L’un des problèmes majeurs du Jazz moderne depuis le Free Jazz est qu’il s’est coupé de la danse, et avec elle du public populaire, du « grand public », au profit du Rock, du Funk, de la Salsa (anciennement Latin Jazz) et du Hip-Hop, en devenant une musique qu’on écoute respectueusement et assis, mais une musique d’initiés, élitiste, qui n'attire plus le jeunes.

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Ses formats d’improvisation de plus en plus longues, permis par les progrès techniques et le "Long Playing" excédant les trois minutes des années 20s, sont allés dans ce sens également. C’est pourquoi Miles Davis lui-même en est venu à faire du Jazz-Rock, pour participer au « Riot Going’On » prophétisé alors par Sly & The Falmily Stone, Eddie Harris et Roy Ayers du Jazz-Funk pour rester d’actualité, faire partie de la modernité musicale.

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On peut imaginer que c’est un mouvement similaire par rapport au Hip-Hop qui a poussé Tony Hymas (pianiste et claviériste anglais de Sam Rivers et Michel Portal sur « Minnéapolis »), le saxophoniste baryton François Corneloup et le guitariste Hendrixien Jef Lee Johnson (qui remplaça Vernon Reid dans les derniers concerts « Minnéapolis We Insist ! » de Portal, puis joua avec Hymas sur son disque « News From The Jungle» inspiré par les répressions policières racistes aux Etats-Unis) à fonder le groupe « Ursus Minor » ("La Petite Ourse"), titre également d'une improvisation space funk planante inédite au disque jouée à ce concert.

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Jef Lee Johnson a été remplacé depuis 2009 par Mike Scott, qui a joué avec Justin Timberlake et Prince.

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IMike Scot ne démérita pas dans le morceau de bravoure Hendrixien de Jef Lee Johnson aux riffs de saxophone iintroductifs nspirés de « Manic () Depression» ni dans les beaux échanges guitare / saxo à la manière du « Voodoo Chile », se renvoyant l’un l’autre riff et mélodie avec complicité et dextérité virtuose. Au point que, sans être informé, on n’eût pas vu la différence(j’avoue ne jamais avoir vu Jef Lee Johnson sur scène, et comme ils sont tous deux noirs portant des dreadlocks…). Il fut d’ailleurs adoubé d’un signe à la « You Did It » par François Corneloup en fin de prestation.

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Le premier album « Zugzwang » fut enregistré au Sons D’Hiver en 2003 avec Jeff Beck en guest.

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Jeff Beck est le plus humble et le moins connu des guitar-heroes anglais mais participa tout de même avec les «Yardbirds» au « Blow Up » d’Antonioni, après Clapton et avant Jimi Page, croisa le fer en Jam-Session avec Jimi Hendrix. Stevie Wonder écrivit pour lui « ( I ain’t) Superstitious » , qu’il enregistra avec Rod Stewart et son Jeff Beck Group, dont Ursus Minor fit une courte reprise comme clin d'oeil lors de ce concert, chantée par le batteur-chanteur Stokely Williams, protégé de Prince.

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Il y avait aussi sur ce premier disque la chanteuse Soul Motown Ada Dyer, dont Stokely Williams reprit le superbe « She Can’t Explain » avec des nuances androgynes dans les aïgues, des chanteurs Hip Hop américains et français et le batteur d’Happy Apple David King.

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Pour le second album « Nucular », Hymas, Johnson et Corneloup furent rejoints par le batteur / chanteur Soul Stokely Williams qui fut avec le groupe Mint Condition nommé pour deux grammy awards en 1997 et le rappeur Brother Ali en guest.

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Enfin, le groupe enregistra en 2007, toujours sur "Nato Hopestreet" (Cinénato) la Bande Originale du film « Coup De Sang » de Jean Marbeuf dont ils reprirent magnifiquement «Deeper Still », la plus belle ballade de Jef Lee Johnson et Tony Hymas, chantée en bis. Ce groupe permet aussi à Johnson et Hymas de composer de belles chansons aux formats pop magnifiquement chantées par Stokely Williams, comme « Almost Saw You », « The Choice », ou ce «Deeper Still », de créer un répertoire peut-être plus accessible au plus grand nombre « Jazz mais pas que », comme aimait l’écrire Frédéric Goaty dans « Tangentielles », supplément de «Jazz Magazine».

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En plus du plaisir de jouer en groupe (inventé par le Rock plus ue par le Jazz) avec ce son d'ensemble et de celui d’être en prise avec les combats et les musiques de leur temps et de toucher un public plus jeune, on peut voir celui communicatif de jouer une musique plus dansante, plus physique qu’intellectuelle, à faire bondir irrésistiblement sur place François Corneloup ET l’employé de Pôle Sud derrière son rideau, ce groupe donne aussi à ces improvisateurs émérites l’occasion de s’exprimer dans des formats plus courts, de s’essayer à des musiques traditionnelles comme le Flamenco dans « Gitans d’Avignon », ou un «Paso Anonyme», un « Petit Bonheur » de Reggae Funky, voire le twist-rock « Danse de Margot » sur la BO de « Coup De Sang ».

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Corneloup, surtout, souvent trop free en solo ou sur ses propres disques o projets , portait un chapeau de dame patronnesse en forme de «pork-pie-hat » à la Lester Young qui lui donnait avec son bouc un faux air de Charlélie avec ou sans Couture, et n’a jamais mieux joué que quand il s’est frotté aux musiques traditionnelles, bien cadré, porté comme ici par une section rythmique groovy, trad, ou Rock, ce qui lui a toujours permis d’accéder à l'évidence harmonique d'un lyrisme naïf et libre, depuis ses « Papillons Noirs » » sur le second Paris Musette. Pour Ursus Minor, il a composé aussi quelques reggaes très réussis, comme « Que la Terre m’entraîne », joué au soprano avec la précision et le charme abstrait d’un Steve Lacy.

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Merci à Ursus Minor de nous avoir montré que le Jazz pouvait encore être de son temps sans se trahir, étant selon une belle définition « la seule musique assez libre pour héberger toutes les autres ». Finalement le Jazz n’a jamais cessé de jouer à son inimitable manière des musiques qui lui étaient étrangères : Blues, Ragtime, Jungle, Swing, Bop, Cool, Free, Rap…

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C’était le sens de la « Latin Tinge » (touche latine de Jelly Roll Morton qui donna le Latin Jazz, puis la Salsa. Et grâce à Ursus Minor et d’autres, l’histoire continue aujourd’hui, et créera peut-être encore des générations de joueurs fous et d’auditeurs passionnés.

Dans ses Chroniques de Jazz "Fiesta In Blue", Alain Gerber écrivait à propos de la mort du Jazz qu'il préférait le voir mourir comme il était né et avait vécu, assassinné dans le coin sombre d'une ruelle mal-famée ou au bar d'un Jook Joint plutôt que s'endomir de vieillesse sans combattre dans l'ennui et l'eau tiède...

Jean Daniel BURKHARDT