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L’ «Aleph Quartet » est une formation locale, réunissant quelques pointures du Jazz de notre région de Strasbourg qu’on a pu souvent entendre au défunt Piano-Bar : Thomas Laedlein- Greilsammer à la batterie, bien connu pour ses breaks comme désarticulés et entrecoupés de silences fréquents, et Gérald Muller à la contrebasse qui en étaient la section rythmique maison, et Michael Cuvillon au saxophone, ainsi qu’Adrien Dennefeld, depuis également guitariste du groupe de Jazz Funkamétrique « Ozma », et compositeur de la plupart des thèmes de l’album, sorti en 2005.

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Ce nom d’Aleph Quartet sort de l’imagination du poète et écrivain argentin Jorge Luis Borgès qui le définissait comme «le lieu où se trouvent, sans se confondre, tous les lieux de l’univers, vus de tous les angles.», ce qui serait, appliqué à ses musiciens, également une bonne définition du Jazz le plus moderne. Pour ce concert au SCALA, deuxième série de la Carte Blanche à Grégory Ott, le saxophoniste était Michaël Alizon, qui en plus d’un nom prédestiné à l’usage des vents chauds et froids, également coutumier du Piano-Bar, souvent entendu chez Bernard Struber au sein de son Jazztêt, mais qu’on avait moins l’occasion de voir récemment en petite formation, excellant dans un Hard Bop entre Dexter Gordon et John Coltrane.

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Le concert commence par une composition de Michaël Alizon, "Extra Ball", ballade partant ensuite en Sonny Rollins ou Dexter Gordon par la puissance sonore dans les graves, puis la guitare d’Adrien Dennefeld commence son solo cool, puis de fait plus rock, tremplin à l’énergie Hard Bop d’Alizon.

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Les musiciens plaisantent à la présentation. Selon Gérald Muller, « Michaël Alizon a une télé à vendre». Le deuxième titre est une composition de Thomas Laedlein, « Week-end », avec Gérard Muller groovant en acoustique sur sa « grand-mère » (ainsi appelle-t-il sa contrebasse).Autre boutade, à l’énoncé de Gérald Muller à la contrebasse, Thomas Laedlin fait mine de s’offusquer de sa présence d’un « Ah il reste là, lui..».

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Sur le prochain titre, Alizon part en free dans l’aigu, mais revient toujours au thème. Même en accompagnement, Thomas Laedlein assure un soutien discret mais permanent évoquant, par sa complexité, celui d’un Max Roach ou d’un Art Blakey par ses « ras » incessants des tambours aux cymbales. Après quelques roulements, il se lance dans un de ses solos tout en ruptures qui ont fait son succès.

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Avant le prochain thème, Alizon essaie son saxophone d'un de ces souffles courts et incisifs que Lester Young, lors de sa dernière tournée en Europe accompagné de René Urtreger, par un hiver glacial, appelait comiquement «iceberg». Le groupe part ensuite sur un thème au tempo très rapide, dans lequel Michaël Alizon évoque le John Coltrane encore Hard Bop mais le faisant déjà exploser à pas de géant de « Giant Steps» dans les aigues, tandis qu’Adrien Dennefeld se rapproche du Jazz-Rock d’Uzeb dans son solo.

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Suit une ballade spirituelle qui m’évoque par sa profondeur « Naïma » ou «Alabama» de Coltrane, accompagnée par les seuls balais de Thomas Laedlein semblant parfois imiter les silencieuses ailes d’un oiseau. Si elle évolue crescendo vers plus de violence semblant avec le comique ambulatoire d’un Charles Mingus, poussant la violence jusqu’au cri, puis la faisant retomber en valse comme il le faisait dans «Haitian Fight Song ». A l’époque de l’ «Alabama » de Coltrane, ballade improvisée sur scène puis reprise dans "Crescent" sous le titre de "Lonnie's Lament". Mingus s’en était pris en des termes autrement plus menaçants et bordés d’injures au gouverneur de l’état Faubus, qui se refusait à accepter la dérogation permettant à 9 bons élèves noirs de fréquenter le lycée pour blancs de Little Rock, et ayant même dépêché la police pour leur en interdire l’accès, précisant qu’il faudrait « lui passer sur le corps». Ils durent donc être escortés par des militaires. D’où la version avec paroles (censurée) des « Fables Of Faubus » de Mingus, et la version instrumentale sortie sur "Mingus Ah Hum" , le gouverneur ayant comiquement le nom d’un tyran fictif raillé dans une chanson de geste parodique du Moyen Âge. Louis Armstrong, qui ne s’était jamais élevé contre la ségrégation, rappelant toujours que dans son enfance à La Nouvelle-Orléans, chaque noir devait avoir, pour sa protection, un blanc pouvant le déclarer «son noir», s’en était ému lors d’une interview. Quant aux enfants noirs, l’un deux devint conseiller de Bill Clinton à la Maison Blanche.

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Suit le titre qui ouvre l’album de l’Aleph Quartet « Aleph » de 2005, «Hard Lounge», joué plus rapide et avec plus d’ensemble que sur le disque, Adrien Dennefeld évoquant les dentelles Jazz-Rock de John Mc Laughlin dans ses « Extrapolations ». La ballade suivante pousse la complexité rythmique presque jusqu’à la polyrythmie afro-cubaine, Dennefeld évoquant le Marc Ribot des « Cubanos Postizos ». Plus tard, Thomas Laedlein termine un titre d’un autre de ses solos à breaks à l’étrangeté lunaire ralentissant le thème jusqu’à l’arrête silencieux d’un soupir, pour le reprendre ensuite de plus belle au final.

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Le concert se termina en bis par une version très lente du standard « Over The Rainbow », repris par le Jazz après avoir été créée par Judy Garland (future mère de Liza Minelli) dans le rôle de Dorothy dans le film « Le Magicien D’Oz » en 1930.

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Ce concert aura pu donner au public l'occasion de revoir ses musiciens locaux d'exception qui se font rares faute de Club de Jazz à Strasbourg, et de s'assurer de la bonne santé du Néo Bop local, tant dans son éxécution que dans ses compositions.

Jean Daniel BURKHARDT