Ce samedi 24 octobre, Nicolas Fraissinnet venu de Paris, Lausanne et de l’Antarctique, Monsieur Lune de Paris, Léo Parleur (originaires de Strasbourg, même si leurs tournées les emmènent souvent loin d’ici) et Yan Caillasse (le groupe de Yan Siptrott, comédien que j’ai connu au lycée il y a vingt ans, devenu compositeur et chanteur de « Rock à texte » à Paris). Bref, deux à découvrir et deux retours chez nous.

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On a pu voir d’abord Nicolas Fraissinnet et son univers fantastique, humoristique de pingouin et de fée partant « Avec le vent ».

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Il a quelque chose de Nilda Fernandez dans la fêlure de la voix, sans l’exotisme hispanisant et les cheveux, ou Louise Attaque mais avec un tempétueux piano et des envolées magnifiques.

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En seconde partie, on a pu voir Monsieur Lune et son groupe intéressant à voir pour sa diversité capillaire : Monsieur Lune a une tête un peu ronde et les cheveux parfaisant sa tête de lune ronde, « Cheveu », le guitariste, aussi au cavaquinho et à la mandoline avec des cheveux longs et des pattes à la Stéhan Eicher, un violoniste barbu de trois nuits, un bassiste aux cheveux courts laissant pointer la banane comme les Forbans ou L’Affaire Luis Trio, et un batteur surnommé John Malkovich aux mèches chouette effraie au tour du crâne dégarni.

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Nicolas Pantalacci, chanteur de Monsieur Lune, a une voix qui me rappelle dans son innocence le premier chanteur que j’aie vraiment aimé : le Yves Simon des années 70ies celui de « Diabolo Menthe » découvert trop tard, bien après le lycée mais qui émeut quand même et de « J’timagine », des « Merveilles de Juliet » ou de « J’ai Rêvé New York » pour l’Amérique et la révolte Rock, un texte en collage de citations, des guitares folk et des illusions Baba Cool de « L’Amour Dans L’Âme », de la folie de croire encore en ses rêves ou à un monde meilleur, qui fait encore du bien même trop tard.

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Un côté américain d’ici, aussi dans les arrangements, parfois country à la Française pour « Lunette », qui « n’en porte pas et lit des bouquins trop longs », personnage émouvant, Sud-Américain dans le cavaquinho, Napolitain dans la mandoline, chanson française mais assez d’ailleurs pour nous faire voyager.

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Et puis dans les textes et la musique, il y a cette émotion qui parfois vous prend le cœur jusqu’au bord des larmes, quand il nous parle de ses rêves d’astronaute avortés, mais nous dit que les chansons, la musique servent à « se rappeler, oublier » nos rêves, et lui permet de partager avec nous les siens.

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Quelquefois il s’abandonne à la violence Rock, comme dans « Reviens Pas », repris en chœur avec le public, trop ironique pour qu’on y croie, « T’es bien plus belle quand t’es pas là », mais où il est bien moins ridicule que notre Johnny national sur un texte équivalent et tellement plus frais, moins réchauffé, moins maccho, car il n’a pas peur de montrer sa fragilité aussi plus proche de nous.

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Il détourne aussi avec tendresse et irrévérene les classiques comme « La Belle Au Bois Dormant » de Charles Perrault quand elle lui manque.

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Enfin, il flirta avec la science-fiction avec Benjamin Gage et la Fin Du Monde, et se souvint avec émotion des premières bises au Lycée (quand on se dit que c’est sans conséquence) quand son père disait que « jamais Yannick Noah ne gagnerait Roland Garros ».

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Bref, sa voix rappelle un peu celle de Raphaël, mais son univers est tellement plus varié qu’il mériterait au moins le même succès, sinon davantage…

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En troisième partie, on pouvait entendre les Léoparleur, groupe local à l’origine, qu’on a connus Funk-Rock Psychédélique «Fonkadélic Méthane » en 1992-1999, Chanson Française mêlée de musiques traditionnelles pour leur premier album acoustique « Revoir La Mer » en 2002, plus hispanisant/latino voire punk pour leur troisième « Tout Ce qui Brille » en 2006 et qui, à force de tourner partout ailleurs qu’ici dans leur petit camion bleu, ont trouvé le moyen de sortir leur dernier album « Faut Du Rêve », enregistré dans le désert d’Andalousie, en Allemagne, au Japon, mais pas encore en France!

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Je plaisante, je les aime trop et suis trop content de les revoir, j’avais oublié qu’ils étaient aussi bons. Bien sûr le temps passe, il ne reste des pionniers que les inséparables frères Oster : Josef à la guitare et au chant, et Simon à l’accordéon, et bien sûr la Toulousaine Maya Martinez, multi souffleuse qui après le saxophone dans « Le Grand Lustucru », berceuse horrifique anti-fasciste de Kurt Weill, reprise sur chacun de leurs concerts, joue maintenant de la clarinette (comme leur invité Denis Léonhardt des Weepers Circus), du trombone (comme Jean Lucas), des castagnettes et chante également. Il y a un nouveau batteur (mais l’ancien est passé chez Yan Caillasse) et un bassiste électrique a remplacé la contrebasse Gavroche de Grégory Pernet depuis un an, et une violoniste est là spécialement pour ce concert ce soir-là.

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Maya assure les textes en espagnol, dont « El Caracol Azul », écrit par son père, souvent suivie de Simon. Ils ont toujours la même énergie sur scène, un peu Rock desperado, entre Chanson Française pour les textes et attitude punk à la Ramones ouverte aux musiques traditionnelles.

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Sur le dernier album, ils ont mis en musique un nouveau texte de leur parolier officiel Yunus Emré (poète derviche turc du XIIIème) ajoutant « C’est mon affaire » (chanson de révolte contre Dieu qu’il aille à la Taverne ou le regrette à la Mosquée), qui précède « Ma Vie » (questionnement en abîme sur le sens de l’existence humaine allant jusqu’au refus du suicide) sur un rythme Flamenco Rock finissant en ska quand le rythme s’accélère. Entre un Djalal-od Din-Rûmi mystique et fondateur des derviches tourneurs (à qui il lança un jour « Si t’as trouvé, pourquoi tu tournes ? ») et un Omar Khayyâm poète astronome et jouisseur aimant les femmes et le vin désespéré accusant Dieu quand sa coupe se brisait (« Tu m’as barré la route du plaisir, Seigneur/ C’est moi qui bois, c’est toi qui es ivre Seigneur ! ») dans ses Robayat, Yunus Emré avait une position médiane ou passait de l’un à l’autre : à la Taverne un jour et se repentant ensuite de poèmes à l’Adoré, Mystique à l’état sauvage comme Arthur Rimbaud trouvant dans ces allers-retours sa liberté et une ferveur égale répondant aux questions que pose la souffrance humaine, mais y trouve aussi sa profonde humanité et sa modernité presque Baudelairienne, entre révolte et Mysticisme.

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Ce qu’on entend du dernier album promet qu’il sera tout aussi intense que les précédents, et apportera son lot de nouvelles influences, cubaines électriques côté guitare avec une citation de la version « El Carretero » de Guillermo Portabeles à la manière du Buena Vista Social Club et avec un style plus énergique de Papo Ortéga Y Cubanoson, voire électrique de Marc Ribot reprenant Arsénio Rodriguès l’aveugle merveilleux du très Cubain lui-même.

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Autre grande et surprenante réussite, dépoussièrante au possible, leur version punk toute coulisse de trombone dehors du classique musette « J’ai l’Cafard » de Fréhel, chanté par Simon Oster l’accordéoniste, faisant de cette chanson désespérée à se jeter au fleuve l’expression d’une saine et rageuse révolte..

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Ils finirent ce set, raccourci de leurs super-ultra-utiime Bancos de bis successifss par l’heure tardive et la venue encore de Yan Caillasse par « Les Adieux », extrait de leur album «Tout Ce Qui Brille » et sa guitare desperado et le saxo de Maya puissant mais suivant dans ses riffs sa ligne oblique entre Lester Young et celui des Béruriers Noirs. Bref, les Léoparleur se sont rappelés à nos cœurs, et on attend avec impatience le prochain concert et la sortie de leur prochain album dans leur propre pays et à Strasbourg !

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En dernière partie, Yan Caillasse, groupe de Yan Sipptrott, que je connais depuis au moins vingt ans, puisque nous étions ensemble au Lycée et à l’Université de Lettres, puis il s’orienta vers le Théâtre et devenu Comédien monta à Paris, créa ce groupe de « Rock à Texte », pour lequel il écrit les textes à la fois poétiques et librement engagés et dont il est le chanteur, avec Lionel Fouchet à la guitare, Grégoire Butraeye au violon et à la 2ème voix, Eddie Claudel à la batterie et Morgan Michaud à la basse.

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Nous entrons dans son univers par « 100 Bêtes de Foire » qui ouvre son second album « (Remuer) Ciel et Terre », qui fait suite à « Un Chien De Ma Chienne », Cirque fantastique et horrifique, avec « la femme en sucre, qui ne peut s’empêcher de s’auto dévorer », avec un côté Freaks, mais qui ressemble aussi à notre monde, où l’on trouve « des politiciens, les derniers de leur race ». Et tout de suite, c’est sa puissance vocale à la Bertrand Cantat (c’est lui d’ailleurs qui me fit découvrir « Aux sombres héros de l’amer ») qui surprend, par rapport à sa voix un peu baba cool/guitare sèche d’il y a quelques années. Le cheveu, qu’il portait long, est plus court, mais sa formation théâtrale lui a donné une énergie et une ubiquité scénique irrésistible sur ses chaussures à pointes montantes, il agrippe le micro comme un mât dans la tempête, court et saute de toutes parts, défie ses musiciens ou tambourinesur l'ampli. Quant à la musique, on retrouve le fan de Métallica (au rouleau compresseur duquel il ne me convertit jamais) et d’Angepour le côté Rock poétique psychédélique, que nous vîmes ensemble le Jour Des Anges au Café Des Anges en 1990.

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Il poursuit avec « Le Ciel se couvre mais on s’en fout », plus dans sa première manière entre Musette et Rock’N’Roll, à propos du le réchauffement climatique sur une valse trash façon « Vie De Chien » des Négresses Vertes à la guitare sinueuse et avec un violon Folk à la Malicorne (autre découverte que je lui dois, dont nous essayions, en vain, de reproduire le bourdon vocal).

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La chanson suivante est un Reggae Trash au texte en forme de supplique Moyenâgeuse priant Dieu et Jésus ironiquement (les murs de l’amphi tremblent encore de son « We Will Rock You » de Queen à un professeur d’Ancien Français!), entre Folk Moyenâgeux Malicornien (qui nous était plus utile comme support d’Ancien Français que les Chansons de Geste ) et énergie Rock. L’apport de Malicorne est d’avoir su reprendre de vieilles Chansons Moyanâgeuses avec des mélodies magnifiques, mais avec des arrangements Folk-Rock Psychédélique plus modernes, sans les dénaturer.

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De l’Ancien Français, il remonte au latin avec « Memento Morti », critique de toutes les Religions et idéologies meurtrières au nom de leurs morts dont « les crânes en charpie supplient qu’on les oublie » auxquels il oppose « La Vie coûte que coûte » (Quoique lui prétende « n’en déplaise aux experts de tous poils, cette chanson ne peut se chanter qu’en pensant à la cueillette des champignons »), de plus en Rock. Virage plus Rock avec « Entre Ciel et Terre » (presque le titre éponyme de l’album «(Remuer) Ciel et Terre », sur la guitare à la Métallica (plus dans les solos que dans la rythmique en fait) et le violon Folk, et Yan claquant la cymbale entre ciel et terre.

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Si « C’est un plaisir partagé », il ralentit tout de même le tempo avec « Chien Caillou Chien Fou », mélopée sur les résonances de la guitare et de la basse entre la soumission canine et le côté sauvage, loup qui demeure (« Tu peux compter sur ma mâchoire pour devenir le gardien de tes jours »), qui sur un guitare psychédélique évolue en gutturalités mongoles presque diphoniques, puis se fait de plus en plus Rock lorsqu’à la fin Yan « Lâche les chiens ». Le meilleur ami de l’homme est encore un loup apprivoisé, et certains même en font une arme...

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Suit après une intro de guitare à la Pink Floyd dans « Confortably Numb » extrait de «The Wall » (qu’il m’a fait découvrir, mes parents s’étant arrêtés à « Meddle » et « More ») suivi d’un violon qui en rappelle les cordes, « Avec Moi », qui part plus Rock avec un texte aux magnifiques métaphores poétiques visuelles («harponne quelques comètes allées/hâlées/Halley ») et sonores (« perpétuelles tours de Babel aux toits amourachés ») à la beauté apocalyptique et à l’esthétique fantastique un peu BD à la Bilal ou Caza («On s’est couché sur les adrets… A l’horizon le bord du monde s’est mis à rougeoyer »). Avec quelques autres, comme « Vaches Sans Terre » sur l’exode rural, ce titre montre à la fois l’attachement à un terroir les deux pieds bien ancrés dans le sol et l’envol de l’imaginaire fantastique qui se cache au fond des forêts, qui ont toujours fait partie de l’univers de Yan Sipptrott avant Yan Caillasse.

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On part ensuite pour les tempêtes marines des « 40èmes Hurlants » sur un tempo d'enfer, hantés de sirènes pirates, corsaires, très Rock Celtique à la Louise Attaque dont la violence des vagues frise le Rock avec violence façon Noir Désir.

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Autre requin, mais de bureau celui-ci, mais qui n’en est pas moins vorace pour nous « tondre le dollar sur le dos », le fonctionnaire des Impôts « Ernest La Peste » qui rime avec « funeste », avec un côté du comédien Yan baladin ironique ménageant violence rentrée et douceur critique, un peu à la manière de Léo Ferré dans « Monsieur William » (Yan Caillasse a également dépoussiéré façon Zoo son «Merde à Vauban » sur un texte de Pierre Seghers), et un bon solo de batterie sur le violon.

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Plus violent et Rock, « Os Contre Béton » (enregistré avec Kemar des « No None Is Innocent » pour son débit rapide presque Hip-Hop, ou Hip-Rock, dont l’ingénieur du son Mazarin a enregistré les deux albums de Yan Caillasse.

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A cette soirée Amnesty International, ce texte prend tout son sens : « On ligote mes frères sur du poison, Os Contre Béton », avec un solo de guitare, citant les montées de l’intro de« Welcome To The Jungle » de Guns’N’Roses (Slash fut quand même un des meilleurs suiveurs de Jimi Page après Led Zeppelin), puis une accalmie, le creux de la vague (« Pour ta peine et pour longtemps, laisse-la planter ses dents ») avant la reprise de plus belle jusqu’au final.

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Après la violence de la bataille, Yan s’abandonne à une autre mélopée apocalyptique avec cette prière au « Dieu des cendres » (assez proche finalement du bourdon Malicornien) rythmée par une basse funky et des riffs rageurs, qui parle de la dérive sécuritaire où « Alice au pays des alarmes se balade la fleur au fusil », avec sa comptine détournée (« Prête-moi ta cage pour y faire un nid») de plus en plus violente de la « rage des vivants » qui ont perdu leurs illusions et leurs rêves . Il n’y a pas de renoncement, « J’entretiens mes charbons ardents jusqu’à ce qu’une solide main de fer nous impose une muselière », tandis que violon et guitare finissent dans les aigus. Cet album est plus sombre que le précédent, mais le monde l’est devenu aussi, et la rage soutient l’éveil de la conscience. Et Hubert Félix Thiéfaine et son "Chant Du Fou" fait aussi partie des références musicales que je lui dois.

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Autre critique prophétique de la dérive sécuritaire, « Welcome in Youpiland » (là encore du pur Yan), écrite avant l’élection présidentielle «de la chair à l’audimat pour faire de l’œil à l’Extrême Droite », avec son humour acide à la Reiser et Charlie Hebdo (« Trop de couleurs dans nos avenues, mais faut bien Germaine, qu’on nettoie les rues »). Le pire c’est que cette fois-ci « On l’a voulu ».

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Le concert se termine avec la Communion avec le public « Du Feu », d’abord Reggae comique, puis plus rock au refrain sur le pizzicato du violon : « Nous c’qu’on veut, c’est du FEU », des feux de St-Jean même en hiver, des feux de bengale tous les soirs!

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Yan Caillasse a trouvé sa Poésie Rock. Finalement Jim Morrison n’est jamais arrivé à rendre la sienne aussi universelle.

Jean Daniel BURKHARDT