Wammeedd réunit la Chanteuse et joueuse d'oud Palestinenne Kamilya Jubran et le musicien électronique suisse Werner Hassler dans un duo au-delà des préjugés culturels et géopolitiques autour de textes de poésies orientales contemporaines chantés. "Wameedd" signifie "étincelle", celle peut-être du bois naturel de l'oud et de ses cordes allumant dans leurs prolongements dub électroniques les illusions sonores d'autres instruments naturels absents: cordes d'un qanun (cithare à plectre pratiquée dans le même esprit d'ouverture ethnique avec le flamenco de Pedro Aledo et avec l'électronique des synthétiseurs par le syrien Abed Azrié sur leur album "Suerte"), harmonium portatif Pakistanais à soufflets, , orgue oriental, de barbarie ou à verres d'eau, autant d' ancêtres traditionnels de l'électronique semblant en resurgir par instants, clarinette turque "zurna" électronique ou guimbarde soudaine.

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Quelques danses rythmiques aussi, ébauchées dans les tapotements de Kamilya Jubran sur son oud introduisant un univers à la Natasha Atlas que Werner Hassler prolonge en dub comme Jah Wobble en son temps, ou suggérées par des claquements de mains rythmiques de mariages sans youyous ou transes des musiciens Gnawas.

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Le tout appelle à la rêverie sur les paroles des poèmes et la voix de Kamylia Jubran, Werner Hassler érigeant des minarets sonores, inventant dans ce désert sonore des bruits de pas lourds, comme de chameaux ou d'élephant répondant à ceux du poète de Beyrouth Paul Shaoul dans "Amshi", ou se liquéfiant en oasis rafraîchissantes, puis tremblant de la chaleur fièvreuse qui nous trompe et fait s'évanouir devant nos yeux leurs mirages, en espèrant que le rêve se fût prolongé.

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Parfois le rêve nostalgique tourne au cauchemar de la guerre dérangeant l'ordre naturel d'une enfance solaire (toujours Paul Shaoul dans le triptyque "Nafad Al-Ahwal" : Les conditions éreintantes), mais cette violence qui menace dans la musique de Wameedd semble toujours s'arrêter juste avant d'éclater, comme larvée, obsessionnelle mais n'étant jamais musicalement qu'un présage, jusqu'au cri final, ultime, comme le "cri trop longtemps étouffé" du dernier poème, ,"Mira'at Al-Hijarah" de Fadhel Al-Azzawi, poète Irakien exilé à Berlin et très dur à trouver dans son propre pays, cri modulé dans l'aïgu de Kamilya, éclatant comme un orage pressenti, fracassant quand on ne l'attendait plus mais évident comme si toute la prestation tendait vers cette explosion, soulignée par la machine dont les échos la prolongent dans ses dernières résonnances jusqu'au silence final...

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Et si le secret de l'unité de ce duo magique qu'on penserait improbable se cachait dans le mot étrange et beau d'un des poème d'Aïcha Arnaout, poètesse Syrienne rencontrée par Kamilya Jubran à Paris après avoir lu son livre? Dans "Ankamishu'", elle parle de "géminé invisible", paire dont les doubles ne seraient pas en contact ensemble...Plus que son "géminé", l'électronique semble naître de la voix comme son prolongement naturel et l'entourer à la fois comme une mer où elle nage, ou comme un écrin protège un bijou. Gémellité, gémination indissociable de ces deux musiciens, à la fois un et multiples. Indissociable et impensable complicité dont les mystères semblent insondables, entre poésie, voix, bois naturel, cordes et prolongements électroniques infinis.

Jean Daniel BURKHARDT

P.S. En commentaire, les amateurs de poésie orientale trouveront la version longue de cet article, plus cursive et transcrite de mes notes pendant le concert, le nom des poèmes, des poètes, etc...