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Le vendredi 12 septembre dernier, la fanfare « Rigolus et ses Rigolettes » ouvrait la saison de la salle de spectacles Pôle Sud de La Meinau. Comme l’énergie des éoliennes représentées sur le programme annuel, chaque saison apporte son renouvellement dans la programmation, en Danse d’ici et d’ailleurs, aux formes traditionnelles, contemporaines, urbaines, Jazz (William Parker et Amiri Baraka attendus le 23 octobre) et Musiques Traditionnelles (Badume’s Band le 14 octobre), en ou hors festivals. Philipe Ochem, prévient le public : « Rigolus…avec un nom pareil on s’attend au pire, je vous rassure, c’est le cas!».

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Suit une entrée fracassante de la section rythmique athlétique en caleçon, short, boxer et maillots de corps noirs : Nicolas Larmignat, grosse caisse et chœurs et Gaël Chosson, caisse claire et chœurs, accompagnés de Stéphane Decolly, basse électrique et chœurs aux cris de «C’est chaud ? C’est chaud». Le batteurs de Jazz actuel s’autorise souvent à tomber le haut, leur rôle étant le plus physique et donc le plus en sueur de l’orchestre, assumant le rôle le plus physique, à plus forte raison dans une fanfare, mais enlever le bas, c’est une première! Cette fanfare qui ne déambule pas est formée également aux anches de Sylvain Rifflet, chemise blanche et costume noir au saxophone ténor (déjà présent dans de nombreux disques sur les jeunes labels Yolk avec Alban Darche et son « Gros Cube » et Chief Inspector avec sébastien Gaxie sur « Lunfardo » où ils ont sorti leur premier album en 2007 et sera avec Airelle Besson dans le projet « Rocking Chair » le 18 novembre au Cheval Blanc lors du festival Jazzdor), Thomas De Pourquery, chauve et qui rasé la moustache qu’il arborait sur les photos promotionnelles et vêtu de noirs vêtements amples et tombant au saxophone alto, soprano et chant et Fabrice Theuillon, cheveux longs et en perfecto au saxophone baryton. Quatre micros attendent l’arrivée des choristes et danseuses : les Rigolettes Suzanna, Marcella et Greta. Rigolus_Rigolettes.jpg

[L’intro de la basse est trash, comme le son du groupe, Rock, malgré l’absence de guitare, puis part en twist parodique||http://www.youtube.com/watch?v=ncpv3rEfLeQ&feature=related]. Les saxos se font face comme pour s’affronter, au garde à vous comme à Buckingham, font feu pour de feu puis crient dans les pavillons/canons de leurs instruments sur la basse Rock’N’Roll et la grosse caisse de boucher doublée par la caisse claire. Les saxophones partent en bourrée comique, puis le chanteur fait une imitation yodelante d’Elvis qui se termine en cri. Ce « Bouse à Bush » (présenté dans l’album comme d’un certain «fucker » du nom de Bush). Les saxophonistes dansent, puis rejouent la bourrée traditionnelle accélérée, dynamitée par la chute rythmique finale. Leur usage de la bourrée traditionnelle est, à mon sens, moins parodique et anecdotique, portée par cette rythmique rock, que celle de leurs prédécesseurs de « La Campagnie Des Musiques A Ouïr» menés par Christophe Monniot avec sa « Bourrée des Mariés», et ils jouent mieux, je trouve.

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Le chanteur se fait Monsieur Loyal, ou conférencier parodique «Chers Amis», accompagné par le saxophone oriental de Rifflet «nous acompagnant dans leur-moi-nous-vous-leur intérieur», en présentateur de JT collectif, gourou d’une secte très étrange dédiée à Rigolus, Dieu du rire et proposant le disque « Rigolus » pour « régénérer vos cellules, chers abonnés». Rigolus_long.jpg

Après quoi il décrète ouverte l’Hymne de cette secte, « Machiavelika Portugal » un morceau d’espéranto Luso/Tzigano/arabo/américano/sino/franco-guinéen, tire la note en longueur en cri «AAAAAh», plus tzigane et plus lent que sur le disque, sur une rythmique bringuebalante part en valse chinoisante par un oiseau anglais dans les aigues et reprend « AAAAAAllah OUOUaqbar » plus pêchu et prolongé qu’au disque et termine sur « et ça non plus ça m’aura pas ! » de gamin boudeur suivi d’un trio final des trois anches riffé en folie sur la batterie trash, enchaînant directement sur « Riffilus Actif », sorte de version instrumentale de ce thème partant en valse aux échos de sourdines aquatiques.

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Thomas De Pourquery rassure le public « On n’ira pas plus loin ce soir », puis annonce un nouveau titre, intitulé « Macramé » « pour une raison secrète encore ». le cri débouche sur un autre espéranto et une danse Klezmero/tzigane sur la basse Boogie portée par les riffs des saxophones avec un vrai son collectif énorme. Rifflet court d’un côté à l’autre de la scène sur cette rythmique irrésistible dont les saxos assurent la mélodie et les soli à tour de rôle et ensemble sur la rythmique dramatique évoquant les vieux films d’horreur série XYZ. Derrière la rythmique on voit passer en dansant les Rigolettes le temps d’un aller-retour.

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Suit un autre thème comique sous couvert de sérieux, dédié à l’Association « Naître et Mourir pour la Paix», où ils chantent « Naître et mourir pour la paix » en un Grégorien infiniment cyclique et tournoyant partant à chaque répétition d’une autre syllabe (essayez ça marche !) et finit par « naître et mourir pour la paix’naîtr’et mou… ». Ouf ! j’avais failli les croire!

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Suit une grosse intro Trash avec « Buluz », entrecoupé d’ « Espiritus Sancti For You Now », de «Plus près de toi mon Dieu…-Oui Allô ?» et d’une citation de « Que Je T’aime» Johnny raccourcie au bon endroit « Quand tes cheveux s’étalent…comme un cheval mort » suivies d’un Charleston/Twist free avec voix gargouillante, puis d’un solo de baryton de Fabrice Theuillon tirant d’une pédale des sons hallucinants pour un saxophone même baryton, Hendrixiens presque fender rhodes ou synthétiseur, après lequel on reconnaîtra les riffs de « Moanin’ » de Charles Mingus et final courant à la Benny Hill précipité de plus en plus rapide sans tomber ni perdre le fil, ce qui montre un vrai talent rythmique de toute fanfare.

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[« Ce n’est pas n’importe quoi, explique Pourquery, mais l’Art total du XXIème siècle… » Rassurant, les derniers à l’avoir cru (sérieusement, eux!) étaient NoJazz. Je préfère Rigolus. « Mais voilà plus abordable… », un joli thème à l’unisson antre fanfare et Cool Jazz sur un tapis de percussions orientales, une jolie balade mais qui ne devrait pas durer, la basse s’emballe et ça part en Ethiopique sur les percus, les Rigolettes apparaissent en frise profilée de danseuses Egyptiennes. Pourquery déclare sa flamme : « Tu es comme le pain, mon amour, tendre et chaud, et j’oublie l’intensité , c’est à –dire : um zweichen von frühling sein » ou un autre espéranto Wertherien du genre pour ce thème faussement sentimental.|http://www.youtube.com/watch?v=0M2A0mupPUc]

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Dans le même esprit, mais instrumental, ils enchaînent avec la valse parodique et chavirante « Ich Bin Müde », outrée façon Cabaret Berlinois avec les Rigolettes chantant en canon au fond. Voilà la chorégraphie annoncée du Lac Des Cygnes, style oiseaux noirs au sortir de l’eau, je suppose. N’empêche on aimerait quand même les voir de plus près, les Rigolettes. Pourquery récite une poésie Baudelairienne érotique dynamitée par des néologismes vianesques (« s’extrablotissant ») qui se termine en cris, donnant du sens et toute son ampleur à ce thème uniquement valse parodique au disque.

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Puis Pourquery nous met l’eau à la bouche en décrivant le buffet qui doit succéder au concert, et sadique : «Ils ont faim ? On va leur pèter les oreilles!!!», et la batterie exotique lance « Fanfaren », ainsi nommée car elle en rassemble plusieurs traditions du monde, bourrée gaie aux accents de frevo (fanfare du Nordeste du brésil), qui s’accentue en Ska puis ralentit en Blues valsant, dégouline en slow, reprend au baryton, puis brusquement la basse se fait rock, Rifflet part en live sur les cowbells de la caisse, se montre malgré son jeune âge un saxophoniste prometteur, sur le retour de la rythmique Ska riffant, Rifflant, d’une jambe à l’autre il taxiphone à la Hamiett Bluiett. Le solo de caisse claire de Gaël Chosson est quasiment Rock à la John Bonham de Led Zeppelin, avec ce son de camion. Le baryton de Theuillon, électroniquement modifié par la pédale, saturé, remplace avantageusement l’absence de guitare par ses effets inouïs. Sur le retour Ska, Stéphane Decolly, à la basse, se lâche en un jogging accéléré de plus en plus vite à la Benny Hill poursuivi par les mânes de Buster Keaton et Charlot en film accéléré en quête de droits d’auteur.

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Les Rigolettes déambulent à l’arrière sur un Twist Trash au baryton Rock, gambadent derrière cette « Grosse Frida » au son énoÔorme retrouvant la puissance du Rythm’N Blues, que, si les blancs ne l’avaient pas piqué au noir pour l’appeler Rock’N’Roll, il aurait gardé. Riffs et soli de saxos se succèdent à tour de bras , à coups de anches et de langues, de souffle continu. La rythmique se fait groove, Pourquery « wanna dance » sur les riffs de Rifflet et du baryton. Le final est bringuebalant Bluesy.

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Les Rigolettes sont enfin au micro, en bas, en jupes noires, et T-Shirts Rigolus.

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«Dave » est pris plus Trash que Ska sur deux temps. On n’entendait pas les voix des Rigolettes sur le disque, noyées en cette orgie sonore de saxophones débridés, finalement elles rajoutent des bruits de klaxon vintage « Aaaah » et « Tût Tût », dédoublent la rythmique de claquements de mains joués à la manière du Flamenco sur la grosse caisse, le baryton et la caisse claire bouchère.

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Pourquery parodie Philipe Ochem dans sa présentation de la saison, s’éloignant hors micro à chaque annonce du coup inaudible. « Nous allons vous séquestrer jusqu’à quatre heures du matin», menace-t-il, se faisant preneur d’otage, et lance un autre inédit, « Pacifique», à la rythmique en effet exotique jouée à mains nues par Gaël Chosson sur la caisse claire et les Rigolettes, sirènes des Océans chantent en chœur « Pacifique » avec des gestes de vahinés.

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Finalement dans sa mélodie la chanson semble parodier l’alter-mondialisme sentimental bon enfant du dernier Tryo « Ce que l’on sème »: «Tout va bien, et bonne soirée…mais je suis sûr que les Irakiens deviendront Chiraquiens…Je ne suis Pas si fique, et pour tout je t’aime bien. Je pense à ma retraite rêve aux joies des chiens… », puis plus rapide pour les Assédics et les saxos solotent.

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Suit le morceau révélant leur principale source d’inspiration : « Anis Canyonning », Twist vintage avec chœurs et choré main sur un cœur puis l’autre des Rigolettes sur le baryton.. ] Et le public est invité à se lever pour ramer avec eux en cette pirogue sur un torrent de pastis Rigolus_sax__tenor_couleur.jpg

En Bis, « c’est le moment d’échanger nos corps » sur leur meilleure BO de Film d’horreur Série Z : «Finger in the Freezer», en anglais sur le disque, où une ménagère américaine assoiffée trouve un doigt dans son freezer et le signale au commissariat dans un fracas de machines à écrire. Là, la chorégraphie, collective, sur la rythmique ô combien dramatique, est robotique avec des vocaux hystériques « AAAh FINGER ! FREEZER! » entrecoupés de riffs de saxophones puis part en Space Funk à la Sun Râ. Mais comment est arrivé ce doigt dans le freezer de la proprette ménagère? Fut-il oublié par l’extra-terrestre italien chantant « Marguerite de mes amours» du disque?

Que Nenni ! La version Live retrace l’origine de l’histoire, en français de surcroît, d’après un fait divers, raconté à la première personne, m’a dit Pourquery au cours du buffet qui suivit : un vacancier Tropèzien trouva un jour un voleur dans sa cuisine, l’abattit en légitime défense et conserva son doigt dans son congélateur, pour l’envoyer ensuite par la poste! Le thème se prolonge en délire total, avec vocaux space finger et freezer repris par le public des deux sexes orchestré par Pourquery et final hystérique des Rigolettes dans les micros des saxophones… Rigolus_Rigolettes.jpg

Bref, une formation festive, pleine d’humour mais vraiment talentueuse aussi, dépassant la dimension farcesque et parodique, poussant une rythmique fanfare apatride au Rock ou au groove avec un son énorme de saxophones et des chansons vraiment drôles.



Jean Daniel BURKHARDT