Peu enclin au Jazz moderne et très improvisé, je suis pourtant fan de La Poche A Sons (http://www.myspace.com/lapocheasons) depuis près leurs débuts il y a 10 ans et un concert au Café Des Anges. Je suis donc heureux d’entendre enfin leur deuxième album, intitulé « La Poche a Sons 2010 » sur le label Great Winds, dédié au saxophoniste trop tôt disparu Philippe Leclerc qui avait été l’oreille privilégiée du premier album et les avait conseillé dans la retenue d’une prise ou l’autre.

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« Dune » d’Hugues Mayot déroule sur un tinkty boum beat broken presque hip hop de batterie (Fred Guérin) et une basse dans l’aigu (Jérôme Fohrer), puis groovy la courbe harmonieuse et lunaire de l’harmonie des souffleurs (Jean Lucas, trombone dans les basses à la Ray Anderson et Hugues Mayot saxophone et clarinette basse).

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« Osiris » du même auteur confirme des unissons plus harmonieux entre les souffleurs que sur le précédent opus « La Poche A Sons » en 2005, un côté moins chien fou, un peu du « Blue In Green » de Bill Evans pour le Kind Of Blue » de Miles Davis qui se l’appropria indûment sur une rythmique faussement martiale n’empêche pas les échappées libres pour y revenir ensuite dans une complicité constante des deux souffleurs avec un section rythmique mouvant ménageant l’effet de surprise évoquant Steve Coleman. L’inquiétante et délicieuse étrangeté demeure, mais les effets en semblent mieux maîtrisés collectivement, un peu à la Bassdrumbone.

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Comme dans Bassdrumbone, chacun écrit ici pour les autres, et ceci dès la conception. Ainsi, « La Danse Du Métal » du contrebassiste Jérôme Fohrer évoque la batterie tintinnabulante de Fred Guérin dès l’intro sur une pièce de métal circulaire industrielle dont lui-même ignore l’utilité première, martiale sur la basse groove, et le bronze des cuivres au riff mordant en slap tongue sur les anches improvisant sur le tempo de la basse tour à tour ralentissant/bruissant/accélérant de la batterie.

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Ça « avance » avec plus encore que sur « La Poche A Sons » une belle cohésion et un sens dramatique pour raconter ces histoires sans paroles. Les souffleurs passent de la clarinette basse de Louis Sclavis à des passes d’armes avec le trombone à la Strasax, puis montent vers le mordant du riff presque jusqu’au cri mais s’arrêtent sur la crête juste avant d’y parvenir sur la basse. Bref, le mélange de douceur et d’énergie qui sont les pôles du Jazz libre est mieux dosé et maîtrisé.

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Dans « Désintox » de Mayot aussi les lignes mélodiques et les voix gagnent en clarté, la basse égrène son groove et la batterie ses roulements modernes, créant un tempo original pour les harmonies des souffleurs, puis Fohrer part en Rostropovitch sur l’archet (influence classique dénotée dès le premier concert il y a dix ans) avec la batterie pour le final.

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« Kebiang » d’Hugues Mayot me rappelle la musique Indonésienne Ouest Javanaise et le « Kapaci Suling « (musiques de marionnettes) « Semarang & Banjarang » (disque Unesco « Musiques de l’Ouest de Java » dans les gongs translucides avec des unissons de cuivres à la Mulatu Astraqé laissant le champ libre à de magnifiques échappées su saxophone sur les basses du trombone. Ils ont compris et transposé l’essence et le mystère de cette musique qui est dans les ralentissements / accélérations successives et alternées de la rythmique heptatonique des gamelans (imitée d’abord d’une pince à linge par la contrebasse puis d’un morceau de métal industriel circulaire par la batterie) et de l’instrument solistes (flûtes dans l’original) pour un envoûtement circulaire hypnotique sans fin comme André Jaume dans sa « Borobodur Suite ». Puis soudain le tempo s’accélère mais les souffleurs ralentissent, changeant de rôle. Une incontestable réussite. Le Jazz ne DOIT pas rester Afro-Américain ou même Euro-centré, mais s’ouvrir aux Musiques du Monde pour les sauver de l’indifférence et continuer à les faire vivre.

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« AO » de Jean Lucas lâche les chiens fous auxquels on s’attendait tout de même après ce début plutôt calme sur la contrebasse du « Desafinado » de Stan Getz/ Charlie Byrd qui détrôna les Beatles dans les charts jusqu’à un « Boogie Stop Shuffle » Mingusien façon Rock qui se calme à la fin.

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L’intensité rythmique Rock Super-Héroïque se retrouve dans « Kobalt » (comme on dirait Kryptonite pour Superman) d’Hugues Mayot, tempérée par sa clarinette basse arpentant sur ce court paysage lunaire de pierres en fusion ou mouvement à la Denis Colin. Ce n’et en fait que la fin du titre, joué depuis quelques années sur scène, qu’on peut entendre sur le disque.

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Jérôme Fohrer signe encore « Chanson Rouge » qui au rebours du titre (pourquoi ce titre) se calme plutôt s’il n’y avaient l’intense tâtonnement rythmique de la batterie. Puis le saxophone s’engouffre dans la turbulence étouffée du trombone, descendant en rappel entre la corde Rock de la basse et la paroi de la batterie dans un bruitisme habile à la Tim Berne.

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Et l’épopée se termine en « Trou Noir » d’Hugues)sans que la chute électrique Rock ne se calme à la Jim Black Alas No Axis (Dogs Of Great Indifference), broyant tout dans un Trou Noir de pure énergie, qui est peut-être le secret de La Poche A Sons : chaque instrument semble considéré comme une force d’énergie quantique tellurique, planétaire, atomique agissant avec/contre/en cohésion avec les autres comme sur la pochette de l’autrichienne Katharina Ernst, avec une infinités de rapprochements/clinamens musicaux improvisés. Le cri ultime semble attendre d’être poussé la fin, maintenant le suspense jusqu’au bout, mais est finalement définitivement éludé par l’harmonie d’ensemble en un silence.

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La Poche a Sons fête ses dix ans et la sortie de l’album par un concert à la Friche du Hall Des Chars ce Samedi 22 Octobre à 20 h 30.

Jean Daniel BURKHARDT