Nouvelle sur Facebook, Olessia (compositrice et clavièriste de Steppah Huntah sous le pseudonyme d'Oless T et qui désormais propose ses productions sous on propre nom de Miss Oless ) m'y a fait partager sa lecture du "Cygne Noir" de Marc Edouard Nabe (fils du saxophoniste de Jazz Marcel Zanini, auteur de "Tu veux ou tu pas?") qui a aussi écrit aussi sur le Jazz. J'ai écrit ce texte au fur et a mesure de la vidéo en trois heures sur Facebook et le livre tel quel.

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Déjà j'adôôôre la version du "God Bless The Child" par Dolphy que je connais de par une émission de...Alain Gerber (nos références se rencontrent!), ultra-lente comme s'il craignait d'arriver à la fin de la chanson pour rester en mode sous-marin/ bathyscaphe avec sa clari'basse en périscope. Je crois que c'est une autre version que celle de Stockholm Sessions, en live, peut-être en Illinois car il me semble que c'était une nouveauté et que c'était en 1999.

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‎"Si Eric Dolphy n'était pas mort"...présupposé intéressant..."il serait toujours vivant". Être vivant après sa mort pour un musicien, peut-être est-ce dans l'influence qu'il a sur les autres qu'on le juge. Dans ce cas il est bien vivant si j'en crois un spécial Jazz Mag pour son anniversaire avec des hommages de Sclavis considèrant "Out To Lunch" comme une influence du Free Rock à la Soft Machine, Gustafsson appréciant le beat constant...

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Peut-être eût-t-il disparu de la scène au moment du Jazz Rock des années 70s, été déclaré mort par le dictionnaire du Jazz lui-même comme Henry Grimes et serait-il revenu miraculeusement ressuscité vingt:trente ans après dans un autre millénaire comme Butch Warren, ancien contrebassiste de Monk sous un chapeau autre qu'un stetson Texan.

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Pour les flûtes pygmées, peut-être aurait-il doublé Coltrane sur ce coup-là (la flûte étant quand-même UN DE SES instruments). Quant à Ornette, si leur disque ensemble "FREE JAZZ" m'apparaît comme trop bruitiste (si l'on dépasse le titre, la libération, l’impact historique), je préfère « Out To Lunch », le dernier disque Blue Note de Dolphy avant son départ pour l'Europe, plus mélodique et plus amusant, et en effet, Ornette ne serait pas le DERNIER héros du free vers lequel tous les regards se tournent, alors que Coltrane était plus spirituel et mystique, Albert Ayler plus fou mais d’une folie plus émouvante par ses excès...

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"Traverser le feu du free sans se brûler les ailes": belle formule, et peut-être le secret de Dolphy: de se laisser porter, même dans la révolte, par une grâce mélodique, une émotion la sublimant, le guidant vers une autre innocence harmonique, universelle, compréhensible par tous, pour émouvoir chacun tel l’ "ultime chant du monde" rêvé par Kerouac prophétisant le Free après une Jam dans « Sur La Route »....Peut-être n’a-t-il pas la froideur obstinée d’un Ornette à prendre l’éternel contre-pied de la mélodie naturelle jusqu’à la fausseté, jusqu’au bruitisme comme un Peter Brötzmann.

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La clarinette basse "et son col aberrant": belle évocation de ce mystère formel émouvant de cet instrument avant même le son, rien qu'à le voir!

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Je dirais plus (sans avoir jamais vraiment trouvé les mots) un flamand mais noir par opposition au rose, un héron d’Afrique mazouté dans les cales par l’esclavage puis laqué d’ébène par la fierté Black Power, mai cygne est magnifique, peut-être plus proche de Dolphy que de l’instrument : cette altière beauté, ces yeux immenses d’enfant rêveur, sa presque sérénité bouddhiste, tellement loin de la révolte free quand on y pense...

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Intéressante l'opposition du cygne blanc orgueilleux et lui noir, comme faisant de cette fierté altière commune conjurant le vilain petit canard en restant cygne mais noir une autre voie du free plus contemporaine. Je ne sais pas encore quel est le deuxième morceau en fond sonore (sans doute du Dolphy), mais pour moi il y a aussi du Bechet (celui des New Orleans Feetwarmers) dans sa puissance sonore.

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Ah Mingus en protecteur du vilain petit canard, belle idée! Ce petit flûtiau joué/crié dans l’aigu (comme aujourd’hui encore certains flûtistes africains traditionnels) me rappelle ce que j’avais lu dans Jazz Mag sur son enfance, et son père lui laissant au fond du jardin sa cabane à outils pour s’exercer, devenant la « cabane aux oiseaux » attirés, imités, venant l’inspirer ou l’initiant puis repris, copiés, devenant lui-même. Certains peut-être qui sait venant d’Afrique lui apporter leurs arcanes tribales.

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Belle image sur les nénuphars. Intéressant aussi le rapport de ses "compositions complexes" et des "complexés"! Parmi les reprises récentes de son répertoire, je me souviens avoir vu Oliver Lake en trio à¨Pôle Sud, mais sans la grâce, la sérénité, plus crié, plus piaffé, comme une parodie de Dolphy, et n’arrivant pas à cette limpidité mélodique qui était parfois la sienne même l’espace d’un instant, même au saxophone alto, n’arrivant pas à « Fire Waltz » de Mal Waldron avec Booker Little en embuscade!

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"Tirer son épingle du jeu de tous les bordels": ah ça c'est beau, du Céline appliqué au Jazz par cette fulgurance de la beauté convulsive foudroyant d'un éclair les deux horizons du langage: sa châtière et classieuse origine dans l'épingle tirée sauvée in extrémis et pas même salie, plus brillante encore "de tous les bordels". Là j'avoue que Gerber est arrivé rarement à cette concentration provocatrice de différents niveaux de langage qui sied au Jazz ("musique qui sera toujours à la fois trop savante pour être populaire, et trop populaire pour être savante" a-t-il écrit dans "Fiesta in Blue" (je cite de mémoire)), et finalement ça va bien aussi à dolphy, qui aurait pu être aussi un fleuron de la musique contemporaine si on y eût accepté les noirs, et finalement, comme Mingus (cf "Moins qu'Un Chien) a rapporté à son peuple cette spéficité rare dans son jeu voué au Jazz le plus avant-gardiste tout en restant audible et mélodique contrairement souvent à Ornette!

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A propos du "vacarme Coltranien", Coltrane disait dans une interview que s'il jouait de manière si violente, c'était pour "prendre toute la haine que le public avait en lui, et l'en libérer". Belle idée de catharsis Jazzistique, non. Et sur Dolphy et Coltrane, là aussi, quelque extraordinaire que soit son "Olé"'spagnol dans l'énergie, quand dolphy arrive avec sa flûte, c'est à l'Afrique qu'il ramène l'Espagne en nous faisant traverser le détroit de Gibraltar, puis il nous fait pleurer littéralement sur "Aïsha" (comme Trane sur "Naïma", mais pas sur CE disque-là!

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"hurlant à sa propre mort" belle image. "aller voir en Enfer si on y est plus qu'au Paradis" magnifique. Et si Dolphy était finalement un tendre chez les durs, un doux et tendre au milieu des sauvages de sa génération, un Apollinien chez les Dionysiaques, qui s'y laissa aller aussi, mais sans se compromettre à pousser la révolte jusqu'au seul bruit dénué de sens, sans se départir de son exigence interne, de sa grâce, de sa spécificité, même dans Free Jazz, il a , trace SA voie unique, souffle son vent et son esprit, ne venant et nous portant là où aucun autre de ces voyageurs n'était allé ni ne savait le rejoindre, mais restant dans le gros de la troupe, de l'impro collective pour leur offrir cette grâce en cadeau.

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"Sortir du morceau au moment où il entre dedans": belle formule, très profonde et qui nous mène ailleurs d'emblée. "Out There", Hors de Là" est le titre d'un de ses disques, d'ailleurs. Peut-être que est-ce à cet aspect de Dolphy que je suis le moins sensible, ou inconsciemment, et où il me dérange le plus.

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"Dolphy déborde d'abord": belle formule mélodiquement et à aussi profonde: déborder le répertoire pour le faire entendre d'abord d'ailleurs, le brusquer, nous forcer à adopter un autre point de vue, celui de l'inouï, du jamais entendu.

Mais comme dit Nabe, son talent c'est de l'extérieur, de devenir d'emblée le classique, la nouvelle ligne parce qu'elle est la plus universelle peut-être, la plus évidente, reléguant les autres à l'hors de propos, à la périphérie, au bruitisme insensé, inutile. il trace sa voie, et autour de lui ils se perdent dans la jungle, on n'entend que lui! Parce que, à mon sens il est le plus essentiel, le plus universel, le plus simple ou le plus intéressant à entendre, suit sa propre ligne.

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Ouah la photo est sublime (à 4:24) avec ce bonnet de marin ayant vogué d'Afrique en Inde (où il n'est jamais allé, je crois, mais dont j’ai lu qu’il avait écouté des enregistrements ethniques traditionnels) ethnique avant la mode, ou du Mississipi, bluesman routard, vagabond du rail et des mers à la Jack London, tranchant par sa dégaine avec son expression quand il joue de la flûte: à la fois altière et concentrée, sereine, complètement à ce qu'il fait, ce monde intérieur, à cette mer soufflée/criée dont la flûte perpendiculaire serait la mer et le niveau, l'équilibre et la balance, le tic tac inversé de l'horloge du soleil ou du clepsydre des ombres, la baguette magique ou le bâton de pluie devenu bâton du souffle par sa magie. Et aussi ce côté, tout de même vindicatif dans la sérénité qui se pose là: "Oui je joue comme personne, et alors?!", et on le suit parce qu'il sait ajouter cette grâce à la révolte qui le rend unique et séduisant à nos oreilles autant qu'à notre vue!

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"La flûte comme un long clitoris d'argent" magnifique image, quoique inattendue, très sensuelle, et le musicien "qui veut l'entendre jouir par tous les trous plus ou moins bouchés"! Joli aussi par ces ruptures de langage prenant la voie d'un certain érotisme sensuel, puis s'en démarquant pour revenir au propos musical.

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Finalement il a été en Afrique ou en Inde, je veux dire sa tête y a voyagé sous ce couvre-chef improbable de muslim illuminé avec sa clarinette basse dans cette végétation luxuriante!

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Intéressant ces deux pôles extrêmes d'émotions de la clarinette basse entre "le hennissement d'un mustang" dans sa puissance, cabrant la musique, les sons, le répertoire, emportant tout dans son flux dans son flot, les basses pourrait-on dire et "le pépiement d'un oiseau sous une mère possessive", la fragilité pépiante, couinante, titillant l'oreille de ses cris animaux, hors du contexte, de la musique, presque du Jazz, parce que venant peut-être directement de la leçon des oiseaux dans la cabane?

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Oh pour Nabe c'est DOLPHY qui inspirait les oiseaux, "leur soufflait de nouveaux airs". je n'y avais pas pensé mais finalement c'est super fort! en fait ils jouaient ENSEMBLE donc les avec les autres et vice versa en impro collective. ça devrait rendre même "Free Jazz" et digeste de l'entendre ainsi!

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Pas St François d'Assises, certes, mais peut-être qui sait Djalal Od Din Rûmi, flûtiste et fondateur des derviches tourneurs de Konya, un jour rencontra un intégriste qui ne goûtait pas la musique, a qui il répondit: -"mais moi quand j'entends de la musique, j'entends gricer les portes du paradis!" -je n'aime pas le bruit des portes qui grincent! -C'EST QUE TOI TU ENTENDS LE BRUIT DES PORTES QUI SE FERMENT, MOI CELUI DES PORTES QUI S'OUVRENT" (humour Soufi Turc, mais Dolphy aimait un livre de Poésie Orientale "Le livre des oiseaux".

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Intéressant l'image de la volaille décapitée qui court en zigzag comme son jeu comme le son, comme sang aussi j'imagine qui doit être propulsé partout, comme la mort de Bennie Moten et Eddie Lang par des médecins qui ratèrent l'amygdale pour en revenir au Jazz mais qui n'ont rien à voir avec Dolphy!

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"Agonie strangulée de rage" magnifique! "signes avant-coureurs du chant du cygne noir" trop puissant, comme une prévisualisation prophétique de sa mort dans les excès de son jeu, ou l'idée qu'il ait poussé jusque là sa furie, sa passion, son intensité musicale! "Parkerien enragé", joli, je suis d'accord...et pour en rajouter une couche Ornette est un Parkerien faussé, défaussé, qui joue faux pour moi. Même si pour moi je ne ressens pas l'influence de Bird dans l'alto de Dolphy. ça me rappelle une nouvelle dans "Dernières Nouvelles Du Jazz"' de Jacques Aboucaya: un étudiant doit faire sa thèse sur le saxo alto de Johnny Hodges à Ornette Coleman. il achète un mainate sifflant du Jazz dans une animalerie. Il lui fait écouter Hodges, puis Bird, le mainate les sifflote gaiement. Arrive Eric Dolphy...Le mainate est perplexe, tout déprimé, il n'aime pas ça du tout, ne siffle plus, devient neurasthénique. Faut bien que le thèsard avance quand même. il met Ornette Coleman. Au bout d'un jour encore de grève de la faim, le mainate expire dans un dernier cri! Pas sympa pour Dolphy et Ornette, mais à part "Fire waltz" ce n'est pas l'altiste que je préfère chez lui!

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Dolphy "recrache, expulse" Parker! Intéressant. Ou refuse de ne faire QUE LE RECRACHER, justement (comme une leçon, un cours si bien appris qu'à la fin on le vomit). "Dehors, Dieu!" excellent cet accès de mysticisme populaire révolté contre l'autorité divine d'une unique influence. Comme Lester Young encore inconnu quand j'y pense qui lamine Coleman Hawkins lors d'une Jam Session de 10 heures en 1932 au Cherry Blossom de Kansas City! Cette assumation de sa différence essentielle au Jazz, qui le fait avancer, dont même Parker était conscient jusqu'à la schizophrénie, quand (dans l"'Homme A L'Affût" de Julio Cortazar, il lui fait dire à Miles: "Cette note, je l'ai déjà jouée DEMAIN!"). aller toujours plus vite, multiplier les expériences Jazzistiques pour que jamais notre ombre ne nous rattrape! Finalement c'est ce que fait Sclavis qui a joué seul, avec des vieux héros du free, et se refait une jeunesse avec de jeunes musiciens Rock Jazz dans "Lost On The Way".

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Le "sucre" pour "adoucir dans son corps l'acidité de sa musique" Merveilleux. Là j'avoue que Nabe enfonce Gerber par la profondeur de sa réflexion EN POESIE comme acte, sans presque avoir besoin d'expliquer, d'être didactique pour nous faire rentrer dans la tête, l'âme du musicien, mieux son Ârt. Il paraît aussi qu'il mettait du miel par grandes cueillers dans son thé, d'après Han Bennink et Misha Mengelberg qui ont débuté avec lui lors de sa "Last Date"!

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"Camé au miel" excellent. peut-être s'inspirait-il pour son art du bordonnement incessant des butineuses abeilles pour voler plus loin, plus haut, jouer plus AILLEURS! BZZZZZZZZ! J'ai une amie qui parlait pour les ballades de Lester de son... côté "abeille de ruche", de sucre, de mélodies sucrées... Dolphy ce serait le contraire d'après Nabe. Il met le miel/le sucre dans son corpos mais pas dans sa musique (quoique dans "God Bless The Child", la danse de l'abeille immobile qui fiche plus encore le bourdon que cette torch song de Billie Holiday en la rallongeant toujours et encore par un mouvement perpétuel presque à la Philippe Glass.

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Bon choix de rythme de Mingus entêtant, frappé, au comique ambulatoire et marche rageuse, martiale que cette Epistrophy hypertrophiée Monk'gusienne qui part imperceptiblement sur le piano puis soudain avec Dolphy force la marche comme si le gouverneur Faubus des Fables lui-même était en face, et rythmiquement bien posé avec le rythme du texte, et ta voix avec ce soupçon de mélodie, d’accent russe. c'est le Concert de Paris en 64? En Mai 68 Mingus à Paris avait dit sur une radio que ses frères noirs afro-américains aussi avaient besoin d'armes comme les étudiants français! Magnifique la "dernière cueillere d'or liquide!"

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Et cette version d'Epistrophy que Mingus n'eût pas osé dans sa violence, son côté torrentiel de Dolphy, loin de la solitaire bizarrerie fût-elle géniale de Thelonious Sphère sur sa planète isolée, solitaire. Je crois que c'est Bud Powell au piano sur certains titres? comme ils la retournent et la renforcent, cette lunaire Epistrophy Monkienne sur la basse Mingusienne pré groove, et Dolphy poussant jusqu'au CRî, au SANGLOT LOINTAIN (Far Cry), autre titre de "Out There".

Monk avait dit à Lacy pour savoir jouer sa musique "make the drummer sound good": fais qu'le batteur sonne bien" ou "fais bien sonner l'batteur", ce qui je pense n'est musicalement pas forcémebnt la même chose! Grâce à Dolphy cela devint aussi une histoire de clarinette criée!

Jean Daniel BURKHARDT