Pour son dernier concert de la saison, La Salle Des Fêtes de Schiltigheim invitait le 19 mai dernier le Quintet de plus de dix ans d’âge du contrebassiste Dave Holland, soixante-deux ans dont quarante ans de carrière depuis sa découverte par Miles Davis dans u Club Londonien, avec Chris Potter (l’un des plus grands saxophonistes américains de la jeune génération) au saxophone ténor, Robin Eubanks au trombone, Steve Nelson au vibraphone et marimba et son nouveau batteur Nate Smith à la batterie depuis « Critical Mass ».

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La veille, ils ont pu profiter à la faveur d’un « day off » de Strasbourg et de ses bières Fischer sur une terrasse de La Petite France.

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Ils entrent en scène avec « Step To It » avec la demi-contrebasse (pique et haut) groove du leader sur le batterie broken à deux temps de Nate Smith soutenant les unissons sax/trombone d’effets équivalents des souffleurs de la coulisse et des clés, allongés de lames de vibraphone qui évolue vers le latin à la Tito Puente, que Kevin Eubanks soutient à la cowbell.

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Chris Potter prend un solo à la fois lyrique et Bop dans ses stop-times constants le faisant évoluer par paliers. Il n’est pas un de ces saxophonistes à la colonne d’air et dorsale raide (comme Ellery Eskellyn, qu’il surpasse en constance et en swing), mais fléchit les genoux, tout son corps suivant son solo de bas en haut avec le pavillon de l’instrument sur la batterie de Nate Smith ( (également batteur du dernier groupe de funk Chris Potter depuis leur disque « Underground » en 2006). Son style est physiquement d’obédience Hawkinsienne, si l’on en croit les descriptions d’Hugues Panassié dans « dix Ans de Jazz ».

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Il a d’ailleurs montré avec son disque « Gratitude » qu’il pouvait s’inspirer sans les copier de tous les grands saxophonistes de Lester Young et Coleman Hawkins ( ) à Charlie Parker, à Ornette Coleman, John Coltrane, Eddie Harris Wayne Shorter, voire de Michael Brecker.

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On retrouve dans le solo d’Holland son grroove sur la drum’n’bass de Nate Smith pendant le solo de vibraphone de Steve Nelson. Dave Holland s’est toujours inspiré des jeunes musiciens qu’il a engagés, comme Steve Coleman. Le mordant des cuivres conclut en riffs le retour du thème.

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Le concert continue avec « How’s Never », dédié à Rio de Janeiro, qui commence par des touches rapides de Steve Nelson au marimba sur la batterie de Nate Smith, suivi des cuivres aux échanges alternés, puis du trombone de Kevin Eubanks puis du saxophone puissant mais déstructuré dans sa montée Coltranienne jusqu’au cri sur la basse groove et la batterie broken.

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Suit « Heaven Fun », plus swinguant, groovant , bop sur un tempo plus rapide, aux riffs de cuivres très entraînants, au solo de Kevin Eubanks au trombone très new Orleans, trouvant dans le seul souffle et la coulisse des effets étouffés sans sourdine.

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Dave Holland reste seul pour une intro de basse puissante, vibrante, en solo, à la Charles Mingus dont il joua la musique en quintet avec Steve Coleman dans les années 80s. Le solo évolue lentement, avec une tension dramatique constante vers l’explosion comme dans « Haïtian fight Song » de Mingus avec un suspense et un groove constant.

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Steve Nelson revient avec une sonorité de balafon (ancêtre Africain du vibraphone et du marimba), un côté gong de gamelan asiatique, suivi des cuivres à la joie débordante du trombone prenant au vol la ligne du saxophone sur la montée de la batterie broken.

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Les deux souffleurs sont à la fois proches d’une ligne mélodique, soutenant son rythme de leurs riffs à tour de rôle et totalement libres dans leur expression. Le Jazz c’est cette confrontation respectueuse à la contrainte d’autrui en restant soi-même, et vice versa, échappée individuelle et jeu collectif.

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Suit « The Winding Way » débutant par un solo de basse oriental à la Renaud Garcia-Fons, citant « A Love Supreme de John Coltrane.

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Chris Potter y coule un solo de ténor oriental avec le trombone en fond sonore, se rejoignant entre les accords orientaux sur les percussions à graines de Nate Smith.

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Kevin Eubanks prend à son tour son solo sur le saxophone en fond sonore, si moelleux qu’on pense à Johnny Hodges dans « Isfahan » de Duke Ellington. Le second chorus de saxophone rappelle un autre grand saxophoniste amoureux de l’Orient : Charles Lloyd, puis s’en détache par des phrases de plus en plus libres vers une montée effrénée entre les gouttes distillées par le vibraphone.

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Ils continuent avec « Lucky Seven », l’un des titres les plus enjoués, latin et groovy de leur disque « Critical Mass », servi par des riffs entêtants sur un tapis de lames groove du vibraphone sur une batterie d’une force et d’une modernité funky Bollywood à la « Blue Pepper » d’Ellington dont on a longtemps pas cru le Jazz capable au demeurant.

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Après un solo de trombone torrentiel de Kevin Eubanks, Chris Potter semble forer le sol dans les genoux avec la puissance de son solo puis s’en envoler.

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Après le solo de vibraphone, pris par cette belle énergie, le vieux lion barbu devenu blanc Dave Holland semble retrouver le sourire béat et solaire de sa jeunesse chevelue, quand il accompagnait son découvreur Miles Davis à la basse électrique à l’Isle Of Wight ou dans « Bitches Brew ».

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Aujourd’hui c’est lui qui se refait généreusement une jeunesse avec ces jeunes loups sur la Drum’N’Bass de Nate Smith. Le Jazz a toujours évolué dans ce va-et-vient générationnel entre expérience des anciens où passe la tradition orale et ouverture des plus jeunes où continue de vivre sa musique ici et maintenant.

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A l’inverse, Chris Potter, s’il mène maintenant sa propre carrière, continue de jouer avec le quintet de Dave Holland ou le trio de Paul Motian. C’est aussi grâce à cette humilité qu’il est aussi bon. Dans leur retour au thème, sax et trombone jouent au chat et à la souris à s’attraper pour mieux se rattraper d’extrême justesse, se céder le passage, se laisser passer l’un l’autre en une course sans fin du chien après sa queue.

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Chacun y met du sien, différents mais avec une énergie semblable dans leurs effets : le crié du saxophone et le bari éléphantesque du trombone coulissant, la frappe de la batterie et le slapping de la basse, le tintinnabulement du vibraphone courant gaiement de l’un à l’autre, à chacun tour à tour la fois liant et élément perturbateur, rythmique et mélodique…

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Enfin, en bis, le Quintet a joué « Easy Did It », autre thème festif dédié à la Cité de New Orleans, berceau du Jazz, avec une basse en effet un rien bayou quand on y pense, une batterie de fanfare et des échanges des souffleurs en mélopée collective à l’ancienne du trombone « tailgate » dans les basses et du saxophone en place de clarinette. Ils semblent jouer chacun pour soi et pourtant se retrouvent toujours.

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Leur liberté n’est pas si loin du free jazz, comme certains des premiers Jelly Roll Morton avec Natty Dominique et ses Kings Of Jazz, poussant l’improvisation collective aux dernières extrémités de l’harmonie, rapprocherait cette origine du Jazz et l’harmolodie d’Ornette Coleman, comme semblait vouloir le dire Paul Issenmann, cornettiste du meilleur groupe de Dixie Land local, Les Célestins.

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Bref, Dave Holland et son quintet ont présenté un Jazz actuel, ouvert à tous les vents historiques du Jazz mais pas que, et à ceux des musiques du monde (leçon apprise du M’Base de Steve Coleman).

Jean Daniel BURKHARDT