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Le samedi 5 juillet, le festival «Terre Des Musiques Tziganes » recevait le groupe local de La Petite Pierre « Guitar Vision» des Frères Lorier jouant des musiques d’Amérique Du Sud dans un genre latino Flamenco et rumba gitane. Gino Lorier, souffrant, est absent mais « sorti de l’hôpital et va mieux », rassure le groupe. En introduction, des danseuses de flamenco font sonner leurs talons et palmas, voleter leurs mains comme des oiseaux libres.

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Les percussions sont rares dans la musique gitane, mais Camarron De La Isla lui-même avait intégré une batterie et une basse électrique à son groupe au départ de son guitariste Paco De Lucia remplacé par Tomatito pour l’album « La Leyenda Del Tiempo ».

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Ici, on a une batterie jouée par une sorte de corsaire Hard, un linge noir noué sur ses cheveux. et une paire de congas surmontées de clochettes et d’une cowbell pour la touche latine, jouées par un percussionniste barbu au style exotique : chapeau de paille et chemise à fleurs. A la guitare et au chant, Alessandro semble un espagnol ou Sud-américain pur jus, accompagné par Pascal Lorier à la guitare rythmique et soliste.

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Le concert commence par des accords flamencos introduisant « Besame Mucho », chanté d’une grande voix forte et profonde par Alessandro en espagnol sur les arpèges de l’autre guitare, gardant les bases du Jazz manouche même dans la trame rythmique flamenco.

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Suit un instrumental un peu dans le style de « Gypsy Remix » de Christophe Fritsch, ancien guitariste des frères Lorier qui est allé chercher le Flamenco dans le Sud de la France. Ils jouent un Flamenco sans cris, jazzy, un peu comme celui des Gitans du Quartier du Jaume de Perpignan ou celui que jouait Cyril Collard avec des Espagnols dans son film «Les Nuits Fauves», soutenu par les congas et les petites cymbales, puis arrive le chant énorme d’Alessandro, s’approchant des grands comme Terremoto De Jerez (tremblement de terre).

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Après une Guajira Cubaine campagnarde, ils nous entraînent dans les montagnes de l’Oriente dont descendit le son « Montuno » avec une chanson d’un de ses représentants récents les plus connus, Compay Segundo : « La Negra Tomasa », couplée avec « Mandinga » (aussi appelée Bilongo ou La Negra Tomasa). Leur reprise est plus rapide que celle de Compay Segundo dans sa dernière compilation posthume à la quelle elle donne son titre, sortie en mars dernier pour son centenaire, avec un rythme de rumba flamenca.

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Suit un thème Brésilien mais qui a fait le tour de l’Amérique Du Sud : « Tico Tico Na Fubà », Choro de Zequinha De Abreu de 1917 ou simplement « Tico Tico », popularisé en 1947 par Carmen Miranda dans le film « Copacabana », et dont Charlie Parker lui-même donna une version Afro-cubaine. La chanson est reprise en rumba, mais la vitesse des guitares et des percussions font penser aux marimbas du Mexique et aux pas rapides des danseurs, avant de prendre de l’ampleur, jazzy sur la batterie qui ralentit, puis accélère le rythme, à la joie des enfants courant et dansant partout comme au Festival International Tzigane de La Citadelle.

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Après le Brésil, c’est en Argentine que nous entraîne un tango, musique tragique des hommes quittés qui pleurent leur orgueil bafoué. Avec l’accompagnement des seules guitares rythmiques, le tango retrouve ses origines dans l' estilo originel de la Pampa chantée par les gauchos qui gardent le bétail en buvant du maté, comme dans certains enregistrements de Carlos Gardel avant son heure de gloire.

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On retourne ensuite au Flamenco Jazzy, dans le style de Tomatito, aux rythmiques galopantes des guitares sur les percussions dans le final. Sur la rumba suivante, les flamencas reviennent, invitent enfants, amies et public à danser devant la scène.

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Une autre rumba lente prend forme, qui s’avère être « A Mi Manèra », version espagnole des Gipsy Kings de «Comme d’Habitude » de Claude François, histoire de couple se défaisant dans une journée grise et urbaine écrite quand France Gall le quitta, déjà sublimée par Paul Anka avec « My Way » pour les adieux de Frank Sinatra, l’élevant du quotidien au bilan de toute une carrière et de toute une vie, à l’intemporel et à l’universel, qui part soudain en rumba frappée sur le bois des guitare et dans ses mains par le public.

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Elle est suivie de « Bamboleo, Bambolea », autre succès des Gipsy Kings, plus jazzy dans les guitares, plus traînant dans la voix, plus émouvante et tragique que l’original, sublimé par la liberté prise avec la mélodie, sur des percussions se rapprochant de la batucada brésilienne qui va accélérant peu à peu le rythme et l’excitation du public.

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Ils terminent par un Flamenco de Paco De Lucia, « Entre Dos Aguas », repris par Les Gitans de Perpignan.

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En seconde partie, on pouvait entendre le guitariste Yorgui Loeffler, cousin de Marcel originaire de Haguenau, l’un des plus rapides et des plus techniques dans le style du Jazz Manouche. Il a sorti il y a quelques années son premier album «For Magnio », avec le pianiste Vincent Bidal.

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Il est accompagné de son frère Gigi Loeffler et de Francko Mehrstein (frère de Dino) invité aux pompes, d’une contrebasse et d’un vibraphoniste, encore absent.

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Après quelques arrangements avec le retour son, ils partent pour « Symphonie » de Django Reinhardt sur un tempo très rapide auquel Yorgui rajoute une touche de valse manouche accélérée, puis un break de bossa sur les roulements des pompes.

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Il continue avec un «All Of Me» à 200 à l’heure sur un tempo d’enfer soutenu par les pompes et la basse avec des fugues dans les aigues de Yorgui, puis laisse la basse faire son solo, pour repartir de plus belle en style mitraillette et revenir au thème. Yorgui est vraiment d’une technicité époustouflante de virtuosité dans sa rapidité. Il reprend le thème plus lentement avec ornements et changement rythmique sur le break en accords barrés.

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Django avait commencé par la musette dans les années 20s, au banjo, volant même souvent la vedette à ses patrons accordéonistes, ce qui provoqua souvent son renvoi, avant l’incendie de sa roulotte où il perdit quelques doigts, et composé quelques valses manouches à l’époque, mais ne les joua plus après. Elles furent exhumées par son guitariste Pierre «Baro» Ferret, comme « Montagne Ste Geneviève », dont il donna une belle version avec « Paris-Musette ». Yorgui Loeffler est l’un des rares spécialistes de cette valse manouche, passée de mode mais qui revient, et en a enregistré deux, dont une version de cette « Montagne Ste Geneviève ». Paris_Musette_2.jpg

Il nous offre un de ses secrets en citant «Lou(is?) Reinhardt» comme l’un des plus grands compositeurs de valses manouches. Mais il s’agit là encore d’une valse manouche rapide, où s’exprime le sacré coup de poignet à double détente de Yorgui, qui part en solo, rencontre un standard, puis parcourt de ses ra le manche sur toute sa longueur de haut en bas, suivi des deux autres guitaristes en des roulements d’orgue dont se détachent ses éclaircies incisives de rayons en échappées, ses fusées de toutes parts, ses feux d’artifice décochés comme des flèches alpaguant même le « Hans’Schnockeloch », comptine alsacienne avant le solo de basse soutenu par Yorgui et l’enthousiasme public.

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Ils continuent avec « Hungaria » de Django, puis « I’ll See You in My Dreams » dont la version de Django fit inventer à Woody Allen le guitariste Emmett Ray, guitariste américain incarné par Sean Penn dans son film « Accords Et Désaccords », ne craignant personne sauf Django, au point de fuir la scène à la seule évocation de sa présence et de s’évanouir à sa vision, alors qu’il est en fuite après avoir braqué une station-service! Sur France-Musique, l’écrivain Alain Gerber en rajoutait une couche journalière à la sortie du film « Accord et Désaccords » en se mettant en scène avec Woody Allen et des témoins ayant prétendument connu Emmett Ray qui le contactaient personnellement, et finissait dans la suite d’un luxueux hôtel Parisien face à un maffioso, guetté par les mitraillettes de ses gardes! Le thème, rapide, est enlevé et entraînant, puis mandoliné à la Napolitaine accélérée en final. A mes côtés, au fond du chapiteau, deux jeunes trublions du public inventent en direct une section de percussions sauvage, libre et bruyante, mais communicative. Le tempo des guitares est époustouflant, avec des pointes de vitesse et des retours de poignet en valse manouche.

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Arrive le vibraphoniste Pascal Schumacher, accueilli par les guitares sur le thème de « L’Eté Indien » de Joe Dassin et salué comme un « très beau gosse pour les filles célibataires » par Yorgui . Le vibraphone rajoute avec ses mailloches sur les lames sa neige en été, son groove Hamptonien aux pompes manouches et aux descentes folles des guitares, tintinnabule sur toute la gamme, accélère sur la pompe, entoure les guitares de toutes parts de ses tourbillons. Cela rappelle les séances de Django avec Patrick et son Jazz et des cuivres dirigés par Guy Paquinet, avec Roger Chomer au vibraphone en 1934, l’un de ses rares enregistrements en grande formation, avec les séances avec Coleman Hawkins, les GIs de la Libération et une rencontre tardive et ratée avec Duke Ellington et son Orchestre aux Etats-Unis, ou celles de son frère Joseph «Ninine » Reinhardt avec Alix Combelle pendant la guerre.

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Ils abordent ensuite un des Blues du Django passé à la guitare électrique, « Blues For Ike » enregistré pour « La Pêche A La Mouche » en 1953 peu avant sa mort d’un malaise en revenant…de la pêche à la mouche, du côté de Samois où il se consacrait à la peinture ses dernières années, et où un festival lui rend hommage, où brilla Yorgui Loeffler, entre autres. Django_p_che.jpg

Yorgui l’a enregistré dans « For Magnio », le Blues étant un autre style où il excelle. Introduit par une mandoline tremblotante où s’enroulent les lamelles du vibraphone, il y croise la « panthère rose ».

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Bref, ce concert prouva encore à la fois l’actualité et la vitalité des Musiques Gitanes et Manouches régionales, et leur modernisation s’ouvrant, en restant fidèles à leurs racines, aux autres musiques du monde ou actuelles, ce qui est le principe même du Jazz.

Jean Daniel BURKHARDT