Avant le concert d'Outlines et le set de Paul Murphy, DJ Link, du duo Nu Tropic qu'il dirige avec le flûtiste Jazzamar bien connu des amateurs de soirées Funk Soul de La Salamandre par ses tentatives pour s'imposer auprès des DJs avec une flûte traversière, méritoires mais souvent noyées dans leur amplification sonore. Ce duo vient de lancer le label Jazzmin Records et d'y publier un album de remixes Brazil, dont "Sambador" avec la chanteuse Anna Torres, remixé par Franck Roger.

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Et il est indubitable dès les premiers rythmes que nous sommes ici avec DJ Link à la source de ces musiques Cubaines et Brésiliennes. Je crois y reconnaïtre la voix haut perchée à la fois presqu'enfantine et vieille comme le monde de Lazaro Ros, chanteur de Guaguanco traditionnel (musique de transe Afro-Cubaine issue de la Santeria (synchrétisme religieux alliant la religion catholique imposée aux dieux africains des esclaves noirs yorubas) à base de percussions et de chants dont la langue transmise oralement a évolué différemment des dialectes africains qui en sont à l'origine, jusqu'à en devenir incompréhensible à eux-mêmes et qui donna naissance à la rumba), mais qui fut aussi ouvert aux autres musiques jusqu'à la pop music qui joua avec le groupe fusion cubain Mezcla un "Akété Oba Oba" repris dans la compilation "Planet Soup". Dèjà le joueur de Congas Bernard Maury accompagne DJ Link en sourdine avec une joie non dissimulée pendant la balance. Coutumier du fait, on l'a vu jouer en live à des soirées Salsa et il a monté il y a quelques années son propre projet solo autour des percussions afrocubaines. Bonne introduction à cette soirée où les musiques électroniques devraient se mêler aux rythmes solaires de la Salsa avec Paul Murphy et de la Musique Brésilienne avec Link. Après un instru Jazz Rock Afrocubain m'évoquant Irakere, le piano obsédant de la Salsa passe en boucle, alors qu'il faut le traquer dans un morceau de salsa derrière les cuivres ou l'attendre jusqu'au solo à la fois rythmiquement répétitif et partant parfois dans des cavalcades de citations de chansons cubaines ou de standards de jazz, mais mixé ici sur un rythme de batucada électronique brésilienne! Voilà le genre de rencontres impossibles que permet le DJ, devenant le plus court chemin entre le Brésil et Cuba, ces deux creusets rythmiques principaux des musiques latines aux traditions inconciliables car géographiquement éloignées par l'Amérique Centrale, les îles Caraïbes de St Domingue et de la Jamaïque et de larges étendues d'eau, Cuba étant une île, mais géographiquement plus proche des Etats Unis et donc du Jazz par la radio que la musique Brésilienne qui fut plus longtemps indépendante dans sa tradition musicale. De quoi faire des pas de salsa d'un pied tout en claudiquant de l'autre comme si l'on dansait sur des braises jusqu'à la schyzophrénie chorégraphique.




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Arrive le concert d'Outlines. Ce combo désormais Parisien a été découvert grâce à leur remix de "Just A Lil Lovin'" finalisé par son chanteur Irfane membre du collectif strasbourgeois "Rising Suns" en y ajoutant une ligne de basse accrocheuse, qui atterrit au QG du label Jazzanova, où le DJ acid jazz Gilles Peterson le découvre, le passe en soirée et le single provoque un buzz jusqu'à l'hystérie collective comme celui des Daft Punk qui n'a rien changé à leur anonymat volontaire derrière leurs casques de motards, cachant peut-être des extra-terrestres roses et mauves comme dans leurs clips à l'esthétique de dessins animées de science-fiction japonais. Ils viennent de sortir leur premier album début juin, incluant "Listen To The Drum". Le groupe est constitué d'un chanteur, Irfane, de deux choristes, d'un clavier surmonté de boutons électroniques, d'une batterie et d'une basse électrique. Lors du premier morceau, le clavier part dans les boutons électroniques provoquant à partir des notes jouées une nappe de son ambient, puis la guitare part en riff aux accords afro beat, flamenco, ou funk cool à la Chris Réa (On The Beach) suivant la voix d'Irfane, chanteur Soul émouvant et charismatique. Lors du second titre, le claviériste montre qu'il est aussi capable d'un vrai solo de clavier sur un groove à la Weather Report, observant le précepte de Joe Zawinul, clavier de ce groupe de Jazz Rock mythique: "Jouer accoustique sur des claviers électriques ou électroniques." Le chanteur annonce "Don't You Know", et là, le piano part en salsa, une vraie surprise, avant une explosion guitaristique digne des années 70s. Suit un titre entendu l'an dernier "Just A Matter Of Time", mais repris plus funk, et qui finit par une exhortation reprise de James Brown au "Soul Power" (sur l'album live "Love Power Peace"de James Brown, le chanteur Bobby Byrd assurait la seconde voix éraillée et puissante), qui culmine en énergie Rock suivie d'un sample de la section de cuivres de James Brown, les fameux J'Bs, et retour au thème de "Matter Of Time" pour le dernier couplet. En introduction au titre suivant, les deux choristes unissent leurs voix dans un effet proche de celles acidulées de Massive Attack, puis le tempo se fait ska/pop anglaise à la Pulp ou The Cure (Love Cats), le pianiste orne le tout d'un solo stride désuet et briguebalant à souhait, typiquement vieux style, montrant qu'il maîtrise la tradition du jazz de ses origines à son actualité, se révélant décidément plein de surprises, la batterie s'alourdit, la guitare répond par un solo trash. Le concert touche à sa fin, et Irfane l'identité de ses accolytes "...et au clavier, Vincent Bidal!". Et là je comprends tout.

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Derrière un début de bouc, je n'avais pas reconnu le pianiste déjà vu avec le groupe de salsa "Candela" dirigé par le saxophoniste colombien Hugo Hernandez, par ailleurs directeur du "Jazz Band de Haguenau", puis vu et entendu sur l'album "For Magnio" du guitariste manouche Yorgui Loeffler. Il faut dire qu'il a été à bonne école, ayant été formé par l'excellent pianiste Grégory Ott, dont on a pu apprécier les transes soul ou funk au fender rhodes avec "Panoramic Blue" et "Moglaz" ou salsa dans le groupe "Sonando", et le piano varié avec son propre trio avec le très pastoriusien bassiste électrique Franck Bedez.

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Pour finir, Paul Murphy est considéré comme un des instigateurs du revival jazz anglais dans les années 80s d'après le documentaire "Jazz In Britania". Quoique DJ, il a fait partie de la scène Jazz et Latine, mixant souvent après les concerts de Weather Report, Tito Puente & Célia Cruz, Art Blakey & The Jazz Messengers. Elu meilleur DJ 2006 lors des BBC1 Worldwide Awards de Gilles Peterson, il a sorti son single "Jazz Room", puis son album "The Trip" sur son label Afro Art en 2006 et se consacre à 50 ans à son nouveau projet, l'Afro Arthouse, en revisitant les thèmes funkys de ses films Arthouse préférés (2001 L'Odyssée de l'Espace, Goodbye Lenin, Ghost Dog ou Get Carter). Son set commence très fort avec un remix de la chanson cubaine "Baila Mi Gente" de Célia Cruz et la Sonora Matancera (groupe Guaguanco de de Matanzas) sur l'album éponyme mais mixé avec des percussions brésiliennes, puis fut émaillé, entre deux salsas, de thèmes Latin Jazz de Dizzy Gillespie, Cubop (bop aux rythmiques afrocubaines) de Kenny Dorham ("Afrodisia" extrait du disque Blue Note "Afrocuban Dorham" avec le percussionniste cubain Carlos Patato Valdès aux congas), et d'Horace Silver ("Song For My Father") ou Art Blakey, montrant bien que ce témoin de ces musiques mythiques aux protagonistes aujourd'hui disparus les a gardées en lui et continue d'en maintenir la mémoire vivante. C'était la plus belle façon de réconcilier Jazz, tempos latins et électroniquue en cette fin de soirée.




Jean Daniel BURKHARDT