Dès « Portait Of Girgio Thelos », dédié à Ligheti et Thelonious Monk, lepianiste français Benoît Delbecq a toujours l’hypnotique tournoiement d’un balafon Africain trafiqué d’électronique à la Konono N° 1 ou une sanza dans les cordes de son piano préparé sans qu’on le voie l’actionner. Mais finalement le fonctionnement du piano n’est pas si éloigné de ces instruments : des cordes frappées par des marteaux recouverts de casimir, et le pianiste Canadien Milne semble à certains moments en jouer aussi dans l’espacement des mains sur le clavier ou l’intensité de ses doigts sur les touches. Mystère, mais c’est joli et hypnotique à entendre.

Coleman_Reflex_Delbecq_Milne.bmp

Delbecq et Milne (qui accompagna Steve Coleman pendant plus de dix ans, se sont rencontrés il y a vingt et un ans à un workshop où il enseignait au Banff Center au Canada.

Coleman_Reflex_Milne.bmp

Arrive le saxophoniste alto Steve Coleman et son Trio Reflex, avec Marcus Gimore à la batterie et David Virelles au piano et clavier.

Coleman_Reflex_Coleman.bmp

Steve Coleman n’est revenu au trio Reflex que très récemment au New Morning de Paris, après près de vingt ans de formations plus larges avec les Five Elements.

Coleman_REflex_Fnlayson.bmp

Mais c’est peut-être dans cette formation réduite qu’on retrouve dès l’introduction le grand saxophoniste lyrique insoupçonné et virtuose qu’est Steve Coleman, dans la lignée de Lester Young ou plus encore de Charlie Parker, dont il joue, avais-je lu dans Jazz Magazine les thèmes de tête à une vitesse folle pour essayer un nouveau saxophone en magasin avant de l’acheter, ce que le public ne voit pas habituellement.

Coleman_Reflex_souffle.jpg

Le titre Reflex, déjà utilisé dans « Resistance Is Futile » (titre qui n'était PAS en trio) à son retour d’année sabbatique en 2001, est à l’image du trio où chacun semble bien être, quand piano et batterie se mettent en mouvement, trois éléments organiques ou cosmogoniques d’une même entité jouant sur leurs réflexes, se répondant l’un l’autre plus sur leurs intuitions que sur la pensée réfléchie de la musique, dans l’instant, l’improvisation pure, libre et équitable, équilatérale du trio, chacun étant tour à tour rythmique ou mélodique.

Coleman_Reflex_Mur.jpg

Steve Coleman taxiphone tel un Hamiett Bluiett dans le traffic de la batterie, puis tire sa ligne en mélodique en longueur entre les écarts noirs et blancs du piano, mène la danse avec une liberté d’improvisation mais aussi un goût sûr et une classe folle.

Coleman_Reflex_Semblances.bmp

Il fait disparaître/apparaître, advenir/survenir ou s’enfuir sa présence/absence circulaire et mouvante, cosmogonique, à l’image de ses pochettes de disques et de ses liner notes très spirituelles, compliquées, mais magnifiques d’humanité spirituelle. Il a cependant toujours eu l’humilité de considérer que, comme il l’écrivait sur celles de « Lucidarium » si lui compose avec à l’esprit des implications spirituelles en rapport avec ses recherches, il laisse le public libre dans sa réception de considérer sa musique comme du bon Jazz Néo Bop, voire même une base rythmique Hip Hop offerte aux improvisations des MCs du monde entier, comme elle l’a été pour son propre projet Hip Hop les Metrics avec les rappeurs d’Opus Akoben dont le MC Kokayi emmené à Cuba pour « The Sign & The Seal » et qui poussera même jusqu'au scat dans "Lucidarium".

Coleman_Lucidarium.jpg

C’est peut-être dans ce trio qu’il se montre le plus proche de la tradition du Jazz. En effet, même si l’on ne peut qu’admirer les concepts spirituels ethniques cherchés comme des ferments originels du Jazz dans les cultures d’Afrique, d’Orient (Egypte Ancienne) ou en Asie (dans sa pratique du Bouddhisme) pour en nourrir le Jazz et ne pas le limiter à de seuls thèmes néo-bops d’inspiration afro-américaine, dans les albums de Steve Coleman, on a l’impression de ne l’avoir JAMAIS vu jouer aussi bien, ou peut-être plutôt aussi mis en avant de sa musique, ce que peut-être son humilité de chef d’orchestre au sein des Five Elements ne l’autorisait pas à faire, servant à travers la musique autant les autres que lui-même, et donc forcément plus en retrait. C’est en cela que Steve Coleman montre la voie, et que même le propre fils de Coltrane Ravi l'est de jouer sur ses albums.

Coleman_Light.jpg

Coleman et Gilmore ne font pas la même chose, mais par leur complicité s’établissent en direct des équivalences sur leurs instruments mélodique et rythmique qui fait évoluer peu à peu l'improvisation, l’improvisation tout en restant toujours aux aguets les uns des autres avec le piano.

Coleman_Reflex_Virelles.jpg

Comme Miles Davis à l’Île de Wight, Steve Coleman ne s’arrête pas en fin de thème (qui semblent inexistants) avant une bonne heure et demie, et seules les variations d’intensité entre des parties mélodiques calmes et lyriques comme des ballades et d’autres plus rythmiques et tourmentées, telluriques comme du Be Bop permettent de se repérer ou de s’y perdre successivement.

Coleman__souffle_jaune.jpg



Marcus Gilmore joue le rôle d’élément perturbateur ou de défi assumé en enlevant brusquement le tapis volant sous les pieds du fakir Coleman en lévitation.

Coleman_Reflex_Virelles.jpg

Quant à Virelles, il ajoute des flûtes et staccatos martelés sur le même motif obsessionnel soudain presque Gwoka-ribéen où le saxo de Coleman prend la sinuosité d’un serpent et l’envoûtement d’un sphynx.

Coleman_Reflex_Cercle.bmp

Après ces improvisations libre au thème méconnaissables, on reconnaît un peu du « Make Believe » de Charles Mingus (repris par de jeunes musiciens du Conservatoire jeudi GRATUIT au TJP à 18 h) pour Jaclie Paris repris par Laïka Fatien sur Nebula, en concert ce soir au Théâtre de Haguenau.... Peut-être le fil rouge du standard courant le festival cette année?

Coleman_Egypte.jpg

On rencontrera plus tard une réminiscence peut-être inconsciente de « Blues For Allah » des Greatfull Dead (inspiré par une tournée en Egypte). Né en 1956, ce qu’on oublie à son look Hip Hop très jeune (casquette à l’envers vissée sur la tête, veste Hip Hop, jean large, et T Shirt décoré du Xi, boule du Ying et du Yang noirs sur fond rouge) il avait dix ans dans les années soixante! En ce désert, Marcus Gimore décrit les accents de terrains des dunes, Virelles souffle le vent des sables qui les déplace.

Coleman_Reflex_casquette.jpg

Pour en revenir à Parker, Peut-être Steve Coleman joue-t-il comme Parker AUJOURD’HUI, après la modernité Coltranienne et celle du Free Jazz à venir que Parker ne pouvait soupçonner donc dépasser, qu’exprimerait Julio Cortazar en lui prêtant cette phrase : « Cette note, je l’ai déjà jouée DEMAIN !» en inventant librement un jazz à la fois originel et actuel pour notre XXIème siècle prenant à son compte les musiques du monde de la Batucada Brésilienne aux Gnawas Marocains et y retrouvant l’Afrique et les Caraïbes, dont Parker et ses contemporains étaient les premiers conscients mais encore orphelins par l’esclavage puis la ségrégation, quoiqu’il ait joué (et fut l’un des seuls à le faire, avec Dizzy Gillespie) sur des rythmes Afrocubains avec les Afrocubans de Machito « Manguo Mangue » puis composa « My Little Suede Shoes », que Django Bates reprendra peut-être en trio avec son projet « Beloved Bird » ce soir à Pôle Sud.

Coleman_joue.jpg

Enfin, après un Bis ethnique accompagné d’une cowbell où il chanta et scatta d’une manière qui le rapproche de son compatriote Leon Parker, batteur de Jazz des années 90s qui ensuite fit dans les années 2000s du body percussion et des musiques plus ethniques, puis revint au Jazz avec Jacky Terrasson (avec qui il jouait dans 90ies) puis Giovanni Mirabassi.

Coleman_Weaving_Symbolics.jpg

Il termina enfin par une de ses compositions, « Ritual » (http://www.youtube.com/watch?v=XipnyiFxbxQ ), déjà déclinée en solo, pour les Five Elements et Yen Shyu (Air) et pour Trio (Ritual Trio Earth) et sur son album « Weaving Symbolics », comme quoi, tout est dans tout et change, ou se transforme entre la micro et la macro cosmogonie Colemanienne....

Jean Daniel BURKHARDT