Bob Dylan est le plus grand auteur-compositeur américain vivant et en activité de Folk, Blues, Protest-Song et Talking Blues dès 1962 (pour son second album The Freewheeling Bob Dylan, armé seulement de sa voix nasillarde, de sa guitare et de son harmonica), puis de Rock poétique (« Subterrean Homesick Blues », « Highway 61 Revisited » et « Blonde on Blonde ») et de chansons d’amour («She Belongs To Me », « I Want You») jusqu’à son accident de moto qui le fit se calmer et enregistrer des disques de Country (« John Wesley Harding », « Nashville Skyline ») puis plus Rock (« Planet Waves », « Before The Flood »), revint avec toutes les émotions qu’on aimait chez lui, ce mélange de tendresse et de colère dans « Blood On The Tracks » en 1975, puis sortit « Desire », devint chrétien (1979-1981), joua pour le G7 à Lyon en 1996 et continue de sortir des disques gentiment Country Blues Rock avec ses amis, se laissa pousser la moustache en 2001 pour « Love and Theft », sortit « Modern Times » et « Together Through Life » aux influences plus Country Bayou Cajun.

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Rien que pour ce qu’il a fait jusqu’en 1968 ou 1975 il serait déjà le plus grand. Je suis né trop tard pour l’avoir suivi d’année en année mais il m’accompagne depuis une quinzaine d’années, m’a fait rêver et rire et il était au Zénith hier soir.

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Première bonne surprise à l’entrée, en retard aux mots de : « …and I hope that you’ll die… » Il chante encore « Masters Of War », la meilleure protest-song de « The Freewheeling Bob Dylan » accusant les « Maîtres de la Guerre » en costumes cravates dans leurs bureaux et leur promettant de chanter sur leur tombe jusqu’à ce qu’il soit sort qu’ils soient morts!

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L’a-t-il chantée quand il joua pour le G7 à Lyon en 1996 ? Je pensais à l’époque que les « Masters Of War » étaient le G7 et ça m’a beaucoup déçu d’entendre qu’il s’y produisait, mais je lui aurais pardonné s’il avait osé. Peut-être n'a-t-il accepté que pour la leur chanter en face?

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Au moins la chante-t-il encore, ou j’avais tellement envie de le croire que j’ai eu une hallucination auditive.

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Des gradins où je me trouve, on aperçoit sur scène quelques musiciens en chapeaux noirs, « men in black » en chemises blanches et cravates. Bob Dylan se permet une chemise rouge, un liséré mexicain rouge au pantalon, le visage élimé par les ans comme celui d’un loup et la voix toujours tranchante comme un rasoir (il n’a cessé de muer pendant sa carrière), est aux claviers, ne prendra la guitare que pour un titre, et joue toujours de l’harmonica dans son style inimitable, citant dans le final du second titre, extrait de « Modern Times », «It’s all over now, baby blue», extrait de « Bringing All Back Home » dans laquelle il abandonnait une fille, après avoir sur le même disque produit deux chansons d’amour magnifiques comme « She Belongs To Me » et « Love Minus Zero ».

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Ses derniers Blues-rocks comme “Rollin’ And Tumblin’” (extrait de son avant-dernier album “Modern Times », hommage au film « Les Temps Modernes » de Charlie Chaplin) rappellent les quelques fameux qu’il a écrits pour « Blonde On Blonde » en 1966, narcotique comme “Leopard-skin pill- box -hatqu’il a encore très bien joué sur scène en 2007,, ] amer sur ceux qui sont restés des Folkies comme “Absolutely Sweet Mary”, porté par un riff d’orgue roboratif « Swinging London » ou « Obvously 5 Believers » qui en valait bien deux ou trois concentrés.

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Certes, on reconnaît aisément les riffs de « Sweet Home Chicago » du bluesman Robert Johnson qui vendit son âme au diable à un « Crossroad » et le «Mannish Boy » Muddy Waters qui inspirèrent la mode du Blues anglais des Yardbirds avec lesquels débutèrent Eric Clapton, Jeff Beck et Jimmy Page, qui, lors de sa tournée en Angleterre, lui donnèrent l’envie de faire du Blues Rock électrique avec leur version accélérée de son «I’m A Man».

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Je crois reconnaître aussi la version en son «If you’re looking for troubles… » d’Elvis Presley, première idole de Dylan, lors de son retour télévisé en perfecto de cuir avec des cuivres. Notre Johnny national l’adaptera dans «La Bagarre ».

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Bref, du Blues, du vrai, du viril, du noir, qui montre aussi que Dylan a passé quelques années dans le Rock et en a expérimenté les origines sur la route à ses débuts comme ses pionniers noirs en allant visiter son idole Folk Woody Guthrie, dédicataire de l’une de ses premières chansons () à l’hôpital de New York, après avoir lu son autobiographie « Bound For Glory » et participa à une séance de Big Joe Williams…

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Dans les notes de « Freewheeling Bob Dylan », il déclarait à propos de «Down The Highway » qu’il la tenait de lui et « Bob Dylan’s Blues », un Blues de sa composition, que pour beaucoup de musiciens blancs, le Blues était l’expression de la souffrance noire à acquérir, alors que pour les pionniers noirs, c’était justement le dépassement, l’exorcisme de la souffrance et de conditions de vie difficiles, ce qui montre sa lucidité sociale et raciale. L’accent particulier est toujours là, traînant, le timbre nasillard, dont il usait sur scène pour avoir l’air d’avoir plus encore roulé sa bosse dans les clubs Folks avant le solo d’harmonica.

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La voix est plus cassée, mais hurle encore avec les loups. Je préfère ces emprunts au Blues collectif passé dans le domaine public de la poussière des routes à celle des scènes qu’il a mérité par sa carrière à celui qu’il fit dans « Love & Theft » de « Gloomy Sunday » de Billie Holiday en changeant le texte et signant Bob Dylan. Son ingratitude opportuniste fait partie de sa légende : sur son premier album « Bob Dylan », il avait enregistré et signé «House Of The Rising Sun», ballade populaire de New Orleans déjà interprétée par Guthrie (http://www.youtube.com/watch?v=POQJUv_ebZo ) et le bluesman noir Leadbelly (http://www.youtube.com/watch?v=y5tOpyipNJs&feature=related ) que le chanteur Folk Phil Ochs, qui l’hébergeait et assurait sa subsistance, réservait à son come-back, et qui eut le succès que l’on sait par la version anglaise des Animals d’Eric Burdon, puis française sous le titre « Les Portes Du Pénitencier» par Johnny Halliday.

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Dans les thèmes, on peut rêver de ses anciennes chansons à l’écoute des nouvelles : des histoires de femmes emprisonnées par leurs parents dont la mère renvoie les invitations, leur père arguant de leur fatigue d’avoir perdu « tous leurs soldats en batailles ou en vain » aux fenêtres desquelles il chante sa sérénade comme dans «Queen Jane Approximately» sur “Highway 61”, son album le plus Rock, avec le Bluesman électrique Michael Bloomfield.

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Même dans le cynisme, le sarcasme de Dylan, il y a encore de la compassion pour l’autre, l’espoir de le voir évoluer, presque, quand il s’agit de femmes, de la tendresse… Les femmes lui ont toujours inspirée ses plus belles chansons d’amour, depuis « Girl Of the North Country », apprise d’un chanteur Texan et dédiée à Echo, sa petite amie laissée à Dulluth, sa ville natale. Mais si elles essaient de l’enfermer, il s’enfuit d’un « Don’t Think Twice, It’s All Right », alors qu'il venait de s'installer à New York dans Greenwich Village avec sa petite amie Suze Rotolo, jolie étudiante qui le politisa et qu'on voit avec lui sur la pochette de "Freewheeling Bob Dylan" avec lui .

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Cette tendresse protectrice à leur envoyer ses meilleurs souvenirs et même ses excuses nostalgiques par personne interposée, on la retrouverait jusque sur « Blood On The Tracks » dans « If You See Her Say Hello », pour une inconnue qui « devait être à Tanger », ayant suivi les Rolling Stones pour prendre « un Thé au Saharah » avec Paul Bowles sur la route de Katmandou. Dylan devait déclarer à une journaliste enthousiaste qu’il « ne voit vraiment pas comment on peut aimer expérimenter des sentiments tels que ceux exprimés dans « Blood on The Tracks » ». peut-être voulait-il dire que l’origine de cette beauté, de cette émotion retrouvée, était sa souffrance lors de son divorce avec Sara Gowns, la perte de leurs enfants, qui ne sont pas enviables…

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Dans sa nouvelle chanson “Levee’s Gonna Break” (http://www.youtube.com/watch?v=B-dgmpMfD3g ), on peut retrouver un peu « Blood On The Tracks », un côté « Meet Me In The Morning » avec le Band. En fait on peut toujours se faire son PROPRE concert, sa propre PLAYLIST favorite des anciennes chansons sur les nouvelles. Dylan n’est pas un juke-box de plus de trente ans…On a quand même l’impression d’entendre Dire Straits, qu’on aime infiniment moins que Dylan, même si le guitariste est bon, entre Mike Bloomfield et Robbie Robertson du Band.

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Derrière moi, une fille réclame « Hurricane », protest-song écrite par Dylan pour son album « Desire » fin 1975 pour la libération du boxeur noir emprisonné Hurricane Carter dont l’autobiographie l’avait touché, qui fut libéré peu après.

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Sur le même disque, « Joey »offrait les derniers hommages à Joey Gallo, un Maffioso notoire, assassiné dans la rue, qui détestait le Rock, ce qui est plus discutable, et lui fut reproché.

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Faudra-t-il le traiter de Judas pour mériter le « How Does It Feel ? » de « Like A Rolling Stone » comme les Folkies qui le huèrent à Newport en 1965 ()? En 1968, lorsque partout s’allumèrent des Révolutions qu’il prêchait depuis six ans, avec ses chansons en toile de fond, Dylan se relevait d’un accident de moto dans son ranch de Woodstock, qui au moins calma sa vie de fêtes, scènes, mauvais sommeil, alcool et pilules pour tenir inspirant les images de « Blonde On Blonde ».

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Les jeunes avaient mis des années pour agir, étaient en retard, lui en avance. Lui faisait de la Country avec « John Wesley Harding » , si l’on excepte la distance ironique d’ «All Along The Watchtower » dans « John Wesley Harding » regardant de sa tour d’ivoire Princes et Fous évoluer avec une indifférence à la « De La Nature » de Lucrèce et «Ballad Of Frankie Lee & Judas Priest » à la rythmique intéressante.

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Sommes-nous coupable de n’avoir pas su le suivre plus loin que 1976 ? Même si cette fille au moi-même ne le connaissions pas alors, nés trop tard pour avoir suivi sa carrière aux différents âges de nos vies respectives. Cela fait tout de même quinze ans que ses chansons de 1962-1976 m’accompagnent. Avec elles, j’ai rêvé, ri, espéré, été ému comme à l’époque, jusqu’à en oublier souvent la mienne à force de préférer celle des années 60/70s.

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Il faut dire que sa période chrétienne (1979-1981) ne donnait pas envie de le suivre, lui qui avait écrit en 1964 « With God On Our Side», dénonciation de l’Amérique puritaine justifiant par Dieu le massacre des indiens, les guerres contre l’Allemagne, vite pardonnée, certes, mais bientôt la Guerre Froide contre les Russes, mais laissait au public le soin de juger « si Judas Iscariote avait Dieu de son côté »!

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De cette période, on a cru reconnaître « Slow Train Coming », qui n’est pas la pire, avec « Knock Knock Knocking On Heavens’Door ». On peut préférer l'émotion de la quête et de la conversion les doutes du pêcheur aux certitudes du croyant. Ces chansons comme "You Gotta Serve Somebody" prenaient toute leur dimension avec les choeurs du Greatful Dead sur scène.

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J’apprécie néanmoins la voix de prêcheur maléfique qu’il en a gardé…

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Evidemment, lui chante ses meilleures chansons depuis 30/40 ans, à un public qui a de moins en moins vécu partagé avec lui l’époque de folie et d’insouciance qui les inspirait. Il a eu tout le temps de s’en lasser, et a bien dû continuer de sortir des disques pour sa maison de disques, et pour survivre, évoluer toujours et encore.

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Quelquefois, certains accords de guitare Folk d’une nouvelle chanson comme «Thunder On The Mountain » rappellent ceux de la « Ballad of Hollis Brown », sur un pauvre fermier qui tua femme et enfants poussé par la misère, mais se terminant sur une note moins sombre « Il y a sept personnes mortes dans une ferme de Dakota du Sud/ Quelque part au loin, il y a sept personnes qui naissent » comme certains mots qui reviennent qu’on retrouve, montrant l’engagement antimilitariste de Dylan quand les « fast bullet fly », que ce soit au Viet-Nam ou aujourd’hui en Irak, je suppose.

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« Tweedle-Dee & Tweedle-Dum » extrait de « Love & Theft », si l’on ne regarde pas sa moustache à la Gable en Rhet Butler, n’est pas si loin musicalement de « Highway 61 Revisited » pour les cascades guitaristiques, et le batteur frappe même méchamment sur ses fûts.

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Finalement, la place la plus enviable de ce Zénith est debout sautillant dans la nasse dansante des premiers rangs debout mais il faudrait se frayer un chemin à la machette à travers la foule compacte, pas sur ces gradins d’où l’on ne voit pas grand-chose! J’aurais pu lui glisser ma lettre de remerciement de 20 pages! Ce n’est plus de la musique mais du parcage cher payé!

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Soudain un tempo lent, entre Rock et Reggae ( il en a enregistré un, « Jokerman », au sortir de sa période chrétienne) condamnant les menteurs de tous poils.

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Mais… Mon Dieu ! NOÔON! Il nous massacre «Highway 61 Revisited », sa chanson la plus rapide, la plus Rock où Dieu, Caïn, Abel et Compagnie encombraient l’Autoroute 61! Il ne tient plus le tempo, et ces fins de refrains en « Highway Sixty-OooÔne » sont vraiment agaçants, comme s’il essayait de remplacer le kazoo-sirène de police en WIIIIZ de l’original, mais si le gyrophare avait usé ses piles fatiguées en quarante ans.

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L’autoroute s’est étendue, allongée jusqu’au Mexique. L’écologie ne s’est pas améliorée non plus, et cette décharge / embouteillage de pourritures physiques et morales doit crouler sous les immondices! Dieu ne menace plus Abel : « La prochaine fois que tu me verras arriver, tu ferais mieux de courir!» sur sa Harley Davidson et ne fait même plus peur : il est trop vieux et prend la diligence!

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Et son solo de clavier rajoute à l’insatisfaction. Il est meilleur guitariste, que diable !

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Il y a crime de lèse-majesté, mais comme c’est Bob le roi et créateur de Bob…

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Surtout que Dylan a montré jusque là qu’il PEUT encore jouer fort, vite et Rock, sur ses nouvelles chansons, alors pourquoi ralentir celle-ci qu’on aime davantage! Pour s’en/nous en dégoûter peut-être, aller de l’avant et ne plus jouer ces vieilles lunes comme il y a quarante ans, comme Miles Davis massacrant les standards au Plugged Nickel pour s’en défaire et passer au Rock? Manu Chao réarrange aussi "Malavida" de sa Mano Negra, mais avec des beats plus lourds, plus forts à défaut de cuivres, pas en ralentissant le tempo!

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« …Ah !!!» crie quelqu’un, le traitant de Judas? Cette fois, j’approuverais!

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Soudain, un dais d’étoiles blanches de pacotilles revêt la scène de ses lueurs, comme sur la pochette de « Before The Flood » , tournée de « Planet Waves » avec le Band, en 1974. On y avait justement dit qu’il chantait de façon ironique, méprisante envers le public, amère, mais par là même Rock en se moquant de lui, et content de malmener ses vieilles chansons par cette énergie acide. D’ailleurs ce n’étaient pas que des étoiles blanches mais la chaleur fauve des lueurs de briquets dans la nuit comme autant de wigwams, de feux de camp et de joie en son honneur. Justement il l’avait de manière encore rageuse quoique Country - Rock et traînante, « Highway 61 » ().

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Là, pas un briquet n’allume sa flamme quand il nous chante « Just Like A Woman », l’une de ses plus touchantes chansons d’amour de « Blonde On Blonde », sur « Queen Mary » qui fait tout comme une femme mais qui «casse comme une petite fille », qu’il avait chantée sur « Before The Flood » de manière émouvante. Mais ici, dans cette version trop lente et hachée, le tempo est absurdement dédoublé, comme si Dylan marquait le pas, mâchant ses mots, semblant volontairement en retard sur l’orchestre , parlant en talk-over plus que chantant sur de la Country trop sage, à la traîne avec son orgue poussif.

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Ralentir les Rocks, dédoubler le tempo des ballades déjà lentes, Bob Dylan ne ménage pas notre nostalgie de ses disques, ces chansons qui ont fait sa légende, pour lesquelles on l’a tant aimé.

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Mais peut-on lui demander de rejouer ces vieux titres « comme sur les disques », qui ont plus de quarante ans, donc dans son cas de les chanter de la même manière depuis quatre décennies, ce qui doit être lassant, le dégoûter de ses propres chansons. Mais qu’il respecte au moins notre nostalgie en ne les massacrant pas!

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Finalement, Dylan avait déjà proposé, sur « Planet Waves », en 1974, avec le Band, deux versions de « Forever Young » : une lente /medium sur une guitare mexicanisante au tempo parfait, l’autre trop rapide, plus courte, comme une blague, un clin d’oeil ou un essai en Rock, un lifting express en quelque sorte, plutôt amusant, reprise en remix rap pour une boisson gazeuse. La question n’est pas de ne pas toucher à ce qu’aimait, mais de ne pas en dégoûter le public, de le lui faire aimer autrement.

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Je préfère finalement l’entendre jouer ses nouvelles chansons COMME les anciennes à l’entendre massacrer mes souvenirs nostalgiques de ses chansons qui m’ont fait tant l’aimer.

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Voilà enfin « Like A Rolling Stone », chanson cruelle et cynique sur les Folkies et ceux qui n’ont pas su suivre le vent qui tourne de son virage Rock, puis, le temps lui donnant raison, se retrouvent « Comme une pierre qui roule, un parfait inconnu sans direction », sortie en single entre « Bringing All Back Home » et « Highway 61 Revisited », pour laquelle il avait appelé Mike Bloomfield qui s’acheta sa première fender neuve.

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Mais là encore, elle est ralentie, croonée, puis s’enraye au refrain, prolonge la fin des phrases avec ce débit qu’il a perdu. Aujourd’hui ne serait-ce pas à nous de la lui chanter ?

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Ou peut-être suis-je trop loin de lui sur ce gradin en ce Zénith, et le son met du temps à parcourir l’espace et des centaines d’oreilles jusqu’à nous?

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On comprend mieux le texte à ce tempo-là, qui laisse le temps de le saisir, mais je préférais en grappiller quelques mots à la diable que je chantais avec lui en fin de vers sur le tempo slow Rock original, porté par l’excitation et la cruauté de la charge.

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Et si son débit avait mué, comme sa voix plusieurs fois dans sa carrière?

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Fera-t-il un rappel ou nous la jouera-t-il à la Brel, refusant cette compromission au public ? Ça se remue sur scène dans les lueurs bleues du light show qui certes ne fera jamais oublier ceux psychédéliques des années 70s au Fillmore East, mais l’époque n’y est plus non plus et Dieu sait que je le regrette.

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Voilà «All Along ( ) The Watchtower », peut-être la première chanson où il prenait de la distance envers ses engagements, préfigurant sa période chrétienne, jouée sous le regard tracé blanc sur fond noir d’un œil de Dieu Cyclopéen, entouré de flammes et de griffes en triskells formant une couronne de diadème au-dessus de lui. Le problème c’est que ce genre de motifs sont tellement passés dans la mode des survêtements avec le graf qu’ils sont dénaturés. Et puis aussi que son Dieu nous IMPOSE quelque chose, contrairement aux seules couleurs de jadis colorant les danseurs et musiciens.

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Sommes-nous des Caïns pour nous culpabiliser de la sorte ?

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Suit la chanson Country « Beyond The Horizon» la plus gaie de « Modern Times », on pense à la manière insouciante de « Peggy Day », mais on peut lui préfèrer sur ce « Nashville Skyline », son album le plus Country enregistré à la capitale du genre « Lay, Lady Lay » ( ) comme chanson d’amour ou les remords de culpabilité d’« I Threw It All Away » ou même la reprise avec Johnny Cash de sa « Girl Of The North Country » aux envolées finales magnifiques.

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Un album certes pas très Rock, mais émouvant, et qui si l’on passe sur la gêne d’entendre de la Country, ouvrit sa popularité au grand public américain, aux routiers et aux cow-boys, même si aux Eatats-Unis, cet électorat était souvent de droite, raciste et réactionnaire, donc opposé aux idées de Dylan à ses débuts…

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Sous l’œil unique du Serpent à Plumes sourcillant d’éclairs, il enchaîne avec une autre chanson récente énonçant ses griefs contre une femme à la manière mais sans les cuivres en fanfare de « Most Likely You’ll Go Your Way And I’ll Go Mine » dans « Blonde On Blonde » qu’il a remixée / reprise avec humour avec de nouveaux cuivres en 2007 en se mettant en scène hier et aujourd’hui avec des images de sa carrière dans le clip.

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Il a toute sa vie alterné caresses et coups de griffe, et c’est pour cela qu’il nous émeut et nous fait rire à la fois, qu’on l’aime autant, même aujourd’hui, envers et contre tout, tous et même souvent contre lui-même… Lui -même s'est décrit un jour comme un "trapéziste".

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Il l’a dit lui-même, nous ne sommes que des pions dans leur jeu, depuis « A Pawn In Their Game », dénonçant non seulement les assassins de Kennedy et Martin Luther King, les soldats et les policiers, mais le jeu politique dont ils n’étaient que des pions, preuve d’une grande lucidité politique.

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Qui est le pion, aujourd’hui ? Lui, celui de sa trop longue carrière, de sa maison de disque, ou nous de nos souvenirs, de nos irrémédiables nostalgies auxquelles nous le voudrions fidèle malgré le temps qui passe?

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A la fin du concert, la zone commerciale du Zénith était un cirque Barnum absurde et cher payé de produits dérivés : T-shirts cyclopéens, photos et posters de toutes époques, programmes et affiches du concert, plus que ses disques même récents, d’ailleurs., ou ses propres peintures, plus difficiles à trouver.

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Au bas de « Highway 61 Revisited », passée l’autoroute et ses embouteillages accumulés en décharge, on aborde « Desolation Row », cirque où se produisaient Casanova, Cendrillon, Robin Des Bois et le Bon Samaritain, mythes occidentaux ( ), mais si ridiculisés, happés par la réalité américaine d’ambulances et de drogues que le cirque ressemble aux neuf cercles de l’ Enfer…

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Tout y était déjà, vous dis-je, lui l’a toujours su, nous étions bien bêtes de croire trouver un message qu’il ne voulut jamais nous délivrer! "Ne Suivez pas les leaders et regarde le parcmètre" (Subterranean Homesick Blues)

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Reste le plaisir doux-amer de l’avoir vu en personne même de très loin, la nostalgie de voir que le temps a passé, même pour moi, alors j’imagine pour lui et ceux de sa génération… Ça valait bien mon article le plus long pour ses quarante ans de carrière…

Jean Daniel BURKHARDT