En seconde partie se produisait à guichets fermés le parrain de ce premier festival « Jazz et Jazz Manouche au Hohlandsbourg », et le plus célèbre des guitaristes manouches locaux (né à Soufflenheim en 1966), jusqu’aux Etats-Unis où il s’est produit au Carnegie Hall : Biréli Lagrène en Trio, avec Hono Winterstein à la guitare rythmique et pompe et Diego Imbert à la contrebasse, qui le suivent dans son premier « Gipsy Project » en 2001 au studio comme à la scène.

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Ils commencent par leur version très personnelle, plus proche dans son introduction lente du balancement des chevaux rythmant la musique Country que du Jazz Manouche, d’ »After You’ve Gone » (qui ouvrait leur avant-dernier disque « Just The Way You Are » en 2007, le dernier « Electric Side » étant plus Jazz-Rock électrique avec des DJs, mais il ne faut pas oublier qu’à 18 ans, Biréli, fort de ses débuts précoces à douze ans puis de ses premiers albums à quatorze ans, se produisait avec Jaco Pastorius en duo, et est d’ailleurs aussi un bassiste électrique exceptionnel aux heures les plus tardives des Jam-sessions : Michel Jehlen, émule local de Jimi Hendrix à « L’Esclave » et les murs du défunt « Piano-Bar » s’en souviennent!). Sur un signe imperceptible, ils accélèrent le tempo sur la basse. Biréli apporte une nouvelle idée à la guitare non pas à chaque chorus, mais à chaque fois que ses doigts touchent les cordes de sa guitare de haut en bas, jusqu’à une sorte de Flamenco-Rock, à la Country Ranchera Mexicaine sur la pompe libre et presque groovy d’Hono Winterstein.

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Suit une bossa nova lente, qui s’avère être « You’re Blasé », dont Ella Ftzgerald avait donné avec Stan Getz une version magnifique. Le tempo s’accélère, Biréli croise et salue au détour d’une dune prise en descente vertigineuse Django en « Sheikh Of Araby ». Ses montées et descentes sont vertigineuses.

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Suit le titre éponyme de leur album, « Just The Way you Are » de Billy Joel, mais sans le concours de Franck Wolf au saxophone. Cette fois-ci, c’est la chanson qui n’a certainement jamais connu un traitement Jazz Manouche, ce qui n’empêche pas Biréli, d’y citer « La Lettre à Elise » de Ludwig Van Beethoven (il lui en enverra plusieurs au cours du concert) en martelant du genou un tempo constant, puis part en Blues, ralentit sur la basse, avec la pompe d’Hono juste une mesure derrière.

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D’un raclement de cordes à vide informe en suspens sur la basse naît le standard « Them There Eyes » sur la pompe métronomique et précise d’Hono qui part en solo, très rapide à la « Koko « de Charlie Parker, quelques basses puis plus lent et sensible sur une seule corde, puis reprend le thème. Hono Winterstein est AUSSI un grand guitariste.

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Suivent quelques « extraits d’un Nouveau Disque à sortir en septembre », un Blues, un Rock lent, qui part cueillir des myrtilles sur le « Blueberry Hill » sur les traces de Fats Domino, mais toujours avec ce côté chaleureux au coin du feu des copains que les manouches d’ici partagent avec les cow-boys de là-bas, avant un solo de Diego Imbert cherchant la note de plus en plus bas sur l’accompagnement des autres avec le côté « tuk tuk » de Ray Crafford, guitariste [accompagnant Ahmad Jamal. Biréli part tout seul en une échappée Blues finale.

Biréli et son trio peuvent à la fois tout tirer vers le Jazz Manouche, et tirer le Jazz Manouche vers les autres musiques qu’elle soient Rock, Funk, que sais-je, ce qui est et a toujours été le privilège du Jazz au sens large et des musiques qui en sont nées. Ce ne sont pas seulement de grands Jazzmen manouches mais de grands jazzmen tout court.

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D’ailleurs ils repartent en funkysant … le « Minor Swing » que Biréli joue depuis le début de sa carrière , d’abord un peu méconnaissable à la Yorgui Loeffler, puis avec des échappées Tziganes, pour arriver à cette version temporaire, work in progress, évolutive, moderne, free, funky, mais respectant la structure et la mélodie initiales et ses grands breaks de contrebasse descendante, puis à nouveau boogiesé, rallongé, avec un clin d'oeil en SMS final à Elise de Beethoven.

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Autre thème de 1917, premier disque de Jazz du Dixie Land de l’Original Dixie Land Jazz Band cher à Django, « Tiger Rag » repris très rapide sur la pompe d’Hono, modernisé, revisité à la manière mandoline italienne et en valse (c’était pour Jelly Roll Morton un quadrille français), et qui finit en valse manouche.

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Improvisateur facétieux, Biréli aime à accorder/désaccorder sa guitare ou celle de ses partenaires PENDANT QU’ILS JOUENT, comme il l’a fait à Syvain Luc.

Suit « Danse Norvégienne » du dernier Django de « La Pêche a La Mouche » décomposé en Bossa sur un tempo à deux temps, mais emmené plus loin sur le manche, tandis que la basse et la pompe rappellent le thème.

Biréli l’entraîne sous ses doigts vers de nouvelles harmonies, des citations et références en cascade, d’un débit et en nombre trop importants pour les nommer ou les dénombrer, et finit en tremblotement de mandoline Napolitaine avant de se désaccorder au final.

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Suit le thème le plus emblématique de Django, « Nuages », qu’il ne jouait jamais pareil et électrisa comme sa guitare, (mais là encore pas tel quel, ou à la manière « Hot Club de France », que Biréli retrouva un temps avec son premier Gipsy Project, ni même à la manière plus langoureuse du second avec Dédé Ceccarelli, mais en prenant la liberté de suivre les nuages de son inspiration du moment tout en gardant le thème intact. Django aurait aimé, et qui sait d’ailleurs ce qu’il jouerait aujourd’hui ?

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Après ce classique, un autre plus surprenant, mais moment attendu des habitués de Biréli, l’heure du « Hono Show » d’Hono Winterstein « qui va vous chanter quelque chose ». C’est toujours la même chose, d’ailleurs, sa version à l’inspiration du moment du « Blue Suede Shoes » par Elvis Presley. Là le show qui précéda fut du très grand Hono par son potentiel comique comme entertainer, avec le concours bisoutant le micro d’une tzigane / cigale :tzigale alsacienne du « vititiculteur », tirant en longueur, le public toujours en avance ou en retard d’un fou rire pour marquer le tempo, laissant vieillir le King jusqu’à un Elvis « en fin de carrière à 135 ans » qui a failli finir en Johnny sur « Toute la Musique que J’aime », mais Hono ne reprend que les morts, mais nous épargna Michael Jackson!

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Autre hommage auquel on aurait pu ne pas s’attendre sans le connaître, l’hommage vocal de Biréli Lagrène crooner à « The Voice », Frankie « Blue Eyes » Sinatra, auquel il a dédié un album où l’on pouvait l’entendre chanter pour la première fois son répertoire avec une voix assez proche de l’original sur « Fly Me To The Moon ». Avec le temps, Biréli est devenu l’homme aux mille chansons, un vrai juke box, mais improvisant, scattant même dans aigus entre Chet Baker et Michel Legrand. Sauf que ce soir-là, la morgue du crooner avait été contaminée par la bonne humeur et les fous rires provoqués par les pitreries précédentes d’Hono Winterstein, mais on lui pardonnera aisément quelques imprécisions dans les paroles en se souvenant de sa prestation pour son annivesaire au Strasbourg Jazz Festival (qui se tient en ce moment d’ailleurs (du 3 juillet au 8 juillet 2009). Et puis, il a infiniment plus d’humour que Sinatra, et pour quelqu’un dont ce n’est qu’UN des talents, chante vraiment bien, et n’a pas la prétention de se prendre pour Sinatra. C’est juste une corde (vocale et démotionnelle) de plus à son arc. Et au vu de son talent, sa plus grande sagesse est peut-être dans cette humilité qui l’empêche de se poser et le fait continuer de s’amuser comme un gosse.

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Biréli Lagrène redevient le guitariste le plus rapide de l’Est sur la basse de « Night & Day », («avec ses cinquante doigts », chantait le groupe amateur à l’heure de l’apéro, sorte de « Au P’tit Bonheur » à la Tryo local avec une touche de manouche et tzigane) pris très rapide, et avec de vertigineuses montées et descentes d’accords sur le manche. Biréli joue autant de sa technique époustouflante / ébouriffante que du répertoire Jazz (intercalant quelques notes des « Four Brothers » d’Anita O’Day entre Nuit & Jour) mais pas seulement et des styles, presque funky sur la basse groove, drum’n’bass par leur modernité, est groove mais garde ses racines roots, est « groots », si j’ose dire, puis rejoint Django dans son « Artillerie Lourde ».

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Arrivé pour le Bis, Diego Imbert reprend en clin d’œil à Rick Hannah le riff de « Heartbreaker » de Led Zeppelin à la Charles Mingus avec Biréli à quatre mains, puis ils embrayent sur « Troublant Boléro » de Django, qui montre bien combien il était lui-même déjà ouvert aux musiques extérieures au Jazz avec cette basse libre dans ses improvisations, débutant pas forcément latin, puis soudain presque Flamenco sur la pompe d’Hono.

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Que sera ce disque en septembre ? S’il n’est pas encore parti dans une autre direction, peut-être SON PRORE DJANGO du moment, ni Hot Club, ni électrique, mais ouvert à tous les vents, les traditions du monde, voyageur comme les nuages et le peuple manouche...



Jean Daniel BURKHARDT