Lors de la dernière soirée, le Festival « Terres Des Musiques Tziganes » donnait carte blanche à la relève à travers deux classes d’élèves des guitaristes Yorgui Loeffler ( à Haguenau) et Francko Mehrstein (à Neuhof), rappelant les concerts de l’école de l’APPONA à la Citadelle, très appréciés au Festival International Tzigane et annonçant peut-être l’ouverture d’une nouvelle école à Strasbourg.

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Puis on pouvait entendre le guitariste acoustique, électrique, violoniste et chanteur manouche Dorado Schmitt, né en 1957 à St-Avold, cousin de Tchavolo Schmitt, qui commença avec lui, ici en quartet avec son fils Samson Scmitt à la guitare, une basse et une batterie. « On n’oublie pas Django, mais la plupart des thèmes sont de ma composition », annonce-t-il.

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Il commence avec l’une d’elles dédiée à un « William » au violon nous fendant l’âme et la sienne, presque un peu à la Didier Lockwood dans ses moments lyriques, moins démonstratif que Grappelli dans l’aigu, sans ces stridences qui vous vrillent le tympan, mais comme un chant, un cri, un sanglot du crin vivant sous l’archet. Samson accompagne entre pompe manouche et Bossa le violon qui pleure, miaule sous l’archet. L’un des premiers succès de Dorado en Allemagne fut sa « Bossa Dorado ».

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Suit une sorte de Bossa slave à deux temps, avec une descente acoustique vertigineuse de Samson à la guitare. Dorado fait vivre l’archet comme Grappelli sur un clavecin «barockisant» groovant gaiement en échappée libre sur les routes de France en voiture volée par Dewaere et Depardieu dans sa musique pour les «Valseuses» de Blier ou « Milou en Mai ». Dorado_Samson.jpg

Suit « Sweet Georgia Brown », thème New Orleans mais qui eut aussi les honneurs des premières Jams At The Philharmonic en 46 par Charlie parker et Lester Young, rarement réunis et enregistrés ensemble. Presque méconnaissable en intro, le thème part guilleret à la Grappelli avec des citations de Bach, puis après un solo de basse groove, Dorado lamine le violon à la gigue irlandaise, Samson swingue et groove, suivi du solo de batterie fracassant, puis guitare sur basse avec violon en pizzicato en accompagnement.

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Dorado prend sa guitare. Il chante aussi depuis qu’il est revenu à la scène après un terrible accident de voiture, et a enregistré un « Dorado Sings ». Il reprend « Il ne faut pas briser un rêve », ballade des années 30s que le crooner français Jean Sablon avait enregistrée avec Django à la guitare comme accompagnateur. La voix de Dorado est magnifique, celle d’un crooner qui pourrait ne pas être manouche, si ce n’est une fragilité qui en brise parfois l’innocence harmonique par l’émotion. Le texte rétro y retrouve un certain charme désuet, comme quand on l’écoute par Sablon. La guitare électrique modernise le thème d’un solo un peu slow années 70s trouvant la voie d’un Jazz-Rock Manouche,

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Dorado le sait, « Sans le grand ancêtre Django Reinhardt, on ne serait pas là. », dit-il en introduisant son « Nuages », sur une autre guitare électrique, mais Selmer comme celles de Django, à la manière de la dernière version électrique de Django de ce «Nuages» pour l’album « Pêche A La Mouche », avec Martial Solal au piano. Après l’exposé du thème, Dorado joue sur une seule corde, d’une manière presqu’Hawaïenne dans ses harmonies et finit en Marseillaise comme Django et Grappelli célébrant leurs retrouvailles après-guerre d’un « Echoes Of France ».

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Suivent quelques voyages express, en Russie avec « Les Yeux Noirs », au tempo à couper le souffle presque Jazz-Rock, sur une pompe Bop très rapide, au « Brazil » joué au violon au pizzicato, repris par Django ouvrant le Jazz Manouche au Brésil. Grappelli lui-même jouera avec Baden Powell, guitariste et seul pionnier de la Bossa Nova à avoir vraiment connu le monde de la Samba des mornes de Rio. Suit « Undecided », sympathique sur ce tempo 30/50s sur une basse imperturbable pendant le solo de Samson.

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Arrive le dernier morceau, autre « Ballade pour mon ami William », mais pas le thème du début, les autres s’y trompent d’ailleurs, qui rappelle la scène de « Latcho Drom » où l’on voyait Dorado et Tchavolo Schmitt arriver en voiture aux Sainte Marie De La Mer, avec la basse jouée à l’archet.

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Le Bis est étonnamment Groove’N’Funky, sur la rythmique Jazz-Rock électrique de Samson, mais Dorado le suit très bien, et s’est illustré dans ce style avec « Mistral ». Ici Dorado s’élève au style d’un Santana, doublé d’un fredonnement vocal comme dans son « Choucka Dives».

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De l’extérieur du chapiteau, le concert résonne dans le Jardin Des Deux Rives, et un passant tardif ne croirait plus à un concert de musique manouche mais à un concert de Jazz-Rock Funky. Dorado a prouvé qu’il est peut-être une des voix les plus modernes de la musique manouche, capable de la pousser jusqu’à la ferveur électrisante du Jazz-Rock sans la dénatuer.

Jean Daniel BURKHARDT