Comme tous les ans, le Munster Jazz Festival de Michel Hausser (vibraphoniste Bop depuis 1955 élu meilleur de sa catégorie en 1958 qui revint dans son Alsace natale en 1970 pour le créer dans les années 80s) est le Festival de Jazz le plus authentiquement fidèle au vrai Jazz de la région.

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Cette année, il avait invité Claude Bolling et de jeunes solistes étonnamment fidèles à l’idiome swing (François Biensan et Nicolas Montier, Stan Laferrière et son Big Band de L’air) ou bop de la grande époque, comme le saxophoniste ténor Nicolas Dary, qui a joué avec eux dans le Tentet de Laferrière, avec son quartet (Gilles Réa, guitare ; Mathias Allamane, contrebasse et Philippe Soirat, batterie), avec qui Hausser a déjà partagé, pour certains, la scène en club

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Cet émule des grands saxophonistes Coleman Hawkins, Lester Young et Don Byas a déjà enregistré « You », en duo avec Alain Jean-Marie, puis « I’ll Never Be The Same » en quartet et été adoubé par Harry Allen, autre ténor à l’ancienne vu ici l’an passé.

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Dès les premières notes de « My Blue Heaven » (Mon havre de paix, et non mon ciel bleu, dixit le père de Nicolas Dary, professeur d’anglais), on reconnaît dans le saxophone le velouté du son et le phrasé lent hérités de Lester Young sur les accords bouillonnants de la guitare à la Jimmy Rainey ou Gourley, son dernier guitariste à Paris avec « Les Poids Lourds » français. Dary lui fait écho en allongeant ses phrases à la Don Byas sur le tinkty-boum de la batterie qu’affectionnait Lester pour l’accompagner.

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La guitare de Gilles Réa est Jazzy, Bluesy, avec cette souplesse élastique dans la précision rythmique. Le solo de contrebasse est bien calé entre les accords de guitare et la cymbale charley répétant les figures rythmiques sous les derniers chorus de saxophone. La section est aussi à l’ancienne, forte, efficace et évidente, au service les un des autres.

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De Don Byas (que Michel Hausser a bien connu à Paris), ils reprennent ensuite « Slam-In-Around », dédié au contrebassiste Slam Stewart à l’archet chantant ( qui l’accompagna souvent. Don Byas goûtait aussi (comme Lester avec son « Be-Bop Boogie ») le Boogie-Woogie, origine pianistique noire du Rock’N’Roll, que Nicolas Dary joue sur un medium tempo.

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D’ailleurs Don Byas remplaça Lester Young (renvoyé pour superstition, ayant refusé de se présenter à une séance d’enregistrement un vendredi 13) chez count Basie entre 1940 et 1943, mais il était moins apprécié de ses collègues car moins bon camarade, cherchant toujours à posséder tout le monde et à gagner à tout prix, sorte de John Mc Enroe de la Jam-Session.

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Mais Nicolas Dary intercale dans ce Boogie Medium des phrases Bop d’ « Ow » Dizzy Gillespie , repris par le groupe vocalese Les Double-Six dans « Robbie Le Robot ».

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Dans ces phrases Bop dans un discours Swing ou Boogie, on retrouve cette ubiquité Jazzistique des grands solistes du JATP (Jazz At The Philharmonic) qui pouvaient tout jouer pour être ensemble, du New Orleans au Bop. En tous cas, c’est du VRAI BOP, pas du NEO-BOP. Lester Young, quant à lui, lassé des catégories qu’il avait lui-même inspirées, déclarerait un jour : « Je joue du ténor SWING. Je ne joue pas Cool ou Bop ». Le titre se termine en roboratifs roulements de batterie de Philippe Soirat.

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Le concert continue avec l’une des plus belles ballades que Billie Holiday ait enregistré avec Lester Young : «I’ll Never Be The Same » en 1937, qui donne son titre au disque du quartet de Nicolas Dary, avec une intro de Gilles Réa. Le saxophone est Lesterien au possible.

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Le texte de Malneck et Kahn est ambigu, sur le changement de l’Amour, positif, puis négatif quand il s’enfuit. Et en effet quand elle se brouilla avec Lester, nul ne sait trop pourquoi mais elle avoue l’avoir « froissé » dans « lady Things The Blues », rien ne sera jamais pareil, jusqu’à leur dernière rencontre télévisée en 1957 pour un « Fine & Mellow » bouleversant dans le solo de son Prez et le regard de connivence de sa Lady Day qui semble lui dire « Yeah Prez, c’est ça le Jazz et ça a toujours été ça », comme pour se dire une dernière fois que leur amour platonique avait survécu aux années.

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Gilles Réa s’adapte au répertoire et au style de Teddy Wilson avec un solo à la Django Reinhardt. Le solo de contrebasse reprend la mélodie.

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C’est merveilleux de voir de jeunes musiciens si fidèles à l’esprit d’un jazz qu’ils n’ont pas pu connaître de leur vivant dans la décontraction, l’émotion, la nostalgie même.

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Suit un Blues bop et rapide d’Eddie LOckjaw Davis, autre grand saxophoniste Lesterien dans ses Ballades, qui remplaça Lester Young chez Count Basie après sa mort dans les années 60, entre autres dans « Atomic Basie » () et joua jusque dans les années 80s ( http://www.youtube.com/watch?v=KDyrqFh3PLk ). Là encore on retrouve tout à fait le style des Jazz At The Philharmonic où il dut jouer aussi, avec ces riffs qui font évoluer le thème jusqu’à son climax, jusqu’au honk, au cri, en gardant la ligne mélodique à la Flip Phillips..

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Lester Young et Charlie Parker y gravèrent leurs rares enregistrements où le boppeur retrouvait son idole dans les conditions des Jams-Sessions du Reno Club de son enfance à Kansas City.

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Suivit un autre thème avec des citations d’ « I Could Write A Book » pris avec une puissance et une émotion à la Ben Webster, musicale jusque dans la lèvre sur l’anche, le souffle précédant et suivant la note, agrémenté d’un tempo Bossa et des phrases à la Charlie Parker dans « Star Eyes », puis reprenant des citations de Dizzy Gillespie. Nicolas Dary aurait mérité d’être engagé chez Count Basie. Le solo de guitare de oGilles Réa rappelle dans ce style plus bop et latin celui de Tal Farlow avec Charles Mingus et Red Norvo.

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Lester fut représenté par un classique de ses Kansas City 6 : « I Know That You Know » sur sur un tempo tout aussi rapide, avec le premier guitariste électrifié, Eddie Durham, bien imité par Gilles Réa dans son style guilleret et envolé, moins agressif que celui de son successeur Charlie Christian .

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Dary se lance dans une course folle et torrentielle tout en restant à la mélodie de la version originale.

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C’est à Kansas City, au Cherry Blossom, que Lester Young, alors inconnu, battit à l'endurance lors d’une mémorable Jam-session de plus de dix heures le ROI du saxophone Coleman Hawkins en 1934.

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Dans son break final de batterie, Philippe Soirat le fait court des toms aux cymbales, recomposant la mélodie entière par ces seuls moyens rythmiques comme seuls les grands drummers savent le faire.

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Autre Blues du répertoire de Count Basie, « Harvard Blues » est cette fois un Blues lent, où l’on retrouve la touche Lesterienne comme à la surprise de Norman Granz à Newport en 1957, lors de ses adieux à Basie après avoir failli à maintes invitations quand personne ne l’attendait plus, remplacé par le clone qui lui succéda, Paul Quinichette, qu’il surnommait « Vice-Prez », déclarant « Quand je l’entends je ne sais plus si c’est lui qui joue comme moi ou moi qui devrais jouer comme lui », et qui ne joua plus après la mort de l’original.

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La vraie victoire de Lester, qu’il refusa toujours, ce furent ces « Brothers » du Cool de la Côte Ouest, Stan Getz ou Art Pepper chez Stan Kenton et Woody Herman, qui n’étaient pour lui que des « copy-cats » qui la lui offrirent sur la postérité. Encore aujourd’hui, il y a davantage de Lesteriens.

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La section rythmique est bien aussi efficace que l'"all-american rythm section" de Count Basie ( Freddie Green à la guitare, Jo Jones à la batterie et Walter Page à la basse) par sa mise en place. On reconnaît le respect mutuel « sans se cogner le nez », disait Lester.

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Le Blues lent s’accélère peu à peu par l’intensité du jeu, ou plutôt s’approfondit vers le sol, comme s’il voulait s’y enfoncer à ras de terre.

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Nicolas finit en bis par « Body & Soul » (http://www.youtube.com/watch?v=5s04lbnu3T8&feature=related ), dédié à sa mère Marie-Hélène Delcroix , et le le cheval de bataille de Coleman Hawkins lors de son retour aux Etats-Unis en 1939, après sa retraite Européenne et ses disques avec notre Django national. Lester ne tarda pas à partir au service militaire, où l’on acheva de lui faire perdre ses dernières illusions sur l’humanité.

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Après la guerre, Lester passa ses quinze dernières années à éviter Hawk. Il n’était pas sûr de pouvoir renouveler l’exploit de le posséder une fois encore, question de moral, cette fois.

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Merci à Nicolas Dary d’avoir fait revivre pour nous tous ces héros du saxophone dont il si bien assimilé le langage, et à Michel Hausser de continuer à nous dénicher des représentants du VRAI JAZZ qu’il connaît si bien.



Jean Daniel BURKHARDT