Papyros__N_Ketncoglu_chante.jpgDimanche 22 novembre, le Festival Strasbourg Méditerranée proposait un concert du grand accordéoniste et chanteur aveugle Turc de Rebetiko Muammer Ketencoglu et son ensemble Zeybek. (en Turquie, les Zeybek étaient des bandits d’honneur, aussi appelés Effé réfugiés dans les montagnes d’Anatolie comme Memed Le Mince, héros de Yachar Kemal, dont il reste des danses, qui n’ont rien à voir avec le répertoire de l’orchestre (http://www.youtube.com/watch?v=VO1GfKlk2bo)) à la Cité De La Musique et de la Danse, puis un concert des Papyros’n invitant les Tzigognes de Jean-Claude Chojcan à la Salle Du Cercle de Bischheim.

Papyros__N_Ketencoglu_Zeybek.jpg

Le hasard des affinités musicales et de la programmation festivalière fait que, lorsque j’avais invité Monsieur Jean-Claude Chojcan, directeur musical et fondateur des Papyros’N et des Tzygognes dans mon émission « Terres Tribales » en octobre, il avait choisi en plus des extraits de leurs disques comme choix personnel un extrait de la compilation Sevdalinka Sarajevo Love Songs (parue chez Harmonia Mundi /Piranha) Sini jarko sa istoka sunce de…. Muammer Ketencoglu et son ensemble Zeybek, qui m’était alors inconnus, et alors qui nous ignorions tous deux qu’ils seraient programmés la même après-midi à un bout et à l’autre de la ville, ce qui malheureusement empêcha le second d’assister au concert du premier, étant en répétition !

Papyros__N_Ketencoglu_accordeon.jpg

En plus de cette coïncidence théorique, quelle ne fut pas ma surprise encore d’entendre Muammer Ketencoglu commencer son concert par un Chant D’Amour Hongrois enregistré par les Papyros ‘N de Jean-Claude Chojcan dans leur formation la plus cosmopolite (Caroline Stenger violon, Ilona Kobalian flûte, le guitariste manouche Engé Helmstetter et son clarinettiste Fabrice Lauer et le contrebassiste de Jazz Gérald Muller, et le futur accordéoniste de Malétès Yves Bèraud) comme entrée en matière de leur premier disque « Eastern Ballades II (le premier étant un duo de guitares avec Pierre Grunert), comme pour confirmer mes théories ou évoquer les Papyros’N malgré l’absence de leur leader! Les musiques et les répertoires voyagent, et parfois se rejoignent miraculeusement dans un au-delà des frontières (titre du second disque des Papyros’N) qui appartient aux musiciens en ce que Joyce appelait une épiphanie, comme un clind’œil inconscient et musical de Ketencoglu à Chojcan.

Papyros__N_Ketncoglu_chante.jpg

Après cette surprise, évidemment le répertoire de Ketencoglu et son ensemble Zeybek est le Rebetiko Grec ou Turc venu des Tavernes d’Izmir, interprété par lui-même comme accordéoniste (avec parfois des traits Tziganes dans le feu de l’improvisation) et chanteur d’une belle voix Turque allongeant les voyelles avec émotion et force, une chanteuse Grecque et une Turque, un darboukiste, un oudiste dans un rôle rythmique et un violoniste, dans une idée de réconciliation festive entre les deux communautés (les Grecs ayant fait partie de l’empire Ottoman Turc) et invita d’ailleurs le public à taper dans les mains et à danser si la place le lui permettait.

Papyros__N_Ketencoglu_grecque.jpg

Dans ce répertoire qui m’était inconnu, les chansons d’amour Rebetiko mélancoliques succédaient aux airs de danse de mariages grecs et turcs plus gais et rythmés, parfois dans le même titre, comme si par une mise en abyme d’une chanson intégrée dans le canevas d’une autre, rappelant les longues suites de la musique classique de cour Ottomane héritées des noubas (style musical avant de devenir synonyme de fête) arabo-andalouses censées rythmer la vie du palais et correspondre aux différentes heures de la journée. On retrouve encore ces structures dans les musiques d’Azerbaïdjan des populations Turcophones des anciennes Républiques Soviétiques comme Alem Qasimov.

Papyros__N_Ketencoglu_Zeybek_2.jpg

A 17 heures, on pouvait entendre les Papyros’n, Jean Claude Chojcan invitant la relève des Tzygognes (élèves de ce guitariste enseignant (), du nom de nos chères Cigognes et des Tziganes des musiques), invités par l’Association Ballade à un projet ambitieux : l’histoire de l’Alsace à travers les musiques évoquant les populations qui y passèrent/résidèrent : le Mur Païen du Mont St Odile nous vient des Celtes, le chou de la choucroute des Huns d’Attila, Gutemberg inventeur Strasbourgeois de l’imprimerie était un juif espagnol et le compositeur de valses Waldteufel un juif de Bischeim, rappelle l’écran…

Papyros__N_Chojcan.jpg

Cela me fait penser à une caricature parue dans un journal lorsque j’étais étudiant : un Alsacien en costume traditionnel s’y vantait d’être « d’une famille 100 % alsacienne » en montrant une galerie de portraits d’ancêtres Celtes, Huns, Suèdois, Allemands…

Papyros__n_tzygognes_basse.jpg

Les Papyros’N sont les plus qualifiés pour ce projet, car la formation de Chojcan mélange depuis toujours les musiques balkaniques, Irlandaises, Tziganes et ont joué à Sarajevo et en Yougoslavie... Papyros'N et Tzigognes ont d'ailleurs adopté chacun à sa manière le style tzigane, en robe, foulard colorés, chapeau pour Chojcan ou ron de Charlot et nez rouge de grippe A pour l'un des deux jumeaux au violon.

Ils commencent par « Nishka Banja », paru sur le disque des « Tzygognes » «Musiques Traditionnelles d’Europe », air de Serbie, du nom d’ une des villes de bains turcs que les Turcs y érigèrent pendant l’occupation Ottomane, sur la bonne contrebasse d’Isabelle et la derbouka, où s’envolent les violons menés par la rousse Romane.

Papyros__n__Tzygognes_CD.jpg

L’Alsace Celtique (de 800 à 50 avant JC), dont reste encore le Mur Païen du mont St Odile et où l’emplacement de la Cathédrale était déjà un lieu de culte, est évoquée par deux airs irlandais interprétés par les Papyros’N sur leur disque Esatern Ballades III : Au-delà Des Frontières, territoire où ils mêlaient la musique Irlandaise à celle des Bulgarie dans Grankino Horo, des Balkans ou Amour de Dieu. Les Papyros’n ont d’ailleurs participe au Summerlied en 2008, où René Eglès tente de faire valoir nos origines Celtes.

Papyros__N_Tzygognes_Summerlied.jpg

Suit un autre mélange Caucasien traité à l’ Irlandaise, Chamil, thème du Caucase dédié à cet imam résistant Caucasien, grand général de l’armée du czar Nicolas Ier, thème encore très connu en Turquie, et repris par les Papyros’N dans le même disque, pour évoquer les Grandes Invasions de nomades dont l’Alsace fut victime après la Paix Romaine du Vème au VIIIème siècle de notre ère, notamment par les Huns qui nous laissèrent le chou bouilli de notre choucroute. Là encore, au-delà des montagnes, on croit sentir dans les violons l’air marin de le la mer d’Irlande chatouiller nos narines, nos oreilles et nos jambes de ses gigues.

Papyros__N_Au-dela_des_frontieres.jpg

La période de prospérité (du IXème au XIIIème siècle) de l’Alsace Germanique et des villes libres (comme Strasbourg) fut évoquée par une chanson en yiddisch chantée par Diane Caussade, D’r Maie, et le commerce international florissant, et les horizons lointains du commerce florissant par « Misirlou » thème de rebétiko Grec de Michalis Patrinos de 1927 passé par la danse arabe, et par le Rock des années 60s avec Dick Dale, remise au goût du jour par Pulp Fiction. Le répertoire Grec est une nouveauté chez les Papyros’N, depuis leur dernier album LAISSEZ PASSER (parce que les douanes et passeports énervent Jean-Claude Chojcan à chacun de ses passages vers la Yougoslavie).

Papyros__N_Laissez_Passer.jpg

Les Malheurs revinrent au XV-XVIème siècle, avec les guerres Religion, l’Alsace étant Protestante, on envoya des soldats Suédois (évoqués par une Valse Suédoise) pendant la guerre de Trente ans, puis des français pour les déloger...

Papyros__N_Tzygognes_eglise.jpg

Jean-Claude Chojcan précise que ces intolérances historiques, ethniques ou religieuses, devraient nous enseigner la tolérance envers toutes les cultures et religions, au moment où l’on parle d’Identité Nationale, quid de l’identité humaine ? Le nom de l’orchestre vient de Papirosen (papier à cigarettes en yiddisch), un tango juif désespéré du ghetto juif de Varsovie, que l’orchestre reprend beaucoup plus gaiement sur Eastern Ballads III «Au –delà des Frontières », mais orthographié avec l’y de Papyrus symbolisant la partition. Cet humanisme rajoute encore à la portée musicale et au mélange musical.

Papyros__N_Live.jpg

Suit le gai Chant D’Amour des bergers de Roumanie (celui-là même qui ouvrait le premier disque Eastern Ballades II des Papyros’N et par lequel Ketenoglu avait commencé son set) joué un peu à l’Irlandaise dans la reprise accélérée par les violons et flûtes (Adeline Dillenseger, Clara Weill et Adeline), qui fait crier avec les musiciens et taper des mains le public.

Papyros__N_Marseillaise.jpg

En 1648, l’Alsace devint Française par le Traité de Westphalie, puis connaît la Révolution Française en 1789, et Rouget De Lisle chanta sa « Marseillaise », notre futur hymne national, pour la première fois à l’Hôtel De Ville de Strasbourg. En 1792 fut créé le Conservatoire de Paris, puis l’Alsace devint comme la France Napoléonienne, et sa jeunesse subit les recrutements de l’Empereur pour ses campagnes, fournissant aussi à sa gloire 70 généraux qui donnent encore leurs nom à certains lieux de Strasbourg, comme la Place Kleber. Ces recrutements sont évoqués musicalement par des Danses de Recrutement tziganes extraites d’Eastern Ballads III Laissez-Passer, le dernier disque des Papyros’N. La musique de ces danses, les vins et les filles aidaient au recrutement des soldats. Le violon et la clarinette (Alice), lentes puis la contrebasse et l’accordéon (une autre Romane et Camille), d’abord lents, accélèrent soudain le tempo de cette danse pas si gaie à cause du périlleux départ à la guerre, mais qui l’est quand même pour donner envie, sur la guitare de Chojcan. La troisième est marquée du talon et du pied sur la scène par les musiciens. La joie des élèves Tzygognes et des Papyros’N plus âgés à jouer ensemble fait en tous cas plaisir à voir, dans une saine émulation et avec un jeu d’ensemble de qualité où chacun (e) trouve sa place, a sa minute de gloire par un solo.

Papyros__N_long.jpg

En 1870, après la bataille de Reichshoffen, l’Alsace redevient Allemande, pour une période de prospérité (malgré l’exil de 50 000 alsaciens), c’est une période de prospérité économique et de richesse architecturale car Strasbourg est la « vitrine » de l4allemagne contre la France, dont reste le Palais Universitaire, entre autres bâtiments. Dans une famille juive de Bischheim, naît Emile Waldteufel, qui va étudier à Paris et finira Directeur de la Musique et de la Danse de Napoléon III et de l’Opéra de Paris et compositeur de plusieurs valses, très prisées de la Reine Victoria. Si beaucoup d’entre elles sont oubliées, Amour et Printemps (Liebe und Frühling), qu’interpréta l’orchestre, reste dans les oreilles modernes par une publicité d’Assurances célèbre où elle évoquait le temps et la vie qui passe, d’abord lente, puis de plus en plus dansante, sur fond de portraits XIXème enrubannés..

Papyros__N_tour.jpg

La critique de la Première Guerre Mondiale (1914-1918) passe par une chanson plus tardive, mais qui pourrait être d’époque, et fut censurée dans les années 50s lors des guerres Coloniales d’Indochine et d’Algérie : Le Tango des Joyeux Bouchers de Boris Vian, chanté Diane Caussade avec une véritable gouaille parisienne, d’abord lent, puis de plus en plus rapide sur les percussions martiales de Romain Schieber et Alexis par charges amusantes et efficaces et tous en cœur pour le final « Tiens Voilà du boudin ».

Papyros__n_tzygognes_percu_sax.jpg

L’Alsace redevient Française dans l’entre-deux-guerres, puis sera annexée par Hitler en 1939, Strasbourg évacué. Les Tziganes, comme les Juifs, furent victimes de l’extermination, représentés par un Chant Gitan de ces « nomades oubliés de notre nouvelle Europe » précise Chojcan, à la mode d’Au-delà des Frontières, mais chanté par Clara Weil, flûtiste des Tzygognes (qui n’a pas dû être facile à apprendre, vu la complexité de cette langue très éloignée de la nôtre) avec le saxophone alto déjà Balkanique à la Lourau de Jean-Baptiste Juszsczak sur le fond des autres musiciens.

Papyros__N_Eastern_Ballades_II.jpg

La fille de Jean-Claude Chojcan monte sur scène avec une amie pour jouer sur une étrange flûte balkanique plate la vapeur dans Le Train de 7 h 43 (thème klezmer que les juifs jouaient dans l’entre-deux guerre en attendant le premier train de la gare de Varsovie, qui a donné le nom d’une fanfare locale : Le train de 7 h 45, à deux minutes près) (http://www.youtube.com/watch?v=0K1HkS5QZHI ), en souvenir des juifs Polonais massacrés, de toute cette joie de vivre du shtetl anéantie dans le ghetto de Varsovie D’abord très lent, le thème s’emballe avec l’arrivée joyeuse du train et le jeu collectif.

Papyros__n_Tzygognes_scene.jpg

L’Alsace redevient Française à la Libération en 1945, et est maintenant une capitale Européenne avec son Parlement européen, mais sommes-nous toujours à la hauteur de cette histoire, de cette tolérance ? Pour évoquer les tracasseries douanières aux frontières, ils terminent par Les P’tits Papiers de Serge Gainsbourg pour Régine, qui ne pensait pas aux Sans-papiers déjà modernisé par Christophe Burger, chanté par Clara Weil avec cette fois une gouaille toute française.

Papyros__n_groupe.jpg

Pour le bis, ils terminent par une « Danse Roumaine ».

Papyros__N_article.jpg

Longue vie et carrière aux Papyros’N et Tzygognes. Les groupes de Jean-Claude Chojcan restent, par contrainte d’abord, à personnel très changeant, mais il a fini par y trouver une façon de faire originale et nomade, unique dans la région, entre enseignement et renouvellement permanent pour alimenter les meilleurs groupes de la région (Zakouska, Bal Pygmée, qui seront à La Laiterie le vendredi 18 décembre avec Karpatt).

Jean Daniel BURKHARDT

Pour l'avenir, les concerts des Papyros'N -Concert avec chorale à Bouxwiller(38mn de Strasbourg) dimanche 13 décembre 18h -Concert avec chorale à Dossenheim/Zinsel (41mn de Strasbourg) Samedi 19 décembre à 20h

Et l'année prochaine: -Enregistrement du prochain CD « BalsiKa » Papyros’N- Les Tzygognes et les musiciens de Tuzla 16-17 janvier et 6-8 février au Studio Downtown à Strasbourg ET SURTOUT EN JANVIER, LORS DE LA QUINZAINE "BALADE DANS LES BALKANS " À HAGUENAU FAISANT SUITE À DES ACTIONS PÉDAGOGIQUES DE JEAN-CLAUDE ET DES PAPYROS'N À L'ÉCOLE DE MUSIQUE DE HAGUENAU ET DANS DES ÉCOLES PRIMAIRES DE LA VILLE •Concert Papyros’N-Balsika (grand-orchestra 20musiciens): MUSICIENS D'ALSACE ET DE BOSNIE Vendredi 22 janvier à 20h Salle de la Douane à Haguenau (concert avec entracte) •Heure de musique à la Médiathèque de Haguenau(musiques poèmes des Balkans projections d’images) samedi 23 janvier 15-16h30 •Animation musicale avec les élèves du Conservatoire et les élèves de l’école de musique de Haguenau Dimanche 24 janvier 15h30-17h Musée Historique Chapelle •Animation dans divers lieux de Haguenau Salle du Corbeau(Douane)- Chapelle des Annonciades Samedi 30 janvier de 15h-18h30 (15 musiciens+élèves école musique de Haguenau)