Tawfiq Ouldammar est un pianiste de Jazz né au Maroc qui découvrit cette musique dans les bases Américaines des années 70s où les Jam sessions permettaient aux novices de côtoyer des jazzmen plus expérimentés.

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Avec Jamaâ El Fna en 1999, il enregistre ses compositions, accompagné d’un quartet composé du contrebassiste Pierre Boussaguet, du saxophoniste soprano Georges Herquerl (qui a depuis fondé avec Serge Libs le duo « Global Warning ») et du percussionniste Tony Marcos.

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Comme l’écrit Pierre Boussaguet dans le livret « Chaque Pays, chaque Terre a sa Culture et donc sa Musique. Aujourd’hui, en cette fin de siècle, l’homme voyage sans même se déplacer. Tawfik Ouldammar, en bon architecte, tend un pont entre deux univers musicaux qu’il aime et respecte ».

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En effet, c’est à partir de réminiscences classiques, et Debussystes que Tawkik Ouldammar accueille l’auditeur occidental, puis le piano mer aborde peu à peu les rivages de l’Orient dans JAMA EL FNA au bruissement progressif et entêtant des percussions cymbales crotales de Tony Marcos soutenu par la basse rappelant la guembri de la musique Gnawa de Pierre Boussaguet. Cette paire rythmique équivalente au tumbao afro cubain pour ce Jazz oriental de plus en plus groovy, emprunte au Jazz la liberté harmonique et aux musiques traditionnelles la ferveur rythmique, tandis que s’envole l’oiseau libre comme le vent multicolore en charmeur et serpent à la fois du saxophone soprano de Georges Herquel rendant hommage à la célèbre Jamâ El Fna, « place des trépassés » de Marrakech où l’on trouve souks et charmeurs de serpents.

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Dans AHOUACH, c’est le saxophone soprano qui expose le thème avec une innocence harmonique confondante entre Steve Lacy et certaines musiques limpides comme le bonheur solaire de la BO d’Eric Serra pour le « 37 2° Le matin » de Jean Jacques Beinex, puis le piano, les crotales et les peaux, enfin la basse ajoutent leur transe progressive pour permettre au saxophoniste de repartir de plus belle jusqu’au soleil free Coltranien, premier à s’être intéressé aux musiques traditionnelles d’autres continents que l Américain Le voyage nous emmène entre cette immobilité maintenue du thème très simple vers lequel on revient comme vers un phare indicateur, et la liberté d’improvisation de la rythmique, où quelque chose se passe, dans ce va et vient des marées s’éloignant puis y revenant, entre les battements de l’Orient du soleil des percussions, la mer aux innombrables sourires des cymbales brillant sur les reflets du piano et entre les deux le mât rythmique imperturbable d’équilibre de la contrebasse tenant la barre.

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Dans L’ALHAMBRA, c’est la basse de Boussaguet qui se fait indienne, puis le piano livre une autre belle mélodie à la Jarrett à Köln sur le bruissement d’eaux des clochettes des percussions. L’Alhambra, c’est bien sûr celle de Grenade, vestige de l’occupation Arabo_Andalouse, mais peut-être plus encore sa réplique de Marrakech qui propose bains et terrasse.

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SOUSS est à nouveau après l’introduction piano saxo plus festif, un peu Jazz Rock quoique acoustique à la Black Market (http://www.youtube.com/watch?v=D7fOetV0ha4) de Joe Zawinul ou rappelant le Sud Africain Abdullah Ibrahim alias Dollar Brand par le rythme entêtant, tribal du piano bien enfoncé aux fond des touches et le saxophone jouant les Wayne Shorter sur les percussions de peaux à la Manolo Badrena et la basse Gnawa.

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Enfin, Tawfik Ouldammar s’offre en solitaire, avec MOSAIQUE, le plus long titre du disque sur le beau souvenir de l’Espagne Arabo Andalouse et de cette technique décorative dans la mélancolie classique, mais rappelle aussi par ses aspects turcs, ou slaves ou balkaniques Bojan Zulfikarpaziç ou l’Arménien Tigran Hamasyan en solo dans ses hésitations et montrant un sens du suspense et du mystère indéniable.

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D’un titre à l’autre c’est du Jazz, par cette générosité du joueur individuel, soliste mais qui joue avec, en fonction du collectif, partage cette musique, quelle que soit la culture ou les références des autres, cet exercice d’écoute, de respect mutuel et de prise de risque qui fait du Jazz l’un des plus beaux exercices de démocratie musicale forcément directe car instantanée, et «la seule musique assez libre pour accepter toutes les autres » venues après elle, et plus encore comme ici, quand elle s’ouvre aux Musiques Traditionnelles autres que Nord ou Sud Américaines ou Européennes où le Jazz pénétra dès les années ou assimilant celles des caraïbes du Cubop au Latin Jazz. Cette ouverture aux musiqueS du monde est certainement le défi le plus passionnant pour le Jazz, à relever en ce nouveau millénaire.

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Et puisse cet exercice de démocratie musicale qui les précédait en 1999 en prophétiser d’autres, politiques, avec les Révolutions Arabes, même si c’est forcément plus compliqué!

Jean Daniel BURKHARDT