Hier soir, vendredi 9 octobre, le Festival « les Nuits Européennes » ouvrait sa quatorzième saison à La Reithalle d’Offenburg, où il sera encore ce soir, mais un système de Covoiturage est organisé par « Passe Me Prendre », sur simple inscription sur le site, au départ du parking du Campus d’Illkirch, accessible en Tram, départ à 19 h 30.

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Hier soir, Les Nuits Européennes recevaient donc deux musiciens Européens de renommée internationale en solo : le chanteur et guitariste Italien Gianmaria Testa et la chanteuse et violoniste Tchèque Iva Bittova.

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Gianmaria Testa est un habitué de la Reithalle et de la salle Des Fêtes de Schiltigheim. Il se produisait en solo, comme sur son dernier disque « Solo Dal Vivo », jouant alternativement d’une guitare acoustique, d’une Stratocaster blanche et d’une guitare électrique noire pour le dernier titre.

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Il a une voix plus sourde et intimiste que Paolo Conte et siffle parfois comme un oiseau du Décaméron de Boccace, ou rythme ses chansons un peu plus Rock comme du rythme d’une traversée Transatlantique, puis ralentit.

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Ces chansons, qu’il présente en français, sont aussi concernées par la situation en Italie, à commencer par « l’une des premières chansons de Francesco De Gregori : quand quelqu’un se prend l’envie de te communiquer que le Père Noël n’existe pas. Et pourtant, il y a urgence, ici et surtout en Italie, que le Père Noël existe. » En effet, avec les tremblements de terres qu’ a subi l’Italie et les frasques de Silvio Berlusconi, ils en ont vraiment besoin.

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J’ai fait un peu de latin, mais l’italien reste pour moi, comme le portugais, une langue d’une musicalité touchante mais incompréhensible, dont je capte parfois des mots de voyage et d’amour.

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Gianmaria Testa est aussi un homme engagé, comme l’a montré son disque « Da Qesta Parte Del Mare » et ses présentations de chaonsons : « L’Italie a été, depuis le XIXème siècle, ujn pays d’émigration. Maintenant ce qui m’a touché négativement, c’est qu’on accueille de façon si indigne nos propres immigrés par des lois iniques votées au Parlement. Pour moi c’est incompréhensible qu’on puisse oublier en une seule génération combien il est dur de quitter sa propre terre. » Puis il chante, finissant d’une voix plus sourde encore, comme venue de très loin, très près du micro, un murmure d’émotion profonde comme dans une autre langue.

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A d’autres moments, il est comme transfiguré de jeunesse, un peu comme Adriano Cellentano, tout jeune Rockeur chantant Reddy Teddy dans La Dolce Vita de Fellini, puis s’envole dans les aigues, comme trouvant une langue intérieure.

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Toujours sur les sans-papiers, une autre chanson évoque « ces bateaux qui partent des côtes de l’Albanie ou de la Libye avec à leur bord de 15 à 70 personnes, et parfois un de ces bateaux coule, et ces hommes et ces femmes se noient dans cette grande flaque d’eau qu’est la Méditerranée. » Là encore chanson magnifique, où « au fond de la mer chante une sirène ».

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Certains arrivent en Italie, et l’un d’eux « habite chez nous depuis des années, a trouvé on travail et même un logement à louer. Il est un « extracommunautaire intégré (comme les Suisses!). Maintenant ils laissent si peu de choses derrière eux. Avant ils envoyaient de l’argent, une carte pour Noël, à une adresse… Lui a vu une femme sur le bateau, et a trouvé dans ses yeux, dans son regard, la force de se battre. Puis, n’étant pas en parenté, ils furent séparés à leur arrivée à Lampedusa. Et un jour il se dit qu’il est temps, qu’il est vraiment temps, de retrouver cette femme.»

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Pour moi, avant d’en entendre parler à propos de l’arrivée de ces immigrés en Italie, je croyais que Lampedusa n’était que le nom de Giuseppe Tomasi Di Lamedusa, auteur du « Guépard » qui inspira un film magnifique à Lucchino Visconti en 1963 sur la fin de cette dynastie noble sur fond de guerre d’indépendance menée par Garibaldi. Le personnage de vieux Prince Salina humaniste mais lucide joué par Burt Lancaster avait un discours magnifique sur la Sicile en refusant de se mêler à la Révolution car la Sicile ne peut changer : « Les Siciliens ne voudront jamais s’améliorer, pour la simple raison qu’ils sont parfaits : leur vanité est plus forte que leur misère; toute intromission étrangères aux choses Siciliennes, soit par leur origine, soit par la pensée (par l’indépendance de leur esprit), bouleverse notre rêve de perfection accomplie. Parce que nous sommes des dieux », et disait que rien ne changerait, ou en pire, après «les guépards, les lions » venant « les chacals, les hyènes », ses mots se perdant dans la poussière de la route et du temps et de l’histoire. Evidemment, cela vient d’un monde ancien, aristocratique, qui s’oppose aux pensées modernes de gauche, mais je trouve qu’il y a là une beauté surannée, enfuie à jamais.

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Est-ce l’engagement personnel de Testa, et y-a-t-il beaucoup d’artistes défendant ainsi les immigrés en Italie (je me souviens que Paolo Frésu avait fêté à Pôle Sud avec son PAF Trio le remplacement de Berlusconi par Romano Prodi). Berlusconi a quand même été réélu à la majorité. Mais j’aime à penser qu’individuelle ou collective, c’est d’avoir été souvent émigrants qui donne aux Italiens cette générosité envers leurs immigrés, et j’avoue que comparativement, quand je pense à la destruction de la Jungle de Calais et au projet de renvoyer ces afghans dans un pays en guerre civile contre les talibans, j’ai honte par rapport à cette générosité de voir ces sujets si peu abordés par la Nouvelle Chanson Française.

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Et pour en revenir au Concert, et à cet « extracommunautaire intégré », Gianmaria Testa imagine que, faute de retrouver cette femme, il lui écrit une « Chanson d’amour Hypothétique, 3/4 », parlant de lune, de roses et de toutes choses, du courage que seule elle lui a donné à lui, seul.

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Pour terminer cette série en appelant à l’engagement citoyen, Testa chante une autre chanson, «Al mercato di Porta Palazzo », racontant qu’ «A Turin, il y a une place avec un grand marché qui est devenu une casbah pleine couleurs et de senteurs. Mais en Italie, il ne suffit pas d’être né sur le sol Italien pour être Italien. Alors une femme accouche sur la place, met son bébé dans la corbeille de fleurs d’un marchand, et un carabinier arrive, et demande, malgré ce miracle, les « documenti » (papiers). Et toutes les personnes présentes sur la place achètent toutes les fleurs du marchand et vident le panier. La place vide, et seul reste le Carabinier réclamant toujours ses « documenti » ». L’histoire est si belle que les applaudissements précèdent la chanson, qui me rappelle par son rythme Georges Brassens, et par son sujet son «Hécatombe » du Marché de Brive La Gaillarde. Brassens aurait-il de nos jours parlé des sans-papiers au lieu des voleurs de pommes comme « Celui qui a mal tourné ». Gianmaria Testa fit du public un cœur approbateur.

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Gianmaria Testa continua par une vieille chanson d’exil de 1927 qu’il tient de sa mère.

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En Bis, il chanta, en anglais, comme lors de son premier passage à New York, une chanson que la chanteuse Allemande Marlène Dietrich avait popularisée en Allemand («Ich bin von Kopf bis Fuß auf Liebe eingestellt ») (Je suis faite pour l’amour des pieds à la tête » de Friederick Hollander en 1930, devenue en anglais par Sammy Lerner (mais avec un sens très édulcoré par rapport à loin l’original) « Falling In Love Again (Never Wanted To) dans « Der Blau Engel » de Josef Von Sternberg, rendant tout de même, fût-il de seconde main, cet hommage à une grande artiste Allemande.

En seconde partie, la violoniste et chanteuse Tchèque Iva Bittova, née en 1958, déjà venue aux Nuits Européennes au TNS en 2002, qui vit maintenant près de New York dans la forêt et offre ici son seul concert Européen, vêtue d’une robe indienne fleurie et ses cheveux frisés et noirs retenus d’un ruban vert.

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Elle commence d’une voix bouleversante par un chant Tzigane ou Bittovien, s’envole d’une voix d’enfant terrible, qui devient ensuite plus profonde et mature, aigue comme celle d’une diva folle avec dans ses yeux l’innocence.

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Elle prend son violon et joue un bourdon aigu dissonant, y posant des yeux étonnés, puis un bourdon grave sur sa voix grave, presque Rajastani dans « Latcho Drom » de Tony Gatlif, mongole, diphonique dans ses aigus, suit son violon en des appels tziganes forestiers, sauvages, dans un au-delà des langues et des folklores n’appartenant qu’à elle, et qui les rassemble toutes et tous en elle, dans cette liberté capable de tout.

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Elle continue par un thème Tchèque spirituel, mais s’en échappe EST elle-même toutes les musique et son propre univers, du cri jusqu’à ce halètement grave, ce langage siffleur d’oiseau universel, retrouvant les babillements de l’enfance, dans cette rêverie passant les pays et les âges à tire d’elle, et lâche l’oiseau d’un baiser sec dans la salle.

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En fait il s’agissait d’une chanson sur « une fille qui demande à sa mère si elle est en âge de faire l’amour, mais elle doit encore attendre un peu », dans son style « imité des oiseaux » (elle aime la nature).

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En 2002, au TNS, elle était arrivée avec un plein sac de jouets sonore, en avant lancé un dans le public et avait improvisé un duo sonore avec une personne du public avant de réclamer le retour de l’objet.

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La voix se mêle à l’archet frotté, aux pizzicati, aux glissements, semble bailler, vient de sa gorge, bouche close, comme si ses cordes vocales répondaient à son violon, tandis que dans son regard passent des lueurs de folie, avec cette voix de gorge criante ou diphonique, d’oiseau bouleversant chantant sur la branche du violon, alors que son regard est, comme une enfant, effrayée de sa propre voix., qui s’élève jusqu’à une diva sauvage et forestière, puis le Piano sous La Mer de st Preux, et bifurque vers la baroque Johânn Sébastiân Bâch.

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Elle reprend ensuite « Auschwitza » () de Latcho Drom, sur le génocide tzigane, triste mais belle. Sa version est plus gaie et folle, jeune que celle de Margita Makulova dans le film, semble redonner vie à cette mélodie, plus rageuse que mélancolique.

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Elle joue du kalimba (petit piano à pouce africain) avec la régularité d’une boîte à musique tout en chantant d’une voix enfantine, puis profonde. De la même manière, dans le film « Step across the Border » de Fred Frith en 1989, elle bâtissait un morceau autour d’un réveil matin dans leur chambre d’hôtel avec le guitariste Pavel Fajt, alors son mari.

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Elle continue avec « Rodrigo », un berceuse Espagnole Judéo-Hispanique de l’exil après la reconquista,, rallonge la mélodie en la faisant vibrer en n’en gardant que les fins de mots et les r roulés, la ramène de Turquie en Espagne sur les ailes des œufs de percussion dans ses mains de sa voix d’enfant femme, passant au-dessus des montagnes et des forêts, puis claque de la langue et jette les œufs à terre comme des jouets dont elle se serait lassée.

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Elle continue avec une chanson en allemand, une histoire de chat (katz) qui saute, descend dans la salle, attire l’attention d’une personne du public crie, utilise l’archet en pizzicato percussif presque élastique, tourne comme une derviche folle sur elle-même.

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Elle enchaîne sur une improvisation débridée , avec une voix à la fois née du dernier orage et descendue des glaciers millénaires, sans âge ou de tous les âges, où sa voix part avec sion violon et vice versa. Elle a dit un jour que son violon était une partie d’elle, diabolique de possédé par elle et toutes les danses du monde et inversement, de la gravité à la folie. Elle utilise la chaise pour jouer avec l’espace, nous arrivant des profondeurs d’une forêt ou toute proche. Je crois que c’est bien la chanteuse la plus génialement folle que j’aie vue de ma vie.

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Autre Berceuse, de John Lennon, « Good Night », chantée par Ringo Starr, qui fermait le « Double Blanc » des Beatles, remplaçant les violons symphoniques par ses pizzicati, l’archet puis scatte.

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Malgrè toutes ces Berceuses, elle serait une Mary Poppins à ne pas fermer l’œil de la nuit pour en entendre toujours un rêve de plus de plus , finit par souffler dans un kazzo comme un oiseau fou en roulant des yeux.

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Pour le Bis, elle revient saluer, trépigne comme une enfant puis finit par Mozart : elle a joué Dona Elvire dans « Don Giovanni » dans sa jeunesse comédienne. Gageons que Dom Juan lui-même se serait laissé prendre, à force de ne pas s'en lasser…

Jean Daniel BURKHARDT