Saxophoniste noir Sud-Africain, Zim Ngqawana dut attendre, comme Hugh Masekala, Abdullah Ibrahim, ou Chris Mc Grgegor, 1994 et la fin de l’Apartheid des Afrikaners qui faisait de l’Afrique Du Sud le pays Africain le plus proche de la ségrégation américaine, malheureusement pour les autochtones noirs, mais heureusement pour l’implantation de formes de Jazz locales. Pour l’investiture de Nelson Mandela, Zim Ngqawana créa le « Drums For Peace Orchestra ».

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Multi instrumentiste, il joue des saxophones ténor, alto et soprano et de la fûte, chante et scatte. En costume rayé et chemise blanche, il est accompagné de deux noirs : Nduduzo Makhantini au piano, vêtu d’une veste à larges rayures qui fait penser aux costumes des «mintrels» du Cap ou des noirs de Harlem et d’une casquette années 20s et Ayanda Sikade à la batterie, vêtu d’un sweat-shirt orangé, et d’un blanc : Shane Cooper, en chemise noire à la contrebasse et guitare contrebasse.

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Alors que de l’autre côté de l’Atlantique les votes se poursuivent entre John Mc Cain et Barack Obama, qui a finalement remporté la victoire, aller voir trois musiciens noirs Sud-Africains et un blanc est déjà une prise de position dans le bon sens.

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Zim commence le concert au ténor par quelques phrases en solo au saxophone ténor, dans un style West Coast Bluesy libre qui rappelle celui de Zoot Sims et Al Cohn accompagnant librement les poèmes de Jack Kerouac, puis pousse jusqu’à la ferveur Coltranienne, se fait rythmique avec l’entrée en scène de la section rythmique, semble énoncer un thème, un peu en avant, de plus en plus free, crie, revient en rythmique, se fait oriental puis Hard-Bop, danse d’un pied sur l’autre. On croit reconnaître furtivement un standard, vite emporté par le flot impétueux de l’improvisation libre, puis repart sur la section rythmique : la batterie bringuebalante, le piano bondissant sur son tabouret d’une note à l’autre.

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Une fois lancée, la batterie soutient les envolées Coltraniennes de frappes appuyées, puis plus légères sur la caisse claire pendant le cri torrentiel. Zim s’éclipse devant le piano fracassant entre des phrases lumineuses sur le tinkty-boum de la batterie, tandis que la basse poursuit seule une descente magnifique, obsessionnelle, à la fois hypnotique et groovy par de petits coups résonnant sur les basses, puis prend un solo mélodique, envoûtant, sur les baguettes de la batterie jouées à plat à l’Africaine qui le rythment, l’arrêtent, reprennent en style africain de tambours, de cliquetis, de roulements en cymbales, comme le parcours forcé des percussions d’Afrique à la batterie des Amériques.

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Le piano reprend, puis le saxo revient, cool à la « Alabama » de Coltrane, lyrique, mélancolique et spirituel, puis avec une touche orientale dans le vibrato, se fait charmeur de serpents mais joué par serpent d’or du saxophone pour nous charmer, jusqu’à ce que le souffle s’assourdisse, s’étouffe, puis repart en une phrase mélancolique sur le piano à la Abdullah Ibrahim dans « Mannenberg ».

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Zim chante en Sud-Africain d’une voix bouleversante «Aanizima », son « Elegy in C Minore», « Qula Qwedini » sur la basse lourde, la batterie frappée de balais de bois et le piano plus festif et plus gai.

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Son chant est entrecoupé de phrases comme dites à lui-même ou à ses musiciens qui sourient puis les reprennent en chœur : l’Afrique du Sud est aussi un grand pays de chorales dont Ladysmith Black Mambazo et leur célèbre «Homeless». Zim sort un harmonica pour jouer ce Blues qu’on trouve en Afrique Du Sud sous des formes rurales et presque tribales par leurs danses en rond mbayilezo , ici martelé au pied avec des percussions buccales Xhosa (pratiquées par cette ethnie et par Myriam Makeba dans sa « Click Song »).

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La section rythmique repart en Abdullah Ibrahim sous l’harmonica, avec le piano frais, festif, lumineux. Zim joue de l’harmonica sans les mains pour prendre son saxophone soprano, avec lequel il suit le thème festif. Il reprend le thème en allongeant les phrases sur le bois de la basse, le métal de la batterie, la nuit et l’ivoire du piano, puis revient sur le groove de la basse. Il improvise sur cet instrument entre Steve Lacy pour la netteté, la pureté du son, l’évidence harmonique, et Coltrane pour les effets de cris d’enfants qui semblent l’effrayer lui-même, avec les gestes d’un joueur de kaval, ralentit sur le piano, haut / bas, puis repart, émouvant et comique, entre rire et larmes, « Laughing to keep from crying » (« en riant pour s’empêcher de pleurer », disait Lester Young), pousse la révolte jusqu’au cri, habité, sur la cymbale latine, avec des sonorités de flûte orientale, puis torrentielle au coin de la bouche, va de l’autre côté de la scène en jouer comme d’un zurna turc stoppé d’un mouvement du genou en sourdine et crie encore, tremblé, à la muezzin., cite courtement « A Love Supreme » de Coltrane, part sur la basse, ralentit, s’assourdit, s’éloigne à pas lents de l’autre côté de la scène, prolongeant le cri de résonances contre son genou, laisse le saxo et pose la veste sur l’ampli pour prendre sa bouteille d’eau.

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Pendant ce temps, la basse prend un lent solo, Monkien, frappant les cordes comme au hasard mais jouant le même gimmick sur les ras de la batterie, le piano cite à son tour « A Love Supreme » puis ses mains courent d’un bout à l’autre du clavier, sous les appréciations sonores, les encouragements sonores de Zim (« Ah ! Ah ! » ) , joue un thème Hard-Bop de Miles ou d’Ornette Coleman.

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Ils changent de rythme ou de thème, reprennent la mélodie sur la basse, Zim Zim maintenant au saxophone alto oiseleur, un peu Parkerien puis vite plus oriental, free, mais maintenu dans sa montée par le métronome de la batterie, le groove de la basse, les accords du piano.

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Après quelques phrases funkys, il s’envole, repart vers le bas, s’ébroue gaiement dans l’aigu entre les touches du piano, de plus en plus intense, à la Coltrane, de plus en plus émouvant, l’infléchissant dans l’aigu sur le ralentissement de la basse. Il reprend son Trane seul avec tremblements et brouillages, puis son ascension harmonique limpide qui se résout en cri oiselé, en citation furtive de «Round Midnight» de Thélonious Monk, hésité/ ébauché avec le piano puis énoncé, bégayé, chanté, brouillé, de descente en montée, démonté, retrouvé, rallongé d’une ballade puis griffé d’un coup de langue, d’une patte de lion dans l’air, puis retrouvé enfin.

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Le solo de piano, de calme, se fait de plus en plus tempétueux, puis à nouveau limpide, mer d’huile sous le vent dans les cordes de la basse en mât sous le soleil de la cymbale.

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Zim prend une flûte étrange, de bois, à deux trous parallèles qui se fait jouet d’enfant, souffle de la forêt sur la reprise rythmique.

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Puis il joue d’une flûte traversière plus conventionnelle, dans un style à la fois africain traditionnel et Soul à la Dolphy, funky avec le tremblement des oiseaux, des répétitions prolongées sur le piano, élevant parfois la mélodie à la pureté baroque, ancienne, d’un Rampal jouant Jean-Sébastien Bach, puis s’en échappant d’un roucoulement.

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Il part en scat funky « tsak tsak » sur le groove de l’orchestre, entrecoupé de cliquètements xhosas, prêche, crie, et finit avec la flûte hypnotique, se prolongeant jusqu’à se dédoubler en diphonique, bruissant des mille sons des forêts d’Afrique, puis chante encore, avec un enrouement de lion rugissant au fond de sa gorge. Et on a passé une heure.

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Sur le second titre, la batterie se fait breakbeat à l’orchestre cite furtivement semble-t-il « I just wasn’t made for these times » de Brian Wilson pour le « Pet Sounds » des Beach Boys (leur album le plus bouleversant, le moins « surf »), puis finit le set dans la sérénité du soir qui tombe sur un village Africain comme dans « Soir au Village » de Manu Di Bango.

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A la fin pour le bis c’est le public la rythmique frappant des mains tandis qu’eux chantent et dansent. NOUS SOMMES LEUR TRIBU et eux nos sorciers, chanteurs et danseurs autour d’un feu imaginaire.

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Et tout le Jazz se retrouve dans ce seul thème de près d’une heure et seulement deux autres seuls qui suivirent bis compris par ce poly-instrumentiste Sud-africain, des percussions buccales Xhosas, au chant de l’Afrique et au scat de l’Amérique, aux saxophones et aux flûtes avec des clins d’oeils furtifs à ceux qui se sont battus pour la liberté de cette musique, venu d’un musicien qui dut l’attendre plus longtemps encore dans son propre pays.

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Finalement j’ai préféré ces trois seuls morceaux aux longs cours car improvisés sur tant d’instruments et revisités dans tous les sens avec cette liberté où chacun s’exprime en ménageant des surprises rythmiques et en rallongeant quand on croit voir venir la fin, à dix plus courts et parfois décevants. On a voyagé si loin, et pourtant si universellement que c’en est presque proche. Et Obama a été élu président des Etats-Unis… Tout arrive…

Jean Daniel BURKHARDT