Le dimanche 17 juin, sous un temps nuageux, mais qui n'a fini par tourner à l'averse orageuse annoncée vers 16 h qu'après 20 heures, le Festival Contretemps se metttait au vert en investissant le Jardin Des Deux Rives de Strasbourg pour les "Pelouses électroniques" proposant gratuitement d'intéressants groupes et DJs locaux.

 

Tout d'abord Selekta Sens, DJ Reggae Dub que les amateurs de soirées Sound-Systems connaissent déjà, montra pour l'occasion par sa sélection de disques Jamaïcains que le reggae pouvait aussi "groover" sur fond de dub jungle, ce qui donna une autre vision de ces musiques qu'on connaît davantage plutôt pour leurs propriétés relaxantes ou propices à la rêverie.

On put ensuite découvrir deux DJ de Mulhouse, Shady Wide (Shad à l'origine, ainsi surnommé par ses amis pour les sons spatiaux qu'il qualifie de "Wide" dont il émaille ses mixes) et Vax'1, parfois croisés lors de soirées électroniques. Shady Wide commence en référence au "Swing" du Jazz des années 30s par une version remixée du célèbre "Rockin'In Rythm" de l'orchestre de Duke Ellington (air sur lequel le facétieux Duke avait pris l'habitude de présenter au public "leur pianiste", et profitant des éclats de rire pour rejoindre le piano déserté qui les avait provoqués, puisqu'il était pianiste et chef d'orchestre), mais lui appliquant un traitement moins ringard et plus intéressant que le "C'C'C'om'on ev'rybody" en boucle de "Twist Again" du remix pour boîtes de nuit d'"In The Mood" de Glenn Miller en prélude à un medley de vieux Rock'N'Rolls que son rythme Boogie Woogie et ses crescendos de cuivres empruntés à l'orchestre Count Basie, véritable créateur noir du "riff" appliqué aux unissons de la section de saxophones annonçaient, faisant oublier que le pauvre Glenn Miller n'arriva jamais à La Libération, son avion ayant disparu en mer, par un faux lapin " Jive Bunny", mais qui ne valait donc pas la vieille voix de DJ (au sens primitif d'animateur radio présentant des musiques enregistrées live dans les clubs) américain ou de film rétro appliquée ici par Shady Wide et plus raccord pour ma nostalgie de ces années, dont ce remix fut la seule trace tout au long du festival. Suivit un morceau Funk Soul intéressant par l'union des cordes de guitares rétro à la Shadows et d'un instrument à cordes africain. Dans le premier son "Wide" de Shaddy, dans les graves, une vache semble apprécier la musique en accompagnant d'un meuglement repris en boucle (faire groover une vache, faut le faire: c'est lourd une vache et normalement ça préfère voir passer les trains sans que rien ne puisse la tirer de l'inertie de sa torpeur ruminante!) un riff de James Brown qui se révèle un bon solo de saxophone ralenti de Macéo Parker ou autres "Funky People" (disques de James Brown et ses musiciens sans tubes et en petit comité où l'on peut davantage apprécier les solistes d'exception qu'ils étaient et James Brown à l'orgue Hammond dans d'excitants instrumentaux ou derrière des chansons interprétées par Lyn Collins. Le solo de Macéo Parker dans "You Can Have Watergate But Gimme Some Bucks And I'll Be Straight" : "Vous pouvez avoir le watergate, mais donnez-moi du fric et je me tiendrai à carreau", enregistré au lendemain du scandale du Watergate qui mit fin au mandat de Richard Nixon avait déjà été samplé anonymement par De La Soul pour "Ring Ring Ring" et les Stereo MCs pour leur apporter quelque chose dont leur musique manquait mais que tout le monde y adorait sans le reconnaître), avant un solo de Fender Rhodes. De là à la jungle urbaine chère à la Blaxploitation (films de série B mettant en scène des noirs comme le premier "Shaft", policier noir servi par une musique mythique d'Isaac Hayes, le "Black Moses", ou la future actrice du "Jackie Brown" de Quentin Tarantino) il n'y a qu'un pas, mais ici il nous mène aussi en Afrique ou dans les Caraïbes par l'adjonction de percussions, dont d'ailleurs le percussionniste Nilaja jouait déjà dans l'un des premiers groupes de hip hop avant l'âge, les poètes de rue des "Last Poets": Abiodun Oyewole, Omar Ben Hassan et Alafa Dudin, plus connu aujourd'hui sous le nom de Jalal Nurridin, tels que les découvrit à la Télévision locale puis dans leur quartier à ses risques et périls s'ils n'avaient pas été là le producteur de leur premier disque, le contrebassiste de free jazz Alan Silva, en ce temps ou les balbutiements du hip hop se faisaient dans des groupes live à la parole vivante et improvisée à partir de la réalité de ces quartiers.    

Vax'1 succède à Shaddy Wide aux platines avec une guitare à la John Mc Laughlin dans les disques Jazz Rock Funky Fusion de Miles Davis comme "Jack Johnson", improvisé avec Sonny Sharrock (guitariste électrique free et gros consommateur de médiators-bouts de plastique accèdant aux cordes pincés entre les doigts- car il les broyait, les brisait de ses attaques violentes contre les cordes, s'en enfonçant des poignées dans la bouche sur scène) pour la musique d'un film dédié à ce grand boxeur noir américain des années 20s ou "On The Corner" (disque plus indigeste annonçant la drum'n'bass mais dont l'idée était, entre deux solos de sitar de Collin Walcott, de faire groover la musique classique très contemporaine et sérielle de Karl-Heinz Stockhausen), mais ce doit être un instru Funk, je suis loin de connaître toute cette musique. Un voix funky exhorte sans succès le public allongé dans l'herbe à se mouvoir en dansant: "Get Up On Your Feet And Start To Môôôôôve", mais sur un Beat Rock 60ies à la "Louie Louie", probablement repris par le funk comme beaucoup de chansons de rockeurs blancs, quand l'original n'était pas noir et plus méconnu, repris par les blancs avec davantage de succès.

Shady Wide revient aux platines, enchaînant sur un bon Beat bien Groovy, avec des cuivres et une voix noire si authentique qu'on ne saurait dire si elle appartient à un héros du Funk ou de la Soul ou à un des innombrables Bluesmen itinérant qui les précédèrent dans des conditions difficiles de racisme et de ségrégation au début du siècle dernier, se faisant parfois casser leur guitare pour tout paiement par des fermiers blancs après avoir animé un bal pour leurs ouvriers agricoles, comme le raconte Big Bill Bronzy.

Vax'1 revient avec un vibraphone au rythme latin (le vibraphoniste blanc Cal Tjader s'intéressait beaucoup aux musiques afro-cubaines et engagea même le percussionniste cubain Mongo Santamaria aux congas, mais je suis sûr que le vibraphoniste noir Roy Ayers, souvent samplé et remixé anonymement, doit être également l'auteur de quelques perles "latin soul" du genre) fait danser une bonne section de cuivres datant de la période "jungle" (années 20/30s, où les trombones et cuivres à sourdine rappelaient les forêts d'une Afrique fantasmée à la jungle urbaine) de Duke Ellington comme dans "Black Beauty", à moins que ce ne soit les cuivres plus tardifs de Latin Jazz ou de la Salsa, harmonieusement marriés à des percussions batucada Brazil qu'ils n'ont pu historiquement ou géographiquement connaître ou rencontrer, d'où le miracle. Comme souvent, le plus intéressant dans les musiques électroniques et le mix, c'est cette possibilité de rencontres improbables ou impossibles pour des raisons temporelles, géographiques ou culturelles. Le tempo latin se fait "cosmic funk" (au sens du disque "Zodiacs" de Cannonball Adderley), où continuent de voleter des cuivres mambo, un vieux saxo et une trompette solistes, sous les acclamations de "Youououou" stellaires, où explose soudain le Big Bang de roulements de batterie ou de percus latines.

Shady Wide à nouveau aux platines avec un gimmick vocal "Feel Free!" introduisant un intro cosmic funk avant des cuivres swing et retour à la jungle urbaine avec des sirèèènes de police "wide" évoluant dans un Groove urbain aux claviers intéressants, samplés dans deux solos, accoustique puis électrique qui se succèdent en boucle comme une valse folle du passé avec le présent et vice versa. "We Are Bright Lights in Big Cities, Bright Lights in Big Cities We Are..." annonce une voix de preacher noir comme ceux qui galvanisaient les foules de Gospel et de Negro Spirituals dans les églises et celles qu'on entend présentant Art Blakey ou Cannonball Adderley dans des concerts au Birdland sur des disques Blue Note: la même énergie, la même émotion du sacré au profane, de l'église à la musique. Comme un rappel de l'histoire de ce terme, deux voix noires (un homme et une femme) bien cassées qui pourraient être aussi bien des vieux Bluesmen vieux comme le monde que des chanteurs Funk Soul finissent le set par des "Funky Funkyy" en duo: "Funky" signifiait, pour les racistes blancs du Sud, des Etats Unis, l'odeur supposée nauséabonde des noirs, mélange de sexe, de sueur et de musique blues ou jazz, et fut repris à leur compte par des musiciens de Hard Bop noir comme le pianiste Horace Silver (auteur d'un "Opus De Funk") et le batteur Art Blakey dans les années 50s pour un Jazz revenant au rythmes churchys du Gospel et du Negro Spirital dans les églises, avant de devenir le style musical "Funk" créé dans les années 60s par James Brown qui osait enfin dire "Say It Loud: I'm Black And I'm Proud!". Et là on mesure l'étendue du voyage couvrant toute cette histoire grâce à ces deux DJ.

Suivit un groupe de Hip Hop live et sans platines, "Last Minutes", également de Mulhouse, au leader noir charismatique MC Tah'Reek, aux textes sensibles évitant les écueils de la révolte gratuite pour des revendications légitimes ("J'veux finir ma vie au soleil"), avec une bonne chanteuse soul de charme, jazzy, scat ou classique parodique dans le morceau présentant tous les musiciens, un clavier 70ies dont le chanteur-rappeur qualifia le style de "Westcoast" (c'est vrai que j'avais déjà l'impression d'avoir entendu ces sons-là chez Stevie Wonder ou derrière Marvin Gaye, ou plus récemment en fond sonores de clips de Snoop Doggy Dog), sur une section rythmique bien réactive basse batterie (en particulier dans un duo avec le leader) à la "Smokin'Suckaz With Logic",un des rares groupes à avoir tenté le rap live sans aucune platine dans les années 90s, mais qui ont l'air bien oubliés aujourd'hui.

Puis Zero Klub, groupe electro jazz local à la Erik Truffaz qui m'était inconnu, mais réunissant des jazzmen locaux émériteset tout-terrain (Serge Haessler à la trompette à la Miles Davis et aux sons incroyables apparemment sans effets comme Truffaz dans les plages les plus rock et violentes de "The Walk Of The Giant Turtle" et Guilain Muller, membre fondateur du "Vibraphone Spécial Project", "VSP Orchestra" au vibraphone "ambient" et "space" montrant qu'un vibra peut aussi faire cet effet que des effets électroniques) avec deux DJs aux beats et interludes extraits de dialogues de films vraiment intéressants. Un MC américain de Woodstock (mais qui heureusement ne nous apporté ni la pluie ni la boue du célèbre festival lors du mythique "Summer Of Love") apporta la mélodicité savoureuse de son accent à celle de ses textes haranguant le public pouqu'il danse, mais seuls deux gamins étaient assez décomplexés pour le faire ou n'avaient pas encore cette peur adulte du ridicule qui précède mentalement les rhumatismes. Enfin, en interlude, le même joueur de Beat Box montra qu'il pouvait avec sa simple bouche amplifiée d'un micro étonner tout autant par ses effets sonores qu'un DJ comme s'il avait en lui des samples de voix et sons intérieurs innombrables.

 

Enfin, Shuya Okino de Tokyo Jazz Massive, DJ Japonais qui s'était produit la veille à "L'Open" d'Hautepierre dans le cadre du festival, en surprise, nous gratifia d'un set de rythmes Brésiliens et cubains mêlés sous des claviers 70ies où flottaient des voix soul. Une étudiante japonaise qui chantait de bossa nova m'avait dit un jour qu'au japon le jazz et la bossa sont beaucoup plus pratiqués dans les clubs qu'en France. Son set fut interrompu par l'orage d'une pluie battante dispersant les auditeurs et les organisateurs de cette belle après-midi qu'elle aurait pu interrompre bien plus tôt, à en croire la météo et les nuages.

Jean Daniel BURKHARDT