Pour cette seconde soirée de la Saison de la Turquie en France des le festival Les Nuits Européennes invitait le groupe Stambouliote Gevende et le saxophoniste Stambouliote, mais vivant à New York, Ilhan Ersahin invitait le grand trompettiste Suisse Erik Truffaz à ses « Istanbul Sessions », une exclusivité "Nuits Européennes 2009" qui n'a fait qu'une date à Paris et reprendra ses concerts en 2010.

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Gevende (http://www.myspace.com/gevende) est un jeune groupe rock-psyché-folk Turc formé d’Ahmet K. Bilgic (chant, guitare), d’ Omer Oztuyen (violon), d’Okan Kaya (basse électrique et chœurs), de Gokce Gurcay (batterie) et de Serkan Ciftci (trompette) et ont été influencés par leurs voyages en Inde, en Iran et au Népal.

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Le chanteur commence d’une voix très douce sur les percussions élastiques de la batterie, avec basse, violon et trompette presque sourds dans leurs échos en fond sonore. Soudain la basse se fait plus Jazz-Rock et l’archet du violon plus sonore en pizzicato, soutenant la spiritualité de ce chant spirituel et intime, et la trompette finit par jouer très doucement.

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Le guitariste actionne un sample ou une boîte à musique de l’hymne national Turc en introduction au second titre. Cette fois le chant plus rageur est scandé, rythmé sur la batterie par le chanteur avec des dons de comédien certain, où ses mains, ses poings, suivent les mots de son chant, même si on ne comprend pas les paroles. Soudain il sort de sa guitare un éclat de rire – déflagration, suivi par le violon. Le chant monte en intensité jusqu’au cri, suivi d’un bon solo de basse psyché sur les cymbales pendant cette déflagration rock de la guitare en écho, puis la soutenant, comme le solo de violon baroque sur la cymbale et enfin la trompette à la Truffaz, bleutée, ouatée, poétique, comme étouffée. Le violon termine sur la batterie martiale, et ils finissent tous de concert.

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Enfin quelques explications du chanteur, en anglais : «C’est notre 8ème ou 9éme fois France, la première fois dans un théâtre. Nous venons d’Istanbul, pas de Turquie, et ce que nous chantons n’est pas du Turc mais une langue improvisée par nos émotions ». Ils ont indubitablement les qualités d’inventivité individuelle et de jeu collectif de groupes Rock-Jazz comme Rocking-Chair, en plus traditionnel.

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Suit une belle valse par le violon aux trilles classiques et dramatiques sur la basse et trompette, puis un solo de la guitare partant d’un larsen aigu maîtrisé par le slide et évoluant en psyché 70ies sur la basse rock mais très musicale. La guitare se mêle à la basse en un cri de souffrance à l’unisson, une clameur rythmée, reprise au vol part la trompette dans un solo tragique s’incurvant de plus en plus vers le cri. La basse donne une mélodie aux frottements dramatiques du violon sur la cymbale musicale, la guitare arrête le tout brusquement d’un break, et la batterie reprend en dub. La guitare reprend en grattant les cordes, puis le violon et la trompette assourdissent la fin en silence. Sur ce morceau-là, il y avait vraiment une progression dramatique très forte.

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La chanson suivante, « Nayu », utilisée dans un dessin animé de Denizcan Yuzgul et Burcu Urgut offre un bon exemple de cette langue imaginaire improvisée sur une superbe partition. On dirait de l’indien, mais avec une technique gutturale turque. Peut-être le fantasme, l’idée qu’on pourrait se faire de l’indien sans le connaître ni le comprendre, une idée de l’Inde, une impression, une émotion, un rêve d’Inde. La voix s’envole, puis chute, dans le nœud mélodique formé par la violon et la trompette, puis s’assourdit jusqu’au silence. Mais peut-on vraiment improviser ainsi une langue inconnue, oublier les langues sues et connues et leur sens pour leur substituer un autre sens d’émotion mélodique pure, et serait-elle, alors, universellement émouvante?

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Finalement, ils ne sont pas complètement hors du monde, dans une « Music From Neverland » (titre de leur album : »Musique du Pays où l’on n’arrive Jamais», d’un pays Imaginaire de Peter Pan et Michael Jackson), puisqu’ils reprennent AUSSI un thème traditionnel Pakistanais, où ils ont voyagé comme en Inde, en Iran, au Népal, sur une tournée de 12 000 kms.

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Ce thème rappelle en effet un thème de rèbab du Kashmir Pakistanais, puis la guitare et la basse partent en Rock, la batterie en drum’n’bass, et les belles harmonies vocales (le violoniste chantant dans le micro de son violon) rejoignent celles de Nusrat Fateh Ali Khan et ses frères.

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Leurs voyages leur ont donné ces rythmes entêtants aux temps innombrables à la Steve Coleman, , que lui est allé chercher dans la numérologie Egyptienne mais qui évoquent aussi les mégalopoles urbaines quand on ajoute comme le chanteur un scat Hip Hop aux breaks violents de la batterie drum’n’bass.

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Evidemment Gevende est un groupe de Rock aux inspiré par les musiques traditionnelles plus qu’un groupe de Jazz, et ils ajoutent donc la destruction sonore iconoclaste, lorsque le guitariste pose sa guitare au sol pour obtenir des craquements, des grincements de larsens distordus de cette cithare sur sol destroy, tandis que la trompette s’envole, puis souffle dans ses pistons pour trouver un sifflement, des effets inouïs, sur une basse groovy à la Primus, puis dramatique soutenant le violon et la batterie drum’n’bass. Le rapport au sol, à la poussière, à la terre à travers la scène est peut-être leur forme de destruction Hendrixienne traditionnelle.

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Enfin le chanteur chante, clame et déclame leur dernier titre, proche des langues Pakistanaises et très énergique, « Celik Comak », où se retrouvent leurs influences World et leur traitement Rock psyché, sur lequel il présente les musiciens, mais ne joueront pas la reprise finale de percussion Pakistanaise de la version album (peut-être éxécutée par une rencontre ou un invité).

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Ils revinrent en Bis, remerciant comme on s’en va, pour un dernier titre indianisant et Folk 70ies (http://www.youtube.com/watch?v=PUxK5XjVvXg&feature=related ). Un groupe à suivre, indubitablement, qui a déjà un univers et un langage fascinant, quelqu'il soit.

En seconde partie, on pouvait entendre le saxophoniste Ilhan Ersahin, né en Suède de père Turc, mais qui vit à New York où il a un Club, qui invitait le trompettiste Suisse Erik Truffaz pour ses « Istanbul Sessions » (disque en pressage à Istanbul) mais qu’ils ont joué ensemble à New York, Istanbul et Izmir, avec des musiciens Turcs : Alp Ersönmez (basse), Turgut Alp Bekoglu (batterie) et Izzet Kizil (percussions), qui ne sont, eux, jamais allés aux Etats-Unis « parce que la Turquie doit d’abord se conduire en bon pays Européen », ironise Ersahin à propos de son entrée éventuelle dans l’Union.

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C’est sûr qu’ils feraient un tabac aux Etats Unis : le bassiste est surpuissant d’obstination rythmique dans ses réitérations des mêmes accords, tant dans le Rock que dans le groove et tout en musicalité, le batteur carrément Rock (plus encore que Gevende) et le percussionniste joue à la fois d’une conga et de percussion turques (darbouka, dhol sur trépied et à la main et clochettes : des sidemen de rêve, mais qui n’obtiennent pas de visa pour le Nouveau Monde.

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Sur ce répertoire encore inédit inspiré par la ville d’Istanbul, ses anecdotes, ses chats, ses problèmes aussi (le manque de Liberté en Europe est abordé dans « Freedom ») ou ses légendes, chacun donna le meilleur de lui-même.

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Ilhan Ersahin, que je ne connaissais pas, a la lisibilité cosmopolite d’un Wayne Shorter, parfois la puissance sonore d’un Akosh S sans ses dissonances et le groove d’un Ellery Eskellyn quand ce dernier veut bien jouer collectif, grâce à une colonne d’air imperturbable, mais est beaucoup plus égal que lui, toujours passionnant tant dans l’oriental que dans le Rock ou dans le Groove.

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Pour ce qui est de Truffaz, on connaît son parcours et son talent, mais je ne l’avais jamais vu jouer d’aussi près, ce qui ne m’a pas fait davantage comprendre les arcanes et les mystères de son utilisation des effets (samplers, wah-wah, distorsions et réverb) qui donnent à sa trompette des sonorités inouïes, comme s’il en prolongeait le souffle de l’unique tuyau à pistons en un orgue imaginaire grâce à eux. Si Médéric Collignon est le meilleur héritier de Miles Davis en France pour le jeu pur, et le dépasse par sa propre folie vocale et instrumentale, Erik Truffaz est, après avoir montré son talent pour les ballades soulfull avec Nyah qui amenèrent au jazz un public plus large, le plus bel héritier des effets du Miles électrique de Bitches Brew, et là aussi le surpasse par des effets plus contemporains, et la technologie a évolué, depuis qu’il a pris un virage Rock avec « The Walk Of The Giant Turtle », et s’ouvre maintenant à des projets World entre Paris avec Sly Johnson, Bénarès avec Talvin Singh, Mexico avec Murcoff et Istanbul avec Ersahin. Il est peut-être celui qui sait le mieux, au sein d’une même phrase, passer de la douceur miel à nos oreilles au cri ultime, organique ou électroniquement modifié.

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Porté par cette rythmique imparable, leurs échanges furent très complices dignes de ceux de Miles et Coltrane, Miles et Wayne Shorter, se suivant à la note, au souffle, à l’effet près dans leurs échanges, et la cohésion du groupe indubitable et bluffante.

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A Strasbourg, le Festival se poursuit avec ce Mercredi 14 octobre à 20 h 30 à la Salle Du Cercle de Bischeim la guitariste et chanteuse de Blues Haïtienne Mélissa Laveaux et le phénomène du « Jazz-Punk » Néozélandais, le trio Aronas d’Aron Ottignon!

Jean Daniel BURKHARDT