La meilleure surprise de ce Vendredi 28 septembre, premier soir du festival de l'Ososphère à La Laiterie de Strasbourg, plus voué aux musiques électroniques, mais dont la programmation cache quelques groupes live originaux, fut le groupe Hip Hop Nantais "Hocus Pocus", servi par un VRAI groupe de scène, ce qui est aussi rare en France qu' Outre-Atlantique (exception remarquable des années 90s, un peu oubliée, les "Smokin' Suckaz With Logic" dont on a plus entendu parler depuis, servis par une section rythmique basse batterie live), "Accoustic Hip Hop Quintet" comme l'annonçait l'un de leur premier EP, rompu aux subtilités du Jazz, de la Soul et du Funk (piano-fender rhodes/guitare/basse/batterie) en plus du MC 20 Syl aux textes positifs et au flow chantant et musical et de DJ Greem aux platines brillant par sa musicalité dans les scratches et l'originalité de ses samples éclectiques.



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Ils ont déjà sorti en en 2001 leur album "73 touches" et viennent de sortir le 8 octobre "Place 54". Sur "73 touches", le titre éponyme est un magnifique hommage aux grands du Jazz comme Billie Holiday ou Miles Davis et leur lutte dans une Amérique encore ségrégationniste. Le très original "Pascal" racontait la vie d'un billet de banque (idée déjà exploitée par Bernard Lavilliers à ses débuts) volé, joué, perdu, niché dans un soutien-gorge avantageux, copié, pour finir par "C'type mal rasé m'a crâmé sur un plateau téle et j'suis mort en héros", référence discrète et subtile à une provocation de Serge Gainsbourg.

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Sur la chanson "J'attends", on aurait cru, à l'écoute du disque que la magnifique voix soul reprenant en contrechant "I'm Waiting" était un sample d'un grand chanteur soul, tant elle était belle et émouvante. Surprise sur scène, elle s'avère être celle du guitariste, qui s'avère très polyvalent, quoique discret: on le devine capable de jouer Blues, Jazz, Soul ou encore Funk. 20 Syl dépasse lui aussi les attentes d'un MC en se révélant un authentique chanteur, très musical dans son flow (partageant cette capacité d'improvisation vocale avec Nyah, chanteur d'Erik Truffaz, et Kokayi Outre-Atlantique, membre d'Opus Akoben et des "Metrics" du saxophoniste Steve Coleman), capable également d'effets bucaux plus bruitistes par sa maîtrise de la technique du Beat Box, et tirant d'un mini-clavier des sons très originaux.

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Les chansons du prochain album "Place 54" (sorti depuis le 8 octobre) s'avèrent tout aussi prometteuses. Dans l'une d'elles, 20 syl parle du Rap US Américain, déplorant la vulgarité de son vocabulaire ("trop de mots comme "shit", trop de mots comme "fuck", trop de mots comme "bitch""), puis avouant: "Mais y'a aussi des mots en anglais que j'aime: des mots comme "Love", des mots comme "Peace", des mots comme "Jazz", des mots comme "Soul", des comme "Funk", des mots comme "Hip Hop". Hocus Pocus semble avoir remis dans le rap la tolérance et les idées positives et généreuses du "Peace & Love" hippy des années 70s, mais ce fantasme nostalgique très personnel n'engage que moi. Toujours est-il que le Hip Hop d'ici et d'ailleurs devrait prendre exemple sur cette belle générosité positive pour sortir de l'ornière de la provocation gratuite et des stériles appels à la haine! Autre déclaration d'amour aux musiques noires, ce jeu de mots: "J'aime la Soul, j'la saoû-aoûle/ plus de 3 g d'amour dans l'sang", avec des samples vocaux noirs et soul montrant que cette référence n'est pas qu'une pose et qu'ils connaissent vraiment ce répertoire, ce qui fait chaud au coeur. Enfin, la chanson la plus émouvante à mon sens, tant pour son message que pour le sample lancinant de la voix de Césaria Evora, Diva aux pieds nus Capverdienne chantant son "Petit Pays, Je t'aime beaucoup", répondant à un texte engagé, critique sur la France que 20 syl dit vouloir aimer beaucoup, mais sans pouvoir oublier "ses 60 millions de gosses", son racisme ordinaire, ses 25 000 expulsions de sans-papiers prévues, et concluant l'important n'est peut-être pas seulement que cette jeunesse l'aime, mais quelquefois la France leur dise aussi qu'elle les aime... Pourquoi cet engagement lucide m'émeut-t-il tant par sa part de naïveté et de rêve? Un solo de fender rhodes bien chaloupé nous fait rêver aux douceurs capverdiennes, suivi d'un solo de guitare bluesy. Pourquoi surtout cela semble-t-il tellement plus limpide quand cela coule de source dans la voix de Césaria Evora, qui pourtant parle d'un "petit pays" si pauvre, mais où peut-être on sait encore se contenter de peu, de la joie simple d'un poisson pêché dans la mer, et cela semble-t-il si compliqué chez nous? Question de climat je suppose, à tous les sens du terme, bonne idée de base pour un texte de rap, mais ça a déjà été fait, je suppose. D'un amour à sens unique à d'autres inavoués, la transition vers "J'aimerais" "conjuguer ce verbe au présent" est naturelle, avec un bel accompagnement de fender rhodes et des cuivres samplés et des voix soul en contrechant, qui devient sur la fin brusquement plus énergique quand la guitare part en rock up- tempo, 20 syl invitant le public à sauter en l'air dans une folie collective de mains levées et de cris d'enthousiasme. Les musiciens sont présentés eux aussi comme des danseurs instrumentaux: Matthieu aux claviers en "Travolta des touches blanches et noires" suivi d'un solo Jazz-Rock, Hervé à la basse (encouragé d'un "Hit Me!" plus proche de son initiateur James Brown que de l'imitation palotte qu'en a fait avec le groupe No Jazz Thierry Ardisson dans "Salut Les Terriens") en James Brown, Antoine à la batterie s'illustre par un roulement, David, guitare ("Hit Me") et voix, suivi d'un solo où le jeu des cordes blues se mêle à sa voix soul dans un accord joué/chanté évoquant Jimi Hendrix, DJ Greem aux platines démontrant une fois de plus la rare musicalité de ses scratches (procédé inventé, pour la petite histoire, par le jeune Théodore Wizard écoutant un disque dans sa chambre d'adolescent quand sa mère y entra pour lui parler, et arrêtant le disque avec ses doigts le temps de l'écouter, puis le faisant redémarrer en arrière avec un effet qu'il trouva intéressant, d'après Ariel Kyrou dans "Techno Rebelle") et dont les samples vocaux semblent, vivants, avoir un souffle, une respiration, prendre ou reprendre vie sous ses doigts. Bref un vrai groupe de Hip Hop live capable nous faire danser, rêver et penser, de nous rappeler les musiques qui se sont battues pourque sa parole libre existe: Blues, Jazz, Soul, Funk et Groove et toutes les musiques de l'Afrique déplacée avec les esclaves au large sur des îles comme Le Cap Vert, capable de réinjecter leur énergie communicative et leur émotion dépassant la seule nostalgie dans le Hip Hop actuel, porté par des textes parfois engagés mais toujours positifs, souvent poétiques, bref des références et un bon esprit qu'on espère bientôt partagés par d'autres groupes ici et Outre-Atlantique. en attendant merci à eux d'ouvrir cette nouvelle voie rare et pleine d'espoir qui vaut déjà pour elle-même.

Le festival de l'Ososphère se proposait également de faire découvrir les nouvelles créations visuelles en vidéo et arts visuels de jeunes artistes contemporains ou des oeuvres crées pour l'occasion. Celle qui attira surtout mon attention était une chaise suspendue, sous laquelle se trouvait un échaffaudage aux fins barreaux protègeant des néons colorés. Jusque là rien de spécial. Mais si attiré par les néons comme un insecte ou un papillon de nuit par la lumière on s'en approchait, on entendait le chant d'oiseaux amazoniaques répondant à la présence humaine, diffusée par des hauts-parleurs tapis dans l'ombre que l'on n'eut pas soupçonnés tout d'abord. Moralité: mettez un néon en cage, il chantera comme un oiseau! Avec plus d'exercice, vous aviez l'impression que la musique réagissait à votre présence, comme les ondes d'un theremin à la main qui s'en approche, et en touchant les cordes délicatement ou en y passant une main courante, vous aviez parfois l'impression de composer une sorte de symphonie urbaine et trop sauvage pour se laisser enfermer dans quelque principe que ce soit, d'où l'insondable et pénétrant mystère de la chose, qui m'a fait y revenir plusieurs fois, à chacun de mes passages...

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Plus tard dans la soirée, le groupe de Hip Hop local "Steppah Huntah" se présentait lui aussi dans sa formation Live pour un set hélas trop court entre une heure trente et deux heures trente du matin. Il est né de la rencontre de la pianiste de Jazz russe Oless T (claviers divers et à la voix) et de Steven J, à la fois contrebassiste dans des groupes de Jazz Manouche de la région (l'ensemble d' Engé Hemstetter, notamment) et DJ Funk, Soul et Afro et Break Beat, ici à la basse électrique, complétés de Fabrice Lauer, clarinettiste habitué des comédies musicales manouches du Festival International Tzigane, au saxophone ténor, et de Jazzamar, flûtiste de Jazz du duo New Tropic, bien plus à son avantage dans cette configuration live que cherchant à se faire entendre face aux DJs électros de la Salamandre, enfin, deux MC, une chanteuse noire avec beaucoup de soul et de feeling, épaulée d'un rappeur. Les arrangements, les chansons, les solos, tout était énergique et mélodique, et il faut une grande mise en place aux solistes pour se faire entendre face à un groupe aussi électrique, ce dont ils n'ont pas manqué. Bref, un bon son de groupe collectif mais permettant également aux individualités musicales de se faire entendre.

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Le lendemain Samedi 29 septembre, le concert le plus intéressant était celui de Jimi Tenor & Kabu Kabu Jimi Tenor est un chanteur, saxophoniste et claviériste finlandais, qui physiquement ferait plutôt penser, avec ses lunettes rectangulaires et ses cheveux blonds, à Peter Sellers dans Austin Powers. Mais il arrive sur scène drapé dans une cape stellaire afro digne des théories cosmique de Sun Ra et joue de son fender rhodes de manière toute aussi spatiale que lui. Passionné d'Afro Beat, il joue du saxophone comme le pionnier du genre, Féla Kuti, dont il a d'ailleurs récupéré un des percussionnistes, Nicholas Nettey, pour son dernier disque "Joy Stone" sorti en 2007, et ici pour ce concert, au sein de son trio Kabu Kabu. Sur le disque, le titre "Hot Baby" alterne la chaleur africaine et percussive de l'Afro Beat avec des breaks funky-disco plus lents aux soupirs féminins jouissifs. Faute de choristes féminines sur scène, Jimi Tenor scratcha avec les pales du petit ventilateur de son fender rhodes, modulant de la sorte en s'en servant comme d'une sourdine animée ses vocalises dans les aïgues, les cuivres partant ensuite dans un free groove énergique., puis la guitare se fendant d'un solo digne d'un fim série B des années 60s Swinging London. Vous l'aurez compris, quoique né à Helsinki, Jimi Tenor mérite son titre de nègre blanc de l'Afro Beat Finlandais.

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Paradoxe, il le mériterait même plus qu'"Architecture In Helsinki", groupe pop venu d'Australie sans leurs invités donnant parfois à leurs disques un aspect festif de fanfare électro pop, où pourtant il fait bien plus chaud, me semble-t-il. Des hasards des noms de groupe, de leur origine fantasmée par leurs influences... Plus au Nord encore, les trois chanteuses de Gus Gus dont la principale, plus brune et plus douée avait orné son bras d'une sorte d'aile de libellule et de maquillages de grande prêtresse nocturne du fond des âges, étaient accompagnées de deux DJs dont l'un, barbu et chapeauté de noir, venait parfois tenter de semer la panique en chantant d'une voix d'outre-tombe sur le devant de la scène, en vain.

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On pouvait continuer dans les mélodies Afro Beat et Funk avec la sélection du DJ Nu:Form, dernier rempart de la musicalité contre la techno-BOUM BOUM hardcore ou house qui ne m'inspirait que la fuite avant même de franchir le seuil des salles qui la proposaient...

Jean Daniel BURKHARDT