En fermeture du Festival « Vent De Folie » où s’inaugurait la nouvelle salle « Le Préo » d’Oberhaubergen (plus accessible en bus) se produirait dimanche 21 septembre 2008 en matinée à 17 h la formation « Charles Mingus Little Box » dont c’était le second concert.

Mingus_Little_Box.jpg

Cette formation est composée de jeunes musiciens très doués de la région de Strasbourg issus comme Grégory Ott (piano), Gérald Muller (contrebasse), Thomas Laedlin-Greilsammer (batterie), qui ont déjà joués ensemble dans le trio « La Lucarne » Christophe Fourmaux (saxophone baryton), Michaël Alizon (saxophone ténor) membres de Srasax et Raymond Halbeisen (saxophnoe alto) et membre avec ce dernier du Bernard Struber Jazztet et le benjamin Guillaume Nuss (trombone), formé au Big Band de Bischeim (BBB) et membre du groupe de Jazz Funkamétrique OZMA, réunis autour du répertoire du contrebassiste, pianiste et compositeur Charles Mingus (22 avril 1922-5 janvier 1979).

Mingus_Moanin_.jpg

Le concert commence par « Moanin’», qui donna son titre à un album de Mingus en 1959 pour Atlantic. Le titre commence par l’une des plus solides, puissantes et irrésistibles introductions de saxophone baryton (à l’époque Pepper Adams, surnommé « The Knife », le couteau pour le tranchant de son attaque) que je connaisse bien exécutée par Christophe Fourmaux, puis le fond sonore prend forme avec le trombone (Guillaume Nuss) mélancolique, la batterie et la basse, suivies de près par les autres saxophones, presque faux dans leur violence maîtrisée, et un solo de Raymond Halbeisen avec Michaël Alizon en petites notes oiselées sur groove, le baryton à nouveau, des cris des musiciens, et le solo de trombone comme un cri de souffrance ou de révolte à la manière de l’entrée de la trompette dans « Haitian Fight Song », puis un second chorus d’Halbeisen à l’alto presque Parkerien sur la rythmique piano basse batterie. C’est Charlie Parker qui revint chercher Mingus pour jouer avec lui en club quand celui-ci avait abandonné la musique pour un travail alimentaire, mais il omit de le payer à la fin du set et ce fut la fin de leur collaboration. Mingus lui dédicacera néanmoins « Reincarnation Of A Love Bird ». Le fin du solo d’alto est free , suivi d’un second chorus de trombone actionnant la coulisse et poussant à son tour jusqu’au free sur les bombes de Thomas Laedlin. Mingus fut d’abord mécontent de ses batteurs, puis rencontra le jeune Dannie Richmond, saxophoniste qui rêvait d’en jouer, lui acheta l’intrument, le forma et se réserva l’exclusivité de ses services. Souvent déroutant pour des musiciens Swing ou Bop, Thomas Laedlin trouve dans ce répertoire une totale liberté et la totale justification de son style.. suit le solo de Grégory Ott sur la seul batterie libre et ne marquant le tempo qu’entre ses bombes et la basse. Fidèle à ses habitudes, après un solo bluesy, puis boogie-woogie, Grégory Ott manque de terminer en Salsa. Mingus a donné au style latin , et plus proche du Flamenco, « Ysabel’s Table Dance », avec castagnettes et cris de Ysabel Morel, sur « Tijuana Moods». Les breks de batterie entrecoupent le solo de ténor de Michaël Alizon au style puissant à la Dexter Gordon, et soudain Laedlin accélère le tempo, suivi d’Alizon, reviennent ensemble sur le medium tempo du blues aux cris des autres. La basse et le piano obstiné, obsessionnel soutiennent le final du barytron et la montée du trombone plus mélodique, comme un enflement progressif du lyrisme ou d’une grondante colère dans les flots dont chaque anche serait une vague indépendante mais complémentaire (http://www.youtube.com/watch?v=I0_VK1SG1XY&feature=related ) en un solo collectif. La musique de Mingus était composée mais instantanée et laissait une grande liberté aux solistes, dans l’esprit de son groupe qu’il appelait, d’ailleurs un Workshop (atelier) plus qu’un groupe. Puis Greilsammer se calme sur un simple tinkty boum et les cuivres attaquent pour le final.

Mingus_Clown.jpg

Suit « Blue Cee », enregistré par Mingus en 1957, pour « The Clown » (Atlantic) et était pour lui un Blues standard où il trouvait un côté Gospel Funky d’église noire et un côté Basie. Le blues commence sur la basse profonde de Gérald Muller avec un piano plus lent que chez Mingus, plus bluesy, avec de petits éclats de liberté dans les touches noires et blanches,, puis la batterie et la section de cuivres très lent mais le drame y couve déjà. Après le solo d’Halbeisen le blues reprend, base de la musique de Mingus. Grégory Ott y rajoute quelques notes de « Summertime » dans son solo pour l’ambiance sur la batterie aux aguets. Le Blues c’est l’inconscient/ le trop conscient collectif afro-américain de l’esclavage à la ségrégation, même s’ils ne l’ont pas vécu directement ils « naissent avec trop de souvenirs » fait dire Alain Gerber à Louis Armstrong dans « Billie ».Mais dans la génération de Mingus point, plus que pour celle d’Armstrong, Billie Holiday ou même de Parker, la rébellion, la révolte, le militantisme, le refus d’accepter une ségrégation qui tombera avec les Droits Civiques. Le second chorus d’Halbeisen passe du Blues au Rythm’N’Blues à fond de cale, ce Rock’N’Roll noir primitif et funky que les blancs voleront, leur laissant le Funk. En fait la liberté de Greilsammer s’appuie sur le reste de la rythmique, qui lui PERMET ces décrochages par rapport au marquage du tempo. Suit le solo de basse, instrument dont jouait Mingus de sa puissance colosséenne, mais qui s’effaçait devant ses compositions et l’orchestre, plus pivot, mât que soliste en fait. Le trombone est comme brouillé dans les échos du piano, bégaie, puis part en cris bas/aigus, comme jouant le thème outré par des corbeaux, avec un geste sensuel de la coulisse, le Blues semblant forer le sol, reprendre les gestes des esclaves à l’origine de cette musique. Son habilité est extraordinaire sur cet instrument si lourd et qualifié d’ «impossible » par le tromboniste Billy Byers! Il rejoint le thème, le ralentit, le malaxe sur le fond des saxophones magnifique, montrant que Mingus avait en la matière autant de talent que son idole Duke Ellington. Halbeisen se détache pour un solo, tout d’abord oiselé, pioupioutant, qui se prolonge, rallonge le thème, étend son blues jusqu’au tréfonds de nos âmes. L’influence de Count Basie se fait sentir dans le final du piano et ses trois petites notes caractéristiques de son style.

Mingus_Ah_Hum.jpg

Suit « Better Git It To Your Soul », qui ouvrait le disque «Mingus Ah Hum», et où l’on entendait celui-ci proférer des imprécations/encouragements, des « Oh Yeah » pleins de Soul aux musiciens. Le thème commence avec le trombone seul, puissant, plaintif, énorme, suivi du reste des anches sur un rythme Boogie dont ils prennent tour à tour le second mouvement. Ce thème festif pourrait aussi bien annoncer les luttes futures, avec ses deux notes obstinément répétées par les saxophones taxiphonant derrière l’alto et le piano saccadé, puis reprennent le trombone et mer monte, gronde vers un éclatement qui ne vient pas, remplacé par des claquements de mains collectifs des musiciens sur la seule grosse caisse à pied, rythmique naturelle, primitive du Jazz où l’on imagine des Gospels d’églises noires, des clubs, des concerts dans les salles à tabac du Sud des Etats-Unis, des Camp Meetings, dans laquelle s’intègre le ténor d’Alizon puis le solo de batterie. C’est cette ferveur, cette sueur que les blancs qualifiaient de « funky» bien avant Horace Silver et James Brown, venue des lieux sordides où naquit le jazz, les cabarets, les tripots, les maisons closes, mais qui devient, de musicale, politique, revendicatrice, et par là pleine d’espoir, soleil rouge de luttes pour les Droits civiques et l’égalité de droits, enfin. Le solo de batterie qui suit est du pur Greilsammer : désarticulé, entrecoupé de silences ralentissants, à la limite des gongs et gamelans Balinais, puis rejoint par le section de cuivres sur le tinkty-boum, puis repartent de concert vers le thème a vec trombone et sax alto l’entonnant, jusqu’à ce qu’il paeraisse, ralenti, comme un valse, apaisée, après cette ferveur ardente.

Mingus_lester_hat.jpg



Thomas Laedlin annonce « une petite douceur » : «Goodbye Pork-Pie Hat », le titre le plus apaisé de Mingus, le plus repris aussi, dédié à Lester Young et à son chapeau de dame patronnesse, de nurse anglaise dont il coupait les rubans jugulaires. Juste la tristesse et la mélancolie d’un thème superbe, pris ici juste par la langueur du trombone de Guillaume Nuss soutenue par le saxophone ténor de Michaël Alizon qui reprend le thème sur la basse du trombone. Ici, aucune violence, juste de la tendresse, la douceur et la mélancolie, la beauté de cet adieu sur tempo assuré par le piano bluesy. A la manière dont Lester avait été, quant on y pense, l’inventeur dans le Jazz, après le style viril de Coleman Hawkins et ils s’en était mordu les doigts en silence, raillé chez Fletcher Henderson pour avoir battu l’idole et pris sa place, avant que le moindre enregistrement ne le grave dans la cire. Après lui, la porte était ouverte à tous les autres, les Parker et les « copycats » blancs de la West Coast ayant nom Stan Getz, Art Pepper et même Paul Quninichette un clone tardif qui prendrait sa place chez Basie et arrêterait de jouer le jour de sa mort! On reconnaît aussi dans le slo d’Alizon un souffle de Ben Webster, qu’on entendait avant les notes et entre elles sur les ballades. Pauvre Ben, qui au temps du Free Jazz et Du Rock’N’Roll, du s’exiler et mourir en Hollande pour vivre de son art après l’avoir exercé chez Ellington, Basie, les plus grands. Alizon sait parcourir le temps d’un solo toute cette histoire du saxophone, des ténors swings au cri du free, étouffé, rattrapé de justesse dans les basses, puis par le trombone liftant à nouveau le saxo dans les aigues, le ciel où repose Lester , et Alizon termine avec des écarts à la Wayne Shorter sur les résonances du silence.

Mingus_Faubus.jpg

Suit «Fables Of Faubus», l’un des thèmes les plus ouvertement engagés de Mingus, dédiées à au gouverneur d’Arkansas Orval Faubus, qui portait le nom d’un tyran ridicule critiqué par un manuscit illustré Moyenâgeux. Il était responsable en 1957 des émeutes de Little Rock en faisant appel à la Garde Nationale pour empêcher des enfants noirs d’enter au Lycée malgrè une dérogation. Kennedy dut faire appel à l’armée! L’un d’aux deviendra conseiller de Bill Clinton. La première version vocale fut censurée pour son texte trop engagé (condamnant ouvertement la ségrégation, redoutant le retour des croix gammées et du Klu Klux Klan) mais serait enregistrée plus tard par Mingus sur un autre label. C’est donc la version instrumentale qui fut enregistrée par Mingus sur « Mingus Ah-Hum ». Dans le thème instrumental ( ) , il y a un comique ambulatoire qui désamorce la gravité du sujet dès l’introduction du saxophone baryton, puis il part en valse chaloupée langoureuse, dégoulinante, jusqu’à l’accélération de la contrebasse et le retour au thème. Thomas Laedlin est vraiment le meilleur batteur de la région pour ce répertoire, capable d’accélérations et de ralentissements subits, d’effets frappés, jetés de tout son poids à la Max Roach, à la fois de détente et de contrôle. Comme disait Thélonious Monk avec qui Roach ou Art Blakey créèrent ces effets « make the drummer sound good » (fais bien sonner le batteur). La contrebasse aussi accélère le thème pendant le solo de piano puis revient au blues. Ces accélérations sont comme des opiques de révolte, des pointes de vitesse où la société américaine change au milieu de la marche tragi-comique du monstre Faubus. Sur le solo d’Alizon, la basse le pousse dans ses retranchements rythmiques, lent, rapide. Le trombone bêêêle son solo, puis tous reviennent à la marche de Faubus sous les quolibets de la révolte grondante (l’homme fut tout de même réélu maintes fois après Little Rock, mais les noirs n’avaient pas le droit de vote). Un jour… Un jour…

Mingus_Ah_Hum.jpg

Ils respirent et boivent avant « un gros morceau » : « Boogie Stop Shuffle» (toujours extrait de « Mingus Ah-Hum »). Encore un thème dansant et festif. La batterie est imperturbable sur le pia,o Boogie, puis saxos et trombone s’élèvent, sébrouent comme un envolée de queues de pies sur la piste du Savoy Ballroom, qui bifurquent vite, parlent et chantent sur le Boogie (Mingus était aussi l’auteur d’un « Bird Calls »). Il y en a une nuée dans l’introduction du solo de baryton de Christophe Fourmaux qui semblent se battre dans le tube dans un orage d’interférences. La basse suit le baryton qui monte en crémaillère, en tyrolienne tzigane, grimpe jusqu’au cri, jusqu’au free, jusqu’au Ooouâââ ouâââ du trombone asa sourdine plastique rose sur la basse en boogie léger. Halbeisen assure les clameurs publiques et encourageantes comme Mingus le faisait, le trombone est un pélican, un flamand rose. Les autres à leur tour applaudissent son envol, comme celui de l’éléphant Jumbo malgré sa trompe qui ne l’empêche pas l’albatros baudelairien, de marcher. Alizon prend un solo de ténor fou, bouillant mais restant dans l’idiome Hard Bop sur la liberté rythmique des bombes de la batterie, avec un son énôôrme de télescopages orageux dans le cuivre patiné de son saxophone, soutenu par les autres en section de Rythm’N’Blues. Arrêt brutal de Greilsammer, qui prend un solo désarticulé en gamelan, en talking-drum africain, en musique de sphères en atteignant des inconnues, avec ses baguettes, pas à mains nues, ce qui doit être plus difficile pour changer la batterie en percussion de la sorte. Le piano s’envole en boogie sur le retour des queue de pies des cuivres avec un mordant irrésistible. Mingus œuvre pour l’oreille pour l’oreille, l’esprit, l’âme (soul), le corps et jusqu’aux pieds.

Mingus_Duke_Money.jpg

«Une autre petite douceur : Duke’s Choice », d’après « Duke Ellington’s Sound Of Love » (), encore un adieu de Mingus, volontaire celui-ci , quand il quitta l’orchestre de son idole Duke Ellington, victime, dira-t-il, du racisme de Juan Tizol (tromboniste Portoricain compositeur de « Caravan ») et de rage alla décrocher la hache d’incendie des pompiers pour en pourfendre son pupitre en plein concert ! Duke, qui ne renvoyait jamais personne, lui demanda de partir, mais apprécia l’intermède, et lui dit que, s’il l’avait prévenu, il l’aurait intégré au spectacle! Ici après un joili exposé du thème par les cuivres sur une batterie tournoyante et la basse chantante, c’est le piano de Grégory Ott qui prend le rôle du pianiste Duke, dans un solo libre et un peu hors du thème, tintinnabulant, passionnant. Mingus disait à son psychiatre, au début de «Moins Qu’Un Chien », son autobiographie, qu’il y avait trois hommes en lui : le généreux, prêt à donner sa chemise et à jouer pour rien, le conscient politiquement de la souffrance du peuple noir et le vengeur adepte de la « colère créative ». Ott tisse une petite miniature à la Keith Jarrett à Köln, s’envolant en solo, prenant un faux départ d’une main arrêté de l’autre. Après la dernière note résonne encore dans le silence un peu de sa poésie noire et blanche.

Mingus_Jelly_Roll.jpg

Suit « Jelly Roll », hommage de Charles Mingus au premier mégalomaniaque de l’histoire du Jazz: Jelly Roll Morton, pianiste de la Nouvelle Orléns qui se targuait, entre autres choses, d’être rien moins que l’ »inventeur du Jazz » sur des cartes de visite à son nom qu’il distribuait autour de lui! Et à l’entendre, on voit tout l’univers qui fut le sien, les « flappers » des «roaring twentie», sorties du « Jazz Age » de Francis Scott Fitzgerald fans de charleston chapeautées de leurs cloches marcher dans la rue, les pensionnaires des maisons closes de la Nouvelle Orléans comme celle de Lulu White où Jelly Roll fut pianiste et sommelier grâce à un tour de vaudou ayant envoyé le pianiste officiel à la morgue, les parades du Mardi-Gras et les enterrements qui étaient les Mardi-Gras des jours ordinaires grâce au « Didnt’He Ramble » que Jelly Roll enregistra après avoir disparu et été retrouvé redevenu pianiste de maison close à Washington mais mourut juste avant le New Orleans Revival des années 50s!

Mingus_Jelly_Roll_2.jpg

Le tout avec le comique ambulatoire propre à Mingus et à Jelly Roll. Le solo de contrebasse Gérald Muller est cette fois dans les basses de l’instrument, soutenu par batterie et une cymbale typiquement New-Orleans et le piano. Au solo de trombone, je me souviens de Kid Ory, tromboniste de La Nouvelle Orléans dans le style « tailgate », ainsi nommé car dans les charrettes de parades, le trombone se tenait à la « barrière » arrière pour ne pas assoner le reste de l’orchestre de leur coulisse. Raymond Halbeisen aime aussi le vieux style : je l’ai entendu (avec Greilsammer et Muller, d’ailleurs) au « Piano Bar » dans le groupe « Isonga » du guitariste Eric Soum jouer une version instrumentale de «Doctor Jazz » (autre surnom de Jelly Roll Morton). Ott le suit avec de petites phrases de son cru, puis ils reprennent avec un dandinement caractéristique des fanfares. Les coups de cymbales pré-charleston sont calqués sur ceux du « New orleans Bump » popularisé ici par la version des « Célestins ».

Mingus_Stars.jpg

Greilsammer annonce la fin : « E’s Flat Ah’s Flat Too » (), extrait de son « Blues & Roots « et rapport à son poids (très relatif et par période d’après sa dernière épouse Sue) qui lui permettait de porter sa contrebasse comme une légère canne à pêche négligemment jeté sur son épaule. Là encore c’est le baryton le pivot de la bande des cuivres en folie du sax alto, ténor, dans une urbaine taxiphonie primitive, animale, urbaine, moderne, pareille à celle de « Pithécantropus Erectus » autour de « Foggy Day in London Town » (transposé à San Francisco par Mingus) avec Jackie Mc Lean au saxophone ( ), sifflets de police, klaxons et tout le tintouin ! Le trombone coulisse en mitraillette sur les bruissements de cymbales, growle, part en free bop, crie. Le piano part puis s’arrête brusquement sur la basse, part ailleurs, tandis que la batterie fouette ses chevaux, poussant ses cymbales du pas au trot. Petite citation de « Better Git It It In Your Soul ». Alizon dépasse le tempo des coups de batterie avec obstination, s‘en joue comme en creux avec puissance et ductilité, maîtrise et folie à la fois. Il s’avère peut-être meilleur dans le pur Hard-Bop que dans ses propres compositions Néo-Bop, soutenu par cette folie collective en tuilage démoniaque dont chacun s’échappe à tour de rôle soutenu par les autres en rythmique.

Mingus_Piano.jpg

Arrivent les Bis annoncés : un solo de Mingus par Grégory Ott, puis « Tensions » par tout l’orchestre. Charles Mingus était aussi pianiste intime et méconnu composait au piano et a enregistré un « Mingus Plays Piano » pour « Impulse». Cela permet d’entendre un peu mieux Grégory Ott, souvent en rythmique ou noyé par les cuivres dans ce répertoire, et de découvrir une facette méconnue de Mingus. En fait Mingus pianiste ressemble à du Thélonious Monk par son incorruptible individualité, originalité ne ressemblant à nul autre, déjouant les standards trop entendus comme Monk en solo en chapeau chinois sur l’un de ses derniers disques enregistrés à Londres ou Berlin semblant découvrir/explorer un piano pour la première fois (http://www.youtube.com/watch?v=iQtcPlqW2iA ) . Mais on retrouve des bribes de compositions de Mingus méconnues comme la première version de son « Portrait in Three Clours », «Make Believe » chantés par l’émouvant chanteur Jackie Paris dans les aigues au sein de son premier groupe « Baron Mingus ». Lentement le rythme prend forme, semble vouloir décoller, hésite pour le plaisir de suspendre le temps dans ce suspense, de jouer au plus près du silence, avec lui, de pouvoir assister à la musique en train de se faire, de rentrer DANS la tête de Mingus compositeur par ces petites touches noires et blanches.

Mingus_Moanin_.jpg

Le concert se termine avec tout le groupe pour « Tensions » (toujours extrait de « Blues & Roots », tensions qui, dans l’œuvre et la vie de Mingus pourraient être psychologiques, politiques, sociales, raciales. Le thème rappelle un peu « Moanin ‘ » par son début suivi d’un solo au saxophone baryton , puis entrent la foule des autres chacun dissonant de l’ensemble tour à tour, criant, soufflant, se détachant de l’ensemble tel l’hydre de la vengeance à plusieurs têtes sur la basse. Puis Halbeisen imite à l’alto le style de Jackie Mc Lean, bluesy, parkerien puis Hard Bop suivant les changements de rythmes habités de la batterie que la basse ralentit, radoucit en Blues. Le trombone sur la basse s’assourdit, très lent sur la batterie minimale, joue avec cette lenteur où quelque chose toujours se trame déjà ou encore, et la batterie est là pour retrouver le temps avec un tinkty-boum sur la basse, puis le trombone crie, explose, barrit du haut en bas de toute sa longueur éléphantesque tout en gardant le groove, quelque chose d’un blues binaire qui le porte d’une jambe sur l’autre, et autre chose qui brouille la banalité des cartes déjà jouées .dans le même mouvement. Christophe Fourmaux au baryton part à son tour en Blues sur tempo lent juste sur la cymbale bop et le piano discret qui s’enfle puis le tempo repart avant le solo de pino sur la batterie et la basse en soutien, le solo de batterie façon gong balinais puis débordant sur les cymbales avec des roulemebnts et finit militaire au retour du thème.

Bref, ces musiciens rompus au Jazz mais pas que se sont, et nous ont fait plaisir en rejouant ces fondamentaux avec liberté. Mingus, le premier contrebassiste à avoir su créer un univers personnel par ses compositrions, était à la frontière du hard bop le plus militant et du Free (même si lui-même n’aimait pas le Free, conscient qu’il faut « tout de même jouer sur quelque chose» après une expérience de composition instantanée avec Timothy Leary, et pensait à un projet d’orchestre Free avec Duke Ellington et Dizzy Gillespie qui aurait enfoncé le Free Jazz selon Ornette Coleman.

Ils se sont montrés, collectivement et individuellement, les plus aptes à reprendre ce répertoire, avec respect mais sans abandonner leur style.

Jean Daniel BURKHARDT