Triophone_Gipsy_Move.jpgTriophone_Gipsy_way.jpg Formé en 1997, le trio Triophone réunit trois musiciens de Jazz Strasbourgeois dans une configuration originale et tous-terrains : Franck Wolf (saxophone ténor et soprano) a monté un orchestre de New Orleans en alsacien, fait partie du quartet de saxophones « Strasax » et accompagne depuis deux disques le guitariste Birèli Lagrène dans son nouveau « Gypsy Project », Pilou Würtz (basse électrique) a fait ses preuves dans la région en tant qu’accompagnateur et soliste, et Didier Hoffmann (batterie) est rompu aux rythmes Jazz, Brésiliens (il joue fréquemment dans le groupe batucada de rue de l’association « Arkêstra »), ou Africains. Wolf et Hoffmann ont aussi été des accompagnateurs émérites, entre autres de Patrick Genet, chanteur de chanson française alors Strasbourgeois, qui me les présenta, sur son premier disque «Vieilles Chansons Nouvelles», où il fit à Didier Hoffmann le cadeau de l’enregistrer en dernier, ne le forçant pas à accompagner mais lui permettant d’improviser sur tous les autres musiciens.

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L’originalité de l’instrumentation du trio permet à chacun de s’exprimer dans ce trio sans leader où chacun compose, permettant aux musiciens d’être tous tour à tour rythmiques et mélodiques dans une interaction de tous les instants, et à la basse d’assurer un rôle harmonique prépondérant et rare.

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Le pianiste Grégory Ott, organisateur de ces soirées Carte Blanche au TAPS SCALA, rappelle qu’il connaît Franck Wolf depuis le lycée, où ils commencèrent à jouer ensemble. Le concert débute par une introduction du saxophone soprano d’un orientalisme Coltranien (le premier quintette de Miles et le saxophoniste italien Stefano Di Battista, dont il m’a fait découvrir un soir la version de « Lush Life » en solo sont parmi ses musiciens préférés, et Triophone a enregistré une version groove du second "Miles tones" de Miles), avant l’échappée de la mélodie hispanisante sur la basse électrique roulante et le frétillement des cymbales, puis une course folle du saxo sur l’avalanche des tambours et la basse groove.

Le thème, de Franck Wolf, extrait de l’album du groupe « Un Jour Ailleurs », s’intitule « Bronze », justifiant le titre par la matière scintillante du soprano et l’aspect solaire, hispanisant, de la mélodie.

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Le deuxième thème débute par une introduction du saxophone ténor, entrant en interaction avec une batterie afro et une basse soutenant le tout ensemble, puis se détache dans des breaks de saxo en intermède suspendus pour repartir de plus belle vers l’exposé du thème, intercalant une courte citation de « Softly As A Morning Sunrise ». Hoffmann part dans une série de breaks relancés par les riffs Hard Bop du saxophone, puis joue avec une efficace nonchalance de ses cymbales. C’était une composition de Didier Hoffmann.

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Suit un thème plus Hard Bop funky de la composition de Pilou Würtz, « Costume 3 Pièces », où l’on comprend que les trois pièces de ce costume taillé sur mesure ne sont autres que les membres du trio, chacun à sa place et solidaire des autres comme les Mousquetaires dans un tissu d’étoffe « Blue Note » digne des disques de cette collection prestigieuse. La batterie débute drum’n’bass, tandis que la basse joue sur les résonances à la manière imitant les harmonies de la voix d’un Paul Bley en écho avec le saxophone après l’exposé du thème sur les cymbales frétillantes.

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« Mi Fugue Mi Raison » de Pilou Würtz permet à la basse de suivre une fugue à la Bach, se faisant luth par la chaleur ou violoncelle par l’émotion, tandis que la batterie la bouscule côté Jazz à la Jacques Loussier et que le saxophone soprano assume la voix soliste de la justesse du flûtiste Jean Pierre Rampal dans les fugues pour clavecin et flûte, pousse ensuite jusqu’au cri. La basse, imperturbable, dans cette tempête la bordant, la chaloupant, la submergeant presque et lui soufflant grands vents, vogue, surfe sur elle mais ne coule point, et garde le cap, tel un frêle mais inébranlable esquif sur une mer agitée.

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Après ce classicisme baroque maintenu, l’esprit du « Bikutsi », rythme Africain ramené du Sénégal par Didier Hoffmann et Franck Wolf lors d’un séjour à Yaoundé, s’empare du groupe. Pourtant cela commence plutôt calme, vespéral, côté saxophone, à la manière de Manu Di Bango dans «Soir Au Village», puis la batterie réveille la fête rythmique des tambours du rythme bikutsi, la basse partant groover façon zouk, bientôt suivie du saxophone.

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Un autre thème exotique, « Vague », de Franck Wolf, rappelle par son titre quel magnifique interprète de Bossa Nova il peut être, invité dans de nombreux groupes locaux comme « Som Brasil », dans la pure lignée de Stan Getz et sa « Girl Of Ipanema ». Mais quant à la forme, c’est davantage une évocation impressionniste et poétique que rythmique que propose cette jolie ballade, avec des enroulements lyriques à la Wayne Shorter, sur lesquels Didier Hoffman fait miroiter le soleil de ses cymbales sur les vagues roulantes de Pilou Würzt. En fermant les yeux, on peut bien se rêver sur la plage de Copacabana, mais troublée à notre vue par le filtre de la vision colorée d’un nymphéa de Monet ou entre les taches d’une marine de Seurat, ce qui est plus beau encore, puisque ni l’un ni l’autre ne connurent ni le Brésil ni la Bossa-Nova.

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Une autre ballade de Pilou Würtz invitant au voyage, «Un Jour Ailleurs» donne son titre à l’album de Triophone, et Franck Wolf la présente comme sa composition préférée dans le répertoire du groupe. Il est vrai que c’est peut-être celle qui réunit le mieux les qualités individuelles et collectives du trio : le groove léger de la basse et les cymbales courant de manière omniprésente soutenant la belle mélodie accrocheuse du saxophone soprano et lui permettant ensuite de s’en échapper pour un solo enflammé citant courtement «Tequila» pour la retrouver ensuite.

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Suit « Little Waltz », une composition de 1977 du contrebassiste Ron Carter, qui accompagna Miles Davis dans son second Quintet modal (avec Wayne Shorter au saxophone, Herbie Hancock au piano et Tony Williams à la batterie) puis quelques temps après son passage à l’électricité Jazz-Rock (« Bitches Brew »). En effet, le thème est introduit par la basse de Pilou Würtz par de superbes accords prolongés à la Jaco Pastorius (Hendrix de la basse électrique) dans les basses de l’instrument sur lesquels se greffent les ponctuations des cymbales et les improvisations du saxophone soprano exposant librement le thème par de longues phrases lyriques mais précises à la Steve Lacy, grand soliste moderne sur cet intrument. Le tempo valse, après avoir été assuré par la basse, ne l’est par la batterie que dans les derniers chorus.

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Franck Wolf reprend le saxophone ténor pour un « Blues For Horace» à la manière de ce pianiste à qui l’on doit la réhabilitation de l’insulte raciste «Funky» dans le Hard-Bop par sa composition «Opus De Funk». En effet, Wolf entame d’emblée l’ascension des sommets du genre que sont les disques de Wayne Shorter ou Joe Henderson sur «Blue Note» qui en furent les meilleurs exemples dans les années 50s/60s, servi en cela par la crémaillère métronomique de la basse et des petits roulements de la batterie avant un solo plus détendu, puis repart de plus belle en accélérant, force le trait par des riffs dans l’aigu ponctuant énergiquement les breaks du solo de batterie.

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Franck Wolf annonce «le dernier morceau», qui nous emmène en «Hispanie», pays de cocagne Wolfien ou le ténor puissant est soutenu par les lignes de basse de Pilou Würtz, puis Franck Wolf vient défier Didier Hoffmann sur son propre terrain en se rapprochant de lui pendant ses breaks qu’il entrecoupe de riffs ravageurs répétés.

Cela me rappelle un concert de Cookie Dingler criant « Africa!» Place De La Krutenau où chaque solo de Wolf était ponctué par le public d’un « Funky Francky » (également le titre d’une composition de Michaël Alizon pour Strasax). Son jeu justifie une fois de plus, s’il en était besoin, qu’il n’a pas volé son surnom!

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Arrivent les Bis réclamés par les applaudissements du public : Franck Wolf propose « une berceuse ou un thème moins calme». Le public choisit à mains levées le «moins calme», «alors on vous jouera la berceuse après».

Le « Thème moins calme » s’avère être « Quelque chose d’indigo», le seul titre coécrit par les trois musiciens, où en effet leurs trois voix s’imbriquent l’une dans l’autre à la perfection, pendant le premier chorus plutôt vif du saxophone sur une basse bondissante, le second plus détendu sur les accords groovants et les éclats de la batterie, puis final en ras et breaks Jazz- Rock de la batterie accompagné de la basse, puis des riffs du saxophone sur les dernières mesures.

Quant à la berceuse finale, ce sera «Two Joes» de Franck Wolf, dédiée au clavièriste de Miles (pour « In A Silent Way »), puis de Weather Report, Joe Zawinul décédé fin 2007. La mélodie est magnifique, à la Wayne Shorter, et Pilou Würtz fait penser par la richesse de son soutien à Jaco Pastorius qui en fut le bassiste.

Bref, Triophone est un groupe modernisant le Hard Bop par le Groove, ouvert aux rythmes du monde, et d'un grand intérêt tant par ses indidualités musicales que par leur cohésion au sein de l'ensemble, que par leur reprises et leurs compositions originales appelant, au voyage, à la danse et au rêve.

Jean Daniel BURKHARDT