Le Festival « Terres Des musiques Tziganes », dont c’est la deuxième édition cette année, a planté son chapiteau au Jardin des Deux Rives, avec un air des beaux jours du Festival International Tzigane de la Citadelle.

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Pour cette première soirée le 3 juillet, il recevait le guitariste manouche allemand Wawau Adler. Né à Karlsruhe en 1967, se consacre dès son enfance à la guitare en autodidacte et copie le style de Django Reinhardt dès l’âge de 14 ans, mais s’intéressa aussi au Be-Bop de Charlie Parker, ou à des guitaristes électriques comme Wes Montgomery, puis est revenu à la tradition manouche de Django Reinhardt. Il est accompagné dans ce trio par Holzmano Winterstein à la guitare et d’un contrebassiste. Holzmano joue d’une guitare de bois rougi comme tannée par le soleil et Wawau d’une guitare brune, avec une casquette sur la tête.

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Ils commencent par « Lady Is A Tramp », rendu célèbre par Ella Fitzgerald et Frank Sinatra.

« The Sheikh Of Araby » débute par un tremblotement de cordes de Wawau sur un tempo à deux temps comme dans la version de Tchavolo Schmitt sur son album « Miri Familia » en 2001, puis prend une accélération sur les roulements de la pompe entre deux chorus, poursuit par un riff de Django et Grappelli dans la version du Hot Club de France et finit presque en riffs de cuivres par leur puissance rappelant la gouaille déraillante d’un Fats Waller en Big Band.

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Quand on frappe les cordes de la sorte, elles cassent, et il faut les changer en cours de concert, cérémonial aimé du public de Jazz Manouche. Eux se les échangent. « On est de la même race », expliquait Tchavolo s’échangeant le mouchoir trempé de sueur avec Yorgui Loeffler (à entendre le samedi 5 juillet à 22 h 30) au Festival De La Petite Pierre.

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Ils reprennent ensuite le thème le plus connu de Django Reinhardt, père du Jazz Manouche, « Nuages », où la pompe presque hispanisante d’Holzmano et les espagnolades de Wawau nous mènent avec les manouches jusqu’aux Saintes-Maries De La Vierge noire et à l’Espagne flamenco, comme Tchavolo et Dorado Schmitt dans «Latcho Drom » de Tony Gatliff.

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Retour au tempo original, puis arpèges sur toutes les cordes jusqu’aux aigues sonnantes comme de Django à Birèli Lagrène, avec cette nouveauté, cette invention dans les idées mais aussi cette innocence harmonique, évidence qui étonne puis ravit l’oreille. Pendant le solo de basse, les deux guitares lui font la pompe, avant un dernier chorus de Wawau calqué sur la mélodie de la clarinette d’Hubert Rostaing dans la version originale du thème par Django dans les années 40s, et derniers arpèges Birèliens.

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«How High Is The Moon ?» : jusqu’où s’élève la lune? Jusqu’en haut du chapiteau, des doigts sur le manche au pied de Wawau rythmant le tempo à même la scène, jusqu’à l’étoile d’un autre thème rattrapé par une fusée lancée en flèche par les cordes. Jusqu’à une intensité dépassant le manouche vers le Jazz, brûlant le Jazz par le Groove particulier, acoustique, roots, « groots » pourrat-on dire.

Jusqu’à la voix d’Ella Fitzgerald qui l’avait à jamais, le scat de folie, même quand elle montait «so high high high high » qu’elle en oubliait les paroles comme au JATP ou à Berlin.

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Suit «Black Orpheus», ou « Manha De Carnaval » du guitariste Brésilien Luiz Bonfa que popularisa en effet « Orfeo Negro » de Marcel Camus d’après une pièce du poète et diplomate Vinicius De Moraes sur un livret d’Antonio Carlos Jobim, transposant le mythe d’ Orphée noir et guitariste et son Eurydice poursuivie par un squelette dans le Rio du Carnaval.

Quel chemin rapprocha ces deux peuples nomades et voyageurs, noirs et manouches, victimes de l’histoire, déportés et esclaves ou rejetés des bien-pensants, exploités mais libres, avec une guitare à la main et cette mélancolie dans leur musique qui nous touche tant? Django lui-même avait joué, avant la Bossa Nova, « Brazil » d’Ary Barroso à la guitare électrique en 1954. Wawau pousse le thème jusqu’au groove manouche avec un dédouble ment de tempo où la guitare bègue se fait double. Le calme de la mer vient plier le mât de la contrebasse pendant son solo sur la pompe clapotante des vagues de Copacabana assurée par les guitares un matin de Carnaval sur le pain de sucre et le Corcovado. Suit un Django très rapide et bop, « Folie à Amphion », ayant à la fin de sa vie électrifié sa guitare. Le Jazz manouche a su se renouveler, faire pousser avec le temps de nouvelles branches tout en restant fidèle à ses racines bien ancrées dans le sol de ce terroir dont l’Alsace et l’Allemagne sont parmi les fleurons, traverser les styles sans se trahir, ce qui est le but du Jazz, ni se compromettre comme lui parfois dans le bruitisme Free.

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«When You’re Smiling » sur un tempo à l’ancienne qui laisse couler le temps, pas rouler encore, temps d’avant les voitures, de Charlot, des roulottes et à cheval, où Billie Holiday chantait cette chanson avec Lester Young : « Quand tu souris tu ramènes le soleil, Quand tu pleures la pluie», c’est toi qui fais ta pluie et ton beau temps. Aujourd’hui cette chanson ne fait plus briller que les tubes de dentifrices promettant dents blanches et haleine fraîche. Il faut pour lui rendre son innocence première, naturelle, qu’un Savary Jourdain le joue et chante avec sa trompette ou qu’un guitariste manouche le reprenne avec aux doigts ce tremblotement de feu de camp où l’on croit entendre des mélodies chantées en romanès par la voix d’un Schnuckenach ou d’un Sony Reinhardt sur « Dig O Divès».

Sur «All Of Me», on se prend à rêver à une Billie Holiday manouche, en verdine ou diseuse de bonne aventure, libre dans l’herbe et une pâquerette à la bouche autour d’un feu de camp. Eût-elle alors connu plus de bonheurs qu’en naissant femme et noire aux Etats-Unis ? Et puis les vagabondages forcés de l’orchestre de Count Basie valaient bien ceux des manouches européens de la même époque, et depuis plus longtemps…

Si les manouches et leurs tempos rapides redoublés étaient une influence méconnue du Rock’N’Roll puisqu’il leur arrive de le croiser sous leurs doigts de feu. Qu’importe, Wawau peut tout jouer et nous faire croire à ce que nous n’y avions jamais entendus, et c’est ça le miracle du Jazz, les manouches sont peut-être juste restés plus fidèles aux standards et plus libres de les faire évoluer vers des styles insoupçonnés avec la vagabonde liberté qui les caractérise.

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En seconde partie, le pianiste électrique et organiste allemand Jermaine Landsberger et son quartet invitaient le grand batteur André Ceccarelli, avec qui il a accompagné Biréli Lagrène, le guitariste Paulo Morello et un contrebassiste. Comme quoi au niveau du choix de l’instrument également, les manouches peuvent toujours nous surprendre.

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Si Jermaine ne joue pas de guitare, quand il part en groove, il se rapproche plus de Jimmy Smith que de Django, avec peut-être, caractéristiques de l’âme manouche, des effets plus liés, moins heurtés et abrupts dans leurs dérapages contrôlés que ceux de Smith, un respect plus grand pour les mélodies des standards et une certaine mélancolie, qui n’empêche pas la transe groove, quand Ceccarelli est aux baguettes passant des 4 aux 3 temps ou assurant un tempo batucada.

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Quant à Paulo Morello il maîtrise à merveille le style de Wes Montgomery et le style Brésilien dans « Ballada Para J» , où Jermaine surfe sur son clavier sur le « Barquiño » de Jobim, simple barque de bois écrite pour Joao Gilberto, devenu « Surfboard » avec un moteur et un drôle de clavier électrique sur un tempo brésilien de Ceccarelli.

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De «Ballad For My Little Daughter» à « Hammond Eggs », plus funky, presque Jazz-Rock, Jermaine nous emmène sur la autre planète particulière de son répertoire.

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L’orgue sait se faire funky sur les standards hard-bop Blue Note, langoureux et sensuel dans un « Tenderly » aux lumières tamisées, puis revitaliser par son groove « Speak Low » sans morgue aucune, puis retrouver les sonorités de rue de l’orgue de Barbarie ou celles de l’orgue religieux d’église malmené par Fats Waller à Notre-Dame de Paris.

Jean Daniel BURKHARDT