Leon parker est l’un des plus grands batteurs de Jazz des années 90s. Il avait débuté avec Jacky Terrasson ou David Sanchez comme sideman d’exception.

Leon_Parker_Belief.jpg

Léon Parker a été pour moi le premier batteur VIVANT et contemporain à m’avoir vraiment touché, emmené ailleurs, dans son univers musical personnel dans ses albums « Above & Below » (1994) et « Belief ». (1996), habité de voix et d’instruments, variés, riches et dosés, avec des percussions plus ou moins fortes selon les plages, des climats changeants, de petites histoires sans paroles, une approche percussive de la batterie, de shakers et de son propre corps (en "body percussion"), murmurant avec émotion (« Close Your Eyes ») ou tonitruant, riche d’échos et de résonances qui en faisaient une peinture d’une vie imaginaire, inter-ethnique, harmonieuse, comme elle pourrait l’être dans un monde idéal, naturel et actuel à la fois, présent et rêvé.

Leon_Parker_Above___Below.jpg

Leon Parker a montré par ces disques qu’il était un vrai musicien, et un compositeur, plus que le sideman d’exception de Jacky Terrasson et David Sanchez, avait créé son propre univers, sorte de forêt mondiale englobant les forêts et les villes dans sa canopée musicale bruissante de surprises, de musiques et de voix inouïes jusqu’à lui, résolument modernes autant qu’intemporelles, de l’ethnique à l’urbain.

Leon_Parker_Awakening.jpg

En 1998, « Awakening » était un disque plus spirituel, où il jouait de différentes percussions et d’un bol de méditation tibétain. Suivit un Live « The Simple Life », enregistré au Village Vanguard.

Leon_Parker__Simple_Life.jpg

A son départ des Etats-Unis, il déclarait être dégoûté du Jazz, et quand il vint à Strasbourg invité au festival Strasbourg Percussions de Jimmy Braun, mon ami, percussionniste recycleur, journaliste musical et bloggueur qui me l’avait fait découvrir, il ne s’y produisit que jouant des œufs ou de son corps en body percussion, puis dirigea un workshop en maître de cérémonie et présenta le dernier soir un spectacle ou chacun, habillé de blanc, selon son art, trouvait sa place. On l’a bien cru perdu pour le Jazz, ce qu’il faisait le mieux, où il pouvait avoir les échanges les plus fertiles.

Leon_Parker__octobre.jpg

Une voix intérieure l’a poussé à revenir à la batterie et au Jazz, et moi-même, qui avais découvert ses disques trop tard, je fus très ému de le voir revenir avec le trio terrassant de Jacky Terrasson et Ugonna Ukegwo, puis agréablement surpris de le voir au programme d’un concert du trio plus sage de Giovanni Mirabassi et Gian Luca Renzi, puis à l’écoute du disque, on retrouvait sa patte, sa frappe variée et émouvante, toujours juste, ses progressions si belles, mais AU SERVICE de la musique de Mirabassi, ce qui est une grande preuve d’humilité quand on a entendu/vu de quoi il était capable par lui-même.

Leon_Parker_Mirabassi.jpg

Le concert commence par le standard « Why Do I Love You ? », au piano romantique sur la basse ronde, de petite taille et réduite à une tige, du bois et quelques cordes, sur les balais fouettant de Léon Parker qui fait monter la sauce en cavalcade des deux bouts des balais bruissants, puis frappant plus fermement du manche.

Leon_Parker_drum.jpg

La justesse de son tempo, son écoute constante des autres musiciens, sa réactivité à chacune de leur nuance, rend le foutoir organisé plus moderne et plus « improvisé », rock, d’un Jim Black presque désuet, ou d'un bavardage inutile, dépourvu de sens, mal à propos, le réduit à du n’importe quoi.

Leon_Parker_Mirabassi_trio.jpg

Même sur cette ballade, quand le tempo s’emballe, Parker prend ses baguettes pour faire monter la sauce.

Leon_Parker_baguettes.jpg

Le bassiste Gian Luca Renzi joue et chante avec le fredonnement lyrique mais plus intimiste que son compatriote Rosario Bonnacorso, plus proche du bourdon plus ancien d’un Slam Stewart.

Leon_Parker_Renzi.jpg

Parker reste imperturbable tel un Bouddha (à qui Jack Kerouac comparait son homonyme Charlie Parker) derrière ses lunettes teintées, distille son approche à la fois mélodique et rythmique de la batterie, très personnelle.

Leon_Parker_Bouddha.jpg

Mirabassi continue par une autre ballade, que Parker modernise de motifs drum’n’bass, fait voyager et vivre, douchant la mélodie d’un balais, d’une cymbale pendant qu’il rythme de la baguette sur la périphérie des toms, de l’autre parfois à plat, puis en tictac sur un troisième.

Leon_Parker_lunettes.jpg

Je sais bien qu’il n’est pas le leader ici (a-t-il jamais vraiment accepté ce rôle même dans ses propres disques ? Il semble davantage n’avoir jamais fait que servir la musique des autres, ce qui quand on connaît sa valeur, est la plus belle preuve d’humilité), mais placé volontairement sous la batterie, je ne vois que lui, suis venu pour lui, par la peur que j’ai eue peut-être de ne jamais le voir jouer de la batterie dans un groupe de Jazz quand il a cessé d’en faire en 2000, quittant les Etas-Unis « pour que ses enfants n’y grandissent pas » et dégoûté du Jazz, dans une interview dont Jimmy m’avait parlé à l’époque. Il tape encore sur sa caisse du plat de sa main comme sur une percussion, accompagnant la baguette du tom. Sur une autre ballade, « Vuelvo Al Sur » d’Astor Piazzola, Parker remonte le moral de ce thème beau mais triste rien que par ses bruissements d’ambiance sur les rebonds, les ricochets sur la peau d’un tom, puis une cymbale, enfin les deux, entre les silences et ce groove presque funky, machine et métal et pourtant organique, serpent de résonances métalliques qui se meuvent en échos.

Leon_Parker_profil.jpg

Leon Parker a toujours eu une vraie conception dramatique et spatiale, soliste et fascinante de la percussion appliquée à la batterie, une conception personnelle de l’instrument, à la fois rythmique et mélodique, sublime.

Leon_Parker_tete.jpg

Il retrouve son groove sur le tempo rapide, bop, pied sur la pédale charley, baguettes sur tom et cymbale avec des mouvements très rapides, fouettant le tempo puis lui imprime un rythme imperturbable, irrésistible sur les trilles pianistiques de Mirabassi, aussi très bon, mais avec quelque chose de grimaçant, de forcé dans ses mimiques à chaque présentations de chanson, ou simplement pour moi de moins mythique que Parker dans l’attention, l’affection que je lui porte, pour m’avoir fait moins rêver, avoir moins désiré le revoir jouer du Jazz, moins avoir craint de l’avoir cru perdu à jamais, si injuste que ce soit.

Leon_Parker_Mirabassi_bas.jpg

Pendant le solo de basse de Gianluca Renzi, Parker tapote la charley, la cymbale pour accompagner le scat de Renzi, ajoutant son groove à sa voix, jouant même à la verticale à angle droit de la baguette sur la charley, puis finassant la mélodie rythmique presqu’à lui seul comme il l’a commencée en initiateur de ce groove.

Leon_Parker_a_mains_nues.jpg

Suit « Last Minute », extrait du dernier disque de Mirabassi avec ce trio « Terra Furiosa », intro de basse puis thème et Parker d’une baguette, de sa main sur la peau, le métal et du pied sur la charley, construisant un groove mâtiné d’une clavé libre, puis le piano entre peu à peu dans le thème. Parker sait allier cet aspect ethnique et urbain dans sa musique comme nul autre, les deux jungles : celle d’Afrique et celle des villes, puis se taire, se faire discret devant les autres tout en restant indispensable dans sa discrétion même, à la fois lui-même et au service des autres, de leur plaisir qu’on le lit dans le sourire qui illumine le visage de Renzi qui le suit dans ses phrases, dans les phrases infinies de Mirabassi, tout est tendu, architecturé par ce groove constant, cette puissance animale qui peut partir d’un coup en batucada sur la cymbale en gardant la précision d’une machine à groove pourtant ethnique… puis revenir à sa plus simple expression de gong sur la cymbale.

Leon_Parker_basse_retrait.jpg



Léon Parker s’éloigne pendant le solo de basse de Renzi très lent, bluesy, citant « Summertime », bien organisé, émouvant et sonore, avec une intensité et une gravité, une prestance baroque de bois ancien, puis poussant l’instrument jusqu’au Jazz et à ses limites, au groove sur le piano au retour de la batterie.

Leon_Parker_courbe.jpg

Sur un thème Hard-Bop de Miles ou Coltrane, Parker se révèle aussi un excellent disciple d’Elvin Jones dans la frappe percussive constante rechargeant l’improvisation des autres d’un rebond de cymbale, d’un ra bien placé, par cette puissance à réaction, il donne des ailes au piano et à la basse, des pas de géant, des bottes de sept lieues, cette liberté sublime du Jazz, puis ralentit le train pour l’atterrissage, joue comme à l’envers, à rebrousse-poil, baguette ou rythme, métal ou peau, ferraille et bûcheronne, fourrage et tape comme ce singe de « 2001 L’Odyssée de l’Espace » découvrant le rythme en frappant deux os, l’homme avec son premier feu. Il sait allier musicalité et sauvagerie, enfance de l’art et maîtrise acquise par l’expérience. Il faut aussi savoir tout oublier, se refaire une virginité artistique, désapprendre pour se retrouver ailleurs, autrement, différent, de plus loin, et plus fort de quelque chose qu’on a ramené de cette pulsation lointaine venue des origines des peuples à deux baguettes, changeante selon l’attaque, redevenant arme, sagaie, silex ou jouet d’enfant, grognant, lâchant toute son énergie de plus en plus fort, tambour battant des processions de New-Orleans et d’ailleurs, de toutes les luttes, turbinant, repartant d’un mouvement perpétuel, refaisant tout le chemin de la musique de percussion des déserts aux forêts, aux champs, aux villes industrieuses et aux robots futurs mais restant humain en intégrant l’animal machine. La basse rejoint son groove dans le final. Mirabassi selmble redécouvrir ce thème de Miles et Trane.

Leon_Parker_verticale_Noir.jpg

En prélude au Bis, Parker frôle à la verticale, fait crisser à peine, résonner longuement en écho ses cymbales et même ce silence habité d’une vibration de l’air c’est encore de la musique, encore du Léon Parker.

Leon_Parker_cymbale.jpg

Mirabassi reprend « Le Chant Des Partisans » (http://www.youtube.com/watch?v=zZuAkZ3lGRk&NR=1 ) qu’il avait déjà repris en solo dans son Live « Avanti », pianiste engagé enjazzant les chansons populaires italiennes.

Leon_Parker_Mirabassi_solo.jpg

Et même sur ce dernier disque « Terra Furiosa », ce « We Have The Blues, Mr President » qui le termine, n’est-ce pas la tristesse que Romano Prodi, qui avait délogé Berloscuni du pouvoir (je me souviens de la joie d’autres italiens en ce même lieu ce soir-là, ceux du PAF Trio de Paolo Fresu et Antonello Salis déclarant « aujourd’hui c’est la fête, parce que Berlusconi il est parti) n’ai pu former de majorité capable de régler les problèmes économiques ? Berlusconi est revenu. Mais Leoon Parker aussi.

Leon_Parker_spirit.jpg

En tous cas c’était une grâce de revoir Léon Parker rejouer du Jazz, en espérant le voir bientôt dans des projets plus personnels, même si son indépendance et son engagement musical le font s’impliquer dans la musique des autres comme dans la sienne…

Jean Daniel BURKHARDT