Le mot "Funky" était à l'origine une insulte des blancs américains racistes définissant la puanteur supposée des noirs pour eux, à rattacher à tous les clichés fantasmatiques blancs de l'époque: musique, sexe et sueur, avec un capiteux parfum de jungle africaine encore sauvage... Dans les années 20s, on appelait avant "race records" ou "disques raciaux" (sans nuance d'insulte dans le terme) les disques de Jazz et de Blues noirs destinés au public noir, évidemment les plus authentiques, mais que le français Hugues Panassié prenait naïvement pour des "disques de courses", autre sens de "race" en anglais.

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Mais dans les années 50s, les jazzmen noirs comme le pianiste de Hard Bop (après le Be Bop de Parker et Gillespie) Horace Silver composa une pièce intitulée "Opus De Funk". Puis les batteurs Art Blakey et Max Roach (compositeur mort fin août d'une "Freedom Now Suite" intitulée "We Insist!" en faveur des Droits Civiques Noirs et à la pochette explicite: trois noirs costauds au comptoir d'un restaurant de hamburgers tenu par un employé blanc maigrichon au sourire figé et pas très rassuré vous regardant l'air de dire: "y'a un problème?", faisant également référence à la ségrégation alors encore en application dans les bars et lieux publics dont 9 étudiants noirs de Greensborough et 9 lycéens noirs de Little Rock étaient victimes, le gouverneur Faubus-celui des "Fables Of Faubus" du contrebassiste Charles Mingus, censurées pour les bordées d'injures et les menaces physiques de leurs paroles- ayant fait appel à la police pour leur en empêcher l'accés et décrétant qu'il faudrait "lui passer sur le corps", le président Eisenhower envoyant l'armée pour les escorter, ce qui n'empêcha pas l'un d'eux, Ernest Green, de finir conseiller du président Bill Clinton) assumèrent ce côté "funky" de leur musique: du Jazz authentiquement NOIR, fait PAR DES NOIRS POUR DES NOIRS, réhabilitant au passages les rythmes "churchys" (d'église, adjectif souvent appliqué à l'orgue qui y accompagnait les célébrations et les chants) hérités du Gospel (chants racontant la Bible et l'Evangile comme "Go Down Moses") et des Negro-Spirituals (Chants de travail des esclaves noirs à l'origine du Blues devenus religieux comme "Swing Low, Sweet Charriot"), donc authentiquement Afro-Américains.

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Ceci au moins 10 ans avant James Brown qui fit du "Funk" une musique spécifique et électrique, aux titres revendicatifs comme "Say It Loud, I'm Bklack And I'm Proud" (Dites-le haut et fort, je suis Noir et Fier de l'être) après l'obtention par les noirs des droits civiques dans les années 60s.

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Ces musiques noires sont aussi une sorte de riposte à la main-mise blanche sur le Jazz, puis le Blues et le Rock'N'Roll (noir par le Boogie-Woogie datant, d'après certaines parttions, de 1886, le "riff" inventé par Count Basie pour les unissons de saxophones à l'origine, puis repris par les guitaristes de Rock'N'Roll, les Blues Shouters comme Wynonie Harris, sans parler des chansons d'Elvis Presley inspirées puis écrites par son idole le chanteur Roy Brown, auteur de "Good Rockin' Tonight", mais que les producteurs payaient au lance-pierre pour ses compositions sans royalties en les faisant chanter par Elvis, et qui mourut dans la misère! Plus de détails dans "Héros Oubliés Du Rock'N'Roll: Les années sauvages du Rock'N'Roll", de Nick Tosches.) via le Rythm'N'Blues (nouveau nom des "race records" après 1949 parfois abrégé R'N'B, mais qui n'avaient rien à voir avec le pseudo rap féminin dénudé qui porte ce nom de nos jours) du saxophoniste et chanteur Louis Jordan dans les années 40s avec sa "Caldonia!", tube pendant la guerre malgré la grève des enregistrements ("recording ban") ne s'appliquant pas aux chanteurs, ce qui servit aussi, dans un tout autre registre, les débuts de Frank Sinatra.

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La "Soul" est d'abord littéralement l'"âme" noire qui émeut dans toutes les voix des musiques noires religieuses (Gospel, Negro-Spirituals) ou profanes (Blues, Jazz, Rythm'N'Blues). La chanteuse Sarah Vaughan disait: "Il faut mettre de la "Soul" dans son chant". Dans les années 60s, la "Soul Music" était la musique vocale noire, des groupes de doo-wop féminins à la "Supremes" à Otis Redding sur le label Stax dont les arrangements par les "Mar-Keys" (groupe mixte composé de deux noirs et de deux blancs du Sud des Etats-Unis) ont vielli pour nos oreilles habituées au funk, hélas mort dans un accident d'avion avec les musiciens de Gene Vincent. otis_redding.jpg Mais beaucoup de musiciens sont passés successivement par toutes ces musiques pendant leur carrière:

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James Brown dans son "Live At The Appollo" est encore un bouleversant chanteur de Soul porté par un groupe de Rythm'N'Blues ultra-puissant, Aretha Franklin, fille de pasteur, a été nourrie aux Negro Spirituals, commencé sa carrière en chanteuse de Jazz et de Gospel, avant de devenir la diva Funk féministe de "Think" réclamant "Freeeeedom" pour ses soeurs noires. Et dans sa période Funk, James Brown chantait, sous l'étiquette de ses J'B's "I Know You Got Soul, If You Didnt, It Would'nt Be A Hit"....

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Le comble du Funk serait les Brecker Brothers (groupe fusion blanc Jazz Rock Funk des années 70s composé de Randy Brecker à la trompette et Michael Brecker au saxophone) avec "Some Skunk Funk", repris pour un album de Randy peu avant la mort de Michael en janvier dernier.

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Jean Daniel BURKHARDT