touches, de la griffure aux effets piqués, du doigt, du coude, martelant parfois du pied, avec la violence d’un Cecil Taylor, la délicatesse liquide d’un Debussy, ou l’inquiétante étrangeté d’un Thélonious Monk.

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Leur échange fut unique et passionnant, avec un humour un peu cabot quand Sclavis escamotait la partition sous les yeux de Takasé ou la remplaçant brusquement par le panneau « Interdiction de Photographier », le souffle de la clarinette semblant le corps/ les plumes / le chant / le ramage des oiseaux noirs et blancs que les doigts picorent du bec et inversement, jusqu’au jouet tant l’un et l’autre semblaient chercher en direction d’effets musicaux non semblables mais équivalents.|http://liveweb.arte.tv/de/video/Jazzdor__Aki_Takase_und_Louis_Sclavis/]

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Quant au répertoire, on a pu entendre du Sclavis Africain (« Windhoek Suite » dédiée à la capitale de la Namibie), se souvenir de son premier voyage en Afrique avec Aldo Romano, Henri Texier et le photographe Guy Le Querrec pour «Carnet De Routes » avec le bruit des machines de l’avion de « Vol », auquel cette orchestration plus mélodique que rythmique donnait plus de corps, plus d’ampleur. Aki Takasé joua «Kawaraban/Schoëne Edelsteine » (dispute conjugale), et ils finirent par le très joli « Yokohama », prenant forme peu à peu du piano préparé ludique des balles de ping-pong rebondissant sur les cordes intérieures jusqu’à l’envoûtement sériel d’un Philippe Glass, poussé jusqu’au silence.

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Pour ma part, qui ai déjà vu Sclavis quelquefois avec Lubat, son Quartet "Lost On The Way » à Jazzdor il y a deux ans, il ne m’a jamais paru meilleur dans un contexte acoustique et Jazz stricto sensu (ce que n’est pas cette formation un peu Jazz Rock).

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Mon plus grand et irrémédiable regret concernant Louis Sclavis est que n’ayant découvert son premier disque « Clarinettes » où il les jouait toutes en re-recording sur des compositions passionnantes et poétiques, et « Les Violences de Rameau » pour le début du « Diable et son train » que dans les années 90s jouant menuet puis soudain furieusement Free, Rock, et presque Ska,, je ne l'ai donc jamais vu sur scène dans ces deux œuvres qui peut-être m’émeuvent plus encore que ses plus récentes, mais qu’il ne joue plus en concert ou pas chez nous. Une amie l’a vu dans « Clarinettes » et en parle encore comme de son plus beau souvenir de concert.

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La seconde partie de soirée, avec le Double -Trio de Clarinettes : Trio de Clarinettes Français (Armand Angster : clarinette basse et contrebasse, Jean Marc Foltz clarinette basse et Sylvain Kazssp clarinette basse et si bémol) et Clarinet Trio Allemand de Berlin (Gebhard Ullman clarinette basse, Jürgen Kupke et Michael Thieke clarinettes si bémol) a un peu, même si ce n’était pas le but, répondu à mon fantasme par la force des compositions et l’éventail des effets produits sur toute la gamme des clarinettes.

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Voir jouer de la clarinette contrebasse : grosse clarinette métallique sur trépied dont je crois n’avoir jamais vu jouer qu’Armand Angster, est toujours un évènement rare, même si elle est plutôt vouée aux effets rythmiques, vu son manque de maniabilité et sa puissance sonore. C’est, avec le saxophone contrebasse (dont Anthony Braxton est un des interprètes), un de ces instruments qui semblent exiger de l’instrumentiste de VENIR A EUX, presque D’EN FAIRE L’ESCALADE.

Les six instrumentistes n’ont pas manqué de virtuosité ni d’humour dans les titres (« Charleston But Yesterday » de Kassap pour « Charleville mais hier / Mézière » est digne de Rimbaud au retour d’Angleterre) ni d’énergie pour investir scène et coulisses de leurs déambulations bruitistes et musicales, s’appelant/se cherchant comme des loups, des oiseaux dans la nuit. La grande qualité de ce répertoire était peut-être de juxtaposer toujours la mélodie, le jeu « écrit » à celui, improvisé, des perturbateurs sonores, qui en paraissaient du coup, ainsi mis en relief, plus amusants qu’insupportables. Le bruit gagne à s’exprimer sur la toile de fond d’une musique plus maîtrisée.



Du lyrisme, de l’écoute et de la complicité, un beau jeu collectif à deux, par équipes ou entremêlées, de la ferveur, ce « Sound Of Surprise » par lequel Ellington décrivait le Jazz et un peu d’insolence souriante : une belle définition du Jazz en action.

Le Festival Jazzdor se poursuit jusqu’au 19 novembre, avec cet après-midi à la Médiathèque Centre une rencontre avec Jean Rochard à 14 h pour les 30 ans de son label NATO,

puis un Concert d’une des musiciens qu’il produit, François Corneloup au saxophone baryton solo à 15 h (GRATUIT),

puis à 17 h au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg la violoniste classique Maya Homburger, le contrebassiste britannique Barry Guy et le percussionniste suisse Lucas Niggli dans un répertoire Jazz et baroque, et ce soir à Pôle Sud le duo très lyrique d’Heinz Sauer au saxophone et Michael Wollny au piano, et, très attendu (en tous cas par moi), Christophe Marguet, l’un des meilleurs batteurs de Jazz mais pas que, ayant renouvelé le jeu par des apports Rock, Funk ou ethniques toujours avec musicalité et la CREATION de son nouveau Quintet avec Sébastien Texier (fils d’Henri) et son quartet « Résistance Poètique » avec qui il a gagné le Prix de l’Académie Charles Cros en 1996 et Jean-Charles Richard au second saxophone,

enfin demain dimanche à 17 h, à Pôle Sud le trio de Minnéapolis « Fat Kid Wadnesday » et, autre heureux évènement très attendu Hélène Labarrière, contrebassiste qu’on peut aimer ou pas en solo, duo free avec Derek Bailey, dans sa formation la plus Jazz Rock Funk Fusion Universelle : son Quartet « Les Temps changent » avec Corneloup aux contre-chants saxophonistes, Hasse Poulsen à la guitare acoustique et électrique, Christophe Marguet aux percussions.... Du bonheur en perspective, vous dis-je !

Jean Daniel BURKHARDT