Les indiens furent les premiers occupants des Etats-Unis d’Amérique, jusqu’à ce que des traités non respectés les exterminent, les exilent et parquent les derniers dans des réserves. Les Tuscaroras faisaient partie de la tribu des cinq nations Iroquoise.

Pura_F__tuscarora.jpg

Née en 1959, la chanteuse de Blues Pura Fe’ (Foi Pure), ainsi baptisée par son père, chanteur d’origine Portoricaine, est indienne Tuscarora par sa mère, indienne mêlée de sang noir Nigérien et Irlandais, cantatrice dans l’orchestre Duke Ellington, lui aussi d’origine Indienne, comme beaucoup de Bluesmen (Charley Patton) Jazzmen noirs (Mildred Bailey, Don Cherry), et affiliée à la famille du pianiste noir Indien Thélonious Monk. Mais elle connut l’exil et la déportation.

Pura_F__petite.jpg

A 15 ans, Pura Fe’ revient sur la terre de ses grands-parents, dans la communauté Tuscarora de Caroline Du Sud, où son premier enregistrement fut un pow-wow-gospel de réunification des tribus Indiennes, « My People, My Land », repris dans son second album «Hold The Rain ». Pura Fe’ compose et chante, joue de la guitare slide (glissant sur les cordes avec un morceau de fer ou de verre rond porté à son doigt appelé « slide », du geste de glisser devenu le style par les Bluesmen noirs et « bottleneck » par les guitaristes de country blancs, puis repris dans le Rock par Keith Richards dans «Gimme Shelter » ou par Jimmy Page avec Led Zeppelin).

Pura_F__slide_assise.jpg

Sa musique et sa voix ont déjà exercé leur pouvoir magique ou simplement le charme de leur émotion dans mon émission de radio « Terres Tribales» (lundis, 11h 30-12h 30 sur «www.judaicastrasbourg.com » présentant le concert. Alors que je défendais sa musique contre l’ingénieur du son, une jeune fille, dont j’ignore le nom, déboula dans le studio me demandant si c’était moi qui avais passé cette musique merveilleuse, extraite du premier album "Wake Up Tuscarora People", et fut heureuse d’apprendre qu’elle passait en concert, où je la revis d’ailleurs.

Pura_F__Tuscarora_Nation_Blues.jpg

Pura Fe’ se produisait à Pôle Sud accompagnée par Danny Godinez, guitariste de son dernier album « Hold The Rain ». Elle ne joue pas de sa guitare slide assise, comme on m’y serait attendu, mais debout, sa guitare Hawaïenne posée sur un trépied à sa hauteur.

Pura_F__slide_debout.jpg

Le concert commence par « Follow Your Heart’s Desire », une ballade de sa composition présente dans ses deux albums, Country-Ballad sentimentale servie par sa voix dans l’aigu dans « Tuscarora Nation Blues », reprise avec une guitare slide Blues, de manière plus énergique sur son second album «Hold The Rain», avec George Aragon à la batterie, Farko Dosimov, l’ingénieur du son, à la basse, et des chœurs Gospel et un tout autre découpage rythmique la rendant presque méconnaissable, et rend donc bien compte de son évolution musicale entre ces deux styles à ce jour. Sur scène, on retrouve un peu des deux, elle commence en Country Ballad dépouillée puis passe en slide dès le second couplet, tandis Godinez remplace la batterie par la percussion manuelle sur sa guitare,et fait les chœurs derrière elle tandis qu’elle hurle de toute sa soul.

Pura_F__Follow_Your_Heart.jpg

Le concert se poursuit avec "You Still Take" (Vous prenez toujours) la plus bouleversante de ses protest-songs (chanson à texte protestataire accompagnée à la guitare blues ou country à la manière de Bob Dylan) abordant sans ambages la négation pure et simple de l’identité indienne aux Etats-Unis, mais prévenant les oppresseurs que la révolte gronde dans les entrailles de la Terre-Mère Indienne à laquelle ils furent arrachés pour être déportés, et se termine par les bouleversants vocaux indiens d’« Indigenous World » (Monde Indigène): ces premiers « indigènes » de l’Amérique savent mieux que les gouvernements où se trouvent les forces naturelles et leur danger, et la tristesse du gâchis de l’harmonie entre la nature et l’homme prend le pas chez eux sur la colère, comme chez le grand-père de « Little Big Man » à sa mort . La voix prend, dans les aïgues, des accents d’émotion Blues rageuse à la Janis Joplin (la plus grande chanteuse de Blues blanche des années 60s)et de Soul à la Jevetta Steele (interprète de la chanson « Calling You » pour le film Bagdad Café), puis scatte à l’indienne sur le final « Indigenous World ». Dans son solo de guitare, celle-ci prend le charme inquiétant et nocturne, naturel, de celle d’Hugo Rage dans le slide. Quelque chose d’à la fois très proche du Blues Traditionnel et rejoignant de manière inquiétante les tourments désespérés de notre monde urbain, moderne, de ses solitudes surpeuplées.

Pura_F__Tuscarora_guitare.jpg

A 51 ans, Pura Fe’ semble sans âge, ou de tous les âges. Par moments, elle semble retrouver la joie insolente de l’enfance, à d’autres semble vieille comme le monde, comme son peuple et sa terre, et navigue entre les deux, parfois dans la même chanson, ce qui fait sa beauté changeante.

Pura_F__fauteil.jpg

Suit « Little Girl Dreaming», du dernier album, dédiée à son père biologique, soutenue ici par un rythme de guitare presque funk de Danny Gardiner et sous les doigts de Pura Fe’ un slide plus country que blues, puis ils mêlent leurs voix comme dans les gospels sur cette ballade intimiste aux accents de Janis Joplin dont Pura Fe’ tient les notes jusqu’au refrain calme comme une berceuse, puis poussé jusqu’au cri, tandis que Danny Godinez cite « Manic Depression » de Jimi Hendrix (lui aussi d’origine partiellement indienne).

Pura_F__Godinez.jpg

Elle introduit ensuite un Blues du premier album « Della Blackman, Pick and Choose », dédié à sa Grand-Mère, assassinée par le Klu-Klux-Klan, comme elle l’apprit à son retour en Caroline Du Sud, mais cette Histoire fut bannie des livres d’Histoire Américains. La seconde voix de Danny Godinez rajoute sa Soul Indienne, et le slide de Pura Fe’ devient parfois aussi rapide que celui d’un dobro joué à la verticale.

Suit « Hold The Rain», qui donne son nom au second album, qui commence en Country Blues, rythmé d’un «golpe» (attaque du pouce du guitariste de flamenco) avant que le slide ne module sa note, la voix partant en espagnol Cubain aux mots mangés dans la bouche comme chez La Niña de Las Peinas ou Terremoto De Jerez, pour finir en pur flamenco, en pleine transe duende.

Pura_F__Hold_The_Rain.gif

Pura Fe' a rencontré Danny Godinez il y a deux ans par un ami commun et il lui présenta son compagnon George Soto, à qui est dédiée la chanson suivante, «Let Heaven Show», jolie Country Ballad à la voix plus aigue au refrain. Les harmonies des guitares se mêlent à celles des voix avec la simplicité d’un feu de camp indien.

Suit l’autre Protest-Song du premier album, «Rise Up Tuscarora Nation», qui, si elle commence par aborder les réserves et les subventions attribuées en fonction de la proportion d’indiens, est un chant d’espoir invitant le peuple Tuscarora à se lever et à défendre ses territoires, sa langue et sa culture, ses traditions sur des accords de Blues Slide. Dans le final, Pura Fe’ retrouve les rythmes et les voix des pow-wows de sa tribu dans son scat, de sa communauté de femmes qui chantent toutes, puis la ferveur a cappella d’une preacheuse indienne appelant à l’union de son peuple.

Pura_F__tribu.jpg

Elle laisse la scène à Danny Godinez, qui fait une démonstration de guitare acoustique époustouflante, citant même « Here Comes The Sun», dernier rayon de soleil de George Harrison sur l’ultime album des Beatles, «Abbey Road », en 1969.

Pura_F__Godinez_solo.jpg

Pura Fe’ revient avec «Summertime», dans l’une des plus belles versions de ce début du XXIème siècle, pour ne point faire insulte à celle d’Ella Fitzgerald ou à celle plus Rock, de Janis Joplin et Big Brother & The Holding Company sur «Cheap Thrills», album à la pochette dessinnée par Robert Crumb.

Janis_Joplin_Cheap_Thrills.jpg

Elle apprit cette chanson de sa mère qui la lui chantait comme berceuse et l’interprétait souvent chez Duke Ellington (autre Indien). Le rythme est plus syncopé que sur le disque, puis le couplet se mue en cri, avant un solo entre flamenco et mexicain de Gardiner, suivi d’un second chorus partant d’un cri d’enfant noyé de Blues, puis de plus en plus profond en voix de gorge, et un scat babillant de joie, puis la surprise d’un couplet dans un français aux accents créoles.

Pura_F__mer.jpg

Après d’autres chansons des deux albums, nous aurons droit en Bis, en solo, de chants indiens, puis à une nouvelle chanson, «Standing Up For Human Pride » contre George Bush et tous ceux qui attisent la haine entre les peuples : les gens doivent se battre ensemble au-delà des couleurs et des classes sociales, citant "War" une chanson contre la guerre des Temptations, reprise en choeur par le public comme à un meeting du free speech movement avec Joan Baez..

Pura_F__montagne.jpg



Il était temps que les fils et filles des nation Indiennes décimées et niées reprennent à leur compte les grands genres de la musique protestataire américaine. Avec Pura Fe', c'est désormais chose faite.

Jean Daniel Burkhardt