S.M.V. : derrière ces initiales se cachent le super groupe des trois plus grands bassistes électriques afro-américains : S est Stanley Clarke, 58 ans, innovateur de la basse électrique (avec un son très électrique, contrairement à Jaco Pastorius) et inventeur du slap (jeu faisant rebondir les cordes avec les doigts) à partir de la contrebasse où il est le plus rapide du monde et fondateur du groupe « Return To Forever » ; M pour Marcus Miller, 50 ans, dernier bassiste funk de Miles Davis (Tutu, Siesta, c’est lui), mais aussi clarinettiste basse, saxophoniste et claviériste ; et V comme Victor Wooten, 45 ans, le plus jeune des frères Wooten, l’enfant-prodige de la nouvelle génération qui a inventé le double slap (grâce à l’utilisation du pouce), et dont c’était le rêve de jouer avec ses deux idoles.

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Bref, quand on met tout cela ensemble, ça fait l’effet du tonnerre et de la foudre à trois éclairs, comme l’indique le nom de leur album sorti en 2008 précédant cette tournée : « Thunder ».

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Derico Watson à la batterie et Federic Gonzales Peña aux claviers les précèdent, introduisant leur arrivée des accords de ce péplum moderne et électrique à trois gladiateurs, par ordre d’âge décroissant, Clarke, Miller et Wooten, de ces « Maestros de las Frecuencias Bajas » de Stanley Clarke (parce qu’ils ont aussi composé le répertoire de l’album), qui s’affrontent par des duos : Miller en rythmique et Wooten en solo, puis Wooten/ Clarke, et se retrouvent pour le final dans une attitude très Rock.

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Au début de « Thunder », le sample de la voix d’ordinateur de «Butterscotch » énonce en héraut-lectro les noms de héraut «S-Stanley C-Clarke, M-Marcus M-Miller, V-Victor W-Wooten » entre deux scratches.

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Le thème utilise le riff de « Kashmir » de Led Zeppelin. Clarke rocke, Miller, funke et Wooten en rythmique double slappe en aller-retour en utilisant son pouce en médiator.

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Miller imite le son d’un synthé grâce à ses pédales d’ effets. Clarke allonge les notes, et Miller se mêle à eux au saxophone funky Rythm’N’Blues, avant un duel du slap funky de Miller contre le tapping groovy de Wooten, qui arrive sur sa basse aux effets similaires à une guitare électrique.

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Sur « Los Tres Hermanos » de Marcus Miller, synthé et basse se confondent. Les trois bassistes allient, unifient en frères d’instruments et de musique, leur puissance l’une avec l’autre, chacun tour à tour rythmique et soliste, et soudain s’énonce dans le solo de Miller sur les deux autres l’une des plus belle mélodie du disque, avec cette âme espagnole, presque flamenco, qui court le sang de ses veines dans ces cordes dans son slap soudain Reggae, changeant de rythme. Cette passion les lie entre eux vers la recherche d’une intensité, mais aussi d’une beauté commune, dépassant la seule émulation individuelle pour un but collectif.

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L’aîné Stanley Clarke présente le morceau de bravoure du benjamin Victor Wooten, qui construit son solo sur cette Jam « Classical Thump » ( Pouce Classique) dont il composé le thème à partir d’une note slappée/ samplée par une pédale, et commence presque baroque sur cette ligne dub. S’il l’avait entendu dans ce ralenti bouleversant, Jean Sébastien Bach aurait composé un concerto pour basse électrique pour un tel soliste!

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Il continue en accélérant presque en flamenco à la cavalcade de chevaux de Camargue sous ses doigts, que Manitas De Plata apprécierait et ferait de lui son frère gitan en partageant la scène avec lui.

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Arriver à cette finesse, à cette vélocité dans l’accélération sur des cordes aussi grosses et métalliques, dompter ce métal strié doit être plus difficile que la corde de nylon.

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Soudain, il accélère encore, part en Jazz-Rock à la Jaco Pastorius ou Jimi Hendrix en utilisant la pédale wah wah.

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Il finit en double slap au pouce, éclatant de toutes part, puis redevenant plus fin. Les grands solistes ont toute LA MUSIQUE, toutes LES MUSIQUES en eux, dépassent les genres et les barrières entre les styles, les notions mêmes de violence ou de douceur en passant des uns aux autres.

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Victor Wooten, Marcus Miller et Stanley Clarke ont aussi composé ensemble pour cet album « Mongoose Walk », accompagnés sur le disque de Chick Coréa au piano (membre avec Stanley Clarke, Airto Moreira et Flora Purim de « Return To Forever » en 1972). Là encore, la mélodie sublime par son émotion la simple prouesse technique.

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Chacun garde son style, son son spécifique : métallique pour Clarke, presque proche d’un clavier par les effets pour Miller, doublement slappé pour Wooten.

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Le claviériste Federic Gonzales Peña nous gratifia d’un magnifique solo du classique, au piqué Jazz, puis libérant les grandes orgues électro-acoustiques de Jo Zawinul avec Weather Report, puis sans effet, en pianiste sur le batteur en drum’n’bass, avec la finesse d’une kora, retrouvant la finesse des cordes dans son jeu sur cet instrument électrique, presque classique et libre, à la Keith Jarrett en course folle ou mélancolique à Köln (qui s’est produit mercredi 8 juillet dans ce même festival, et reviendra peut-être, préférant les rideaux rouges aux jaunes, trop lumineux pour lui !). Juste un grand solo de claviers par un grand claviériste actuel..

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Miller reprend le thème avec des effets hallucinants, fait parler sa basse comme Peter Frampton sa guitare, d’une voix d’ordinateur, de mouette blanche et noire chantant « It Ain’t Necessarily So », que rien n’est impossible même avec une basse.

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Une battle s’engage entre Clarke, plus rêche et métallique et Wooten, plus synthétiseur grâce aux effets.

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C’est au tour de Wooten de présenter le morceau de bravoure de Marcus Miller «the man with the very cooool hat » (l’homme au chapeau très cooool), en fait une modernisation du fameux « pork pie hat » de dame patronnesse victorienne sans les rubans de Lester Young.

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Il change le son de ses effets du métal vers une tunnel sonore sur la rythmique forte, joue un thème Miles Davis, «Jean-Pierre». Marcus Miller doit beaucoup à Miles, et Miles à Miller, a composé « Tutu » et pratiquement toute la musique de film « Siesta » de Mary Lambert en 1987 (où d’ailleurs on n’entend presque pas le trompettiste derrière ses synthétiseurs) et continue en retour de faire vivre son esprit d'ouverture sur scène.

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Puis il passe à la clarinette basse, où il est très émouvant, presque Lesterien, peut-être plus sensible car moins dans la puissance qu’à la basse électrique, interprète le standard « When I fall in love » sur les seules nappes du clavier, y retrouvant une certaine pureté du souffle intime, cette émotion immédiate des standards comme de simples chansons d’amour ou de jolies mélodies, la fonction consolatrice, sentimentale, de « chanteur » de tout jazzman, de tout souffleur, car le bec et l’anche entrent, par la bouche, dans l’intimité de l’instrumentiste, plus que les doigts de feu du bassiste sur les cordes, fait passer son souffle vital à travers cet étrange pélican de bois noir au cou démesuré qu’est la clarinette basse, rappelant certains solos infinis sur « God Bless The Child » d’Eric Dolphy poussés jusqu’au cri free.

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Il fait partie de TOUTE L’HISTOIRE DU JAZZ, pas seulement du Jazz Funk. Avant d’arriver à Tutu, Marcus Miller se souvient que Miles aimait aussi « Human Nature » de Michael Jackson, et l'avait repris sur "You're Under Arrest" (qui fut à l'origine de la chanson et de l'idée de la pochette du derner Gainsbourg, pour "détournement de mineures" auxquelles il réservait son art majeur.

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Il termine son intervention par Tutu, mais SON Tutu, pas le Tutu Techno-Funk de Miles.

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Un « Tutu » revisité de l’intérieur à la clarinette basse, ramené à sa pure mélodie lente, puis entraînante, prétexte à improvisation, véhicule de Jam avec les deux autres bassistes et le groupe, où il reprend sa basse avec Victor Wooten et Stanley Clarke, passé à la contrebasse, où Miller cite même « Pierre et le loup » de Prokofiev.

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A son tour, Marcus Miller annonce « The originator of bass revolution » (l’origine de la révolution de la basse) : Stanley Clarke, qui, toujours à la contrebasse, va jouer « Milano », que Miller a écrit pour lui.

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Il débute sur les nappes de claviers, avec cette chaleur de la contrebasse acoustique, et l’émotion de l’archet dans l’introduction qui la fait redevenir violoncelle baroque d’un concerto de Bach sur l’écho des basses électriques de Marcus Miller puis Wooten.

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Il utilise ensuite ses doigts pour des arpèges très rapides (il est aussi un des contrebassistes les plus rapides du monde), du baroque au Jazz, prolongés par Miller, construit une chute espagnole à la Renaud-Garcia Fons, puis articule les cordes librement, le son étouffé par une serviette coincée dans la partie basse de l’instrument, retrouve le lyrisme pur de l’instrument.

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Un battement du pied évoque encore le Jazz, et soudain la contrebasse se fait Blues, Rock, en reprenant puissamment le riff irrésistible de «Mannish Boy» de Muddy Waters, qui inspira à tout le Rock anglais des Rolling Stones l'amour du Blues.

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A la contrebasse, Stanley Clarke peut se révéler à la fois violent comme un berimbau et émouvant comme un violoncelle.

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Sous ses doigts, la contrebasse redevient bois, arbre, redécouverte avec la curiosité, la sauvagerie du premier homme devant le feu, redevient forêt profonde et torrent, chêne sous la tempête et roseau qui plie mais ne rompt pas, baobab d’Afrique et pluie torrentielle, retrouve sa nature.

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Soudain, il viole toutes les règles de l’instrument, et à partir du slap qu'ila inventé pour la contrebasse, frappe les cordes à la volée d’une main tournoyant comme une hélice ou un rhombe, comme peut-être un musicien qui ne serait QUE contrebassiste n’oserait pas le faire.

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A la fin du solo, il n’a plus de doigts, montre-t-il à Miller, de cette puissance énorme déchaînée.

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Les trois bassistes se retrouvent électriques pour « Grits » (un plat du Sud des Etats-Unis, sorte de polenta de maïs), autre thème prétexte à joutes de cordes. Les thèmes enregistrés au studio ne sont qu’une carte de visite, un hameçon pour faire venir le public, mais prennent toute leur dimension sur scène, prétextes à improvisations et bases, véhicules de Jams effrennées..

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Le thème est presque circulaire tant l’entente est forte entre les trois bassistes.

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Leur vraie joie est de parcourir le monde ensemble dans cette tournée, de jouer ainsi pour un public, soutenus par un bon backing band et la beauté de ce projet de voir leur complicité, leur liberté qui leur permet de rester eux-mêmes tout en étant ensemble.

En Bis, ils rendent un hommage à Michael Jackson (en reprenant « Beat It ». Lors de l’enregistrement de « Thriller », raconte Quincy Jones, la voix de Michael Jackson et son énergie sur ce titre furent si forte que la console d’enregistrement fuma et manqua de prendre feu!.

Bref, l’émotion et la puissance Live de ces trois géants de la basse dépassèrent encore celles de l’album.

Jean Daniel BURKHARDT