Mariana Aydar est une chanteuse Brésilienne de Saõ Paulo fille de Mario Manga, musicien de Premê, groupe d’avant-garde des années 80s et de la productrice Bia Aydar. A moins de 30 ans, elle est la chanteuse Brésilienne la plus intéressante du moment, et vient de sortir le 4 mai dernier son deuxième album « Peixes, Passaros , Pessoas » après « Kavita 1 » en 2007, qu’elle présentait hier en concert à la Salle Du Cercle de Bischeim.

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Elle est vêtue d’une robe-tunique rouge rosée biffée de dièses japonisantes imprimées en noir et accompagnée d’un jeune groupe, claviériste chevelu coiffé à la Jeanne D'Arc accordéoniste sur les titres les plus traditionnels, d’un bassiste et d’un guitariste électriques barbus, d’un percussionniste noir et d’un métis à la batterie, Duani, producteur du disque et « son amour ».

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Le concert commence par « Sem Ceremonia », l’une des chansons pop et rapides du dernier disque, avec des fusées de guitares à la "See Emily Play" de Pink Floyd et de grands orages magnétiques envoyés par les claviers, doucement rythmée par la voix de Mariana Aydar balançant entre tempo rapide et ralenti avec un accent de jeunesse à la Mayra Andrade, Capverdienne entendue dans cette salle.

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Extraite de son dernier album, on apprendra que « Palavras Não Falam » est la première chanson qu’elle ait écrite elle-même, avec un clavier Reggae et Soulfull soutenant la voix sans les efficaces cuivres de l’album, mais avec une agilité vocale m’évoquant Elis Regina sur les scintillements des claviers, et des percussions vocales rythmiques enfantines sur les sifflements des guitaristes en fond sonore.

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Finalement c’était bien son amie la Capverdienne Mayra Andrade qui l'accompagne sur le titre « Beleza » de l’album, alors que je croyais à une ressemblance générationnelle. Cette chanson offre une belle montée vocale sur « Sensual, Fenomenal, Ritual d’Exaltaçaõ » colorée de motifs pop kitsch répété du synthétiseur, soutenant les soupirs solaires qui m’émurent aux larmes à ma première écoute dont les échos se prolongent jusqu’au final.

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Suit un Samba, genre qu’elle dit les aimer beaucoup. C’est en effet l’amour de la samba comme « partie de l’essence brésilienne » qui a fait retourner Mariana Aydar au Brésil en 2006 «pour créer quelque chose qui partage cette expressivité.».

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Elle chanta tout d’abord « Manhã Azul » , une samba-choro accompagnée par le guitariste au cavaquinho, une de ces sambas mélancoliques à la « Manhã De Carnaval » de Luiz Bonfa () dans « Ofeo Negro » de Michel Camus, d’après la pièce de Vinicius de Moraès sur la musique d’Antonio Carlos Jobim.

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C'est une samba d’un de ces matins bleus de Saudade, cette nostalgie que les marins Portugais découvreurs du Brésil amenèrent avec le Fado où cette morgue se confond avec la douceur de vivre dans le bleu de l’aube lavée de pluie. Dans ce répertoire émouvant, Mariana Aydar fait penser à Elis Regina par sa justesse et la profondeur de l’émotion et l’allongement de certaines syllabes. Elle aimerait que nous comprenions les paroles. Nous aussi.

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«Florindo » est une autre Samba accompagnée d’une flûte qui ouvre son nouveau disque, remplacée ici par l’accordéon du claviériste. L’âme brésilienne s’est toujours interrogée sur le pourquoi de la souffrance, de cette mélancolie, de la fuite du temps et de la perte des illusions mais a toujours su aussi rendre cette douce tristesse dansante sur un rythme de samba, comme si les larmes ne pouvaient empêcher les pieds de danser, trouvant par là-même le remède à la peine.

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Suit un autre rythme Brésilien, le Xote, plus rapide, « Tà ?» interroge le nerf de la guerre et les mensonges des palabres, avec l’insolence et l’absurdité d’Elis Regina dans « Quaraquaqua (Vou Deitar E Roular) » dans son côté revendicatif.

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L’arrangement est original, modernisé par un clavier minimaliste évoquant à la fois la désuétude d’un orgue joué de Barbarie par le bassiste et la modernité electro dans ses prolongements de claviers doublés par le percussionniste. Le talent de Mariana Aydar est de moderniser la musique Brésilienne sans en perdre l’essence.

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Sur un tempo encore plus rapide et pop, « Pras Bandas De Là » de Duani évoque l’elasticité des allers-retours dans les voyages sur un arrangement pop. On pense à « Calcahnar De Aquilles » d’Elis Regina, quand elle cassait sa voix pour aller au bout des phrases sur un arrangement funky. Là encore, le clavier colore l’arrangement d’un océan kitsch acidulé avec les guitares.

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Quelques roulements de batterie martiaux en breakbeat annoncent le titre éponyme du dernier disque « Peixes, Passaros, Pessoas » (http://www.youtube.com/watch?v=eI417D0Zg_A ) ( (Poissons, passagers et personnes) (http://www.youtube.com/watch?v=8XdFiqoLeqE ) , la plus inquiétante, la plus violente et aux arrangements les plus modernes, a la guitare quasiment Rock voire Hard dans son solo, qui finit en cri suraigu, chanté cambrée vers l’arrière, comme celui d’Elis Regina au –dessus des flûtes de « Zazueira » (http://www.youtube.com/watch?v=PTJBkmmUYyI ).

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On comprend mieux à ses explications en anglais : « le texte est très fort : Nous vivons comme des poissons, passons comme des poissons dans la mer, et mourons comme des poissons étouffés dans un cri. »

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Elle reprend ensuite un classique Vinicius De Moraès et Baden Powell, « Consolação », modernisée par un tempo drum’n’bass et de guitares funky avant le solo de percussions. Elle semble s’arrêter, est applaudie et reprend de plus belle.

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Suit « O Samba Me Persegue », samba qu’elle a chantée sur l’album avec Zé Do Caroço sur l’album, avec une belle énergie de samba collective, et quelques pas de danse, comme Elis se renvoyant Sambas et Bossas avec Jair Rodrigues dans leur « Pot-pourri Do Morro ». Toutes deux sont de dignes descendantes de la Samba de rue, que Mariana a pratiquée avec Daniela Mercury au Carnaval de Bahia, et auraient pu défiler avec Carmen Miranda sur le rythme des mains du public et la batteria de Duani., même si Mariana Aydar et ses arrangements sont plus de la génération des Trio Electricos, du Rock et du Funk.

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Dans le bis prolongé, il y eut encore « beaucoup de Sambas » et une reprise en français d’ »Un Deux Trois » de Camille dont elle partage la folie vocale de tout remettre en cause avec un naturel presquu'ethnique et une déconcertante modernité, pris sur un tempo medium puis accéléré en Rock.

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Pour terminer un « Forro » avec Duani au tambourin, rythme du Nordeste. Les chanteuses de « Som Brasil » et danseuses de l’Association de Batucada « Orkhêstra » offrirent sur le bord de la scène le spectacle de leur jeu de jambes foudroyant.

Enfin, Mariana Aydar, qui nous avait fait penser à Elis Regina toute la durée de ce concert, offrit en dernier bis une reprise d’un de ses premiers succès, quand elle était elle aussi, en 1965, comme elle aujourd’hui, une jeune chanteuse qui monte, en interprétant « Menino Das Laranjas », qui n'avait certes pas les trois visages Jazz, Tango puis Blues à voix cassé final de la version d'Elis.

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Bref, Mariana Aydar a montré à la fois son ancrage dans les traditions des musiques Brésiliennes et son indubitable modernité.

Jean Daniel BURKHARDT