Après avoir invité Vincent Bidal, l’Aleph Quartet, Triophone et Michaël Alizon au Caveau du Scala, c’était le samedi 14 juin au tour de Grégory Ott de s’y produire dans la Grande Salle.

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Avant le début du concert, je crois reconnaître dans la musique diffusée Les Rolling Stones : super mélodie, cuivres et je crois la voix de Mick Jagger. Je ne connais pas cette chanson et n’ai pas écouté leurs disques récents depuis "Some Girls", mais si ce sont eux cette chanson est encore bonne. Après information auprès du trio, il s’agissait "Chills&Thrills", de Bernard Alison

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Arrivent Grégory Ott (piano), Franck Bedez (basse) et Matthieu Zirn (batterie). Le concert commence par une nouvelle composition, prise sur un tempo rapide au piano, qui part ensuite en sonate classique, puis la basse ralentit, le piano accélère à nouveau sur le tinkty-boum de la batterie sur ce qui s’avère une ballade aux intervalles chromatiques avec de petites notes classiques tintinnabulantes. La basse s’éloigne peu à peu du piano, dans des harmonies presque vocalisées à la Paul Bley. Ils se rejoignent pour le final dans une énergie Jazz-Rock avec accélération sur la cymbale.

Ce premier titre a montré l’amplitude culturelle du répertoire de l’orchestre, et sa virtuosité rythmique à changer de tempo et d’énergie dans le même titre.

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Les nouvelles compositions commencent plus intimistes, mais avec une montée progressive de l’intensité rythmique par des breaks salsa, groove ou rock plus diffus amenés par la basse, alternant avec des reprises de climat mélodique du piano et des retours de la basse toujours au taquet dans les deux ambiances, à l’affût du moindre changement de l’une à l’autre, tour à tour Jazzy, dansante ou roulante à la fois pour atteindre une énergie collective finale par l’intervention de moins en moins discrète de la batterie et une dernière note brusque qui surprend.

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Dans « Changing Time », la basse groove après le piano mélodique aux envolées salsa, fait avancer le morceau dans le funk, puis prend un solo de rondes, avant un final de la batterie.

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Suit « Caravan » de Duke Ellington. Le reprendra-t-il en salsa comme son élève Vincent Bidal ? Non, il part en Boogie orientalisant, puis en marche turque sur la basse accoustique groove, isole une note dans un phrasé très haché, reconstruit par la rythmique, qui comble les syncopes du piano. La batterie modernise le thème en jouant drum’n’bass nonchalamment d’une cymbale à l’autre, puis devient de plus en plus puissante. Par rapport à la version de Bidal, c’est davantage une relecture, une refonte du thème de l’intérieur, et non pas juste une façon différente de l’interpréter de manière latine. La batterie ralentit le tempo en inversant sa drum’n’bass, jouant comme à l’envers. Le piano rappelle Stravinsky ou Debussy.

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Le thème suivant est dédié par Grégory Ott à l’accordéoniste manouche aveugle local Marcel Loeffler, présent dans la salle, et est intitulé tout simplement « Pour Marcel ». C’est une ballade cool, gymnopédique, à la Satie avec batterie aux balais.

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Le titre suivant est en 7/8, ce qui lui donne un débit rythmique qui fait balancer le thème d'une manière très particulière. la batterie et la basse insufflent leur blues, leur groove, ne revisitent un standard façon salsa, et Grégory Ottt accède à une de ses transes musicales latines qu’on lui connaît jusqu’au final salsa. Cette nouvelle composition s’appelait «Hope».

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La basse aux résonances psychédéliques à la Pink Floyd , introduit « Time Like These » du vibraphoniste Gary Burton, où le piano trouve des accords rappelant l’orgue ou le fender rhodes, qu’Ott a pratiqué également dans « Panoramic Blue » ou « Moglaz », annonçant une transe Jazz-Rock sur la basse, toujours dans le lyrisme Floydien, difficile à obtenir sur une basse, jusqu’à Jaco Pastorius.

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Suit « Le Bal Des Dupes », l’une des compositions les plus Funkys et dansantes de leur album « Frontières », grâce principalement à l’ancrage rythmique très fort du piano martelé entre Blues et Boogie et à la reprise surprenante de la basse en slap qui prolonge l’intensité, ménageant le suspense de la fausse fin sur fond de roulements drum’n bass de la batterie, au son de camion, presqu’à la John Bonham, batteur de Led Zeppelin, dans la puissance, tandis que le piano, en retrait, prend un rôle de décalage electro-Jazz. « Bal » car très dansant. « Dupes » pour ces chausse-trappes, ces faux-semblant de fins factices qui visent à garder l’éventuel danseur en éveil (hélas le Jazz est devenu une musique « assise » qu’on écoute plus qu’on ne danse) où c’est un grain de sable qui fait tout repartir de pus belle en des réitérations/ répétitions irrésistibles de plus en plus intenses dont James Brown et nombre de musiques à danser ont su faire bon usage. Cette espèce de folie, de transe qui anime Ott est à son plein sur ce titre. Ils finissent en free de concert

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Grégory Ott continue en solo avec l’un de ses standards préférés, « Summertime » de George Gershwin, créé pour « Porgy & Bess », avec une pompe lente montrant qu’il maîtrise le Jazz de ses origines stride (école de piano New-Yorkaise de James P Johnson dans les années 20s ainsi nommée pour les mouvements de mains en l’air -stride- garants de la virtuosité de l’interprète par ce procédé spectaculaire déjà utilisé par Frantz Liszt) à ses formes les plus récentes (Rock, Funk, Latin, Salsa).

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Suit « Havana’s Rendez-Vous », souvenir de Grégory Ott d’un séjour à La Havane, capitale de Cuba, qui s’entend dans sa manière de jouer plus latine que celle de tous les pianistes de la région. Il espère d’ailleurs y retourner un jour avec le trio, mais ils partiront d’abord aux Etats-Unis. Ils partent en Live, les réitérations extatiques des motifs latins dans le solo de piano font penser à une sorte de Salsa bègue (comme on a pu parler de la guitare bègue de João Gilberto dans la bossa nova). L’intérêt du piano dans la Salsa où les thèmes latins réside, à mon sens, sous cette apparence des mêmes figures dues au jeu très rythmique du «tumbao» entre basse et percussions portant l’orchestre et les danseurs, dans ces variations infinitésimales qui font avancer le thème sans qu’on s’en rende presque compte d’un climat à l’autre. Dans la Salsa, il faut tendre l’oreille pour l’entendre pour dépasser les cuivres qui souvent noient le son du piano. Ici en trio, on peut davantage entendre ce procédé. La basse groove en funk, à la Irakere quand Paquito D’Rivera et Arturo Sandoval, qui s’exilèrent en Espagne, puis aux Etats-Unis à la première tournée Européenne du groupe, en faisaient encore partie, avec déjà Chucho Valdès au piano et claviers.

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Mais ici, après le solo de piano sur la basse roulante et ses départs Salsa, pendant le solo de basse, les réitérations obsessionnelles en arrière-plan donnent un relief, un décalage qui rappelle presque un effet dub créé en live en écho aux slaps funkys de Bedez.et la batterie qui tape de plus en plus fort, presque Rock avant de marteler les toms d’un break fracassant. Le piano part enfin vreiment en Salsa, comme libéré par cette intervention subite et rythmique des Orishas (dieux de la Santeria Cubaine hérités de l’Afrique Yoruba et synchrétisés avec le Christianisme forcé, mais encore très présents dans le Guaganco, chants accompagnés de percussions).

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L’un des génériques télévisé préférés de Grégory Ott est celui du jeu « Les Chiffres Et Les Lettres », qu’il reprend à chaque concert, façon Salsa. Ici, les musiciens participent au jeu : le batteur sonnant la cloche, ponctuant l’introduction de « consommes », « voyelles » et « pas mieux », puis Ott part en salsa rapide sur le thème, repartant avant chaque solo de basse, puis de batterie, puis en pompe stride, enfin fait courir ses doigts d’un bout du clavier à l’autre.

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Le second bis est un solo de piano sur la chanson « On dirait Le Sud » de Nino Ferrer, où Grégory Ott est voûté, le visage parallèle au clavier, arc-bouté sur le piano comme Bill Evans sur certaines photos mais sans le déficit d’image du côté binoclard et raie sur le côté de celui-ci sur ces photos.

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Bref, ce concert était, comme toujours avec ces musiciens, un plaisir où l’on semble chaque fois en apprendre un peu plus sur leur cohésion, leur complicité, sans jamais percer à jour le mystère decdette musique à la fois profonde et dansante, Jazz ouvert aux transes Rock et Funk et aux vents Caraïbes, sans jamais se départir ni de sa justesse, ni de son intensité.

Quant aux nouvelles compositions, elles nous font attendre avec impatience les prochaines aventures du trio, au disque comme à la scène et font mesurer le chemin parcouru depuis leur disque « Frontières » dans l’intensité et la profondeur de leur musique.



Jean Daniel BURKHARDT