Après « Gaya Scienza », dans son dernier disque « Upanishasd Experiences », à sortir le 15 novembre, Samy Thièbaut allie comme peut-être aucun avant lui Poésies (de Baudelaire ou Nietzsche lues par Jacky Berroyer) et Jazz Hard Bop pur jus.

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Dès la « Troisième Mue » du Serpent de Terre , la Poésie prend place non pas DANS, mais ENTRE les improvisations, introduisant, puis terminant, délimitant, bornant, rythmant avant et après de bons échanges à la Miles/Coltrane, absente du Final. Berroyer semble émerveillé, rempli d’une horreur sacrée par ce qu’il lit, presque enfantin, poétique et très loin de son personnage filmé ou télévisuel parfois cynique.

« Upanishad » ? Où sont ces « upa » (déplacements du corps) «ni » (vers le bas) « shad » (« s’asseoir ») pour écouter un maître ? Peut-être justement dans l’écoute respectueuse de la poésie et de la musique, deux langages qui jamais ne se marchent sur les pieds sur ce disque. Peut-être aussi dans la flûte Indienne criée pygmée de Joce Menniel au large de laquelle apparaît « L’Albatros, introduction » de Baudelaire, pareil au « poète » sur la basse avant le saxophone Coltranien à la «A Love Supreme », belle ballade aux émouvants fonds sonores de cuivres. Avec son bec, c’est le saxo l’albatros que « ses ailes de géant n’empêchent plus de marcher, de marcher, de MARCHER... » chantait / hurlait l’ami Léo Ferré avec Zoo.

De Baudelaire toujours, « Puis La Nuit », reprend « A Une Passante », plus urbain d’abord, puis ballade Cool Bop détaillant entre les strophes la rencontre ratée. La solitude poétique se mêle à celle à laquelle on associe souvent le Jazz mais qui finalement se sont assez rarement rencontrés sous de si bons augures... « Un éclair...Puis La Nuit » prend l’interlude à la césure, jusqu’à la fin des deux, en « Final ». Sur ce titre, Jazz et Poésie se mêlent admirablement.

Dans «Danse D’astres » tournoient de concert vents de la recherche philosophique et cuivres émouvants à la Naïma de Coltrane. Comme la composition/improvisation, le philosophe finalement cherche jusqu’à trouver, ou trouve de ne plus chercher, et les musiciens s’y cherchent seuls ou l’un l’autre jusqu’à se trouver mutuellement, à devenir ensemble ce qu’ils sont individuellement, pour parler comme Nietzshe jusqu’au silence... Et si Jazz et Poésie disaient ou traduisaient plus abstraitement les mêmes émotions humaines jusqu’au silence d’une fausse fin qui redémarre et lentement s’élève, se déploie au final, ménageant la surprise comme le texte? Tiens, on dirait les « Fables Of Faubus » de Charles Mingus, instrumental au texte censuré contre le gouverneur d’Arkansas...

«Mes Roses» parle de bonheur à cueillir comme les roses, parce que la Poésie le peut aussi, sur une flûte à s’en lécher les doigts et se piquer à sa perfidie, avec une hoquet d’ironie de Berroyer. Puis le thème se déploie à la Gil Evans pour Miles dans « sketches Of Spain » avec des éclats furtifs, surprenants du grand ensemble où soudain décolle le saxophone, en une course poursuite, une chase Coltranienne avec l’orchestre, sur la batterie jusqu’au solo qui en fait le sol, comme les tambours la terre rouge de l’Afrique, puis reprend le groove plus calme sous le saxophone et l’orchestre plus apaisés dans le final.

« Colombe, Serpent et Cochon », bestiaire enfantin mais pas si innocent dans sa symbolique du poète philosophe, assumant la pureté et son refus, jusque dans la cruauté. Comme le Jazz, là encore, dont Alain Gerber a dit qu’il serait toujours une musique trop savante pour être traditionnelle, trop sauvage pour n’être QUE savante et devenir classique, même si l’arrangement profite des avancées de la musique contemporaines défrichées par les frères Belmondo pour le Jazz.Et la flûte classique de siffler/crier comme un oiseau Dolphyen accompagnant les vrais.

« Untitled 02 » laisse swinguer le grand ensemble à fond pour le final.

Jean Daniel BURKHARDT