Suite de la Saison de la turquie aux Nuits Européennes : Gevende et Ilhan Ersahin invitant Erik Truffaz au TNS
Par Jean Daniel BURKHARDT le mercredi, octobre 14 2009, 13:59 - MUSIQUES TRADITIONNELLES - Lien permanent
Pour cette seconde soirée de la Saison de la Turquie en France des le festival Les Nuits Européennes invitait le groupe Stambouliote Gevende et le saxophoniste Stambouliote, mais vivant à New York, Ilhan Ersahin invitait le grand trompettiste Suisse Erik Truffaz à ses « Istanbul Sessions », une exclusivité "Nuits Européennes 2009" qui n'a fait qu'une date à Paris et reprendra ses concerts en 2010.
Gevende (http://www.myspace.com/gevende) est un jeune groupe rock-psyché-folk Turc formé d’Ahmet K. Bilgic (chant, guitare), d’ Omer Oztuyen (violon), d’Okan Kaya (basse électrique et chœurs), de Gokce Gurcay (batterie) et de Serkan Ciftci (trompette) et ont été influencés par leurs voyages en Inde, en Iran et au Népal.
Le guitariste actionne un sample ou une boîte à musique de l’hymne national Turc en introduction au second titre. Cette fois le chant plus rageur est scandé, rythmé sur la batterie par le chanteur avec des dons de comédien certain, où ses mains, ses poings, suivent les mots de son chant, même si on ne comprend pas les paroles. Soudain il sort de sa guitare un éclat de rire – déflagration, suivi par le violon. Le chant monte en intensité jusqu’au cri, suivi d’un bon solo de basse psyché sur les cymbales pendant cette déflagration rock de la guitare en écho, puis la soutenant, comme le solo de violon baroque sur la cymbale et enfin la trompette à la Truffaz, bleutée, ouatée, poétique, comme étouffée. Le violon termine sur la batterie martiale, et ils finissent tous de concert.
Enfin quelques explications du chanteur, en anglais : «C’est notre 8ème ou 9éme fois France, la première fois dans un théâtre. Nous venons d’Istanbul, pas de Turquie, et ce que nous chantons n’est pas du Turc mais une langue improvisée par nos émotions ». Ils ont indubitablement les qualités d’inventivité individuelle et de jeu collectif de groupes Rock-Jazz comme Rocking-Chair, en plus traditionnel.
La chanson suivante, « Nayu », utilisée dans un dessin animé de Denizcan Yuzgul et Burcu Urgut offre un bon exemple de cette langue imaginaire improvisée sur une superbe partition. On dirait de l’indien, mais avec une technique gutturale turque. Peut-être le fantasme, l’idée qu’on pourrait se faire de l’indien sans le connaître ni le comprendre, une idée de l’Inde, une impression, une émotion, un rêve d’Inde. La voix s’envole, puis chute, dans le nœud mélodique formé par la violon et la trompette, puis s’assourdit jusqu’au silence. Mais peut-on vraiment improviser ainsi une langue inconnue, oublier les langues sues et connues et leur sens pour leur substituer un autre sens d’émotion mélodique pure, et serait-elle, alors, universellement émouvante?
Ce thème rappelle en effet un thème de rèbab du Kashmir Pakistanais, puis la guitare et la basse partent en Rock, la batterie en drum’n’bass, et les belles harmonies vocales (le violoniste chantant dans le micro de son violon) rejoignent celles de Nusrat Fateh Ali Khan et ses frères.
Ils revinrent en Bis, remerciant comme on s’en va, pour un dernier titre indianisant et Folk 70ies (http://www.youtube.com/watch?v=PUxK5XjVvXg&feature=related ). Un groupe à suivre, indubitablement, qui a déjà un univers et un langage fascinant, quelqu'il soit.
En seconde partie, on pouvait entendre le saxophoniste Ilhan Ersahin, né en Suède de père Turc, mais qui vit à New York où il a un Club, qui invitait le trompettiste Suisse Erik Truffaz pour ses « Istanbul Sessions » (disque en pressage à Istanbul) mais qu’ils ont joué ensemble à New York, Istanbul et Izmir, avec des musiciens Turcs : Alp Ersönmez (basse), Turgut Alp Bekoglu (batterie) et Izzet Kizil (percussions), qui ne sont, eux, jamais allés aux Etats-Unis « parce que la Turquie doit d’abord se conduire en bon pays Européen », ironise Ersahin à propos de son entrée éventuelle dans l’Union.
C’est sûr qu’ils feraient un tabac aux Etats Unis : le bassiste est surpuissant d’obstination rythmique dans ses réitérations des mêmes accords, tant dans le Rock que dans le groove et tout en musicalité, le batteur carrément Rock (plus encore que Gevende) et le percussionniste joue à la fois d’une conga et de percussion turques (darbouka, dhol sur trépied et à la main et clochettes : des sidemen de rêve, mais qui n’obtiennent pas de visa pour le Nouveau Monde.
Sur ce répertoire encore inédit inspiré par la ville d’Istanbul, ses anecdotes, ses chats, ses problèmes aussi (le manque de Liberté en Europe est abordé dans « Freedom ») ou ses légendes, chacun donna le meilleur de lui-même.
Ilhan Ersahin, que je ne connaissais pas, a la lisibilité cosmopolite d’un Wayne Shorter, parfois la puissance sonore d’un Akosh S sans ses dissonances et le groove d’un Ellery Eskellyn quand ce dernier veut bien jouer collectif, grâce à une colonne d’air imperturbable, mais est beaucoup plus égal que lui, toujours passionnant tant dans l’oriental que dans le Rock ou dans le Groove.
Pour ce qui est de Truffaz, on connaît son parcours et son talent, mais je ne l’avais jamais vu jouer d’aussi près, ce qui ne m’a pas fait davantage comprendre les arcanes et les mystères de son utilisation des effets (samplers, wah-wah, distorsions et réverb) qui donnent à sa trompette des sonorités inouïes, comme s’il en prolongeait le souffle de l’unique tuyau à pistons en un orgue imaginaire grâce à eux. Si Médéric Collignon est le meilleur héritier de Miles Davis en France pour le jeu pur, et le dépasse par sa propre folie vocale et instrumentale, Erik Truffaz est, après avoir montré son talent pour les ballades soulfull avec Nyah qui amenèrent au jazz un public plus large, le plus bel héritier des effets du Miles électrique de Bitches Brew, et là aussi le surpasse par des effets plus contemporains, et la technologie a évolué, depuis qu’il a pris un virage Rock avec « The Walk Of The Giant Turtle », et s’ouvre maintenant à des projets World entre Paris avec Sly Johnson, Bénarès avec Talvin Singh, Mexico avec Murcoff et Istanbul avec Ersahin. Il est peut-être celui qui sait le mieux, au sein d’une même phrase, passer de la douceur miel à nos oreilles au cri ultime, organique ou électroniquement modifié.
Porté par cette rythmique imparable, leurs échanges furent très complices dignes de ceux de Miles et Coltrane, Miles et Wayne Shorter, se suivant à la note, au souffle, à l’effet près dans leurs échanges, et la cohésion du groupe indubitable et bluffante.
A Strasbourg, le Festival se poursuit avec ce Mercredi 14 octobre à 20 h 30 à la Salle Du Cercle de Bischeim la guitariste et chanteuse de Blues Haïtienne Mélissa Laveaux et le phénomène du « Jazz-Punk » Néozélandais, le trio Aronas d’Aron Ottignon!
Jean Daniel BURKHARDT